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CA CAEN (2e ch. civ. com.), 14 octobre 2021

Nature : Décision
Titre : CA CAEN (2e ch. civ. com.), 14 octobre 2021
Pays : France
Juridiction : Caen (CA), 2e ch.
Demande : 19/02329
Date : 14/10/2021
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 6/08/2019
Référence bibliographique : 6309 (dépôt ; garde meubles), 6467 (transport de déménagement, prescription), 6114 (clause limitative, clause de déclaration de valeur)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9166

CA CAEN (2e ch. civ. com.), 14 octobre 2021 : RG n° 19/02329 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que M. X. et Mme Y. ont conclu avec la société N. Déménagement trois contrats distincts décrits ci-avant, ayant donné lieu à trois écrits distincts et comportant des conditions générales et particulières spécifiques :

Par conséquent, il y a lieu de faire une application distributive des règles de prescription, l'action personnelle en indemnisation des préjudices subis par M. X. et Mme Y. étant soumise à des délais de prescription distincts en fonction du cadre contractuel spécifique au titre duquel ces derniers fondent leur demande :

- un délai d'un an, en cas d'action en indemnisation pour des dommages survenus au cours du contrat de déménagement.

- un délai de droit commun de cinq ans, en cas d'action en indemnisation pour des dommages survenus au cours du contrat de garde-meubles. »

2/ « Le contrat contient des obligations générales et particulières qui s'appliquent en l'espèce, M. X. et Mme Y. ne pouvant sérieusement soutenir qu'elles leur seraient inopposables alors même qu'ils en revendiquent l'application pour certaines d'entre elles (page 10 de leurs écritures) et que ces conditions figurent au verso du contrat signé qui contient la clause suivante « la garde du mobilier s'effectuera aux conditions générales de vente du contrat de garde-meubles approuvées par le client, ainsi qu'aux conditions énoncés ci-dessus », si bien qu'ils en avaient nécessairement connaissance ».

3/ « Il ressort des conditions particulières du contrat de garde-meubles que les parties ont prévu un régime de réparation limité, en fixant un plafond forfaitaire d'indemnisation en cas de dommages donnant lieu à réparation à hauteur de 8.000 euros pour l'intégralité des meubles confiés et à un montant de 305 euros par objet ou élément non listé sur la déclaration de valeur. Dans la mesure où les intimés avaient la possibilité d'opter pour une valorisation de leurs biens en déclarant leur valeur réelle, cette clause ne peut être considérée abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation. »

4/ « Concernant le préjudice moral, celui-ci a été correctement évalué à 800 € compte tenu notamment des soucis et tracas liés aux démarches entreprises notamment pour parvenir à un règlement amiable et de la perte d'objet à caractère personnel. L'attestation de Mme Z. évoque sur ce dernier point la tristesse de Mme Y. car la vaisselle cassée appartenait à ses parents. La décision sera également confirmée sur ce point »

N.B. Rappel des arguments des intimés : « S'agissant du montant de l'indemnisation en réparation du préjudice matériel subi, M. X. et Mme Y. estiment inopposable la clause limitative invoquée opposée par l'entreprise N. Déménagement, indiquant qu'ils n'ont pas signé les conditions générales sur lesquelles cette clause figure. Ils font également valoir le caractère abusif d'une telle clause au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation ».

 

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 19/02329. N° Portalis DBVC-V-B7D-GMF7. ORIGINE : DÉCISION du Tribunal d'Instance de CAEN en date du 9 juillet 2019 : R.G. n° 1119000047.

 

APPELANTE :

SASU N. DEMENAGEMENT exerçant sous l'enseigne « LES GENTLEMEN DU DEMENAGEMENT »

N° SIRET : XXX, [...], [...], prise en la personne de son représentant légal, représentée par Maître Jérémie P., substitué par Maître R., avocats au barreau de CAEN assistée de Maître Fabrice R., avocat au barreau de MARSEILLE

 

INTIMÉS :

Monsieur X.

né le [date] à [ville], [...], [...]

