CA PARIS (pôle 4 ch. 9), 29 octobre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8632
CA PARIS (pôle 4 ch. 9), 29 octobre 2020 : RG n° 17/17389
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Le dol, qui est constitué par des manouvres, des mensonges ou une dissimulation intentionnelle, ne se présume pas et doit être prouvé. En l'espèce, Mme X. allègue un fait mais n'en rapporte pas suffisamment la preuve. Les attestations de trois infirmières et les publications relatives à des pratiques de démarchage d'infirmiers, si elles introduisent un doute, ne permettent pas d'établir ce dol qui est contesté. La preuve du vice de son consentement n'est pas rapportée. »
2/ « Aux termes de l'article L. 121-21 devenu L. 221-18, le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu hors établissement. Ces dispositions sont destinées à faire respecter la loyauté en matière de démarchage à domicile, lieu où le consentement du consommateur privé de tout repère est facilement surpris.
L'article L. 121-16 devenu L. 221-1 à L. 211-4 du code de la consommation prévoit que les dispositions relatives à l'obligation d'informations pré-contractuelles, aux contrats conclus hors établissement et au droit de rétractation sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq. Le dispositif de protection est ainsi étendu au bénéfice de professionnels dont la vulnérabilité est assimilée à celle de consommateurs, sous certaines conditions.
En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'intimée, le contrat de location d'un DAE n'entre pas dans le champ de l'activité principale d'une infirmière libérale qui n'a aucun salarié et dont l'activité principale n'est pas une activité de secourisme mais une activité de soins au domicile de ses patients. De surcroît, il n'est pas contesté que le DAE doit être fixé au mur et qu'il n'est pas transportable, ce qui exclut une utilisation pour son activité professionnelle.
Par ailleurs, la mention prévue au contrat selon laquelle le locataire « atteste que le contrat est en rapport direct avec son activité professionnelle et souscrit pour les besoins de cette dernière » est non seulement démentie par les faits mais ne saurait faire obstacle aux dispositions protectrices du code susvisé qui ne visent que « l'activité principale ».
Enfin, il convient de rappeler que toute clause qui aurait pour effet de faire échec au droit de rétractation est réputée non écrite. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 4 CHAMBRE 9
ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 17/17389. N° Portalis 35L7-V-B7B-B4CVB. Décision déférée à la Cour : Jugement du 7 juillet 2017 - Tribunal d'Instance de LAGNY-SUR-MARNE – R.G. n° 11-17-000811.
APPELANTE :
Madame X.
née le [date] à [ville], [adresse], [...], représentée et assistée Maître Benjamin B., avocat au barreau de PARIS, toque : D0141
INTIMÉE :
La société LOCAM (LOCATION AUTOMOBILES MATÉRIELS) SAS
représentée par son représentant légal domicilié ès-qualités audit siège N° SIRET : XXX, [...], [...], représentée et assistée Maître Guillaume M. de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.B. & M., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC129
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 septembre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre, Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, Mme Agnès BISCH, Conseillère.
Greffière, lors des débats : Mme Léna ETIENNE
ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Mme Xatricia GRANDJEAN, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 7 janvier 2016, Mme X., infirmière libérale, a conclu auprès de la société Locam un contrat de location d'un défibrillateur automatique externe (DAE).
Saisi par la société Locam d'une action tendant à la condamnation de Mme X. à lui payer diverses sommes au titre du contrat de location et à lui restituer du matériel, le tribunal d'instance de Lagny-sur-Marne, par un jugement réputé contradictoire rendu le 7 juillet 2017 auquel il convient de se reporter, a :
- condamné Mme X. à payer à la société Locam la somme de 7.416,40 euros, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,
- enjoint Mme X. de restituer à ses frais à la société Locam le DAE référence 151310017, et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné Mme X. aux dépens.
Le tribunal a retenu que, compte tenu des conditions financières du contrat, de l'application du taux d'intérêt légal et de l'exigibilité de toutes les mensualités à venir, l'application d'une clause pénale supplémentaire de 10 % apparaissait tout à fait excessive, qu'il convenait par conséquent de réduire à un euro la somme réclamée au titre de la clause pénale, que le contrat litigieux se référait expressément au taux d'intérêts applicable en France de telle sorte que c'est l'application de ce taux qui devait être retenue, qu'en l'absence de production d'une preuve de restitution du matériel par la défenderesse, il convenait de faire droit à la demande de restitution et qu'aucun élément du dossier ne justifiait le prononcé d'une astreinte.
Par déclaration du 13 septembre 2017, Mme X. a relevé appel de cette décision.
[*]
Dans ses dernières conclusions remises le 29 juin 2020, Mme X. demande à la cour d'appel :
- de la dire et juger bien fondée en ses demandes et prétentions,
- de rejeter les demandes et prétentions de l'intimée,
- d'infirmer le jugement entrepris,
- de la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral,
- de la condamner à lui verser la somme de 3 085 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner aux entiers dépens de l'instance.
