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CA LYON (8e ch.), 22 septembre 2021

Nature : Décision
Titre : CA LYON (8e ch.), 22 septembre 2021
Pays : France
Juridiction : Lyon (CA), 8e ch.
Demande : 20/06155
Date : 22/09/2021
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 5/11/2020
Référence bibliographique : 6147 (clause imposant un mode alternatif des litiges), 6265 (gestion de patrimoine), 6004 (indice, rédaction imprécise)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9186

CA LYON (8e ch.), 22 septembre 2021 : RG n° 20/06155

Publication : Jurica

 

Extrait : « Les lettres de mission du 15 mars 2015 (Selarl du docteur X.) et 10 novembre 2016 (Y.) contiennent, dans un chapitre intitulé « Litige » une clause ainsi libellée : Pour toute réclamation, le client peut contacter la société Couleur Patrimoine [...] ou au [...] ou par mail ([...]) ou par voie postale ([...]). La société Couleur Patrimoine s'engage à accuser réception de votre réclamation sous dix jours et à vous apporter une réponse au plus tard dans un délai de 2 mois à compter de la réception de votre réclamation. Si toutefois, des diligences complémentaires doivent être mises en œuvre et que ce délai n'est pas respecté, Couleur Patrimoine s'engage à en tenir informé le client. En cas de litige, les parties s'engagent à rechercher en premier lieu un arrangement amiable, puis à informer la commission d'arbitrage de l'association CIF ANACOFl ainsi que les autorités de tutelle : l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ([...]) et le Médiateur de l'Autorité des Marchés Financiers ([...]). En cas d'échec le litige sera porté devant les tribunaux compétents.

Etant précisé qu'il existe une clause similaire - non évoquée dans l'ordonnance attaquée - dans le contrat passé entre Mme X. et la société Couleur Patrimoine le 23 décembre 2014, (« document de mise en relation »), libellée comme suit : En cas de litige, les parties s'engagent à rechercher dans un premier temps un arrangement amiable et dans un second temps d'informer : - L'association professionnelle CIF ANACOFI - L'autorité de contrôle prudentiel, [...]). En cas d'échec le litige pourra être porté devant les tribunaux compétents. […]

Le juge a considéré que la clause contenue dans les lettres de mission des 15 mars 2015 et 10 novembre 2016 est suffisamment précise sur les modalités de procédure obligatoire convenue entre les parties en ce qu'elle prévoit dans un premier temps, la recherche d'un arrangement amiable, puis l'information dans un second temps de la commission d'arbitrage de l'association CIF ANACOFI ainsi que les autorités de tutelle, dont les adresses sont expressément précisées.

Il en a déduit que ce n'est qu'en cas d'échec de cette procédure spécifique que les parties étaient autorisées à porter le litige devant les tribunaux compétents. Les courriers des 17 mai et 25 juillet 2019 du conseil des demandeurs avisaient la société Couleur Patrimoine d'une demande de règlement amiable du litige mais il n'a pas été allégué d'une saisine de la commission d'arbitrage de l'ANACOFI, de sorte que la demande est irrecevable.

Il est constant que les clauses précitées ne sont pas illicites au regard des dispositions des articles L. 132-1 devenu L. 212-2 et R. 132-2-10° devenu R. 212-2.10° du code de la consommation, en ce qu'elles ne suppriment pas ni n'entravent l'exercice d'actions en justice, le consommateur n'étant pas contraint de passer exclusivement par un mode alternatif de règlement du litige.

En revanche, ces clauses ne sont pas suffisamment précises, en ce qu'elles indiquent seulement quelles autorités doivent être informées, sans plus de précision sur les mesures qui pourraient être mises en œuvre : simple avis ou décision de l'autorité, avec ou sans caractère contraignant.