Madame Y.

née le [date] à [ville], [...], [...]

représentés et assistés de la SCP F. H. L., avocat au barreau de CAEN

 

DÉBATS : A l'audience publique du 19 avril 2021, sans opposition du ou des avocats, Mme DELAHAYE, Président de Chambre, a entendu seule les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Mme DELAHAYE, Président de Chambre, Mme GOUARIN, Conseiller, Mme VIAUD, Conseiller,

ARRÊT : prononcé publiquement le 14 octobre 2021 à 14h00 par prorogations du délibéré initialement fixé au 1er juillet 2021, 22 juillet 2021, 2 septembre 2021 puis au 23 septembre 2021 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, président, et Mme LE GALL, greffier

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Dans le cadre des opérations de déménagement et de garde de leurs meubles, M. X. et Mme Y. ont conclu avec la société N. Déménagement trois contrats :

- un contrat de déménagement suivant devis n° 9265 du 4 août 2017, pour les opérations de conditionnement, de chargement-déchargement et de transport des meubles de leur maison d'habitation sise à [ville M.] au garde-meubles sis à [ville B.],

- un contrat de garde-meubles n° 619 du 24 août 2017, prévoyant la mise en garde des meubles dans les locaux de la société N. situés à [ville B.],

- un contrat de déménagement suivant devis n° 9266 du 4 août 2017, pour le transport des meubles du garde-meubles sis à [ville B.] jusqu'à leur maison sise à [ville P.], la livraison étant prévue le 8 novembre 2017.

Le 8 novembre 2017, lors de la livraison finale, M. X. et Mme Y. ont constaté qu'une partie de leurs meubles (deux matelas et un sur matelas) étaient endommagés et émis des réserves sur la lettre de voiture. Ils ont également émis une réserve générale s'agissant de la vaisselle et des cartons non encore déballés.

Ultérieurement au déballage de l'intégralité des cartons, M. X. et Mme Y. ont fait état de la disparition de plusieurs cartons et de diverses autres dégradations, qu'ils ont détaillées par lettre du 12 novembre 2017 adressée à la société N. Déménagement, en demandant la réparation de leur préjudice.

Parallèlement, M. X. et Mme Y. ont fait intervenir leur assureur de protection juridique, la société Macif, qui a pris contact avec la société N. Déménagement. Celle-ci a alors réalisé une déclaration de sinistre auprès de son courtier d'assurances, la société Marsh, qui a contesté devoir procéder à l'indemnisation des deux clients.

Dans cette situation, M. X. et Mme Y. ont déposé une plainte à l'encontre de la société N. Déménagement et sollicité par ailleurs la société Saratec en qualité d'expert afin de réaliser l'évaluation de l'état de dégradation de leurs meubles, le rapport d'expertise établi le 19 janvier 2018 faisant état des détériorations et pertes à hauteur de 2.345 euros. La société N. Déménagement, régulièrement convoquée aux opérations d'expertise réalisées par la société Saratec, s'est abstenue de se présenter.

Les échanges de courriers qui ont eu lieu entre le 5 juillet 2018 et le 21 décembre 2018 entre M. X. et Mme Y. et la société Macif, d'une part, et la société N. Déménagement et la société Marsh, d'autre part, et par lesquels les premiers ont sollicité l'indemnisation de leur préjudice, sont restés infructueux.

Par acte d'huissier du 27 décembre 2018, M. X. et Mme Y. ont saisi le tribunal d'instance de Caen d'une demande en réparation de leur préjudice.

Par jugement du 9 juillet 2019, le tribunal d'instance de Caen a :

- déclaré M. X. et Mme Y. recevables en leurs demandes dirigées contre la société N. Déménagement ;

- condamné la société N. Déménagement à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 2.345 euros en réparation de leur préjudice matériel ;

- condamné la société N. Déménagement à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 800 euros en réparation de leur préjudice moral ;

- débouté M. X. et Mme Y. du surplus de leur demandes ;

- condamné la société N. Déménagement à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société N. Déménagement aux dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration du 31 juillet 2019 au greffe de la cour d'appel, enregistrée le 6 août 2019, la société N. Déménagement a relevé appel de ce jugement, critiquant l'ensemble de ses dispositions.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 septembre 2019, la société N. Déménagement demande à la cour de :

- Infirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

- Débouter M. X. et Mme Y. de leur entières demandes comme irrecevables pour cause de prescription,

- Subsidiairement, limiter la recevabilité de l'action de M. X. et Mme Y. aux matelas et sur matelas et les débouter du surplus de leurs réclamations comme irrecevables pour cause de forclusion,

- A titre infiniment subsidiaire, dire que les réclamations de M. X. et Mme Y. ne sont fondées que pour les matelas et le sur matelas et les débouter du surplus en l'état de la présomption de livraison conforme,

- Dans ces cadres subsidiaires, limiter les réclamations de M. X. et Mme Y. à la somme de 780 euros,

- Condamner M. X. et Mme Y. au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner les mêmes aux entiers dépens.

Au soutien de la fin de non-recevoir soulevé à titre principal, la société N. Déménagement fait notamment valoir que les préjudices à l'origine de l'action en dommages et intérêts introduite par M. X. et Mme Y. ont été constatés lors de la livraison finale des meubles, intervenue le 8 novembre 2017 en exécution du second contrat de déménagement conclu selon devis accepté n° 9266, et que dès lors, l'action des réclamants est prescrite, faute d'avoir été introduite dans le délai d'un an à compter de la date de livraison de meubles prévu par les articles L. 133-6 et L. 133-9 du code de commerce pour un contrat de déménagement incluant une prestation de transport, soit, en l'espèce, avant le 8 novembre 2018.

La société appelante fait également valoir l'absence de toute cause interruptive du délai de prescription d'un an de l'action des demandeurs qu'elle estime fondée sur le contrat de déménagement.

Subsidiairement, au soutien de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion, la société N. Déménagement fait valoir que les demandes formées par M. X. et Mme Y. sont irrecevables faute pour ces derniers d'avoir fait valoir leurs dommages par lettre recommandées adressée au transporteur dans le délai de forclusion de 10 jours prévu aux articles L. 133-3 du code du commerce et L. 121-95 du code de la consommation et rappelé à l'article 16 du CGV du contrat de déménagement.

Sur le fond, la société N. Déménagement conteste les demandes formulées au titre des réparations des préjudices subis par M. X. et Mme Y., en invoquant la présomption de livraison conforme et faisant valoir que la partie adverse n'apporte pas la preuve de l'imputabilité des dommages dont elle fait état aux opérations de déménagement. L'appelante estime subsidiairement que sa responsabilité ne pourrait être engagée qu'au regard des deux matelas et du sur matelas, qui ont fait l'objet de réserves précises et détaillées figurant sur la lettre de voiture du 8 novembre 2017, la réserve relative à la vaisselle et aux cartons, formulée dans des termes trop imprécis et généraux étant, en tant que telle, dépourvue d'efficacité. En outre, la société N. Déménagement estime que la présomption de livraison conforme ne saurait être renversée par la lettre de protestation du 12 novembre 2017 venant détailler les différentes dégradations constatées par M. X. et Mme Y., dès lors que cette lettre n'est qu'une exigence procédurale, dont le respect est nécessaire afin d'empêcher l'extinction de l'action pour cause de forclusion, mais qu'elle ne permet pas d'établir l'imputabilité des dommages ainsi allégués aux opérations de déménagement. Enfin, la société N. Déménagement fait valoir que M. X. et Mme Y., qui étaient en mesure de contrôler l'état de leurs meubles au moment de la livraison et qui avaient d'ailleurs le devoir de procéder à une inspection complète, ne l'ont pas fait, qu'ils n'ont porté mention sur la lettre de voiture d'aucune critique s'agissant de l'exécution des opérations de déménagement, à l'exception des deux réserves qui y figurent, et qu'ils ne se sont pas opposés au règlement du prix à l'issue de la livraison.

