CA PARIS (pôle 4 ch. 8), 1er février 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9401
CA PARIS (pôle 4 ch. 8), 1er février 2022 : RG n° 20/01378
Publication : Jurica
Extrait : « Le contrat d'assurance ayant été conclu avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, il convient d'appliquer les articles du code civil dans leur ancienne version.
Vu l'article 1315 ancien du code civil « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. » Vu l'article R. 132-2 ancien du code de la consommation qui dispose que « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions du premier et du deuxième alinéas de l'article L. 132-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (...) 9° Limiter indûment les moyens de preuve à la disposition du non-professionnel ou du consommateur ».
Au cas particulier, les clauses figurant aux pages 18 et 40 des conditions générales du contrat d'assurance sont ainsi rédigées : « Le vol du véhicule, c'est à dire sa soustraction frauduleuse : - commise par effraction du véhicule et des organes de direction ou du garage dans lequel il est stationné ». « Si votre véhicule est retrouvé après le paiement de l'indemnité sans effraction des organes de direction, la garantie Vol ne serait pas acquise. Vous devriez alors nous rembourser l'indemnité déjà versée et récupérer le véhicule retrouvé ».
En l'espèce, Madame X. a souscrit un contrat d'assurance multirisque auto auprès de la société Maaf Assurances à effet au 11 juin 2012. Ce contrat prévoyait une garantie Vol en cas d'effraction des organes de direction. Cependant, le véhicule a été retrouvé, sans effraction des organes de direction.
Il en résulte que la garantie Vol ne s'applique pas sans effraction, que le vol du véhicule doit être prouvé par l'effraction des organes de direction ou du garage dans lequel il est stationné, et que l'effraction électronique, quant à elle, n'est pas mentionnée.
Ainsi, par sa définition de l'effraction, l'assureur limite à des indices prédéterminés la preuve du sinistre alors qu'en application de l'article 1315, devenu 1353 du code civil, cette preuve est libre. Outre leur caractère restrictif, ces modes de preuve ne correspondent plus à la réalité des moyens de piratages électroniques actuels mis en œuvre pour démarrer la majeure partie des véhicules sans jamais devoir les forcer et qui ne permettent de constater aucune trace d'effraction, y compris par un expert automobile, vidant ainsi la garantie de sa substance.
Il s'agit donc d'une clause abusive en ce qu'elle limite indûment les moyens de preuve à la disposition du non professionnel ou du consommateur. Dans la mesure où l'assureur ne saurait promettre à l'assuré de garantir le vol tout en limitant l'application de la garantie à des hypothèses d'exécution matérielle de l'infraction trop précises, devenues totalement marginales ou dont la preuve est impossible à rapporter, elle créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et doit être réputée non écrite. Le jugement sera confirmé sur ce point. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 4 CHAMBRE 8
ARRÊT DU 1er FÉVRIER 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/01378 (7 pages). N° Portalis 35L7-V-B7E-CBKDZ. Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 novembre 2019 - Tribunal d'Instance de VILLEJUIF - RG n° 11-19-1467.
APPELANTE :
SA MAAF ASSURANCES
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, [...], [...], Immatriculée au RCS de NIORT sous le numéro : XXX, représentée par Maître Alexis B. de la SELARL B. ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque J42
INTIMÉE :
Madame X.
[...], [...], née le [date] à [...], De nationalité française, représentée par Maître Michel B. de la SELEURL B.-AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2266
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 novembre 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre, M. Christian BYK, Conseiller, M. Julien SENEL, Conseiller.
Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET
ARRÊT : Contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Laure POUPET, Greffière présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 16 juillet 2016, le véhicule Renault Megane immatriculé XXX, appartenant à Madame X., assurée auprès de la société Maaf Assurances était déclaré volé par Madame X. alors qu'il était stationné [...]. Le 1er septembre 2016, la société Maaf Assurances versait à Madame X. la somme de 13.901,50 euros au titre de l'indemnisation du vol.
Le 21 septembre 2016, le véhicule précité était retrouvé au [...] (94).
La société Maaf Assurances diligentait une expertise qui concluait à l'absence d'effraction permettant la mise en route frauduleuse du véhicule. La société Maaf Assurances a, face au refus de Madame X. de reprendre son véhicule, revendu ledit véhicule et a demandé à Madame X. de lui restituer la différence, soit la somme de 7.742,50 euros.
Madame X. a indiqué qu'elle refusait de restituer la différence.
Par acte d'huissier de justice du 6 juin 2019, la société Maaf Assurances a fait assigner Madame X. devant le tribunal d'instance de Villejuif aux fins de lui verser la somme de 7.742,50 euros au titre du remboursement du solde de l'indemnité due, et 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 21 novembre 2019, le tribunal a :
- débouté la société Maaf Assurances de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire,
- condamné la société Maaf Assurances à payer à Madame X. la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Maaf Assurances aux entiers dépens.
