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CA POITIERS (1re ch. civ.), 16 mars 2021

Nature : Décision
Titre : CA POITIERS (1re ch. civ.), 16 mars 2021
Pays : France
Juridiction : Poitiers (CA), 1re ch. civ.
Demande : 19/01194
Date : 16/03/2021
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Référence bibliographique : 5846 (règlement d’un port, nature), 5847 (règlement d’un port, compétence), 6428 (port, manutention), 9756 : (1171 C. civ., port)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8856

CA POITIERS (1re ch. civ.), 16 mars 2021 : RG n° 19/01194 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Le grand port maritime est un établissement public de l'Etat (article L 101-2 ancien du code des ports maritimes, article L. 5312-1 actuel du code des transports).

Le règlement d'exploitation du GPMLR qualifie l'utilisateur des installations de client (notamment le préambule de l'article 2 - Pôle de réparation et de construction navale et l'article 2.1.3 relatif aux « responsabilités générales des clients ») et emploie le terme de facturation (notamment l'article 2.2.4.3 et l'article 2.2.16.1 relatif à « la facturation de l'occupation de l'aire de carénage dès le lendemain de la levée du navire »). Il s'ensuit que la GPMLR qui ne le conteste pas sérieusement, est un établissement public à caractère industriel et commercial. Ses relations avec ses « clients » relèvent du droit privé. Il est significatif d'observer que le port n'a soulevé aucune exception d'incompétence de la juridiction judiciaire.

Le règlement d'exploitation du GPMLR, de nature administrative, en ce qu'il définit les droits et obligations du port et du client a, dans leurs relations, une nature contractuelle. »

2/ « L'entrée dans la darse puis la sortie du navire sont de la responsabilité du capitaine du navire (article 2.2.6.2 du règlement). Les opérations de levage puis de mise à l'eau sont de la seule responsabilité des agents du port (article 2.2.7 notamment du règlement).

L'article « 2.2.14 - Remise à l'eau du bateau » du règlement indique : « Le client est responsable de son navire dès qu'il entre en flottaison. Il doit immédiatement le sortir de la darse et l'amarrer à un poste d'accostage qui lui est désigné par le Port. Faute de sortie immédiate de la darse, le remorquage du navire est effectué d'office aux frais, risques et périls du client ».

Cette stipulation, qui rappelle que le capitaine est maître de son navire lorsque celui-ci est sur l'eau, n'est que la mise en œuvre du droit commun. Au cas d'espèce, M. X., propriétaire et capitaine du navire, avait sur celui-ci une fois sur l'eau le pouvoir d'usage, de direction et de contrôle. Il ne peut dès lors être retenu que l'article 2.2.14 précité créait entre le GPMLR et M. X. un déséquilibre significatif dans leurs obligations respectives au sens de l'article 1171 du code civil. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE POITIERS

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 16 MARS 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 19/01194. Arrêt n°181. N° Portalis DBV5-V-B7D-FWY3. Décision déférée à la Cour : jugement du 18 janvier 2019 rendu par le Tribunal de Commerce de LA ROCHELLE.

 

APPELANTE :

Etablissement Public GRAND PORT MARITIME DE LA ROCHELLE

Agissant par son Directeur général - Président du directoire [...], [...], ayant pour avocat Maître Aurélie D. de la SELARL BRT, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

 

INTIMÉS :

Monsieur X. exploitant sous l'enseigne M.

né le [date] à [ville], [adresse], [...]

