CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 19 novembre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8646
CA PARIS (pôle 5 ch. 5), 19 novembre 2020 : RG n° 17/09510
Publication : Jurica
Extrait : « La société L.C. ne justifie pas de son chiffre d'affaire global ce qui ne permet pas de déterminer si elle est dépendante de la société Camaïeu et d'évaluer son pouvoir de négociation.
Elle n'explique pas davantage quelles sont les clauses de ses conditions générales de vente qui seraient contraires aux conditions générales d'achat de la société Camaïeu auxquelles elle a adhéré.
Il résulte de l'article un des conditions générales d'achat de la société Camaïeu acceptées le 22 juin 2015 par la société L.C. que « le présent contrat est le résultat de la négociation entre le fournisseur et Camaïeu qui sont expressément convenus d'écarter tout autre document émanant du fournisseur. » il est ajouté que « toute dérogation aux présentes, doit être contresignée par Camaïeu et ne vaudra en aucun cas dérogation permanente. »
Si la convention telle qu'elle est rédigée, apparaît comme un contrat d'adhésion, la société Camaïeu produit ce même type de contrat signé avec d'autres fournisseurs justifiant que des modifications y ont été apportées à la suite de négociations.
En l'espèce, la société L.C. ne justifie pas avoir tenté de négocier ces conditions générales d'achat. Les courriels qu'elle a échangés avec la société Camaïeu aux termes desquels elle demande un allégement du processus qualité relatif à la commande des 1.700 manteaux sont postérieurs à la signature de ces conditions générales d'achat et ne peuvent donc être pris en compte, mais doivent être analysés comme une tentative de négociation classique dans le cadre d'une commande au vu du nombre de pièces commandées. Or, à ce stade, les différentes clauses du contrat fixant les conditions d'achat avaient été négociées et faisaient partie du champ contractuel.
En conséquence, la société L.C. ne rapportant pas la preuve du déséquilibre invoqué, elle sera déboutée de sa demande de ce chef et de celle en paiement de la somme de 30.000 euros. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 5
ARRÊT DU 19 NOVEMBRE 2019
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 17/09510 (13 pages). N° Portalis 35L7-V-B7B-B3JIL. Décision déférée à la cour : jugement du 7 mars 2017 - Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE – R.G. n° 2016001182.
APPELANTE :
SAS CAMAIEU INTERNATIONAL
Ayant son siège social [adresse], [...], N° SIRET : XXX, Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Anne G.-B. de la SCP G. B., avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, Ayant pour avocat plaidant Maître Sandrine M., avocat au barreau de LILLE
INTIMÉS :
Maître Jérôme T. ès-qualités de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la SOCIÉTÉ ETS L. C.
Demeurant [adresse], [...], Non représentée (signification de la déclaration d'appel à étude le 19 juin 2017)
SA ETS L. C.
Ayant son siège social [adresse], [...], N° SIRET : YYY, Représentée par Maître Jean-Didier M. de la SCP B. - C. - M. - G. - M., avocat au barreau de PARIS, toque : P0240, Ayant pour avocat plaidant Maître François D., avocat au barreau de LILLE
SELARL AJJIS prise en la personne de Maître Vincent L. ès-qualités de commissaire au plan de sauvegarde de la SOCIÉTÉ ETS L. C.
Demeurant [adresse], [...], Non représentée (signification de la déclaration d'appel à personne morale le 19 juin 2017)
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 5 mars 2020, en audience publique, devant la cour composée de : Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre, Mme Christine SOUDRY, conseillère, Mme Camille LIGNIERES, conseillère, qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme PRIGENT dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Hortense VITELA-GASPAR
ARRÊT : - réputé contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre et par Mme Hortense VITELA-GASPAR, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Camaïeu International est une société spécialisée dans la distribution des vêtements pour femme.
La société L.C. est un fabricant de manteaux, blousons, pièces à manches.
Le 25 juin 2015, la société Camaïeu International a passé une commande de 1.700 pièces.
La livraison des manteaux était prévue au début du mois de septembre 2015.
À réception des manteaux, la société Camaïeu International a relevé une non-conformité de produits, quant au test de « pilling » (boulochage), et a refusé la commande.