S'agissant du quantum de l'indemnité réclamée, la société N. Déménagement fait valoir l'application d'un coefficient de vétusté sur la valeur des meubles endommagés et le bénéfice de la clause limitative de responsabilité prévue par l'article 14 des conditions générales du contrat de déménagement. Répondant aux arguments de M. X. et Mme Y., elle réfute par ailleurs le caractère abusif de la clause de limitative de responsabilité invoqué par les intimés, l'estimant conforme aux dispositions de l'article L. 1132-1 et R.132-1 devenu R. 212-1 du code de la consommation.

S'agissant des réclamations connexes formulées par M. X. et Mme Y., l'appelante s'y oppose les estimant non-fondées.

[*]

Par conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 23 décembre 2019, M. X. et Mme Y. demandent à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- déclaré M. X. et Mme Y. recevables en leurs demandes dirigées contre la société N. Déménagement ;

- condamné la société N. Déménagement à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société N. Déménagement aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société N. Déménagement à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 2.345 euros en réparation de leur préjudice matériel,

- condamné la société N. Déménagement à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 800 euros en réparation de leur préjudice moral,

- débouté M. X. et Mme Y. du surplus de leur demandes,

Statuant à nouveau :

- débouter la société N. Déménagement de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société N. Déménagement à payer à M. X. et à Mme Y. les sommes suivantes à titre des dommages et intérêts : 3.987 euros au titre du préjudice matériel, 1.000 euros au titre du préjudice moral, 800 euros au titre de troubles et tracas divers subis, 800 euros pour résistance abusive et injustifiée.

- condamner la société N. Déménagement à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel,

- condamner la société N. Déménagement aux entiers dépens.

Au soutien de la recevabilité de leur action en dommages et intérêts, M. X. et M. B. font notamment valoir que leur action a été introduite avant l'expiration du délai de prescription. Ils expliquent avoir conclu avec la société N. Déménagement trois contrats distincts : deux contrats de déménagement et un contrat de garde-meubles, indiquant qu'il est nécessaire de procéder à une application distributive des règles relatives à la prescription selon le contrat sur lequel sont fondées les demandes. Leur demande étant notamment fondée sur le contrat de garde-meubles soumis à la prescription quinquennale de droit commun, l'action à l'encontre de la société N. Déménagement doit être déclarée recevable.

A titre subsidiaire, M. X. et Mme Y. font valoir que même en considérant leur action fondée sur le contrat de déménagement, celle-ci devrait être déclarée recevable, dès lors que l'article 15 des conditions générales de vente du contrat de déménagement, dérogeant aux dispositions de l'article L. 133-6 du code de commerce, prévoyait un délai de prescription compté en année civile, qui expirait à la fin de l'année 2018 soit au 31 décembre 2018. En outre, ils estiment que la plainte déposée le 16 mai 2018 a interrompu ce délai de prescription.

A titre infiniment subsidiaire, en application de l'article L. 114-1 du code des assurances, ils considèrent que l'intervention des assureurs dans le litige les opposant au déménageur, a fait courir un nouveau délai de prescription de deux ans, à compter de l'intervention de la société Marsh.

S'agissant de la fin de non-recevoir tirée du non-respect du délai de forclusion prévu aux articles L. 133-3 du code de commerce et L. 114-63 du code de la consommation, M. X. et Mme Y. indiquent que ces dispositions ne leur sont pas applicables dès lors qu'ils ont émis une réserve générale figurant sur la lettre de voiture et qu'ils ont adressé au déménageur une lettre du 12 novembre 2017 détaillant les dommages subis par leurs meubles.

Au soutien de leurs prétentions au fond, M. X. et Mme Y. font valoir que la société N. Déménagement a commis une faute en ne livrant pas les biens confiés et en les endommageant, rappelant qu'en tant que professionnel est tenue, d'une obligation de résultat. Ils soulignent que la société N. Déménagement, qui a méconnu son obligation de procéder à l'inventaire des meubles prévue à l'article 2 des conditions générales ne saurait valablement soutenir que les biens ont été détériorés avant leur mise en garde.

S'agissant du montant de l'indemnisation en réparation du préjudice matériel subi, M. X. et Mme Y. estiment inopposable la clause limitative invoquée opposée par l'entreprise N. Déménagement, indiquant qu'ils n'ont pas signé les conditions générales sur lesquelles cette clause figure. Ils font également valoir le caractère abusif d'une telle clause au sens de l'article L 212-1 du code de la consommation.