LA SCP D. R.

représentée par Maître Delphine R., intervenant volontairement es-qualité de liquidateur judiciaire de M. X.

ayant tous les deux pour avocat Maître Vincent L. de la SCP L. - J., avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

La Société SMACL ASSURANCES

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège [...], [...], ayant pour avocat postulant Maître Jérôme C. de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Maître Olivier B., avocat au barreau de BREST

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 21 janvier 2021, en audience publique, devant la Cour composée de : M. Thierry MONGE, Président de Chambre, Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller, qui a présenté son rapport, Madame Anne VERRIER, Conseiller, qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Chamsane ASSANI,

ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, - Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Chamsane ASSANI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

M. X. est patron pêcheur, armateur et seul propriétaire depuis juillet 2016 du bateau de pêche M. immatriculé LR XX.

Le 26 février 2018, il a fait sortir de l'eau le navire par les services du Grand port maritime de La Rochelle (GPMLR) afin de procéder au contrôle de l'hélice et à sa révision. Le 27 février 2018 au matin, le bateau a été remis à l'eau par le GPMLR. Les conditions météorologiques étaient difficiles, avec des rafales de vent. Lors de l'opération, les sangles permettant la manœuvre de remise à l'eau ont endommagé l'hélice et le réducteur du navire que le capitaine avait entrepris de sortir de la darse. Elles ont également été endommagées. Le 27 février 2018 après-midi, le bateau a été remis hors d'eau.

Le rapport de mer de M. X. est en date du 1er mars 2018. Le 2 mars 2018, un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé par les services du port.

Une réunion d'expertise s'est tenue le 2 mars 2018 en présence de l'expert de la société Samap assureur de M. X., de celui-ci, de l'expert de la société Smacl assureur du GPMLR, de responsables de celui-ci. Les travaux de réparation ont été effectués en avril et mai 2018.

Le GPMLR a postérieurement adressé à M. X. deux factures d'utilisation des services du port, de 7.523,66 € et 762.83 €.

Par acte du 12 juillet 2018, M. X. a assigné d'heure à heure pour le 13 juillet suivant le GPMLR devant le juge des référés du tribunal de commerce de La Rochelle. La Smacl est intervenue volontairement à l'audience. Par ordonnance du 13 septembre 2018, le juge des référés, a en raison de contestations sérieuses renvoyé l'affaire au fond.

M. X. a demandé, au visa des articles 1231-1 et suivants, 1171 du code civil, de dire le GPMLR responsable du préjudice subi et de le condamner avec la Smacl au paiement de la somme de 85.962,77 € en réparation de celui-ci (30.491,60 € déduction faite de l'indemnisation perçue de son assureur au titre du préjudice matériel, 55.471,17 € pour la perte d'exploitation). Le GPMLR a conclu au rejet de ces demandes, l'incident étant survenu après remise en flottaison du navire, alors sous la seule responsabilité de son capitaine. Il a précisé que le règlement d'exploitation du port ne constituait pas un contrat d'adhésion mais était un règlement administratif de l'établissement public gérant le port. Subsidiairement, il a conclu à la réduction des prétentions formées à son encontre. La Smacl a de même conclu au rejet des prétentions formées à son encontre, M. X. étant selon elle seul responsable du préjudice subi. Subsidiairement, elle a conclu à la réduction des demandes de M. X. et s'est prévalue des franchises stipulées.

Par jugement du 18 janvier 2019, le tribunal de commerce de La Rochelle a statué en ces termes :

« Vu les articles 1231-1 et suivants du code civil,

Vu l'article 1171 du code civil,

Vu le règlement d'exploitation du Grand Port Maritime de LA ROCHELLE,

Vu les pièces versées au débat,

- Constate les imprudences respectives des deux parties d'une part, la responsabilité directe du Grand Port Maritime de LA ROCHELLE d'autre part, dit et juge Monsieur X. responsable pour un tiers, et le GPMLR responsable pour les deux autres tiers du dommage subi par Monsieur X.,

- Retient les valeurs de 28.528,39 € HT au titre des dommages matériels, soit 9.509,46 € à la charge de Monsieur X. et la somme de 19.018,93 € à la charge du Grand Port Maritime de LA ROCHELLE,

- Retient les valeurs de 55.471,17 € HT au titre des dommages immatériels, soit 18.490,39 € à la charge de Monsieur X. et la somme de 36.980,78 € à la charge du Grand Port Maritime de LA ROCHELLE,