La société L.C. a fait assigner, par acte d'huissier de justice en date du 14 janvier 2016, la société Camaïeu International devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins d'obtenir notamment le paiement de la facture des manteaux livrés et de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies.
Par jugement rendu le 7 mars 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- condamné la société Camaïeu à payer à la société L.C. la somme de 64.600 euros HT en principal, outre intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation au titre de paiement de la facture des manteaux livrés ;
- condamné la société Camaïeu à payer à la société L. C. la somme de 20.000 euros à titre de dédommagement pour pratiques discriminatoires ;
- condamné la société Camaïeu à payer à la société L.C. la somme de 10.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Camaïeu aux entiers frais et dépens de la présente instance, taxés et liquidés à la somme de 81,12 euros en ce qui concerne les frais de Greffe ;
- prononcé l'exécution provisoire du présent jugement ;
- autorisé la société L.C. à publier le présent jugement dans des journaux nationaux à ses frais pendant une période de six mois à compter de la date du prononcé du présent jugement ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent jugement.
Par déclaration du 10 mai 2017, la société Camaïeu International a interjeté un appel total de ce jugement, à l'encontre de la société L.C., la société AJJIS prise en la personne de Maître Vincent L. en qualité de commissaire au plan de sauvegarde, et Maître Jérôme T. en qualité de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la société L.C.
La société AJJIS et Maître Jérôme T. n'ayant pas constitué avocat dans le délai prescrit, la société Camaïeu International a procédé à la signification de la déclaration d'appel par acte d'huissier de justice en date du 19 juin 2017, et ensuite à la signification des conclusions par acte en date du 4 août 2017.
Par courrier du 8 août 2017, Maître L., commissaire au plan sauvegarde, a indiqué que la société L.C. avait bénéficié d'un plan de redressement par jugement du tribunal de commerce de Dunkerque en date du 7 avril 2016 et que la saisine de la cour d'appel était intervenue postérieurement à celui-ci ce qui excluait son intervention à la procédure.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 12 février 2020, la société Camaïeu International, appelante, demande à la cour de :
Vu l'article 1134 du code civil,
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,
-infirmer le jugement et, statuant à nouveau de :
En tout état de cause,
-rejeter la pièce adverse 30-1,
-dire que les manteaux ne sont pas conformes et prononcer la résolution de la vente aux torts et griefs de la société L.C.,
A titre subsidiaire,
-nommer tel expert qu'il plaira à la cour aux frais avancés de L.C. avec pour mission de :
* convoquer les parties et leur conseil,
* se faire remettre tous documents et pièces utiles à l'accomplissement de sa mission,
* examiner les défauts allégués,
* déterminer la nature et l'étendue des défauts allégués,
* dire si la marchandise est conforme à la commande,
* constater contradictoirement les non conformités allégués,
- dire de ne pas être en présence d'un déséquilibre significatif ;
- confirmer le jugement et dire ne pas être en présence d'une rupture brutale des relations commerciales établies ;
- débouter L.C. de toutes ses demandes ;
Reconventionnellement,
- condamner L.C. d'avoir à payer 25.840 euros à Camaïeu International en réparation de son préjudice commercial ;
- condamner L.C. d'avoir à payer 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP G. B. en application de l'article 699 du code de procédure civile.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 13 février 2020, la société L.C., intimée, demande à la cour de :
Vu les articles L. 442-6 du code de commerce et l'article 1147 du code civil,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille ;
- condamner la Société Camaïeu à payer à la Société L.C. une somme de 79.617 euros TTC correspondant aux marchandises commandées et livrées, majorée des intérêts de retard au taux légal ;
- déclarer nulles les conditions d'achat de Camaïeu contraires aux dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce ;
- rejeter toutes les demandes reconventionnelles de la Société Camaïeu ;
- dire et juger que la Société Camaïeu a tenté de soumettre la Société L.C. à des obligations manifestement abusives créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en totale infraction avec l'article L.442-6 du code de commerce ;
