CA ROUEN (ch. civ. com.), 3 mars 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9480
CA ROUEN (ch. civ. com.), 3 mars 2022 : RG n° 20/02032
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Aux termes de l'article 1590 du code civil : « Si la promesse de vendre a été faite avec des arrhes chacun des contractants est maître de s'en départir. Celui qui les a données, en les perdant. Et celui qui les a reçues, en restituant le double. »
Les sociétés SAS et D. sont deux sociétés commerciales qui ont contracté pour les besoins de leur activité. De ce fait, les dispositions de l'article L. 214-1 du code de la consommation, qui régentent les contrats de vente ou prestations de service entre un professionnel et un consommateur ne sont pas applicables à la commande litigieuse. »
2/ « Le sous paragraphe 4.6 de ces usages et conditions générales est ainsi rédigé : « Indemnité forfaitaire pour non-respect des quantités ou de la durée de la commande :
Les tonnages à fabriquer ainsi que la durée de la commande devront être clairement spécifiés dans la commande. Tout écart de tonnage de 20 % en plus par rapport à la commande donnera lieu à application d'une majoration de 10 % du prix des tonnes en plus étant précisé que nous pouvons refuser de fournir ces tonnes supplémentaires.
Tout écart de tonnage de 20 % en moins par rapport à la commande donnera lieu au règlement d'une indemnité forfaitaire de 80 % du prix des tonnes en moins.
Tout écart de 20 % en plus ou en moins de la durée de la commande donnera lieu au règlement d'une majoration forfaitaire de 10 % du montant total du marché »
Cette clause est une clause de dédit qui permet à l'acquéreur de modifier ou même de rompre unilatéralement le contrat, moyennant une contrepartie pour le vendeur, et non une clause pénale qui viendraient sanctionner la défaillance de l'une des parties. Par voie de conséquence, elle ne peut faire l'objet d'une modération par le juge.
Si le contrat du 27 novembre 2017 est un contrat d'adhésion, en ce qu'il comporte des conditions générales non négociables, déterminées à l'avance par le vendeur, la clause de dédit énoncée au sous-paragraphe 4-6 est non équivoque, limitée, et permet à l'acquéreur de connaître à l'avance les conséquences de son dédit. Par voie de conséquence, elle ne crée pas de déséquilibre significatif entre les parties au sens de l'article 1171 du code civil.
Il résulte de tout ceci que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement de la somme de 64.384,80 € par la Société d'Armatures Spéciales au profit de la société D. ; et la société D. sera déboutée de sa demande de remboursement. »
3/ « La compétence exclusive des juridictions spécialisées pour trancher les litiges fondés sur l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa version applicable du 11 décembre 2016 au 26 avril 2019 est prévue par l'article D. 442-3 du même code depuis un décret du 11 novembre 2009, relatif notamment à la spécialisation des juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence, entré en application le 1er décembre 2009. L'inobservation de cette règle étant sanctionnée par une fin de non-recevoir qui revêt un caractère d'ordre public et doit être relevée d'office par le juge.
En l'espèce, le tribunal de grande instance d'Evreux, qui n'est pas une juridiction spécialisée en cette matière, n'a pas statué sur cette demande.
Il résulte de ces éléments que la demande de la société D. sur ce fondement, présentée devant la cour d'appel de Rouen relève de la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris et est en conséquence irrecevable. »
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 3 MARS 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/02032. N° Portalis DBV2-V-B7E-IP3F. DÉCISION DÉFÉRÉE : TRIBUNAL DE COMMERCE D'EVREUX du 4 mai 2020 : RG n° 2018F00101.
APPELANTE :
SAS SOCIÉTÉ D'ARMATURES SPÉCIALES
[...], [...], représentée par Maître Virginie D., avocat au barreau d'EURE et assistée par Maître Jacques M., avocat au barreau de PARIS, plaidant
INTIMÉE :
SAS D.
[...], [...], représentée et assistée par Maître Michel B. de la SCP B. C. ANDRE, avocat au barreau d'EURE
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 25 novembre 2021 sans opposition des avocats devant Madame PROIX, Conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de : Madame FOUCHER-GROS, Présidente, Madame PROIX, Conseillère, M. URBANO, Conseiller.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DEVELET, Greffier.