- Condamne le Grand Port Maritime de LA ROCHELLE à payer à Monsieur X. la somme globale de 55.999.71 € HT,

- Dit que la SMACL ASSURANCES relève indemne le Grand Port Maritime de LA ROCHELLE à hauteur de (19.018,93 + 36.980,78) = 55.999.71 HT ; une franchise de 20.000 € sera déduite de cette somme,

- Condamne le Grand Port Maritime de LA ROCHELLE à payer à Monsieur X. la somme de 20.000 € au titre de la franchise déduite.

- Déboute Monsieur X. de ses autres demandes,

- Déboute le GPMLR et la SMACL ASSURANCES de leurs demandes,

- Ordonne l'exécution provisoire,

- Condamne in solidum le Grand Port Maritime de LA ROCHELLE et la SMACL ASSURANCES au paiement de la somme justement appréciée de 4.000 €au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne in solidum conformément à ce qu'indique l'article 696 du CPC, le Grand Port Maritime de LA ROCHELLE et la SMACL au paiement des entiers dépens de l'instance comprenant les frais du greffe s'élevant à la somme de quatre vingt huit euros et quatre-vingt-treize centimes TTC ».

Il a considéré que le GPMLR avait pris l'initiative de la remise à l'eau du navire malgré les mauvaises conditions météorologiques, que le patron de celui-ci n'avait remis les moteurs en route que sur l'indication du préposé du port, que les sangles de l'engin de levage s'étaient prises dans l'hélice à raison d'une mauvaise appréciation de ce préposé, que cet ordre était le fait générateur du litige et que dès lors, le règlement d'exploitation, en partie imprécis et rédigé en des termes exonératoires de responsabilité du GPMLR, ne pouvait utilement être opposé par ce dernier. Il a toutefois considéré que le demandeur, qui avait sous-estimé le risque météorologique, avait une part de responsabilité d'un tiers dans la survenance du dommage.

Il a chiffré les préjudices subis par référence au rapport d'expertise d'Atlantic Consult.

[*]

Par déclaration reçu au greffe, le Grand port maritime de La Rochelle a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 février 2020, il a demandé de :

« Vu l'article 9979 [N.B. conforme à la minute] du code civil,

Vu le règlement d'exploitation du Grand Port Maritime de La Rochelle,

- Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de La Rochelle le 18 janvier 2019 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- Débouter la SCP D. R., ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur X. de toutes ses demandes, fins et conclusions, et de son appel incident,

A titre subsidiaire,

- Juger que la SCP D. R., ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur X. ne rapporte pas la preuve de sa perte d'exploitation et perte de salaires,

- En conséquence, l'en débouter,

- Constater la mobilisation de la garantie d'assurance du Grand Port Maritime de La Rochelle,

- Juger que la SMACL relèvera éventuellement le Grand Port Maritime de La Rochelle indemne de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre après déduction de la franchise,

En tout état de cause,

- Condamner la SCP D. R., ès qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur X. à payer au Grand Port Maritime de La Rochelle la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d'appel,

- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel ».

Il a soutenu que le règlement d'exploitation du port était un règlement administratif émanant d'un établissement public qui avait vocation à régir les rapports entre l'autorité portuaire et les utilisateurs du service.

Il a rappelé que ce règlement prévoyait notamment que « L'entrée et la sortie du navire dans la darse de l'élévateur à bateaux sont de la responsabilité du client », que « la manœuvre, s'assure sous son entière responsabilité, de la flottabilité et de la stabilité du navire » que « la décision de mise à flot est prise sous l'entière responsabilité du Capitaine », que « l'utilisation du moteur est interdite, sauf accord écrit du Port », que « le client est responsable de son navire dès qu'il entre en flottaison » et « doit immédiatement le sortir de la darse ». Il en a déduit la responsabilité du seul capitaine du navire. Il a exclu que le règlement d'exploitation, qui selon lui n'est ni un contrat d'adhésion, ni un contrat, eût créé un déséquilibre significatif entre le port et ses utilisateurs.