Surtout, ces clauses subordonnent à la saisine préalable des autorités de tutelle et à l'échec de cette saisine la possibilité de porter le litige devant les tribunaux compétents, ce qui se comprend comme la possibilité de faire trancher le litige par le juge. Elles sont, dès lors, sans application à la demande d'une mesure d'instruction judiciaire qui, aux termes de l'article 145 du code de procédure civil, a seulement pour objet de réunir des éléments de preuve, sans engager d'action pour faire statuer sur le litige. La jurisprudence reconnaît en effet un régime autonome aux mesures d'instruction in futurum, sollicitées par voie de référé ou de requête avant toute procédure au fond. Les clauses contractuelles qui visent à reporter ou restreindre l'accès au juge du fond, par une procédure de conciliation obligatoire, par une procédure d'arbitrage ou encore par attribution de compétence territoriale, sont inopposables aux parties qui sollicitent une simple mesure d'instruction judiciaire sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. En conséquence, la fin de non-recevoir soulevée par la société Couleur Patrimoine doit être rejetée et l'ordonnance attaquée réformée en ce sens. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE LYON

HUITIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 20/06155. N° Portalis DBVX-V-B7E-NHE3. Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON, Référé du 26 octobre 2020 : R.G. 20/00641.

 

APPELANTS :

1°/ La SELARL X.

Société d'Exercice Libéral à Responsabilité Limitée, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro XXX, dont le siège social est sis [adresse], prise en la personne de sa gérante en exercice domiciliée en cette qualité audit siège.

2°/ Madame X.

née le [date] à [ville], chirurgien-dentiste orthodontiste, de nationalité française, domiciliée [adresse].

3°/ Madame Z. épouse Y.

née le [date] à [ville], orthodontiste, de nationalité française, domiciliée [adresse].

4°/ Monsieur Y.

né le [date] à [ville], chirurgien-dentiste, de nationalité française, domicilié [adresse].

Représentés par Maître Romain L. de la SELARL L. & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, Ayant pour avocat plaidant Maître Aurélie N., avocat au barreau de LYON

 

INTIMÉES :

1°/ La société COULEUR PATRIMOINE, SAS

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [adresse], Représentée par Maître Gaël S. de la SCP B. ET S., avocat au barreau de LYON, toque : 1547, Ayant pour avocat plaidant Maître Arnaud P., avocat au barreau de PARIS

2°/ La société ZURICH INSURANCE PUBLIC LIMITED COMPANY, succursale pour la France de la société de droit irlandais ZURICH INSURANCE PLC

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le n° YYY, dont le siège est sis [...], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Roger T. de la SAS T. ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1813, Ayant pour avocat plaidant Maître Matthieu P., avocat au barreau de PARIS

 

Date de clôture de l'instruction : 26 mai 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 26 mai 2021

Date de mise à disposition : 22 septembre 2021

Audience tenue par Karen STELLA, président, et Véronique MASSON-BESSOU, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré, assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier. A l'audience, Karen STELLA a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré : - Christine SAUNIER-RUELLAN, président, - Karen STELLA, conseiller, - Véronique MASSON-BESSOU, conseiller

Arrêt : Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, Signé par Karen STELLA, conseiller, en application de l'article 456 du code de procédure civile, le président étant empêché, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Le docteur X. (Mme X.) et les époux Y. et Z. (les époux Y.), exerçant les professions de chirurgien-dentiste et/ou orthodontiste, ont pris attache avec la SAS Couleur Patrimoine, cabinet de conseils en stratégie et gestion patrimoniale, pour procéder à des placements financiers par son intermédiaire.

Le 26 février 2015, Mme X. a souscrit 50 actions de 1.000 euros chacune au capital social du fonds d'investissement privé de droit britannique Viagefi 5 Ltd, soit un total de 50.000 euros.

Le 8 décembre 2016, la Selarl Docteur X. a souscrit 50 actions de 1.000 euros chacune au capital social du fonds d'investissement privé de droit britannique Viagefi 6 Ltd, soit un total de 50.000 euros.

Le 6 décembre 2016, Mme Y. a souscrit 17 actions de 1.000 euros chacune du capital social du fonds d'investissement privé de droit britannique Viagefi 1 Ltd, soit un total de 17.000 euros.