L'appelant fait valoir qu'elle a été démarchée à son domicile par un commercial de la société Citycare qui lui a fait signer un contrat l'engageant avec elle et un contrat l'engageant avec la société Locam, que les contrats conclus avec les sociétés Citycare et Locam sont interdépendants, que le commercial lui a affirmé que l'équipement d'un DAE était devenu obligatoire pour les infirmières libérales, qu'elle a adressé aux deux sociétés une lettre recommandée avec accusé de réception du 14 janvier 2016 leur indiquant que l'information communiquée par le commercial et sur la base de laquelle elle avait accepté de contracter était fausse et qu'elle se rétractait des deux contrats, que le 19 janvier, la société Citycare lui a adressé un courrier indiquant qu'elle ne tenait pas compte de sa demande ; qu'elle a maintenu sa demande par lettre recommandée en mentionnant le caractère dolosif du contrat et en indiquant restituer le matériel litigieux, qu'elle a valablement exercé son droit de rétractation, que la société Locam n'a pas qualité à agir pour réclamer les loyers d'un matériel dont elle n'est pas propriétaire, que le matériel litigieux a été restitué à son véritable propriétaire le 29 janvier 2016, la société Citycare, et que son consentement a été surpris par le dol.
Elle estime subsidiairement que les conditions suspensives des contrats consistant en l'attribution d'une aide de 468 euros n'ont pas été réalisées, ce qui emporte la résolution des contrats aux torts exclusifs du défendeur.
Elle soutient plus subsidiairement que son droit de rétractation a valablement été exercé car le contrat a été conclu à son domicile et qu'elle n'avait pas la qualité de professionnelle mais de consommatrice, que le contrat avec la société Locam n'a jamais pris effet pour cause de dol, d'absence de réalisation des conditions suspensives et de la rétractation d'une des parties et qu'elle a droit à la réparation de son préjudice moral constitué par le sentiment de culpabilité face à sa naïveté, un grand désarroi, la multiplication des lettres de relances et des appels téléphoniques et le fait qu'on la trompe sur ses droits.
[*]
Par des conclusions remises le 5 février 2018, la société Locam demande à la cour :
- de la dire et juger recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- de dire et juger Mme X. irrecevables et mal fondée en toutes ses demandes et l'en débouter ;
- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- de condamner Mme X. au paiement de la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner aux entiers dépens de la présente instance.
Au soutien de ses prétentions, l'intimée expose qu'elle a pu régler le montant de la facture de la société Citycare et adresser à la locataire une facture unique de loyer après que celle-ci avait réceptionné le matériel sans réserve, que la locataire a cessé de régler le montant du loyer à compter de l'échéance du 10 février 2016, qu'elle lui a adressé une lettre recommandée en date du 5 décembre 2016 la sommant d'avoir à régulariser le montant des loyers impayés à défaut de quoi la résiliation du contrat serait prononcée, que la locataire n'a pas régularisé les paiements, qu'elle a qualité à agir en qualité de loueur étant donné que la société Citycare lui a cédé la propriété du défibrillateur litigieux, que la locataire invoque un droit de rétractation sans référence textuelle, que le contrat objet du litige entre dans le champ de l'activité principale de la locataire qui exerce la profession d'infirmière libérale ; qu'elle remplit les critères objectifs relatifs à l'objet, la comptabilité, la formalité et la fiscalité qui caractérisent un acte d'exploitation et que la locataire a expressément reconnu que ce contrat de location était en rapport direct avec son activité professionnelle.
[*]
Par ordonnance du 6 mars 2018, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel a rejeté la demande de sursis à statuer de l'appelante.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 juin 2020.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE,
A l'appui de sa demande, la société Locam produit le contrat de location signé le 7 janvier 2016, le procès-verbal de réception et de conformité du 13 janvier 2016, la facture de loyer unique et la lettre de mise en demeure du 5 décembre 2016 et la facture Citycare du 18 janvier 2016.
Pour s'opposer à cette demande, l'appelante soutient que la société Locam n'a pas qualité à agir, qu'elle a restitué le matériel le 29 janvier 2016, que son consentement n'a pas été valablement donné, qu'elle n'a jamais reçu l'aide prévue au contrat, que les contrats n'ont pu produire d'effet, que l'intimée ne justifie pas du paiement de la facture, qu'elle a valablement exercé son droit de rétractation.
Sur la qualité à agir de la société Locam :
La société revendique sa qualité à agir en produisant la facture de la société Citycare en date du 18 janvier 2016. Cette production ne suffit pas à elle-seule puisqu'elle ne justifie nullement du paiement du prix au fournisseur.
Aux termes de l'article 1 des conditions générales de location, le procès-verbal de livraison, signé du locataire et du fournisseur, consacre la bonne exécution de la transaction et autorise Locam à régler la facture du fournisseur, le paiement emportant date du contrat et engagement définitif du locataire de l'exécuter.