Subsidiairement, il a contesté le préjudice allégué, non établi.

[*]

Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 février 2020, la Smacl a demandé de :

« A titre principal,

- Déclarer

- Réformer en toutes ses dispositions le Jugement du Tribunal de Commerce de LA ROCHELLE,

- Débouter la SCP D. R. es-qualité de l'intégralité de ses demandes et de son appel incident,

A titre subsidiaire,

- Réformer le Jugement du Tribunal de Commerce de LA ROCHELLE en ce qu'il a retenu un partage de responsabilité à hauteur d'un tiers pour Monsieur X. et de deux tiers pour le GPMLR, et statuant à nouveau de ce chef,

- Dire et juger en conséquence que la responsabilité sera partagée à hauteur d'un tiers pour le GPMLR et de deux tiers pour Monsieur X.,

- Limiter la réparation des dommages à la somme de 76.896,60 euros et débouter la SCP D. R. es-qualité du surplus de ses demandes,

- Dire et juger que le GPMLR ne sera tenu qu'à un tiers de cette somme, soit 25.632,20 euros,

- Déduire des condamnations susceptibles d'être mises à la charge de la SMACL la somme de 20.000 euros au titre de sa franchise contractuelle, de sorte que la SMACL ne soit tenue qu'à hauteur de 5.632.20 euros,

En tout état de cause,

- Condamner la SCP D. R. es-qualité au paiement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens'.

Elle a soutenu que la décision de quitter la darse avait relevé du seul capitaine qui avait commis une faute en ne s'assurant pas qu'il pouvait y procéder sans dommage et que le règlement d'exploitation ne faisait que rappeler que le navire une fois dessanglé était sous la responsabilité de son seul capitaine.

Subsidiairement, elle a exposé que le dommage matériel ne pouvait excéder un montant hors taxes de 44.606,46 € (frais de levage : 6.394,76 €, remise en état du navire : 37.448,90 €). Elle a contesté l'évaluation du préjudice d'exploitation, le navire n'ayant été immobilisé que 66 jours du fait du sinistre, que le préjudice indemnisable était d'au plus 48.368,21 € (perte d'excèdent brut d'exploitation : 35.910,95 €, perte de salaires : 12.437,26 €). Elle s'est prévalue des franchises stipulées (10.000 € concernant les dommages matériels, 20.000 € concernant ceux immatériels consécutifs).

[*]

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 février 2020, M. X. et la SCP Delphine R. prise en la personne de cette dernière, intervenant volontairement en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. X., ont demandé de :

« - Donner acte à la SCP D. R., représentée par Maître Delphine R., de son intervention volontaire ès qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur X. exerçant sous l'enseigne M.

- Confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a reconnu le principe de la responsabilité du GRAND PORT MARITIME.

- La reformer pour le surplus et notamment sur la question du partage de responsabilité et du quantum, et statuant à nouveau

Vu les articles 1231-1 et suivants du code civil,

Vu l'article 1171 du code civil,

- Dire et juger le Grand Port Maritime responsable du préjudice subi par Monsieur X. tant en raison de sa faute exclusive qu'en tout état de cause de l'inopposabilité des clauses imputant au seul client toute responsabilité dans la manœuvre du bateau.

En conséquence,

- Condamner in solidum Le Grand Port Maritime de La Rochelle et la SMACL à payer à la SCP D. R., représentée par Maître Delphine R., ès qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur X., la somme de 89.962,77 €

- Débouter le Grand Port Maritime et la SMACL de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

- Condamner in solidum Le Grand Port Maritime de La Rochelle et la SMACL à payer à la SCP D. R., représentée par Maître Delphine R., ès qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur X., la somme de 5.000,00 € en application des dispositions l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ».