Le 8 décembre 2016, M. Y. a souscrit 8 actions de 1.000 euros chacune au capital social du fonds d'investissement privé de droit britannique Viagefi 1 Ltd, soit un total de 8.000 euros.

Ces fonds d'investissement ont constitué des patrimoines de biens immobiliers acquis en viagers occupés, au comptant ou en vente à terme, avec l'objectif de les revendre à des tiers après leur libération.

Le 23 janvier 2017, l'Autorité des Marchés Financiers a publié un communiqué de presse relatif au produit Viagefi 6 Ltd en indiquant que ce fonds d'investissement alternatif, bien qu'enregistré auprès de l'autorité britannique Financial Conduct Authority, ne remplit pas les conditions pour pouvoir bénéficier du passeport européen et n'est pas autorisé à la commercialisation en France auprès d'investisseur, professionnel ou non.

Informés de l'existence d'une information pénale visant le précédent dirigeant des sociétés Viagefi Ltd des chefs de divers délits à caractère financier, Mme X. et les époux Y. ont, par courriers respectifs de leur conseil des 17 mai et 25 juillet 2019, dénoncé à la SAS Couleur Patrimoine des manquements à ses obligations, à savoir notamment la commercialisation irrégulière des produits financiers Viagefi, la diffusion d'informations inexactes ou trompeuses sur les investissements conseillés, la dissimulation du conflit d'intérêts existant et l'inadaptation des produits conseillés au profil des clients non professionnels.

N'ayant pas obtenu de réponse de la SAS Couleur Patrimoine, Mme X., la Selarl Docteur X. et les époux Y. ont fait assigner celle-ci et son assureur Zürich Insurance PLC par actes d'huissier de justice des 22 et 23 avril 2020, devant le juge de référés du tribunal judiciaire de Lyon, aux fins de voir ordonner une expertise confiée à un expert spécialisé en marchés financiers et produits dérivés.

Ils réclamaient également qu'il soit ordonné à la SAS Couleur Patrimoine de produire son attestation d'assurance responsabilité civile professionnelle pour les années 2016 et 2017, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

Par ordonnance en date du 26 octobre 2020, le juge de référés du tribunal judiciaire de Lyon a :

- déclaré irrecevable la demande de la Selarl Docteur X., Mme X., Mme Z. ép. Y. et M. Y. pour non-respect de la procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge ;

- condamné in solidum la Selarl Docteur X., Mme X., Mme Z. ép. Y. et M. Y. à verser à la société Couleur Patrimoine ainsi qu'à la société Zürich Insurance Public Ltd Company, à chacune, la somme de 800 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum la Selarl Docteur X., Mme X., Mme Z. ép. Y. et M. Y. aux dépens de l'instance.

La Selarl Docteur X., Mme X., Mme Z. ép. Y. et M. Y. ont relevé appel de cette décision par déclaration électronique reçue au greffe de la Cour le 5 novembre 2020.

Par ordonnance du 19 novembre 2020, le président de la chambre, faisant application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile, a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 26 mai 2021 à 9 h. 00.

[*]

En leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2021, la Selarl Docteur X., Mme X., Mme Z. ép. Y. et M. Y. demandent à la Cour ce qui suit, au visa des articles 145, 122 et 263 et suivants du code de procédure civile et L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution :

- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel ;

- débouter les sociétés Couleur Patrimoine et Zürich Insurance PLC de l'intégralité de leurs demandes, fins et moyens ;

- réformer l'ordonnance de référé du 26 octobre 2020 rendue par le Président du tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'elle a :

* déclaré irrecevable la demande de la Selarl Docteur X., Mme X., Mme Z. ép. Y. et M. Y. pour non-respect de la procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge,

* condamné in solidum la Selarl Docteur X., Mme X., Mme Z. ép. Y. et M. Y. à verser à la société Couleur Patrimoine ainsi qu'à la société Zürich Insurance Public Ltd Company, à chacune, la somme de 800 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné in solidum la Selarl Docteur X., Mme X., Mme Z. ép. Y. et M. Y. aux dépens de l'instance.