[*]
Par déclaration électronique du 10 janvier 2020, enregistrée au greffe le 27 janvier 2021, la société Maaf Assurances a interjeté appel de la décision.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 septembre 2021, l'appelant demande à la cour, de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que les clauses figurant aux pages 18 et 40 des conditions générales du contrat d'assurance litigieux sont abusives et réputées non écrites, en ce qu'il a considéré que seule une effraction électronique du véhicule a permis le vol, en ce qu'il a débouté la société Maaf Assurances de ses demandes, en ce qu'il a condamné la société Maaf Assurances à payer à Madame X. la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il a condamné la société Maaf Assurances aux entiers dépens,
Et statuant à nouveau :
- dire et juger que les conditions générales du contrat d'assurance souscrit auprès de la société Maaf Assurances sont opposables à Madame X.,
- dire et juger que Madame X. ne rapporte pas la preuve de traces d'effraction du véhicule et des organes de direction sur le véhicule litigieux,
- dire et juger que les conditions de la garantie Vol du contrat d'assurance souscrit auprès de la société Maaf Assurances ne sont pas réunies,
En conséquence,
-dire et juger que la garantie Vol ne trouve pas à s'appliquer,
En tout état de cause,
- dire et juger que Madame X. a indûment perçu la somme de 13.901,50 euros à titre d'indemnité pour le vol de son véhicule commis le 16 juillet 2019,
- dire et juger que le véhicule litigieux a été vendu par la société Maaf Assurances à la société SMAC pour un montant de 7.596 euros compte tenu du refus de Madame X. de récupérer le véhicule,
- condamner Madame Jie XU à régler à la société Maaf Assurances la somme de 7.742,50 euros se décomposant comme suit :
* 6.305,50 euros au titre l'indemnité indûment perçue pour le sinistre vol du 16 juillet 2019
* 1.437 euros au titre des frais d'expertise, de gardiennage et de remorquage
- débouter Madame X. de toutes ses prétentions, fins et moyens,
- condamner Madame X. à régler à la société Maaf Assurances la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de de procédure civile en cause d'appel,
- condamner Madame X. aux dépens.
[*]
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 24 août 2021, l'intimée demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,
A titre principal de,
- confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement, et notamment en ce qu'il a :
* débouté la sociéte Maaf Assurances de ses demandes,
* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
* condamné la société Maaf Assurances à verser à Madame X. la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la société Maaf Assurances aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement, et statuant à nouveau, de :
- déclarer les conditions générales du contrat d'assurance souscrit auprès de la société Maaf Asurances par Madame X., inopposables à cette dernière,
Et en conséquence,
- débouter la société Maaf Assurances de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre infiniment subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement, et statuant à nouveau, de condamner la société Maaf Assurances à restituer le véhicule de Madame X. sous astreinte de 250,00 € par jour à compter de la notification du jugement à intervenir,
En tout état de cause, de,
- condamner la société Maaf Assurances à verser à Madame X. la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Maaf Assurances aux entiers depens,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
[*]
La clôture est intervenue le 20 septembre 2021.
Pour plus ample exposé des faits, procédure et moyens des parties, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le caractère abusif des clauses figurant aux pages 18 et 40 des conditions générales du contrat d'assurance :
Madame X. sollicite la confirmation du jugement invoquant le caractère abusif des clauses stipulées en page 18 et 40 des conditions générales aux termes desquelles le vol est défini et garanti comme suit : « Le vol du véhicule, c'est à dire sa soustraction frauduleuse :
- commise par effraction du véhicule et des organes de direction ou du garage dans lequel il est stationné ».
La clause figurant en page 40 stipule que « Si votre véhicule est retrouvé après le paiement de l'indemnité sans effraction des organes de direction, la garantie Vol ne serait pas acquise. Vous devriez alors nous rembourser l'indemnité déjà versée et récupérer le véhicule retrouvé ».
Madame X. fait essentiellement valoir que la combinaison des clauses en pages 40 et 18 est abusive en ce qu'elle limite les moyens de preuve aux traces d'effraction des organes de direction et limite de ce fait l'étendue de la garantie Vol et sa définition, ce qui est contraire à l'ancien article R. 132-2 du code de la consommation.
La société Maaf Assurances sollicite l'infirmation du jugement se prévalant de la validité de ces clauses. Elle fait essentiellement valoir que conditionner l'obtention de la garantie à la preuve d'une effraction des organes de direction lui permet de vérifier que le vol est réel ou n'est pas dû à une négligence de l'assuré.
