CA NANCY (1re ch. civ.), 15 septembre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8583
CA NANCY (1re ch. civ.), 15 septembre 2020 : RG n° 19/02889
Publication : Jurica
Extrait : « Alors que l'intérêt de l'assuré est de voir reconstruire au plus tôt son bien détruit par un incendie, et celui de l'assureur de gérer le dossier s'y rapportant dans un délai raisonnable, Mme X. n'explique pas davantage en quoi l'obligation de reconstruire le bien sinistré dans un délai de deux ans à compter du sinistre serait constitutif d'une clause abusive au sens de l'article 132-1 du code de l'ancien code de la consommation applicable en l'espèce selon lequel sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE NANCY
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/02889. N° Portalis DBVR-V-B7D-EOTO. Décision déférée à la Cour : jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY, R.G. n° 17/04194, en date du 29 mai 2019.
APPELANTE :
Madame X.
née le [date] à [ville], domiciliée [adresse], Bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2019/XX du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NANCY, Représentée par Maître Marianne S.-A. de la SELAS D. ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau de NANCY
INTIMÉE :
SA AXA FRANCE IARD
prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [adresse], Représentée par Maître Jean-Marc D. de la SCP D.M., avocat au barreau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR : En application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, le président de la formation de jugement a décidé de recourir à la procédure sans audience. Les parties dûment avisées le 18 mai 2020 ne s'y étant pas opposées dans le délai de 15 jours, l'affaire a été portée devant la cour composée pour le délibéré de : Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre, Monsieur Yannick FERRON, Conseiller, Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire, qui en ont délibéré ;
Les parties ont été avisées le 8 juin 2020 que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2020, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 15 septembre 2020, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ; signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DES DONNÉES DU LITIGE :
Le 8 septembre 2013, un incendie a ravagé la maison d'habitation qui, située [...], et appartenant à Mme X., était assurée auprès de la société Axa France Iard.
Après la mise en œuvre d'une expertise amiable contradictoire, un accord de règlement est intervenu entre les parties, le 4 avril 2014, selon lequel la date limite de reconstruction et de facturation à l'assureur était fixée au 1er janvier 2016.
Par acte du 20 novembre 2017, Mme X. a fait assigner la société Axa devant le tribunal de grande instance de Nancy pour la voir condamner à lui payer le montant de l'indemnité différée de reconstruction prévue au contrat. Elle faisait valoir d'une part que si les travaux de reconstruction n'étaient pas achevés, le 1er janvier 2016, en raison du comportement dilatoire de l'architecte, ils étaient toutefois commencés, d'autre part que la clause des conditions générales du contrat d'assurance conditionnant l'octroi de l'indemnité différée à une reconstruction dans les deux ans du sinistre était abusive et illégale parce que contraire aux règles du code des assurances et du code civil qui gouvernent la prescription.
Par jugement contradictoire du 29 mai 2019, le tribunal ainsi saisi a débouté Mme X. de ses prétentions, et l'a condamnée, outre aux dépens, à lui payer la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses motifs, le tribunal a considéré que n'était pas abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, la clause qui permettait à l'assureur ayant versé le montant de l'indemnité immédiate de garantir que les travaux de reconstruction auraient lieu dans un délai raisonnable ; que par ailleurs, l'assurée ne rapportait pas la preuve d'un obstacle insurmontable l'ayant empêchée de mener à bien les travaux de reconstruction.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 19 septembre 2019, Mme X. a relevé appel de ce jugement ; dans ses dernières écritures, elle demande à la cour de l'infirmer, de dire que la société intimée sera tenue au règlement de l'indemnité différée, et de la condamner au besoin, sur présentation de factures, à lui en payer le montant, soit la somme de 233.361 €. Elle sollicite également la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son recours, elle fait valoir que si la reconstruction n'a pu intervenir avant le terme convenu, c'est en raison de circonstances indépendantes de sa volonté ; qu'en effet, elle a dû résilier, par lettre recommandée du 10 juin 2017, le contrat passé avec le cabinet 3B Architecture qui avait conçu un projet ne portant pas sur la reconstruction à l'identique, et comprenant des éléments non demandés. Elle maintient par ailleurs que la clause selon laquelle la reconstruction doit avoir lieu dans un délai de deux ans à compter du sinistre est abusive, étant précisé que la société intimée a artificiellement diminué le montant de l'indemnité immédiate (30.184 € au lieu de 146.582 €), et augmenté celui de l'indemnité différée (253.361 € au lieu de 95.079 €). Elle ajoute qu'elle ne perçoit plus de revenus si ce n'est le montant du RSA.