En conséquence,

- ordonner une mesure d'expertise confiée à tel expert spécialisé en marché financiers et produits dérivés qu'il lui plaira de nommer avec la mission suivante :

1. recueillir et consigner les explications des parties, prendre connaissance des documents de la cause, se faire remettre par les parties ou par des tiers tous autres documents utiles, entendre tout sachant, s'entourer de tous renseignements, faire appel à un technicien d'une autre spécialité ou se faire assister pour l'accomplissement de sa mission par toute personne de son choix sous son contrôle et sa responsabilité, communiquer aux parties et au juge chargé du suivi de l'expertise une note de synthèse après chaque réunion d'expertise ;

2. vérifier l'existence des manquements allégués par les requérants dans leur assignation et les pièces jointes à son soutien ;

3. le cas échéant, décrire les manquements, fautes, inexactitudes, manœuvres et/ou dissimulations avec précision, en déterminer l'origine et les causes et donner tous éléments de fait ou d'ordre technique permettant d'apprécier les responsabilités encourues,

4. dire si ces manquements, fautes, inexactitudes, manœuvres et/ou dissimulations sont imputables à un défaut d'information et/ou de conseil du conseiller en investissements financiers, ou toute autre cause,

5. donner tous éléments permettant d'apprécier le préjudice financier subi par les requérants et en proposer une évaluation chiffrée,

6. s'expliquer techniquement dans le cadre des chefs de mission ci-dessus énoncés sur les dires et observations des parties qu'il aura recueillis après le dépôt de son pré-rapport lequel devra répondre à tous les différents points de sa mission et le cas échéant compléter ses investigations,

7. répondre aux dires des parties de manière complète, circonstanciée et « si nécessaire » documentée en rappelant de façon précise les normes ou documents contractuels non respectés et, en cas de désaccord sur leur existence ou leur contenu, en annexant à son rapport les extraits concernés de ces normes ou documents,

- ordonner la production par la société SAS Couleur Patrimoine de son attestation d'assurance responsabilité civile professionnelle pour les années 2016 et 2017, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

- condamner in solidum la société SAS Couleur Patrimoine et la société Zürich Insurance P.L.C à payer à chacun des requérants la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la société SAS Couleur Patrimoine et la société Zürich Insurance P.L.C aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers « sic » distraits au profit de la Selarl L. et associés, Lexavoué Lyon, avocats, par application de l'article 699 du code de procédure civile.

[*]

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 mai 2021, la SAS Couleur Patrimoine demande à la Cour de statuer comme suit :

À titre principal,

Vu l'article 122 du code de procédure civile,

Vu la clause de règlement amiable contenue dans les lettres de mission et documents d'entrée en relation,

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action de Mme X., de la Selarl Docteur X. et des époux Y. et les a condamnés au paiement de 800 euros à Couleur Patrimoine, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouter en conséquence Mme X., de la Selarl Docteur X. et des époux Y. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

À titre subsidiaire,

Vu les articles 143, 145 et 238 du code de procédure civile,

- juger mal fondée l'action des appelants aux fins de désignation d'un expert ;

- débouter en conséquence Mme X., de la Selarl Docteur X. et des époux Y. de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

En tout état de cause,

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Mme X., de la Selarl Docteur X. et des époux Y. in solidum à payer à Couleur Patrimoine la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

[*]

Par dernières conclusions du 19 mai 2021, la société Zürich Insurance Public Ltd Company demande à la Cour ce qui suit, en visant les articles 145 et 238 du code de procédure civile :

À titre principal,

- confirmer l'ordonnance de référé du 26 octobre 2020 rendue par le président du tribunal judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions,

- déclarer irrecevables les demandes présentées par la Selarl Docteur X., Mme X., les époux Y.

Le cas échéant, par substitution de motifs,

- constater l'absence de tout motif légitime président à l'instauration d'une mesure d'expertise sollicitée ;

- constater que les termes de la mesure sollicitée sont contraires aux dispositions de l'article 238 du code de procédure civile ;

- constater que la mesure sollicitée s'apparente à une mesure d'investigation générale.