- dire et juger que la Société Camaïeu a brutalement rompu les relations commerciales avec la Société L.C., après une brutale rupture partielle intervenue, sans préavis en 2014 ;
- dire et juger que la Société Camaïeu est l'auteur de la rupture sans préavis des relations commerciales établies ;
- condamner la Société Camaïeu à payer à la Société L.C. une somme de 162.665 euros au titre de la rupture brutale sans préavis des relations commerciales établies, préjudice calculé sur la base des cinq dernières années, sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce car cette rupture brutale engage indiscutablement sa responsabilité délictuelle ;
- condamner la Société Camaïeu à rembourser à la Société L.C. une somme de 30.000 euros HT pour avoir créé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties par application de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce ;
- condamner la Société Camaïeu à payer une somme de 20.000 euros à la Société L.C. pour son refus de permettre au fournisseur de contrôler la réalité du grief et de lui remettre 3 modèles prélevés au hasard et livrées dans ses entrepôts ;
- Et à une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, puisque toutes les tentatives d'arrangement amiable se sont heurtées aux refus de Camaïeu ;
- ordonner la publication du jugement à intervenir dans 5 hebdomadaires nationaux et de cinq quotidiens nationaux au choix de la Société L.C. à concurrence de 10.000 euros par insertion,
- condamner la Société Camaïeu aux entiers dépens de l'instance,
[*]
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 février 2020.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande de rejet de la pièce 30-1 communiquée par la société L.C. :
La société Camaïeu International demande le rejet de cette pièce dont elle conteste la nature tout en l'analysant et la discutant. Cette pièce ayant été communiquée avant la clôture, la société Camaïeu a pu l'examiner et la discuter. Le principe du contradictoire ayant été respecté, il n'y a pas lieu d'ordonner le rejet de cette pièce.
Sur les demandes au titre du déséquilibre significatif :
La société Camaïeu fait valoir que :
- concernant la notion de dépendance économique, il appartient à la victime de prouver à la fois qu'elle est dans un état de dépendance économique et que son partenaire a abusé de cette situation pour lui imposer des conditions commerciales injustifiées ;
- aucune démonstration n'est menée sur ce point ;
-L.C. réalisant en 2018 17 millions de chiffre d'affaires, le poids représenté par Camaïeu à la date du contentieux devait donc être marginal ;
- sur le fondement du déséquilibre significatif, contrairement à ce que soutient la société L.C., les conditions générales sont particulièrement claires ;
- elles ont vocation à s'appliquer lorsque les fournisseurs de Camaïeu International ne disposent pas de conditions générales de vente et elles comprennent, à la fois, des éléments juridiques et des éléments techniques relatifs, notamment aux réglementations devant être respectées en termes de conformité au process de livraison et au process de commande de tissus ;
- les conditions générales prévoient expressément l'hypothèse d'une dérogation et la possibilité d'une négociation ;
La société L.C. réplique que :
- elle a sans cesse demandé un assouplissement des lourdes procédures de contrôle qualité imposées par Camaïeu ;
- il n'est pas démontré que la SAS Camaïeu avait conditionné sa commande au respect de ses conditions générales d'achat ;
- de son côté, la société L.C. fait figurer ses conditions générales de vente au verso de chaque facture que Camaïeu ne peut pas prétendre ignorer compte tenu de l'ancienneté de leur relation de plus de 30 ans ;
- des conditions générales d'achat de Camaïeu International sont totalement contraires aux dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce et à la jurisprudence de la cour puisqu'elles excluent les conditions générales de vente du fournisseur ;
- le simple fait d'écarter les conditions générales de vente du fournisseur crée en soi un déséquilibre significatif dans les relations entre les parties ;
- la soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les parties s'applique au prix convenu entre les parties ;
[*]
L'article L. 442-6-I-2° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties
Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.
Le déséquilibre significatif est le plus souvent caractérisé par une absence de réciprocité des prérogatives contractuelles ou par une disproportion entre les droits et obligations des parties.
Le déséquilibre significatif, doit être examiné au regard de l'analyse des clauses imposées dans la convention en tenant compte des contreparties accordées, et de l'équilibre économique de l'opération.