S'agissant de la demande en indemnisation au titre des dommages pour préjudice moral, M. X. et Mme Y. mettent en exergue l'importance affective des biens détériorés ou non livrés. Ils indiquent en outre que les multiples procédures qu'ils ont engagées afin d'obtenir réparation de leur préjudice et l'attitude de la société N. Déménagement n'ayant pas donné cours à la tentative de règlement amiable et s'opposant à leurs demandes justifient l'octroi des dommages et intérêts au titre de résistance abusive et au titre de troubles et tracas divers.

[*]

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 mars 2021.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

Sur la recevabilité de la demande :

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, sauf si des délais spéciaux de prescription sont prévus par la loi.

L'article L.133-6 du code du commerce énonce qu'en matière de contrat de transport, les actions pour avaries, pertes ou retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d'un an, sans préjudice des cas de fraude ou d'infidélité. En vertu de l'article L. 133-9 du même code, cette disposition est applicable aux entreprises de transport de déménagement dès lors que la prestation objet du contrat de déménagement comprend pour partie une prestation de transport. Le délai de cette prescription est compté, dans le cas de perte totale, du jour où la remise de la marchandise aurait dû être effectuée, et, dans tous les autres cas, du jour où la marchandise aura été remise ou offerte au destinataire.

Selon l'article 2241 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Ces délais de prescription et de forclusion sont également interrompus en cas de dépôt de plainte pénale, dès lors que celle-ci est assortie d'une constitution de partie civile et d'une demande en réparation du préjudice.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que M. X. et Mme Y. ont conclu avec la société N. Déménagement trois contrats distincts décrits ci-avant, ayant donné lieu à trois écrits distincts et comportant des conditions générales et particulières spécifiques :

Par conséquent, il y a lieu de faire une application distributive des règles de prescription, l'action personnelle en indemnisation des préjudices subis par M. X. et Mme Y. étant soumise à des délais de prescription distincts en fonction du cadre contractuel spécifique au titre duquel ces derniers fondent leur demande :

- un délai d'un an, en cas d'action en indemnisation pour des dommages survenus au cours du contrat de déménagement.

- un délai de droit commun de cinq ans, en cas d'action en indemnisation pour des dommages survenus au cours du contrat de garde-meubles.

 

1) S'agissant de la demande en indemnisation des préjudices fondée sur le contrat de déménagement conclu selon devis n° 9266 accepté le 4 août 2017, celle-ci doit être considérée prescrite, dès lors que M. X. et Mme Y. ont saisi le tribunal d'instance de Caen le 27 décembre 2018, ultérieurement à l'expiration du délai de prescription d'un an prévu aux articles L.133-6 et L.133-9 du code de commerce, qui a commencé à courir le 8 novembre 2017, le jour de la livraison des biens aux destinataires.

En effet, c'est à tort que M. X. et Mme Y. considèrent que le libellé de l'article 15 des clauses générales du contrat de déménagement aux termes duquel « les actions en justice pour avaries, pertes ou retard auxquelles peut donner lieu le contrat de déménagement doivent être intentées dans l'année qui suit la livraison du mobilier » leur permet d'agir jusqu'au 31 décembre 2018, la société N. ayant accepté de se soumettre à une prescription liée à l'année civile. Cette interprétation ne résulte ni des termes de la clause qui ne parle nullement d'une année civile ni d'autres éléments du contrat permettant de déduire une intention des parties de déroger aux dispositions légales.

Par ailleurs, c'est à également à tort qu'ils font valoir l'interruption du délai de prescription par la plainte déposée le 18 mai 2018. En effet, seule une plainte assortie d'une constitution de partie civile et d'une demande en réparation du préjudice peut avoir un effet interruptif ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

Enfin, c'est en vain qu'ils soutiennent que suite à l'intervention des assureurs respectifs des parties, un nouveau délai de prescription de deux ans a commencé à courir. En effet, le délai de prescription de deux ans en application de l'article L. 114-1 du code des assurances qui ne concerne que les actions dérivant directement d'un contrat d'assurance et non celles fondées sur un contrat de déménagement, n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce.