En conséquence,

- débouter les appelants de leur demande tendant à l'instauration d'une mesure d'instruction au visa de l'article 145 du code de procédure civile.

Y ajoutant :

- condamner in solidum la Selarl Docteur X., Mme X., les époux Y. à payer à la société Zürich la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles en appel ainsi qu'aux entiers dépens, dont « sic » distraction au profit de la SCP T. et associés.

À titre très subsidiaire,

- donner acte à la société Zürich de ce qu'elle formule les plus expresses protestations et réserves quant à l'application de sa garantie et quant à l'action en référé des demandeurs,

- limiter la mission qui sera le cas échéant confiée à tel expert à la seule appréciation des éléments techniques (fonctionnement du produit) et écarter en conséquence les chefs de mission relatifs à l'établissement des fautes imputables à la société Couleur Patrimoine et à l'établissement des préjudices,

- débouter la Selarl Docteur X., Mme X., les époux Y. de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant « sic » distraits au profit de la SAS T. & associés, sur son affirmation de droit.

[*]

Pour l'exposé des moyens développés par les parties, il sera fait référence conformément à l'article 455 du code de procédure civile à leurs écritures déposées et débattues à l'audience du 26 mai 2021.

Les conseils des parties présents ont pu faire leurs observations et/ou déposé ou envoyé leurs dossiers respectifs.

L'affaire a été mise en délibéré au 22 septembre 2021.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

A titre liminaire, les demandes des parties tendant à voir la Cour « constater » ou « dire et juger » ne constituant pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur celles-ci.

 

Sur la fin de non-recevoir :

Les lettres de mission du 15 mars 2015 (Selarl du docteur X.) et 10 novembre 2016 (Y.) contiennent, dans un chapitre intitulé « Litige » une clause ainsi libellée :

Pour toute réclamation, le client peut contacter la société Couleur Patrimoine [...] ou au [...] ou par mail ([...]) ou par voie postale ([...]). La société Couleur Patrimoine s'engage à accuser réception de votre réclamation sous dix jours et à vous apporter une réponse au plus tard dans un délai de 2 mois à compter de la réception de votre réclamation.

Si toutefois, des diligences complémentaires doivent être mises en œuvre et que ce délai n'est pas respecté, Couleur Patrimoine s'engage à en tenir informé le client.

En cas de litige, les parties s'engagent à rechercher en premier lieu un arrangement amiable, puis à informer la commission d'arbitrage de l'association CIF ANACOFl ainsi que les autorités de tutelle : l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ([...]) et le Médiateur de l'Autorité des Marchés Financiers ([...]). En cas d'échec le litige sera porté devant les tribunaux compétents.

Etant précisé qu'il existe une clause similaire - non évoquée dans l'ordonnance attaquée - dans le contrat passé entre Mme X. et la société Couleur Patrimoine le 23 décembre 2014, (« document de mise en relation »), libellée comme suit :

En cas de litige, les parties s'engagent à rechercher dans un premier temps un arrangement amiable et dans un second temps d'informer :

- L'association professionnelle CIF ANACOFI

- L'autorité de contrôle prudentiel, [...]).

En cas d'échec le litige pourra être porté devant les tribunaux compétents.

La société Couleur Patrimoine, rejointe sur ce point en appel par la société Zürich Insurance, oppose une fin de non-recevoir à la saisine du juge de référés par ses contractants au motif qu'ils ont engagé cette procédure sans avoir saisi ces autorités de tutelle.

Les appelants soutiennent que la clause n'est pas assez précise à défaut de conditions particulières de mise en œuvre, qu'elle est abusive et qu'elle n'est pas opposable à la demande de mesure d'instruction formée devant le juge de référés sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

La société Couleur Patrimoine répond que la clause litigieuse est précise et sans caractère abusif, et qu'il n'existe pas de règle générale d'inopposabilité, la jurisprudence se déterminant au cas par cas, selon l'interprétation de chaque clause quant à la possibilité de demander une mesure d'instruction.