Ils ont exposé que par jugement du 22 octobre 2019, le tribunal de commerce de La Rochelle avait ouvert à l'égard de M. X. exerçant sous l'enseigne M. une procédure de liquidation judiciaire.

Ils ont maintenu que le GPMLR avait engagé sa responsabilité contractuelle, que le règlement d'exploitation de valeur contractuelle comportait des stipulations ayant créé un déséquilibre significatif entre les parties devant être considérées non écrites, que l'indemnisation partielle par son assureur ne faisait pas obstacle à ses prétentions et que le navire avait été manœuvré pour sortir de la darse sur le signe du préposé du port.

Ils ont porté à 89.962,77 € sa demande indemnitaire (préjudice matériel : 34.491,60 € hors taxes, déduction faite de l'indemnisation perçue de l'assureur ; perte d'exploitation : 89.962,77 €).

[*]

L'ordonnance de clôture est du 24 décembre 2020.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A - SUR L'INTERVENTION DU LIQUIDATEUR JUDICIAIRE :

Par jugement du 22 octobre 2019, le tribunal de commerce de La Rochelle a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de M. X.

La recevabilité de l'intervention volontaire à l'instance du liquidateur judiciaire n'est pas contestée.

 

B - SUR LES RESPONSABILITÉS :

1 - Sur les relations entre le port et M. X. :

Le grand port maritime est un établissement public de l'Etat (article L 101-2 ancien du code des ports maritimes, article L. 5312-1 actuel du code des transports).

Le règlement d'exploitation du GPMLR qualifie l'utilisateur des installations de client (notamment le préambule de l'article 2 - Pôle de réparation et de construction navale et l'article 2.1.3 relatif aux « responsabilités générales des clients ») et emploie le terme de facturation (notamment l'article 2.2.4.3 et l'article 2.2.16.1 relatif à « la facturation de l'occupation de l'aire de carénage dès le lendemain de la levée du navire »). Il s'ensuit que la GPMLR qui ne le conteste pas sérieusement, est un établissement public à caractère industriel et commercial. Ses relations avec ses « clients » relèvent du droit privé. Il est significatif d'observer que le port n'a soulevé aucune exception d'incompétence de la juridiction judiciaire.

Le règlement d'exploitation du GPMLR, de nature administrative, en ce qu'il définit les droits et obligations du port et du client a, dans leurs relations, une nature contractuelle.

 

2 - Sur les causes du dommage :

L'entrée dans la darse puis la sortie du navire sont de la responsabilité du capitaine du navire (article 2.2.6.2 du règlement). Les opérations de levage puis de mise à l'eau sont de la seule responsabilité des agents du port (article 2.2.7 notamment du règlement).

L'article « 2.2.14 - Remise à l'eau du bateau » du règlement indique : « Le client est responsable de son navire dès qu'il entre en flottaison. Il doit immédiatement le sortir de la darse et l'amarrer à un poste d'accostage qui lui est désigné par le Port. Faute de sortie immédiate de la darse, le remorquage du navire est effectué d'office aux frais, risques et périls du client ».

Cette stipulation, qui rappelle que le capitaine est maître de son navire lorsque celui-ci est sur l'eau, n'est que la mise en œuvre du droit commun. Au cas d'espèce, M. X., propriétaire et capitaine du navire, avait sur celui-ci une fois sur l'eau le pouvoir d'usage, de direction et de contrôle. Il ne peut dès lors être retenu que l'article 2.2.14 précité créait entre le GPMLR et M. X. un déséquilibre significatif dans leurs obligations respectives au sens de l'article 1171 du code civil.

L'article 2.2.4.1 du règlement relatif aux conditions météorologiques précise que « la vitesse du vent établi, pour l'exécution des manœuvres réalisées avec l'élévateur à bateaux : hissage hors de l'eau, transfert ou mise à l'eau, doit être inférieure à 72 km/h (40 nœuds) ».

