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CA PARIS (pôle 4 ch. 9-A), 30 septembre 2021

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CERCLAB - DOCUMENT N° 9152

CA PARIS (pôle 4 ch. 9-A), 30 septembre 2021 : RG n° 18/21408 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Il est constant que le contrat litigieux, conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans les prévisions de l'article L. 212-1 du code de la consommation. Selon l'article R. 212-2 8° du même code, est présumée abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de soumettre la résolution ou la résiliation du contrat à des conditions ou modalités plus rigoureuses pour le professionnel que pour le consommateur.

La distinction effectuée par la société Century 21 Raspail entre une clause pénale et une clause de dédit est indifférente à la solution du litige qui ne dépend que du caractère abusif ou non de la clause litigieuse au regard des textes précités.

En l'espèce, si les deux parties disposent de la même faculté de dénoncer le contrat au terme du délai triennal, il est patent que la possibilité pour le mandant de résilier le contrat avant ce terme est assortie de l'obligation d'acquitter l'indemnité prévue par l'article 10 bis tandis que le contrat ne prévoit aucune indemnité au bénéfice du mandant si le mandataire venait à résilier le contrat avant le terme convenu. Elle ne saurait être justifiée par le droit du mandant à percevoir la rémunération de ses diligences puisque le travail de gestion s'achève nécessairement lors de la résiliation du contrat et que la rémunération de la location reste due pour autant que l'agence ait effectivement trouvé un locataire.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que cette clause qui pose des conditions de résiliation plus rigoureuses pour le mandant que pour le mandataire était abusive au sens de l'article R. 212-2-8° précité. Cette clause est donc réputée non écrite. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 4 CHAMBRE 9-A

ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 18/21408 (7 pages). N° Portalis 35L7-V-B7C-B6ODV. Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 août 2018 - Tribunal d'Instance d'IVRY SUR SEINE – R.G. n° 11-17-003373.

 

APPELANTE :

La société CENTURY 21 RASPAIL, SARL

prise en la personne de Monsieur Y., son gérant en exercice, N° SIRET : XXX, [...], [...], représentée et assistée de Maître Thibault F., avocat au barreau de MELUN, toque : M19

 

INTIMÉ :

Monsieur X.

né le [date] à [ville], [...], [...], représenté par Maître Axel F., avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 264, ayant pour avocat plaidant Maître Eric T., avocat au barreau de PARIS, toque : E1825

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 août 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente de chambre, Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, M. Xenoît DEVIGNOT, Conseiller.

Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE

ARRÊT : - CONTRADICTOIRE - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Mme Patricia GRANDJEAN, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par contrat en date du 4 mars 2016, M. X., propriétaire d'un appartement situé à [ville I.], a confié à la société Century 21 Raspail la gestion locative de son bien pour une durée de trois ans. Par lettre recommandée reçue le 21 mai 2016, M. X. a résilié le contrat.

Saisi par la société Century 21 Raspail d'une demande tendant principalement à la condamnation du mandant au paiement de dommages et intérêts et d'une demande reconventionnelle tendant à l'annulation du contrat, le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine, par un jugement contradictoire rendu le 31 août 2018 auquel il convient de se reporter, a débouté la société Century 21 Raspail de sa demande.

Le tribunal a principalement retenu que le contrat n'était pas nul mais que la clause prévoyant, en cas de résiliation, le paiement par le mandant au mandataire d'une indemnité équivalente à ses honoraires restant à percevoir jusqu'à la date d'échéance du contrat était abusive au sens de l'article R. 212-2-8° du code de la consommation.

[*]

Par une déclaration en date du 27 septembre 2018, la société Century 21 Raspail a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions remises le 26 novembre 2018, elle demande notamment à la cour :

- d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré la clause de résiliation anticipée abusive,

- de condamner M. X. à lui payer la somme de 8.271,44 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la résiliation anticipée du mandat de gestion du 4 mars 2016.

L'appelante soutient que la clause contenue dans l'article 10 bis du contrat n'est pas abusive dès lors que chaque partie peut dénoncer le contrat dans les mêmes conditions trois mois avant le terme convenu et qu'elle tend seulement à permettre au professionnel d'obtenir la rémunération de son travail. Elle indique que l'indemnité de rupture anticipée doit s'analyser comme une clause de dédit, et non comme une clause pénale.

Elle fait valoir qu'en résiliant le contrat en dehors des dispositions convenues, M. X. a engagé sa responsabilité sur le fondement des articles 1231-1 et 1103 du code civil et elle détaille le préjudice en résultant.