L'article 2 précise que dès la livraison du bien, le locataire fera apposer, à ses frais, à une place aisément visible l'inscription suivante : « Ce bien est la propriété de LOCAM, ne peut être ni saisi ni vendu ».
L'appelante ne peut donc soutenir que la société Locam n'a pas qualité pour réclamer le versement des loyers. La demande en paiement sera par conséquent déclarée recevable.
Sur la nullité du contrat de location pour dol :
L'appelante invoque également, au visa des articles 1109 et 1116 du code civil dans leur version applicable au litige, avoir été victime d'un dol puisque le commercial lui aurait certifié que le DAE était devenu obligatoire pour les infirmières libérales.
Le dol, qui est constitué par des manouvres, des mensonges ou une dissimulation intentionnelle, ne se présume pas et doit être prouvé. En l'espèce, Mme X. allègue un fait mais n'en rapporte pas suffisamment la preuve. Les attestations de trois infirmières et les publications relatives à des pratiques de démarchage d'infirmiers, si elles introduisent un doute, ne permettent pas d'établir ce dol qui est contesté.
La preuve du vice de son consentement n'est pas rapportée.
Sur l'existence d'un droit de rétractation :
En application de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, le droit de rétractation a été rallongé et étendu au professionnel dans certaines conditions.
Aux termes de l'article L. 121-21 devenu L. 221-18, le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu hors établissement.
Ces dispositions sont destinées à faire respecter la loyauté en matière de démarchage à domicile, lieu où le consentement du consommateur privé de tout repère est facilement surpris.
L'article L. 121-16 devenu L. 221-1 à L. 211-4 du code de la consommation prévoit que les dispositions relatives à l'obligation d'informations pré-contractuelles, aux contrats conclus hors établissement et au droit de rétractation sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.
Le dispositif de protection est ainsi étendu au bénéfice de professionnels dont la vulnérabilité est assimilée à celle de consommateurs, sous certaines conditions.
En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'intimée, le contrat de location d'un DAE n'entre pas dans le champ de l'activité principale d'une infirmière libérale qui n'a aucun salarié et dont l'activité principale n'est pas une activité de secourisme mais une activité de soins au domicile de ses patients. De surcroît, il n'est pas contesté que le DAE doit être fixé au mur et qu'il n'est pas transportable, ce qui exclut une utilisation pour son activité professionnelle.
Par ailleurs, la mention prévue au contrat selon laquelle le locataire « atteste que le contrat est en rapport direct avec son activité professionnelle et souscrit pour les besoins de cette dernière » est non seulement démentie par les faits mais ne saurait faire obstacle aux dispositions protectrices du code susvisé qui ne visent que « l'activité principale ».
Enfin, il convient de rappeler que toute clause qui aurait pour effet de faire échec au droit de rétractation est réputée non écrite.
Dès lors, la cour ne peut que constater qu'en adressant le 14 janvier 2016, dès le lendemain de la livraison du DAE, soit dans le délai de quatorze jours, deux courriers recommandés aux sociétés Locam et Citycare pour faire valoir son droit de rétractation après avoir appris que le dispositif n'était nullement obligatoire puis en restituant le matériel par colissimo le 29 janvier 2016, Mme X. a exercé discrétionnairement et valablement son droit de rétractation.
L'exercice par l'acquéreur de son droit de rétractation entraînant l'anéantissement du contrat, la société Locam sera par conséquent déboutée de sa demande en paiement.
Sur la demande d'indemnisation du préjudice moral :
Mme X. réclame une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral causé par un sentiment de culpabilité, son désarroi et des perturbations provoquées par les relances des sociétés mais ne fournit à l'appui de sa demande, aucune preuve de la réalité d'un préjudice subi, hormis le fait de devoir être représentée dans l'instance, ce dont elle peut être indemnisée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera par conséquent déboutée de cette demande.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La société Locam, partie perdante en appel, devra en supporter les entiers dépens et conservera la charge de ses frais irrépétibles.
Elle sera également condamnée au paiement d'une somme de 2.500 euros application de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
- Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
- Déclare recevable la demande en paiement de la société Locam,
- Déboute la société Locam de toutes ses demandes,
Y ajoutant,
- Déboute Mme X. de sa demande de dommages-intérêts,
- Condamne la société Locam à payer à Mme X. la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la société Locam aux entiers dépens de l'instance.
La greffière La présidente
- 5829 - Code de la consommation - Clauses abusives - Nature de la protection - Législation d’ordre public - Conséquences : reconnaissance du caractère professionnel du contrat
- 5889 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Critères - Contrats conclus hors établissement ou à distance (après la loi du 17 mars 2014 - art. L. 221-3 C. consom.)
- 5930 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Matériels et matériaux
- 7307 - Code civil et Droit commun - Sanction indirecte des déséquilibres significatifs – Dol juridique