Le juge a considéré que la clause contenue dans les lettres de mission des 15 mars 2015 et 10 novembre 2016 est suffisamment précise sur les modalités de procédure obligatoire convenue entre les parties en ce qu'elle prévoit dans un premier temps, la recherche d'un arrangement amiable, puis l'information dans un second temps de la commission d'arbitrage de l'association CIF ANACOFI ainsi que les autorités de tutelle, dont les adresses sont expressément précisées.

Il en a déduit que ce n'est qu'en cas d'échec de cette procédure spécifique que les parties étaient autorisées à porter le litige devant les tribunaux compétents. Les courriers des 17 mai et 25 juillet 2019 du conseil des demandeurs avisaient la société Couleur Patrimoine d'une demande de règlement amiable du litige mais il n'a pas été allégué d'une saisine de la commission d'arbitrage de l'ANACOFI, de sorte que la demande est irrecevable.

Il est constant que les clauses précitées ne sont pas illicites au regard des dispositions des articles L. 132-1 devenu L. 212-2 et R. 132-2-10° devenu R. 212-2.10° du code de la consommation, en ce qu'elles ne suppriment pas ni n'entravent l'exercice d'actions en justice, le consommateur n'étant pas contraint de passer exclusivement par un mode alternatif de règlement du litige.

En revanche, ces clauses ne sont pas suffisamment précises, en ce qu'elles indiquent seulement quelles autorités doivent être informées, sans plus de précision sur les mesures qui pourraient être mises en œuvre : simple avis ou décision de l'autorité, avec ou sans caractère contraignant.

Surtout, ces clauses subordonnent à la saisine préalable des autorités de tutelle et à l'échec de cette saisine la possibilité de porter le litige devant les tribunaux compétents, ce qui se comprend comme la possibilité de faire trancher le litige par le juge.

Elles sont, dès lors, sans application à la demande d'une mesure d'instruction judiciaire qui, aux termes de l'article 145 du code de procédure civil, a seulement pour objet de réunir des éléments de preuve, sans engager d'action pour faire statuer sur le litige.

La jurisprudence reconnaît en effet un régime autonome aux mesures d'instruction in futurum, sollicitées par voie de référé ou de requête avant toute procédure au fond. Les clauses contractuelles qui visent à reporter ou restreindre l'accès au juge du fond, par une procédure de conciliation obligatoire, par une procédure d'arbitrage ou encore par attribution de compétence territoriale, sont inopposables aux parties qui sollicitent une simple mesure d'instruction judiciaire sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

En conséquence, la fin de non-recevoir soulevée par la société Couleur Patrimoine doit être rejetée et l'ordonnance attaquée réformée en ce sens.

 

Sur la demande de mesure d'instruction :

Selon l'article 145 du code de procédure civile, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures légalement admissibles, peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ».

En vertu de ces dispositions, il appartient au juge des référés de déterminer si la demande d'expertise est justifiée par un motif légitime étant rappelé que la mesure sollicitée doit présenter un intérêt probatoire et que l'action envisagée ne doit pas être manifestement vouée à l'échec.

Les appelants exposent que, n'étant pas des professionnels avertis, ils ont été trompés par la société Couleur Patrimoine qui leur a fait souscrire des investissements en leur cachant que la commercialisation des supports était interdite en France.

Ils soutiennent aussi que la société Couleur Patrimoine leur a caché que ses associés avaient un intérêt personnel et direct à promouvoir les produits Viagefi, au-delà de la seule rémunération perçue.

Ils lui reprochent également un défaut d'information quant à des faits susceptibles d'impacter négativement leurs investissements sur les supports litigieux, relevant que les entités Viagefi ont enregistré de mauvais résultats bilanciels pour les exercices 2016 et 2017 et qu'il existe des flux financiers intra-groupe (Viagefi / Viaginvest / Vectryss / Viarentis).

La société Couleur Patrimoine, qui conteste tout manquement à ses obligations d'information et de conseil, répond qu'on ne voit pas ce qu'un expert pourrait ajouter à ce qui ressort des pièces et écritures des parties.

Quant à l'accusation de conflit d'intérêts, elle soutient qu'aucun de ses associés n'a jamais été dirigeant des sociétés Viagefi.