L'intimée réplique qu'une somme de 43.844 € été versée, en 2014, à titre d'indemnité immédiate, et qu'une somme de 32.250 € a été versée, sur factures, le 9 juin 2015, date après laquelle l'assurée a gardé le silence jusqu'au 12 juillet 2017 ; que si elle a accordé un délai supplémentaire de trois mois pour procéder à la reconstruction, elle n'a pas pour autant renoncé à tout délai, le terme extinctif de son obligation étant survenu le 1er janvier 2016 ; que l'appelante a commis une faute de négligence en résiliant tardivement le contrat d'architecte alors que les travaux de reconstruction proprement dits n'avaient pas commencé, une fois effectués les travaux de déblaiement et de démolition. Elle ajoute que la clause litigieuse dont l'assurée était informée n'est pas abusive dans la mesure où elle ne crée aucun déséquilibre significatif, au détriment du consommateur, entre les droits et obligations des parties.
En conséquence, elle conclut à la confirmation de la décision entreprise, et à la condamnation de l'appelante, outre aux entiers dépens, à lui payer la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'affaire a été clôturée par ordonnance de mise en état du 11 février 2020, et fixée au 17 mars suivant, puis renvoyée au 11 mai 2020 en raison de la crise sanitaire.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les conditions générales du contrat d'assurance souscrit par Mme X. contiennent les stipulations suivantes relatives à l'indemnisation des bâtiments, objet du sinistre, en cas reconstruction ou de réparation :
« L'indemnisation est effectuée au coût de leur reconstruction en valeur à neuf au jour du sinistre : toutefois, nous ne prenons en charge la vétusté calculée à dire d'expert que dans la limite de 25 % de la valeur de reconstruction à neuf du bâtiment sinistré.
Cette indemnisation est due seulement si la reconstruction :
- a lieu dans les deux ans à compter du sinistre, sans apporter de modification importante à la destination initiale des bâtiments au même endroit. »
Après évaluation des dommages par le cabinet V. Expertises, un accord de règlement a été signé par Mme X., le 4 avril 2014, selon lequel une somme de 43.844 € lui serait versée à titre d'indemnité immédiate, et le solde lui serait payé en différé, après travaux, dans la limite des justificatifs produits à concurrence de la somme 233.361 €. Il était précisé dans cet accord que le délai de reconstruction et de facturation ne devrait pas excéder le 1er janvier 2016 par dérogation aux conditions générales. Il était aussi précisé que l'assureur règlerait sur délégation acceptée et signée par l'assurée les honoraires du cabinet V., soit la somme de 13.660 € toutes taxes comprises qui serait à déduire de l'indemnité immédiate.
Le 9 avril 2014, le même cabinet a écrit à Mme X. pour lui indiquer que le montant de l'indemnité nette à laquelle elle pouvait prétendre s'élevait à la somme de 263.545 €, que la somme de 30.184 € (43.844 € - 13.660 € correspondant au montant de ses honoraires) lui serait réglée immédiatement, et que le solde, soit la somme de 233.361 € lui serait versée en différé sur justificatifs.
Le 13 mai 2015, la société 3B Architecture à laquelle Mme X. avait confié une mission de maîtrise d'œuvre en vue de la reconstruction de son bien, a établi, et adressé à l'assureur un inventaire des travaux effectués par M. Z. qui exploite une entreprise de bâtiment, ainsi que la copie des factures correspondantes, visées par ses soins :
- évacuation de l'ensemble des gravois issus du sinistre.
- dépose des planchers bois du rez-de-chaussée et du premier étage.
- déconstruction partielle des murs intérieurs et extérieurs en maçonnerie traditionnelle.
- réalisation d'arase des murs existants.