L'existence d'un contrat d'adhésion ne suffit pas à caractériser la preuve de l'absence de pouvoir réel de négociation de celui qui se prétend victime d'une soumission ou d'une tentative de soumission à un déséquilibre significatif mais il doit le prouver, par exemple en démontrant l'exclusion de toute possibilité de négociation.
La société L.C. ne justifie pas de son chiffre d'affaire global ce qui ne permet pas de déterminer si elle est dépendante de la société Camaïeu et d'évaluer son pouvoir de négociation.
Elle n'explique pas davantage quelles sont les clauses de ses conditions générales de vente qui seraient contraires aux conditions générales d'achat de la société Camaïeu auxquelles elle a adhéré.
Il résulte de l'article un des conditions générales d'achat de la société Camaïeu acceptées le 22 juin 2015 par la société L.C. que « le présent contrat est le résultat de la négociation entre le fournisseur et Camaïeu qui sont expressément convenus d'écarter tout autre document émanant du fournisseur. » il est ajouté que « toute dérogation aux présentes, doit être contresignée par Camaïeu et ne vaudra en aucun cas dérogation permanente. »
Si la convention telle qu'elle est rédigée, apparaît comme un contrat d'adhésion, la société Camaïeu produit ce même type de contrat signé avec d'autres fournisseurs justifiant que des modifications y ont été apportées à la suite de négociations.
En l'espèce, la société L.C. ne justifie pas avoir tenté de négocier ces conditions générales d'achat. Les courriels qu'elle a échangés avec la société Camaïeu aux termes desquels elle demande un allégement du processus qualité relatif à la commande des 1.700 manteaux sont postérieurs à la signature de ces conditions générales d'achat et ne peuvent donc être pris en compte, mais doivent être analysés comme une tentative de négociation classique dans le cadre d'une commande au vu du nombre de pièces commandées. Or, à ce stade, les différentes clauses du contrat fixant les conditions d'achat avaient été négociées et faisaient partie du champ contractuel.
En conséquence, la société L.C. ne rapportant pas la preuve du déséquilibre invoqué, elle sera déboutée de sa demande de ce chef et de celle en paiement de la somme de 30.000 euros.
Sur la demande en paiement de la facture :
La société Camaïeu allègue que :
- la marchandise livrée n'est pas la marchandise commandée, puisque la fiche technique prévoyait que le manteau devait avoir une résistance au pilling de 3/4 ;
- le produit livré présente un résultat de pilling de 2/3 inacceptable ;
- l'autorisation de livraison a été donnée sans que l'envoi fasse l'objet de tests et elle ne saurait impliquer une quelconque renonciation aux spécifications d'origine ;
- la résistance au boulochage ne peut être constatée au terme d'un simple examen visuel et nécessite des tests ;
- l'autorisation de livrer après examen des échantillons a été donnée suite à l'affirmation du fournisseur que les produits étaient conformes ;
- aucune pièce ne mentionne l'acceptation de Camaïeu pour une résistance au pilling inférieure à ce qui a été convenu initialement ;
- contractuellement, il appartenait à L.C. de respecter les niveaux de qualité présents dès l'origine et elle ne peut contraindre Camaïeu à accepter une qualité inférieure ;
- le standard de conformité doit être testé sur les marchandises livrés et il est clairement non respecté, deux tests le confirmant ;
La société L.C. répond que :
- dans l'espoir d'obtenir une commande d'un minimum de 10.000 pièces, compte tenu du nombre de magasins et de la puissance d'achat de Camaïeu, elle a proposé un faible prix de 38 euros HT pièce en demandant toutefois à Camaïeu d'alléger ses lourdes procédures de contrôle qualité ;
-alors que le 25 juin 2015, la société Camaïeu a validé la commande ferme puis un bon de commande définitif et irrévocable, des tests qualité ayant été préalablement réalisés sur le tissu ;
- la société Camaïeu a demandé, de nombreuses et lourdes informations (dont le titrage et la décomposition des fils entrant dans la composition du tissu, ce qui a nécessité une demande spéciale auprès du fabricant de tissu) ;
- les marchandises régulièrement commandées ont en conséquence été livrées, facturées et la TVA payée au trésor public ;
- la société Camaïeu a refusé cependant de payer ces marchandises commandées, livrées sur son ordre et facturées tout en refusant toutes les propositions amiables de règlement du litige lié à cette commande ;
- la société Camaïeu a refusé de restituer trois pièces pour que des analyses puissent être effectuées afin de vérifier la réalité du grief invoqué.