Ne pouvant contester le caractère illicite de la commercialisation des produits Viagefi en France, elle prétend s'exonérer de toute responsabilité en faisant valoir que le manquement à une obligation professionnelle n'est pas nécessairement constitutif d'un manquement à une obligation contractuelle et, quand bien même, qu'elle ne pouvait soupçonner une difficulté avant l'alerte de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) du 23 janvier 2017 qui est postérieure à la souscription des investissements litigieux.

Elle ajoute que l'opération d'acquisition des titres de gré à gré par les époux Y. n'est pas soumise à l'interdiction de commercialisation en France.

La compagnie Zürich Insurance soutient que les investigations d'un expert n'apparaissent pas utiles dès lors que le débat, purement juridique et de fond, porte sur l'appréciation du respect des règles professionnelles par la société Couleur Patrimoine. Elle ajoute qu'aucun élément n'est versé par les appelants concernant le préjudice financier allégué.

En l'espèce, la Cour constate que le caractère illicite de la commercialisation en France des supports Viagefi ne fait pas débat au vu de l'alerte donnée par l'AMF. Toutefois, cet élément n'induit pas à lui seul l'existence d'un préjudice pour les souscripteurs de ces produits.

A l'occasion d'accords de composition passés entre l'AMF et d'autres sociétés de conseil financier qui ont commercialisé les titres Viagefi, l'AMF a stigmatisé la commercialisation à des particuliers d'un produit 'à la fois illiquide, risqué et réservé à une clientèle de professionnels'.

A l'examen des pièces versées aux débats, les situations des appelants ne sont pas identiques :

Mme X., agissant à titre personnel, a signé le 26 février 2015 un bon de souscription dans laquelle elle reconnaissait être informée que l'investissement Viagefi est réservé à des « investisseurs qualifiés. »

Le 8 février 2016, pour le compte de la Selarl Docteur Xlotilde C., elle a signé un bon de souscription où elle reconnaît cette fois être informée que l'investissement Viagefi est réservé à des « investisseurs professionnels ».

Les 6 et 8 décembre 2016, les époux Y. ont acquis directement des titres par vente de gré à gré selon la société Couleur Patrimoine.

Il ressort des éléments du dossier que les investissements dans les produits Viagefi sont des investissements à risques, corrollaires de l'espoir d'un retour sur investissement de 8 % l'an, et à longue échéance (15 ans), la spéculation portant sur le différentiel entre l'acquisition de biens immobiliers à fort potentiel en viager occupé et le produit attendu de leur revente après libération.

Les inquiétudes des investisseurs sont compréhensibles au regard d'une note co-signée par les nouveaux dirigeants de Viagefi après l'éviction de M. P., mis en cause pour des agissements délictueux, faisant état :

- d'un « modèle de gestion séduisant mais mal maîtrisé et inopérant » par l'absence de vente des biens dont les crédirentiers sont décédés et l'impossibilité juridique de vendre les biens libérés du vivant des crédirentiers ;

- d'un 'coût exorbitant de la gestion administrative assorti de dépenses inconsidérées', tenant aux facturations de sociétés prestataires Vectryss et Viarentis, et sans doute aussi aux agissements délictueux (abus de biens sociaux notamment) reprochés à l'ancien dirigeant ;

et d'un « assèchement des réserves de liquidités ».

Mais les pièces versées aux débats par les appelants s'achèvent avec l'année 2017 et, en particulier, ne donnent aucune information sur les assemblées générales de Viagefi, annoncées, dans cette note, comme devant être tenues en France (à Paris ou à Lyon) dans le courant de l'année 2018 après une remise en ordre de la gestion des sociétés.

En l'état de ces éléments, à supposer que la société Couleur Patrimoine puisse se voir reprocher des manquements à ses obligations d'information et de conseil, cela ne ressort pas de l'appréciation d'un expert puisque les documents versés aux débats sont suffisants pour qu'un juge du fond apprécie l'étendue de l'information donnée.