[*]

Dans ses conclusions remises le 7 février 2019, l'intimé demande à la cour de confirmer le jugement dont appel sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimé expose que l'article 10 bis du contrat met à la charge du seul mandant une indemnité particulièrement élevée et disproportionnée en cas de résiliation, ce qui soumet la résolution du contrat à des modalités plus rigoureuses pour le consommateur et que cette clause est donc abusive au sens des articles L. 212-1 et R. 212-2 du code de la consommation.

A titre subsidiaire, au visa de l'article 1130 du code civil, l'intimé expose que l'agent de la société Century 21 Raspail avec lequel il a négocié lui avait promis de trouver un locataire dans un délai de deux mois, faute de quoi le contrat serait caduc. L'intimé ajoute que la société Century 21 Raspail s'est engagée en ces termes tout en connaissant le loyer qu'il espérait obtenir, soit 1.415 euros.

Il conteste les « diligences » mises en avant par l'appelante, note que l'agence a présenté le bien pour un loyer moindre que ce qui était convenu et indique avoir trouvé par lui-même un locataire pour un loyer de 1.580 euros charges incluses dès le 15 juillet 2016.

[*]

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2021.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

En application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En l'espèce, si M. X. fait valoir que son consentement a pu être vicié en raison des propos tenus par le préposé de la société Century 21 Raspail, il ne sollicite pas l'annulation du contrat, concluant au contraire à la confirmation du jugement aux termes duquel le tribunal a écarté le moyen tiré d'un vice du consentement.

Il n'y a donc lieu de statuer sur ce point.

Les parties ont conclu le 4 mars 2016 un contrat de mandat exclusif de gestion locative pour une durée de trois années, prévoyant une reddition annuelle des comptes et la rémunération du mandataire pour sa gestion, à hauteur de 8 % HT du montant des sommes encaissées pour le compte du mandant et d'un forfait par dossier pour des prestations particulières et pour la location, d'un prix au m2 à la charge du locataire et de 16,67 % TTC (soit 13,89 % HT) du loyer annuel à la charge du bailleur.

L'article 10 dispose que le contrat est renouvelable par tacite reconduction mais peut être dénoncé par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis de trois mois avant sa date d'échéance triennale.

L'article 10 bis mentionne qu'en cas de rupture du contrat par le mandant en dehors des périodes mentionnées à l'article 10, ce dernier devra s'acquitter d'une indemnité égale au montant des honoraires restant à percevoir au prorata temporis de la date d'échéance conventionnelle.

Il est constant que le contrat litigieux, conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans les prévisions de l'article L. 212-1 du code de la consommation.

Selon l'article R. 212-2 8° du même code, est présumée abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de soumettre la résolution ou la résiliation du contrat à des conditions ou modalités plus rigoureuses pour le professionnel que pour le consommateur.

La distinction effectuée par la société Century 21 Raspail entre une clause pénale et une clause de dédit est indifférente à la solution du litige qui ne dépend que du caractère abusif ou non de la clause litigieuse au regard des textes précités.

En l'espèce, si les deux parties disposent de la même faculté de dénoncer le contrat au terme du délai triennal, il est patent que la possibilité pour le mandant de résilier le contrat avant ce terme est assortie de l'obligation d'acquitter l'indemnité prévue par l'article 10 bis tandis que le contrat ne prévoit aucune indemnité au bénéfice du mandant si le mandataire venait à résilier le contrat avant le terme convenu.

Elle ne saurait être justifiée par le droit du mandant à percevoir la rémunération de ses diligences puisque le travail de gestion s'achève nécessairement lors de la résiliation du contrat et que la rémunération de la location reste due pour autant que l'agence ait effectivement trouvé un locataire.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que cette clause qui pose des conditions de résiliation plus rigoureuses pour le mandant que pour le mandataire était abusive au sens de l'article R. 212-2-8° précité.

Cette clause est donc réputée non écrite.

* * *

Au visa des articles 1231-1 et 1103 du code civil, la société Century 21 Raspail soutient qu'en résiliant le contrat avant son terme, M. X. a commis une faute dont il doit réparation.

Il convient de relever que conclu le 4 mars 2016, le contrat litigieux est régi par les dispositions légales antérieures à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016.

En application de l'article 1134 ancien du code civil dans sa rédaction applicable au litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

L'article 1147 ancien du même code dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Selon l'article 1184 ancien, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice.

En l'espèce, alors que les parties s'étaient engagées pour une durée ferme de trois années, le 19 mai, après avoir souligné qu'aucun bail n'avait encore été signé, deux mois et demi après la signature du mandat « malgré tous [vos] effort », Mme X. écrivait à l'agence que le mandant désirait « mettre un terme à [notre] collaboration » et qu'il passerait reprendre les quatre jeux de clés le lendemain.