[*]
Sur le fondement des articles 1604 anciens et suivants du code civil, le vendeur est tenu d'une obligation de délivrance de la chose, c'est-à-dire de fournir à l'acheteur un bien conforme à l'objet de la commande.
Le défaut de délivrance s'entend ainsi de la remise à l'acheteur d'un bien qui ne correspond pas aux spécifications contractuelles convenues.
L'article 4B des conditions générales d'achat de la société Camaïeu énonce que « l'acceptation de la marchandise comporte l'obligation de livrer la marchandise conforme. Par conformité, il faut entendre une correspondance absolue avec la commande, le OK production, le cahier des charges techniques, tout autre élément validé ainsi que le présent document, et en respect des dates de livraison convenues ».
L'article 4F précise qu'en cas de non-conformité de la commande, Camaïeu informera le fournisseur par tous moyens de la non-conformité dans un délai de 15 jours ouvrés à compter de la réception des marchandises et lui proposera l'organisation d'une visite de contrôle contradictoire. À défaut de réponse du fournisseur sous trois jours ouvrés, ce dernier sera réputé avoir accepté la non-conformité'.
Après des échanges de courriels entre les sociétés au cours du mois de mai et juin 2015, la société Camaïeu a adressé le 25 juin 2015 un bon de commande à la société L.C. confirmant son choix pour une commande de 1.700 pièces du modèle zippé noir, non capuché appelé « melon » au prix de 38 euros en demandant à la société L.C. de faire suivre « le commitment qualité + planche pilling +le nom de l'usine de production » ;
Par courriel du 14 août 2015, la société Camaïeu demandait à la société L.C. de lui envoyer un shipment sample (un échantillon d'envoi) avant le départ des marchandises pour vérifier la conformité de celles-ci.
Le 2 septembre 2015, la société L.C. adressait à la société Camaïeu quatre pièces témoin de la production avec la matière diagonale JBW conforme à celle validée, la société Camaïeu répondant : « nous sommes un peu rassurés pour la qualité du tissu mais attendons quand même de voir les pièces. »
Le 7 septembre 2015, soit 5 jours plus tard, la société L.C. demandait si elle pouvait livrer en précisant : « Nous n'avons pas reçu vos commentaires suite à vos essayages de Vendredi -pouvons-nous mettre le modèle en livraison »... ».
La société Camaïeu répondait par retour de courriel : « c'est OK, vous pouvez livrer ».
Le 15 septembre 2015, la société Camaïeu indiquait à la société L.C. qu'elle allait demander les tests de production qui n'avaient pas été réalisés par celle-ci et lui reprochait de ne pas respecter les conditions d'achat.
La société Camaïeu confiait les tests au laboratoire Ifith et acceptait de confier une autre série de tests au cabinet Veritas sur une pièce prélevée dans la commande, les premiers tests ayant conclu à la non-conformité de la marchandise quant au boulochage (pilling).
Le 30 septembre 2015, la société Camaïeu informait la société L.C. que le test pilling donnait un résultat de 2/3 alors que l'engagement portait sur une qualité 3/4.
La société Camaïeu refusait catégoriquement de mettre en vente les manteaux.
Il résulte des courriels échangés entre les sociétés que des tests ont été réalisés avant la commande pour les soumettre à la société Camaïeu et que les tests après production imposés par les conditions générales d'achat, ont consisté pour le fournisseur à transmettre, des échantillons représentatifs de la production pour validation de leur conformité, Camaïeu se réservant le droit de réaliser, à sa charge, des tests laboratoire sur les produits afin de valider la conformité de la matière au cahier des charges.
Des tests ont de nouveau été réalisés par la société Camaïeu mais postérieurement à la validation de la marchandise et de la livraison, celle-ci n'étant pas satisfaite du visuel des articles reçus.