Surtout, les appelants procèdent par simple affirmation quant à l'existence d'un préjudice résultant « tant de l'acquisition, interdite en France, que de la conservation de titres financiers réalisée au vu d'informations inexactes, imprécises ou trompeuses sur la situation des sociétés émettrices ».

A la lecture des courriers de leur conseil des 17 mai et 25 juillet 2019 et de leurs conclusions, on cherche d'ailleurs vainement la description d'un préjudice financier subi par les souscripteurs des titres Viagefi. La mission d'expertise est d'ailleurs sollicitée en des termes généraux sans indication précise des investigations attendues.

Qui plus est, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer, ni même de suspecter, que leur retour sur investissement est menacé puisque les profits attendus découleront, à terme, des opérations de revente immobilière. En leurs qualités de porteurs de parts des sociétés Viagefi, les appelants ont la possibilité de se faire communiquer l'état des investissements réalisés et ne démontrent pas qu'ils subiront, de manière certaine, un préjudice par perte de leurs apports ou défaut de paiement des plus-values espérées.

Si les appelants se posent des questions légitimes sur la pertinence de leurs investissements, il doit être rappelé qu'une mesure d'instruction n'a pas pour but de suppléer à l'inertie des parties dans la recherche d'informations.

Au regard de ces éléments, les appelants ne justifient pas de l'intérêt probatoire de la mesure d'expertise et, partant, d'un motif légitime pour voir ordonner cette mesure.

 

Sur la demande de production de l'attestation d'assurance professionnelle :

La compagnie Zürich Insurance ne dénie pas être l'assureur de la société Couleur Patrimoine mais indique dans ses conclusions avoir notifié un refus de garantie à son assurée.

Les appelants ont un intérêt légitime à connaître la couverture d'assurance en responsabilité civile de la société Couleur Patrimoine qui reste taisante sur leur demande. Il convient donc de condamner la société Couleur Patrimoine à communiquer aux appelants son attestation d'assurance responsabilité civile professionnelle valable pour les années 2016 et 2017. La mesure sera ordonnée sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard passé un mois après le jour de la signification du présent arrêt et ce pendant une période de trois mois pour garantir son exécution.

 

Sur les demandes accessoires :

Les dépens sont à la charge des appelants, parties perdantes en principal. La Cour confirme la décision déférée sur les dépens de première instance et y ajoute ceux d'appel, la condamnation ayant lieu in solidum.

La Cour autorise la SCP T. & Associés qui en a fait la demande expresse non pas à « distraire » terme qui n'est plus usité depuis des dizaines d'années mais à recouvrer directement ceux des dépens dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

En équité, la Cour infirme la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et laisse à chaque partie le montant de ses frais irrépétibles tant en première instance qu'en appel eu égard aux circonstances de l'affaire.

La Cour déboute en conséquence toutes les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle déboute également la Selarl Docteur X., Mme X., Mme D. épouse N. et M. Y. de leurs demandes au titre des dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Réforme l'ordonnance rendue le 26 octobre 2020 par le juge de référés du tribunal judiciaire de Lyon ;

Sauf en ce qu'elle a condamné in solidum Mme X., de la Selarl Docteur X. et les époux Y. aux dépens de l'instance.

Statuant à nouveau :

Déclare Mme X., la Selarl Docteur X. et les époux Y. recevables en leur action,

Les déboute de leur demande d'expertise.

Condamne la SAS Couleur Patrimoine à communiquer à Mme X., à la Selarl Docteur X. et aux époux Y. son attestation d'assurance en responsabilité civile professionnelle valable pour les années 2016 et 2017, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un mois après le jour de la signification du présent arrêt et pendant trois mois,

Condamne in solidum Mme X., la Selarl Docteur X. et les époux Y. aux dépens d'appel,

Autorise la SCP T. & Associés à recouvrer directement ceux des dépens dont il a été fait l'avance sans avoir reçu provision dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile et laisse à chaque partie le montant de ses propres frais irrépétibles,

Déboute les appelants de leurs demandes sur les dépens.

LE GREFFIER                    POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ,

Karen STELLA, CONSEILLER