Le courriel en date du 28 février 2018 de M. Y., chef d'équipe Pôle de réparation et de construction navale ayant rendu compte de l'incident, n'a pas fait mention de la vitesse du vent. Le rapport de mer de M. X. en date du 1er mars 2018 fait mention d'un « Vent Est Nord Est. 29 noeuds en rafales ». M. Z., du cabinet Atlantic Consult, a en page 31 de son rapport en date du 10 juillet 2018 indiqué que « Le vent était de secteur NNE à NE force 4 à 5 ». La vitesse du vent, inférieure à 40 nœuds, ne prohibait pas la manœuvre de mise à l'eau. Aucune faute ne peut être retenue de ce chef.

M. X. a rapporté dans son rapport de mer :

« le 27 février, descente du navire à 11 h...

A 11 h 30, après flottaison du navire et sur les ordres des employés du roulève, j'ai mis en marche arrière au ralenti.

Engagement des angles dans l'hélice sans blocage de l'hélice avec baisse importante du régime moteur.

Débrayage immédiat du réducteur. A cause des rafales de vent, l'étrave du navire est venue contre le fond de la darse. Mise en place par les marins de ballons pour éviter des dommages sur l'étrave.

Les employés du roulève ont immergé davantage les sangles afin d'éviter un nouvel engagement d'hélice.

Embrayage à nouveau en marche arrière pour sortir de la darse et faire route jusqu'à l'épi dans le bassin ».

M. Y. précité a pour sa part décrit comme suit les faits :

« - Mise à l'eau du navire jusqu'à 10 cm au-dessous de la flottaison pour le démarrage du moteur et la vérification de l'étanchéité de la coque (navire maintenu dans les sangles)

- Attente du chef de manœuvre (Y.) de la validation du commandant du navire pour nous dire que pour lui tout est OK

- une fois la validation du commandant, le chef de manœuvre (Y.) fait signe au conducteur de l'élévateur pour affaler les sangles Av et AR

- Lorsque les étriers se trouvent à environ 50 cm du niveau de l'eau, le chef de manœuvre (Y.) fait signe au commandant du navire pour qu'il puisse sortir de la darse en marche arrière

- Entre le temps de descendre les sangles et de faire signe au commandant, le navire a avancé et est venu vers le palonnier numéro 4 et les sangles à l'arrière du navire se sont retrouvés au niveau de l'élise

- Le commandant entamait sa manœuvre mais les sangles sont remontées par aspiration dans l'élise

- Le chef de manœuvre (Y.) demande au commandant de stopper la manœuvre car les sangles sont prises dans le navire

- Le chef de manœuvre (Y.) voit le palonnier revenir et constate que les sangles ne sont plus dans l'élise

- Le commandant du navire reprend la manœuvre pour la sortie du navire de la darse ».

Ces récits concordent.

L'expert amiable a en page 31 de son rapport indiqué :

« Préparation de la mise à l'eau / Anticipation des risques

Après avoir auditionné les personnes impliquées dans les opérations de mise à l'eau du navire, Mr Y. pour l'élévateur, et Mr X. pour le navire M., nous retenons de leurs déclarations :

- qu'il n'y a pas eu de briefing avant la manœuvre entre le personnel en charge de l'élévateur et le capitaine et l'équipage du navire. Mr M. est un habitué et avait utilisé l'élévateur à bateau de nombreuses fois récemment pour le M.

- que le M., après la première phase de descente, n'a pas été amarré par son équipage avant la mise en flottaison, pour prévenir le risque de dérive compte tenu des conditions spécifiques de vent. La manœuvre n'a clairement pas été anticipée par le capitaine'.

Il résulte de ces éléments que :

- l'autorisation de quitter la darse a été donnée à M. X. par le chef de manœuvre ayant à tort estimé que les sangles étaient suffisamment affalées ;

- M. X. a manœuvré son navire en se fiant à cette seule permission, sans contrôler qu'il pouvait le faire sans dommage.