Le 21 mai, M. et Mme X. confirmaient leur volonté de résilier le contrat avec effet au 5 juin 2016 en invoquant l'absence de résultat par rapport à un engagement oral de trouver un locataire dans les deux mois, une « déception » face à l'attitude de l'agence et aux termes d'un courrier du 20 mai dans lequel le mandant lisait en substance une critique sur le montant du loyer attendu par le bailleur.

Il incombe au mandant de rapporter la preuve que le mandataire a failli à ses obligations pour justifier la révocation du mandat.

L'échange de courriers électroniques versé aux débats révèle que les parties ont été en discussion jusqu'au 15 avril 2016 sur les modalités de mise en location qui s'inscrivaient dans une démarche d'optimisation fiscale, la société Century 21 Raspail fournissant son conseil précis et circonstancié notamment sur la pertinence de louer séparément l'appartement et la place de stationnement, sur le montant maximum du loyer et les conditions pécuniaires que le candidat locataire devait remplir au regard des dispositions fiscales dont Mme X. - unique interlocutrice de l'agence - envisageait de bénéficier et sur la ventilation entre loyer net et provision pour charges.

Le 23 mars 2016, l'agence informait Mme X. qu'elle mettait le bien en publicité afin de ne pas perdre de temps et le 27 avril elle indiquait avoir reçu un dossier de trois personnes proposant de prendre le bien en colocation qui satisfaisait l'ensemble des conditions convenues avec le mandant ; après avoir exprimé de fortes réticences sur la formule « colocation » et exigé de voir les dossiers des candidats, le mandant donnait son accord au début du mois de mai ; mais le 17 mai, les candidats locataires renonçaient à leur projet.

Dans un courrier du 20 mai en réponse à l'annonce de la révocation du mandat exclusif, la mandataire relevait que son mandant avait mis lui-même une annonce sur le site PAP pour proposer le même bien à la location, fait qui est étayé et n'est pas contesté par M. X.

La société Century 21 Raspail justifie qu'elle a fait visiter le bien sept fois entre le 23 mars et le 19 mai 2016.

Il ne saurait par ailleurs lui être reproché d'avoir proposé le bien à un loyer moindre que celui convenu alors que par un courriel du 15 avril 2016, M. et Mme X. indiquaient expressément leur accord pour un loyer de 1.485 euros charges comprises.

Enfin, aucun indice n'étaye l'affirmation de l'intimé selon laquelle la société Century 21 Raspail se serait engagée à trouver un locataire dans les deux mois.

Il s'induit des éléments qui précèdent que M. X. ne rapporte la preuve d'aucune faute susceptible d'être imputée à la société Century 21 Raspail ; le fait qu'il ait finalement donné le bien en location via le site P.A.P. pour un loyer de 1.580 euros charges comprises le 15 juillet 2016 est assurément dépourvu de toute force probante dès lors que l'agence a été privée de la possibilité de poursuivre son mandat.

En conséquence, M. X. a commis une faute en résiliant le contrat avant le terme convenu.

Au regard des modalités financières prévues dans le contrat, cette faute a privé la société Century 21 Raspail de la rémunération qu'elle pouvait escompter de la poursuite de ce mandat.

Le bien, constitué par un appartement de quatre pièces d'une superficie de 82 m² et d'une place de stationnement, se trouvant à Ivry-sur-Seine, zone où le marché locatif est très tendu selon les termes du mandat, l'agence immobilière pouvait raisonnablement espérer la signature d'un ou deux baux couvrant une période de 30 mois.

Sur une telle période, la rémunération des prestations de gestion aurait été de 4.276,80 euros (1.485 x 30 x 8 %) et la rémunération des prestations de location aurait été de 2.474,64 euros dans l'hypothèse d'un bail unique sur l'ensemble de la période et d'un recouvrement effectif des loyers et charges.

Néanmoins, il doit être tenu compte des aléas inhérents à l'activité de location immobilière de sorte que le préjudice subi par la société Century 21 Raspail est évalué à la somme de 4.000 euros. Il est rappelé qu'une indemnité n'est pas soumise à la TVA.

En conséquence, M. X. est condamné à payer à la société Century 21 Raspail la somme de 4.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Les motifs qui précèdent suffisent à débouter les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

- Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

- Dit que la clause 10 bis du contrat est une clause abusive qui est réputée non écrite ;

- Condamne M. X. à payer à la société Century 21 Raspail la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- Déboute les parties de toutes autres demandes ;

- Condamne M. X. aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Century 21 Raspail la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière                                       La présidente