Cependant, en transmettant avant la livraison quatre pièces témoin de la production pour validation et en livrant la marchandise après avoir obtenu l'accord de la société Camaïeu pour y procéder, la société L.C. a respecté les conditions générales d'achat. La preuve n'est pas rapportée que les pièces soumises à validation avant la livraison étaient de qualité différente de celles effectivement livrées, conformes au modèle du cahier des charges.
Le 17 décembre 2015, la société L.C. a demandé, par courriel adressé à la société Camaïeu, trois pièces de manteau dans des tailles différentes pour procéder à des analyses. La demande a été renouvelée le 5 janvier 2016, sans réponse de la société Camaïeu.
Le 23 janvier 2018, le conseil de la société L.C. a adressé au conseil de la société Camaïeu une sommation de communiquer les pièces n° 11 et 12 correspondant aux échantillons validés et produits livrés, en vain, ceux-ci ne figurant d'ailleurs pas au dossier de la société Camaïeu alors qu'ils sont mentionnés au bordereau de pièces communiquées.
La société Camaïeu ne démontre donc pas la non-conformité des pièces livrées par rapport à la qualité de celles qu'elle a validées. Elle sera également déboutée de sa demande d'expertise non justifiée.
En conséquence, le jugement sera confirmé sur la validation de la vente ayant donné lieu au bon de commande en date du 25 juin 2015. Il sera fait droit à la demande de la société L.C. en paiement de sa facture d'un montant de 79.617,60 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2016, date de l'assignation.
Sur la demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
La société Camaïeu allègue que :
- il appartient au demandeur de démontrer l'existence d'une relation commerciale ;
- il convient de s'interroger quant à l'identité de l'auteur de la rupture, L.C. ayant la qualité de fournisseur et Camaïeu d'acheteur ;
- L.C. n'a pris aucun contact avec Camaïeu International en vu de lui proposer de nouveaux produits ;
- L.C. n'est donc pas fondée à se plaindre de l'arrêt des relations commerciales, étant l'auteur de la rupture.
La société L.C. fait valoir que l'ancienneté des relations commerciales qui ont plus de 30 ans n'est pas sérieusement contestable et le chiffre d'affaires réalisé avec la société Camaïeu au cours de cinq dernières années est certifié par le commissaire aux comptes ;
L'article L. 442-6-I-5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords.
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné [...]. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués, les relations d'exclusivité, la spécificité des produits et la dépendance économique.
La société L.C. invoque une relation commerciale de 30 ans et produit à l'appui de ses allégations un graphique du volume de son activité avec la société Camaïeu depuis 2003 ainsi qu'une attestation de son commissaire aux comptes établissant les chiffres d'affaires suivants entre les deux sociétés :
- 2010 : 809.652 euros ;
- 2011 : 225.072 euros ;
- 2012 : 1.144.826 euros ;
- 2013 : 239.408 euros ;
- 2014 : 385.049 euros ;
- 2015 : 66.547 euros
Le commissaire aux comptes atteste de l'existence d'une marge brute de 34 %.
Les pièces comptables versées aux débats attestent d'une relation commerciale entre les deux sociétés à compter de l'année 2010. Le graphique communiqué est établi par la société L.C. et n'est corroboré par aucune pièce comptable antérieure à 2010.
Si l'activité commerciale entre les deux sociétés est instable en volume, le chiffre d'affaires n'a jamais été inférieur à 225.000 euros sur les cinq premières années et a atteint en 2012 la somme de 1.144.826 euros. Il y a lieu de constater entre 2010 et 2015, l'existence d'une relation commerciale établie. Les relations ont cessé au cours de l'année 2015.
La société L.C. justifie de six années de relations commerciales. La société L.C. étant fournisseur, la rupture des relations commerciales établies est intervenue du fait de la cessation des commandes émanant de la société Camaïeu.
Celle-ci ne justifie pas d'un refus d'honorer des commandes de la part de la société L.C. qui ne pouvait que répondre aux commandes passées ce qui démontre que la société Camaïeu est responsable de la rupture des relations commerciales sans qu'elle ait accordé un préavis écrit à sa cocontractante.