Ces deux fautes ont concouru à la réalisation du dommage. L'erreur d'appréciation du chef de manœuvre a toutefois été prépondérante. Le partage retenu par le premier juge, à hauteur d'un tiers pour M. X. et à hauteur des 2/3 restant pour le GPMLR sera pour ces motifs confirmé.

 

C - SUR LE PRÉJUDICE :

L'article 1231-1 du code civil dispose que « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure » et l'article 1231-2 que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après ».

 

1 - Préjudice matériel :

M. Z. a chiffré comme suit les dommages matériels (montants hors taxes) :

- hélice 4.288,00 €

- réducteur d'occasion 8.000,00 €

- travaux sur le réducteur 20.605,88 €

- ligne d'arbre 4.555,02 €

- frais de logistique 7.157,56 €

soit un total de 44.406,46 €

M. X. a justifié par la production des factures et titres exécutoires afférents avoir supporté les frais suivants :

- remorquage et utilisation des élévateurs 6.394,73 €

- séjour à flot 762.83 €

- factures de travaux Ateliers mécaniques des Pertuis 31.412,11 €

- prix réducteur 8.000,00 €

soit 46.569,67 € hors taxes.

Ce montant dont il est justifié sera retenu. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu le chiffrage de l'expert amiable.

L'indemnisation à charge du GPMLR est de 31.046,44 € (46.569.67 x 2/3).

M. X. a perçu de son assureur la somme de 16.078.07 € en exécution de stipulations contractuelles qui n'ont pas été versées aux débats. Nul ne pouvant être indemnisé deux fois d'un même préjudice, l'indemnisation dont le GPMLR reste redevable envers M. X. s'élève à 30.491,60 € (46.569,67 -16.078,07), montant qui sera retenu.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu un montant moindre.

 

2 - Préjudice immatériel :

M. W., expert-comptable, a établi l'attestation suivante en date du 9 juillet 2018 :

« J'ai été sollicité pour estimer la parte d'excédent brut d'exploitation connue par l'entreprise de pêche de Monsieur X. et sa perte de salaires sur la période d'arrêt du navire entre le 27 février 2018 et le 31 mai 2018.

Monsieur X. a acquis la pleine propriété du navire M. au cours de l’année 2016 et l'exploitation de l'entreprise pendant l'année 2017 (arrêt des comptes le 31 décembre) a été perturbée par des interruptions de l'activité du bateau pour cause de réparations.

Pour ces raisons, établissant au sein de ma clientèle, les comptes annuels de plusieurs navires similaires au M. (chalutiers pratiquant le même type de pêche, capturant les mêmes espèces de poissons et de crustacés, naviguant dans les mêmes eaux, sur les mêmes lieux de pêche et réalisant un chiffre d'affaires similaire), j'ai retenu deux dossiers de navires ayant eu des exercices 2016 et 2017 de douze mois sans arrêts autres que les arrêts normaux pour l'entretien courant connus chaque année.

La moyenne de l'excédent brut d'exploitation, sur leurs deux derniers exercices de douze mois, des deux navires retenus comme éléments de référence se monte à :

(376.099 € + 166.650 €) / 2 + (207.194 € + 178.656 €) / 2 = 182.150 € pour douze mois,

Soit : 182,50 € / 12 x 3 = 45.537 € pour trois mois d'activité,

La moyenne des salaires des patrons propriétaires des navires} retenus comme éléments de référence se monte à :

(74.978 € + 76.002 €) / 2 + (48.692 € + 52.530 €) / 2 = 63.050 € pour douze mois,

Soit : 63.050 € :12 x 3 = 15.763 € pour trois mois d'activité.