- mise en place des installations de sécurité de chantier (clôtures, signalétiques).
- sécurisation des éléments bâtis (étais, tirants, échafaudages etc.).
- réalisation des relevés de l'état de la construction après sinistre.
- total des factures : 54.854 €.
Mme X. fait valoir que si les travaux de reconstruction n'ont pu être effectués dans le délai de deux ans à compter du sinistre, prévu au contrat, et prorogé jusqu'au 1er janvier 2016, cette situation ne lui est pas imputable, l'architecte auquel elle a eu recours ayant conçu un projet qui ne correspondait pas à une reconstruction à l'identique, et fait des choix non conformes à ses souhaits : toiture végétalisée avec vue sur la cour voisine, création de deux salles de bain au lieu d'une, et de deux wc au lieu d'un, création d'un mur porteur et d'une dalle en béton constituant une surcharge sur les fondations existantes. Les plans qu'elle produit sont en effet revêtus des mentions manuscrites qu'elle y a apposées pour dénoncer ces choix.
Toutefois, la lettre dans laquelle elle exprimait son désaccord, et que son avocat a adressée à la société 3B Architecture est datée du 12 avril 2017, et la lettre recommandée par laquelle elle a notifié à cette société sa volonté de résilier le contrat passé avec elle porte la date du 10 juin suivant.
Alors que le contrat conclu avec l'architecte l'a été le 16 mars 2015, soit près d'un an après l'accord de règlement du 4 avril 2014, et que les plans réalisés par son cocontractant sont datés du 9 octobre 2015, elle ne fournit pas les raisons pour lesquelles, elle n'a pris aucune initiative avant le 28 juillet 2016, date de son courriel transmettant à l'architecte un plan du rez-de-chaussée pour une reconstruction à l'identique conforme à ses vœux.
Ainsi, elle ne démontre pas avoir tout mis en œuvre pour que les travaux de reconstruction soient exécutés dans le délai prévu dans l'accord de règlement, soit avant le 1er janvier 2016. Elle ne démontre pas non plus avoir écrit à son assureur, dans le délai de deux ans prévu au contrat, pour lui exposer les difficultés auxquelles elle était confrontée, et qui étaient de nature à retarder la mise en œuvre des travaux de reconstruction proprement dits, et pour solliciter une prorogation de ce délai. En effet, ce n'est que le 12 juillet 2017 que son avocat a écrit à la société Axa pour faire état de ces difficultés, et solliciter cette prorogation.
Alors que l'intérêt de l'assuré est de voir reconstruire au plus tôt son bien détruit par un incendie, et celui de l'assureur de gérer le dossier s'y rapportant dans un délai raisonnable, Mme X. n'explique pas davantage en quoi l'obligation de reconstruire le bien sinistré dans un délai de deux ans à compter du sinistre serait constitutif d'une clause abusive au sens de l'article 132-1 du code de l'ancien code de la consommation applicable en l'espèce selon lequel sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré comme non rapportée la preuve d'un obstacle insurmontable ayant empêché la réalisation des travaux de reconstruction dans le délai contractuel, et constaté la déchéance du droit à indemnisation en application des conditions générales du contrat d'assurance.
Mme X. qui succombe sera déboutée de sa demande formée en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et condamnée aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux règles applicables en matière d'aide juridictionnelle.
Enfin, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société intimée les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés au cours de la présente procédure ; le jugement sera infirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et sa demande formée en cause d'appel sur le même fondement sera rejetée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a condamné Mme X. à payer à la société Axa France Iard la somme de mille cinq cents euros (1.500 €) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau ;
Déboute la société Axa France Iard de sa demande formée en première instance sur le fondement de ce texte ;
Y ajoutant ;
Déboute la société Axa France Iard de sa demande formée en cause d'appel sur ce même texte ;
Condamne Mme X. aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux règles applicables en matière d'aide juridictionnelle.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
- 6041 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Exécution du contrat - Contraintes d’exécution - Professionnel - Contraintes de gestion
- 6046 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Exécution du contrat - Contraintes d’exécution - Consommateur - Exécutions irréalistes et contraintes excessives
- 6384 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances multirisques - Habitation - Versement de l’indemnité