Les relations ayant duré six ans, il sera accordé à la société L.C. une indemnisation basée sur un préavis de quatre mois dont celle-ci aurait dû bénéficier.
La moyenne du chiffre d'affaires réalisée sur six ans s'élève à 478.426 euros à laquelle il y a lieu d'appliquer une marge brute de 34 % soit 162.665 euros/12 mois X 4 mois = 54.222 euros.
La société Camaïeu devra verser à la société L.C. la somme de 54.222 euros en réparation du préjudice subi à ce titre.
Sur la demande de la société L.C. sur le fondement de l'article L. 442-6-8° du code de commerce :
L'article L. 442-6-8° du code de commerce énonce qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant.
Le 17 décembre 2015, soit trois mois après le refus de la société Camaïeu d'accepter la marchandise, la société L.C. lui a demandé par courriel trois pièces de manteau dans des tailles différentes pour procéder à des analyses. La demande a été renouvelée le 5 janvier 2016 sans réponse de la société Camaïeu.
Il ressort des courriels échangés entre les parties que suite au différend relatif à la livraison des manteaux, des rencontres ont eu lieu entre les deux sociétés, que des tests ont été ordonnés, au motif que la société Camaïeu contestait la qualité du tissu des manteaux livrés après avoir accepté la livraison.
La non restitution de trois exemplaires de manteaux, trois mois après leur livraison, si elle est critiquable ne permet pas de caractériser la responsabilité de la société Camaïeu sur le fondement de l'article L. 442-6 8° du code de commerce alors que les conditions générales d'achat applicables prévoyaient avant la livraison un processus de vérification contradictoire de la qualité du tissu de nature à éviter tout litige, la société L.C. ne démontrant pas en avoir été exclu.
La société L.C. sera déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef.
Sur la demande de la société Camaïeu au titre du préjudice commercial :
La société Camaïeu sollicite la réparation du préjudice commercial causé par le fait qu'elle a été privée de la vente des manteaux commandés. La société Camaïeu ayant été déboutée de sa demande de résolution de la vente qui a été validée, elle sera déboutée de sa demande de ce chef.
Sur la demande de publication :
S'agissant d'un litige de non-paiement de facture et de rupture des relations entre deux sociétés, la mesure de publication de la décision n'est pas justifiée. Le jugement sera infirmé de ce chef et la société L.C. sera déboutée de sa demande de publication de la décision.
Sur les demandes accessoires :
La société Camaïeu sera condamnée à payer à la société L.C. la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la procédure d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,
DIT n'y avoir lieu à rejet de la pièce numéro 30-1 communiquée par la société L.C.,
INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a débouté la société Camaïeu International de sa demande de résolution de la vente, sur les frais irrépétibles et les dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DÉBOUTE la société L.C. de sa demande tendant à voir dire que la société Camaïeu International a tenté de la soumettre à des obligations manifestement abusives créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en nullité des conditions générales d'achat de la société Camaïeu International, et en paiement de la somme de 30.000 euros HT par application de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce,
CONDAMNE la société Camaïeu International à payer à la société L.C. la somme de 79.617,60 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2016 en paiement de la facture en date du 10 septembre 2015,
DIT que la société Camaïeu International a rompu brutalement les relations commerciales avec la société L.C.,
CONDAMNE la Société Camaïeu International à payer à la société L.C. la somme de 54.222 euros au titre de la rupture brutale sans préavis des relations commerciales établies,
DÉBOUTE la société L.C. de sa demande en paiement de la somme de 20.000 euros fondée sur l'article L. 442-6-8° du code de commerce,
DÉBOUTE la société L.C. de sa demande de publication de la décision,
CONDAMNE la société Camaïeu à payer à la société L.C. la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande,
CONDAMNE la société Camaïeu aux entiers dépens de la procédure d'appel
Hortense VITELA-GASPAR Marie-Annick PRIGENT
Greffière Présidente
- 6170 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Domaine de la protection - Soumission ou tentative de soumission à un déséquilibre significatif
- 6180 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Principes généraux
- 6183 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Déséquilibre injustifié - Nature et économie du contrat