En synthèse, j'estime :

1. la perte d'excédent brut d'exploitation connue par l'entreprise pour son arrêt d'activité sur la période du 27 février 2018 au 31 mai 2018 à 45.537 euros

2. la perte de salaires de Monsieur X. sur la même période à 15.763 euros (montants moyens en consultant les comptes annuels de deux navires similaires au chalutier M. pour leurs exercices comptables 2016 et 2017).

3. Le montant des charges fixes de l'entreprise sur la période d'inactivité à 8 732 €uros » ;

soit 70.032 €.

Aucun élément des débats ne permet de considérer erronée cette appréciation de l'expert-comptable. Le premier juge l'a toutefois exactement réduite en regard de la période d'immobilisation du navire, de 72 jours (du 28 février au 10 mai) et non sur trois mois (91,25 jours). Le premier juge a ainsi exactement retenu la somme de 55.471,17 € (70.032 x 72/91,25).

Le GPMLR est ainsi redevable de la somme de 36.980,78 € (55.471,17 x 2/3)

Le jugement sera confirmé de ce chef.

 

D - SUR LA GARANTIE DE LA SMACL :

Celle-ci ne conteste pas devoir garantir le GPMLR. Elle oppose les franchises stipulées au contrat la liant à ce dernier, de 10.000 € pour les dommages matériels et de 20.000 € pour les dommages immatériels consécutifs, ces deux franchises ne se cumulant pas. L'assuré ne conteste pas l'application d'une franchise de 20.000 €

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait application de cette dernière franchise.

 

[E] - SUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE :

Le premier juge a équitablement apprécié l'indemnité due sur ce fondement par la GPMLR et la société Smacl.

Il serait par ailleurs inéquitable et préjudiciable aux droits de l'intimé de laisser à sa charge les sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens d'appel. Il sera pour ce motif fait droit à la demande formée de ce chef pour le montant ci-après précisé.

 

F - SUR LES DÉPENS :

La charge des dépens d'appel incombe à l'appelante.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

RECOIT en son intervention volontaire à l'instance la SCP Delphine R. prise en la personne de cette dernière, en qualité de liquidateur judiciaire de M. X. ;

CONFIRME le jugement du 18 janvier 2019 du tribunal de commerce de La Rochelle sauf en ce qu'il :

« Retient les valeurs de 28.528.39 € HT au titre des dommages matériels, soit 9.509,46 € à la charge de Monsieur X. et la somme de 19.018.93 € à la charge du Grand Port Maritime de LA ROCHELLE,

Condamne le Grand Port Maritime de LA ROCHELLE à payer à Monsieur X. la somme globale de 55.999.71 € HT,

Dit que la SMACL ASSURANCES relève indemne le Grand Port Maritime de LA ROCHELLE à hauteur de (19.018,93 + 36.980,78) = 55.999,71 HT ; une franchise de 20.000 € sera déduite de cette somme,

Condamne le Grand Port Maritime de LA ROCHELLE à payer à Monsieur X. la somme de 20.000 € au titre de la franchise déduite » ;

et statuant à nouveau de ces chefs d'infirmation,

FIXE le préjudice matériel subi par M. X. à 46.569,67 € (montant hors taxes) ;

FIXE le préjudice immatériel subi par M. X. à 55.471,17 € ;

CONDAMNE in solidum le Grand port maritime de La Rochelle et la société Smacl, cette dernière sous déduction d'une franchise contractuelle de 20.000 €, à payer à titre de dommages et intérêts à M. X., représenté par son liquidateur judiciaire la SCP Delphine R., les sommes de :

- 30.491,60 € en réparation du préjudice matériel de ce dernier ;

- 36.980,78 € en réparation de son préjudice immatériel ;

CONDAMNE in solidum le Grand port maritime de La Rochelle et la société Smacl à payer à en cause d'appel à M. X., représenté par son liquidateur judiciaire la SCP Delphine R., la somme de 1.800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum le Grand port maritime de La Rochelle et la société Smacl aux dépens d'appel.

LE GREFFIER,                   LE PRÉSIDENT,