S'agissant de la fin de non-recevoir tirée du délai de forclusion prévu aux articles 133-3 du code de commerce et L. 224-63 du code de la consommation, il n'y a pas lieu d'examiner le moyen invoqué par la société appelante, dès lors que le délai de forclusion est une exigence conditionnant l'action en réparation des dommages survenus au cours du contrat de déménagement, action qui, en toute hypothèse, doit être considérée irrecevable comme introduite après l'expiration du délai légal de prescription d'un an.

 

2) S'agissant de la demande en indemnisation des préjudices fondée sur le contrat de garde-meubles, sur lequel M. X. et Mme Y. indiquent dans leurs écritures fonder également leur action en réparation, celle-ci est soumise au délai de prescription de cinq ans qui court à compter du jour où ils ont pu se rendre compte du mauvais état des biens qu'ils avaient confiés à la société N., soit faute d'un inventaire de sortie, lors de la livraison des biens le 8 novembre 2017. Il en résulte que leur action, introduite le 27 décembre 2018, avant l'expiration du délai de prescription quinquennal de droit commun, doit être considérée recevable.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit recevable l'action fondé sur le contrat de garde-meubles mais infirmé en ce qu'il a dit recevable l'action fondée sur le contrat de déménagement ;

 

Sur le bien-fondé de la demande :

- Sur la responsabilité contractuelle de la société N. déménagement en application du contrat de garde meubles :

Conformément aux dispositions de l'article 1231-1 du code civil, en cas d'action en réparation du préjudice résultant de l'inexécution d'un contrat, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Aux termes de l'article 1915 du code civil, le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d'autrui, à charge de la garder et de la restituer en nature.

Il appartient au dépositaire, en cas de défaut de restitution ou de détérioration de la chose déposée, de prouver qu'il y est étranger, en établissant soit l'existence d'un cas de force majeure, soit l'absence de faute, en démontrant qu'il a donné à cette chose les mêmes soins que ceux qu'il aurait apportés à la garde de celles qui lui appartiennent, sauf à prouver que cette détérioration existait avant la mise en dépôt.

Il ressort du contrat de garde-meubles n°619 du 24 août 2017 versé aux débats, que M. X. et Mme Y. ont confié à la société N. Déménagement, moyennant rémunération, l'entreposage et la garde de leur mobilier, représentant un volume de 32 mètres cubes, placés en quatre conteneurs individuels plombés identifiés par les numéros figurant au contrat et gardés dans les locaux de la société N. de [ville B.].

Le contrat contient des obligations générales et particulières qui s'appliquent en l'espèce, M. X. et Mme Y. ne pouvant sérieusement soutenir qu'elles leur seraient inopposables alors même qu'ils en revendiquent l'application pour certaines d'entre elles (page 10 de leurs écritures) et que ces conditions figurent au verso du contrat signé qui contient la clause suivante « la garde du mobilier s'effectuera aux conditions générales de vente du contrat de garde-meubles approuvées par le client, ainsi qu'aux conditions énoncés ci-dessus », si bien qu'ils en avaient nécessairement connaissance ;

L'article 2 de ces conditions générales prévoit l'établissement d'un inventaire à l'entrée en garde-meubles, indiquant que celui-ci est facultatif lorsque la mise en conteneur plombé des biens s'effectue en présence du client ou de son mandataire, mais qu'il est obligatoire en cas d'absence de ces derniers et de mise en conteneur plombé par l'entreprise qui a réalisé-elle même le conditionnement du mobilier, cet inventaire étant alors adressé au client par courrier avec accusé de réception.

L'article 16 précise que le client doit être présent ou dûment représenté à la sortie de son mobilier du garde-meubles. Après vérification des contenants ou des conteneurs, suivant le cas, le client doit contradictoirement consigner par écrit les dommages constatés et donner décharge, l'absence de formulation de réserves écrites précises et détaillées, emporte présomption que les biens confiés sont sortis du garde-meubles au complet et en bon état. En cas de garde en conteneurs individuels plombés, et en l'absence d'inventaire établi, la présence du client ou de son mandataire pour le déplombage est impérative.