SUR CE,
Le contrat d'assurance ayant été conclu avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, il convient d'appliquer les articles du code civil dans leur ancienne version.
Vu l'article 1315 ancien du code civil « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »
Vu l'article R. 132-2 ancien du code de la consommation qui dispose que « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions du premier et du deuxième alinéas de l'article L. 132-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (...) 9° Limiter indûment les moyens de preuve à la disposition du non-professionnel ou du consommateur ».
Au cas particulier, les clauses figurant aux pages 18 et 40 des conditions générales du contrat d'assurance sont ainsi rédigées :
« Le vol du véhicule, c'est à dire sa soustraction frauduleuse :
- commise par effraction du véhicule et des organes de direction ou du garage dans lequel il est stationné ».
« Si votre véhicule est retrouvé après le paiement de l'indemnité sans effraction des organes de direction, la garantie Vol ne serait pas acquise. Vous devriez alors nous rembourser l'indemnité déjà versée et récupérer le véhicule retrouvé ».
En l'espèce, Madame X. a souscrit un contrat d'assurance multirisque auto auprès de la société Maaf Assurances à effet au 11 juin 2012.
Ce contrat prévoyait une garantie Vol en cas d'effraction des organes de direction.
Cependant, le véhicule a été retrouvé, sans effraction des organes de direction.
Il en résulte que la garantie Vol ne s'applique pas sans effraction, que le vol du véhicule doit être prouvé par l'effraction des organes de direction ou du garage dans lequel il est stationné, et que l'effraction électronique, quant à elle, n'est pas mentionnée.
Ainsi, par sa définition de l'effraction, l'assureur limite à des indices prédéterminés la preuve du sinistre alors qu'en application de l'article 1315, devenu 1353 du code civil, cette preuve est libre. Outre leur caractère restrictif, ces modes de preuve ne correspondent plus à la réalité des moyens de piratages électroniques actuels mis en œuvre pour démarrer la majeure partie des véhicules sans jamais devoir les forcer et qui ne permettent de constater aucune trace d'effraction, y compris par un expert automobile, vidant ainsi la garantie de sa substance.
Il s'agit donc d'une clause abusive en ce qu'elle limite indûment les moyens de preuve à la disposition du non professionnel ou du consommateur. Dans la mesure où l'assureur ne saurait promettre à l'assuré de garantir le vol tout en limitant l'application de la garantie à des hypothèses d'exécution matérielle de l'infraction trop précises, devenues totalement marginales ou dont la preuve est impossible à rapporter, elle créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et doit être réputée non écrite. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la preuve de l'effraction électronique :
La société Maaf Assurances invoque l'absence d'effraction électronique. A l'appui de ses dires, elle fait valoir que si les nouvelles techniques de vol peuvent effectivement permettre aux voleurs de ne laisser aucune trace d'effraction sur la direction, l'intervention sur le système électronique pour mettre en route le véhicule laisse nécessairement des traces. Or, l'expert mandaté par la société Maaf Assurances indique que le système anti vol n'a pas été neutralisé.
Madame X. soutient que les techniques d'effraction constatées aujourd'hui par les experts sont dans la majeure parties des cas, des effractions électroniques et que s'il n'y a pas de preuve d'effraction des organes de direction sur son véhicule retrouvé, c'est qu'elle a été victime d'une effraction électronique.
[*]
En l'espèce, la société Maaf Assurances se contente de produire aux débats le rapport d'expertise du cabinet J.B. EXPERTISES SAS du 31 octobre 2016 qui présente un tableau très succinct répondant simplement par « NON » aux questions relatives à l'effraction, sans donner aucune explication sur les opérations effectuées pour parvenir à cette réponse.
Par conséquent, la réalité du vol du véhicule de Madame X., dont la bonne foi est présumée, et qui n'est pas sérieusement contestée par l'assureur, est suffisamment établie par les pièces produites aux débats.
Dès lors, la garantie de l'assurance est due justifiant le versement de l'indemnisation par l'assureur et le jugement sera en conséquence confirmé.
Sur les autres demandes :
Compte tenu de l'issue du litige, le jugement sera confirmé sur les frais irrépétibles et les dépens.
La société Maaf Assurances, qui succombe, sera condamnée à payer à Madame X., une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera également condamnée aux entiers dépens d'appel.
Les arrêts de la cour d'appel étant exécutoires, il n'y a pas lieu d'assortir la décision de l'exécution provisoire.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
statuant en dernier ressort par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamne la société Maaf Assurances à verser à Madame X. la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société Maaf Assurances aux entiers dépens.
- déboute les parties de toutes autres demandes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
- 6142 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Preuve - Encadrement des modes de preuve
- 6151 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. - Application dans le temps
- 6375 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances multirisques - Véhicule automobile - Obligations de l’assureur - Vol