En l'espèce, la société N. Déménagement ne produit pas l'inventaire des biens remis à l'entrée et à la sortie dans les conditions rappelées ci-avant, elle n'indique même pas y avoir procédé.

Faute d'inventaire à la sortie des biens gardés, M. X. et Mme Y. peuvent par tous moyens, s'agissant d'un fait juridique, établir le mauvais état des biens lorsque ceux-ci leur ont été restitués, soit en l'espèce lors de la livraison des biens et lorsqu'ils ont été déballés. Ils produisent plusieurs pièces faisant état des détériorations des meubles confiés à la société N. Déménagement ;

- une lettre de voiture n° 3693 du 8 novembre 2017, les mentions qui y figurent font état des réserves précises s'agissant de deux matelas et d'un sur matelas (« Deux matelas lit électrique ont pris l'eau auréolés sur une grande surface, photos prises en présence de déménageurs, sur matelas à mémoire de forme neuf déchiré ») et d'une réserve générale concernant la vaisselle et les cartons.

- une lettre du 12 novembre 2017 détaillant les dégradations constatées au moment du déballage des meubles : détérioration de l'intégralité de la vaisselle, le service de cuisine étant ébréché et inutilisable, des meubles non montées, détérioration des angles du meuble télé, ses portes en verre étant cassées.

- une attestation de Mme Z. du 5 juillet 2018, leur voisine qui indique avoir fait la connaissance de M. X. et de Mme Y. le jour de leur emménagement et avoir pu constaté les dégâts causés, notamment que la plupart de la vaisselle était cassée ;

- le rapport d'expertise établi le 19 mars 2018 par la société Saratec, à la suite d'une réunion à laquelle ni la société N. Déménagement, ni son assureur, dûment convoqués n'ont été présents ou représentés. Ce rapport fait état de plusieurs biens non livrés, consistant dans deux rallonges de table de séjour, plusieurs outillages, ainsi que divers documents personnels, et énumère l'intégralité des détériorations constatées sur les meubles de M. X. et Mme Y. : matelas tâchées et sur matelas à mémoire de forme déchiré, plusieurs rayures, traces et détériorations concernant deux armoires, un meuble TV, un living séjour, une table de salle à manger, une table basse, un canapé à deux places et des fauteuils, un réfrigérateur-congélateur marque Samsung et la vaisselle.

La société N. Déménagement ne peut soutenir que l'absence d'inventaire ferait présumer une prise en charge des meubles en bon état. En effet, seuls les inventaires établis selon les dispositions contractuelles permettent d'appliquer la présomption que les biens confiés sont sortis du garde-meubles au complet et en bon état ;

Par ailleurs, l'ensemble des éléments produits par M. X. et Mme Y. ne sont pas utilement contredits par elle, le fait que l'attestation de leur voisine ne soit pas conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile par l'absence des mentions relative à une fausse attestation, ne peut suffire à l'écarter. Les mentions de cette attestation sont en effet confortées par les autres pièces produites et détaillées ci-avant.

Il lui appartient d'établir son absence de faute dans la garde des objets qui lui ont été confiés, ce qu'elle ne fait pas, ou que les biens étaient détériorés avant leur mise en dépôt ce qu'elle ne fait pas non plus, d'autant qu'elle n'a établi aucun inventaire ;

Elle ne peut pas davantage soutenir que les biens endommagés se limitent à ceux mentionnés sur la lettre de voiture (réserves faites par les intimés), en se référant aux clauses du contrat de déménagement qui n'est plus applicable.

Dès lors, faute pour la société N. Déménagement, en tant que dépositaire, de rapporter la preuve d'un événement de force majeure, de l'antériorité du dommage ou de son absence de faute, il y a lieu de retenir sa responsabilité contractuelle pour inexécution des obligations lui incombant en vertu du contrat de garde-meubles.

 

- Sur l'évaluation du préjudice :

Il est constant que lorsque sa responsabilité est engagée, le dépositaire doit indemniser le déposant d'après la valeur que la chose devrait avoir au jour de l'indemnisation, et non pas d'après celle qu'elle avait au jour du dépôt.

Toutefois, l'article 17 des conditions générales du contrat de garde-meubles prévoit que l'indemnisation pour pertes et avaries intervient dans la limite du préjudice matériel prouvé et des conditions particulières négociées entre l'entreprise et le client quant à la valeur du mobilier.

Il ressort des conditions particulières du contrat de garde-meubles que les parties ont prévu un régime de réparation limité, en fixant un plafond forfaitaire d'indemnisation en cas de dommages donnant lieu à réparation à hauteur de 8.000 euros pour l'intégralité des meubles confiés et à un montant de 305 euros par objet ou élément non listé sur la déclaration de valeur. Dans la mesure où les intimés avaient la possibilité d'opter pour une valorisation de leurs biens en déclarant leur valeur réelle, cette clause ne peut être considérée abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation.

En l'espèce, le rapport d'expertise établi par la société Saratec chiffre les différentes dégradations subies par les meubles de M. X. et Mme Y., en appliquant correctement un coefficient de vétusté tenant compte de l'état réel des meubles endommagés, puisque chaque meuble évalué l'est selon une valeur en deçà de 305 €. Il conclut à l'existence d'un préjudice matériel total à hauteur de 2.345 euros, se décomposant comme suit : 780 euros pour les détériorations ayant fait l'objet des réserves sur la lettre de voiture, 1.165 euros au titre des dommages constatés postérieurement à la livraison, et 400 euros représentant le préjudice estimé pour les biens non livrés.

Si les intimés font valoir dans leur appel incident des sommes supérieures à ces montants, indiquant que leur préjudice matériel total s'élève à la somme de 3.987 euros et leur préjudice moral à la somme de 1.000 euros, ils ne versent pour autant aux débats aucune pièce justificative au soutien de leurs prétentions, le simple devis non signé du 30 juillet 2018 de l'Eurl Menuiserie A. produit aux débats n'étant pas suffisament probant.

Dès lors, il y a lieu de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé la somme et le montant des dommages et intérêts au titre du préjudice matériel à la somme de 2.345 euros ;

Concernant le préjudice moral, celui-ci a été correctement évalué à 800 € compte tenu notamment des soucis et tracas liés aux démarches entreprises notamment pour parvenir à un règlement amiable et de la perte d'objet à caractère personnel. L'attestation de Mme Z. évoque sur ce dernier point la tristesse de Mme Y. car la vaisselle cassée appartenait à ses parents. La décision sera également confirmée sur ce point ;

S'agissant des dommages et intérêts au titre de troubles et tracas divers subis, M. X. et Mme Y. font état « d'importants désagréments » et mentionnent la nécessité d'engager des procédures judiciaires ultérieurement à leur tentative de règlement amiable restée infructueuse. Toutefois, ces désagréments ont déjà été pris en compte pour l'appréciation de leur préjudice moral et ils seront, par confirmation du jugement, déboutés de leur demande.

 

Sur les autres demandes :

Le droit d'exercer une action en justice ne dégénère en abus que s'il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l'appréciation de ses droits

M. X. et Mme Y. ne rapportent pas la preuve qui leur incombe d'un comportement abusif de la société N. Déménagement, étant rappelé que l'abus de droit ne peut se déduire du seul échec de son action;

Le jugement sera confirmé en ce qu'il les a déboutés de leur demande ;

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront confirmées ;

En cause d'appel, la société N. Déménagement qui perd le procès sera condamnée aux dépens d'appel et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. En équité, elle réglera, sur ce même fondement, une somme de 2.000 € à M. X. et à Mme Y. ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire

Confirme le jugement rendu par le tribunal d'instance de Caen le 9 juillet 2019 sauf en ce qu'il a dit recevable la demande fondée sur le contrat de déménagement

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant,

Dit prescrite l'action de M. X. et de Mme Y. fondée sur le contrat de déménagement

Condamne la société N. Déménagement à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société N. Déménagement aux dépens d'appel.

LE GREFFIER                                LE PRESIDENT

N. LE GALL                                     L. DELAHAYE