DÉBATS : A l'audience publique du 25 novembre 2021, où l'affaire a été mise en délibéré au 3 février 2022, prorogé au 3 mars 2022
ARRÊT : CONTRADICTOIRE, Rendu publiquement le 3 mars 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, signé par Madame FOUCHER-GROS, Présidente et par Madame DEVELET, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
La société D. a pour objet la gestion, l'administration ainsi que la centralisation des services généraux de toutes sociétés et plus particulièrement des sociétés filiales.
La société Société d'Armatures Spéciales (ci-après dénommée la société SAS) est un fabricant d'armatures pour béton.
Au cours du mois de novembre 2017, la société D. s'est rapprochée de la société SAS aux fins de lui demander un devis portant sur la fabrication spécifique et la pose d'armatures en acier dans le cadre de la construction d'une plateforme logistique.
Le 15 novembre 2017, la société SAS a transmis à la société D., un devis référencé 001 indice 1.
Le 27 novembre 2017, la société SAS a transmis à la société D. une facture pro-forma de 80 456 €. Cette somme a été payée le 8 décembre 2017 par la société D.
Le 8 janvier 2018, la société SAS a émis, pour le même chantier, un nouveau devis sous la référence 001 indice 2.
Estimant que la société SAS avait par ce devis unilatéralement modifié les conditions du contrat, la société D. a demandé sa résiliation et le remboursement de la somme de 80.456 €.
Le 17 janvier 2018 la société D. a reçu une lettre recommandée de la société SAS qui l'a informée de ce qu'elle prenait acte de l'annulation de la commande et de ce qu'elle retenait une indemnité forfaitaire de 64.364,80 € en application de l'article 4.6 des Usages professionnels des Armaturiers (APA). Un chèque de 16.091,20 € était joint à ce courrier.
Par lettre recommandée du 24 avril 2018, la société D. a fait sommation à la société SAS de lui rembourser la somme de 64.364,80 €. Par lettre recommandée du 15 mai 2018, la société SAS a rejeté sa demande de remboursement.
Par acte introductif d'instance du 10 juillet 2018, la société D. a assigné la société SAS devant le Tribunal de commerce d'Évreux aux fins d'obtenir le remboursement des 64.364,80 €
Par jugement contradictoire du 23 avril 2020, le Tribunal de commerce d'Évreux a :
- déclaré inopposables à la société D. les Usages professionnels et conditions générales 2017 de l'Association Professionnelles des Armaturiers ;
- ordonné le remboursement de la somme de 64.384,80 € par la Société d'Armatures Spéciales au profil de la société D. ;
- rejeté la demande en paiement de la somme de 80.456,00 € à titre d'arrhes formulée par la Société d'Armatures Spéciales ;
- condamné la Société d'Armatures Spéciales a payer a la société D. la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la Société d'Armatures Spéciales aux entiers dépens, dont frais de greffe de la présente décision liquidés à la somme de 73,22 € TTC ;
- ordonné, sauf en ce qui concerne les dépens et l'article 700 du nouveau code de procédure civile, l'exécution provisoire de la présente décision ;
- débouté la société SAS de toutes ses autres demandes, fins et conclusions.
La société SAS a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe du 30 juin 2020.
Les parties ont été invitées par la cour à présenter leurs observations sur l'irrecevabilité de la demande présentée sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa version applicable du 11 décembre 2016 au 26 avril 2019 devant la cour d'appel de Rouen.
La société D. et la société SAS ont fait valoir leurs observations par note en délibéré expressément autorisée par la cour.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Vu les conclusions du 12 janvier 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions de la société SAS qui demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris ;
- débouter la société D. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société D. à payer à la société SAS la somme de 80.456,00 €, dont 64.364,80 € d'ores et déjà payés ;
Subsidiairement, en application de l'article 4.6 des Usages Professionnels des Armaturiers,
- condamner la société D. à payer à la société SAS la somme de 64.364,80 € au titre du dédit contractuel, d'ores et déjà payée ;
En toute hypothèse,
- condamner la société D. au paiement d'une somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société D. aux dépens de première instance et d'appel.
La société SAS soutient que :
* le jugement entrepris a été rendu sans que soit respecté le principe du contradictoire.
* l'offre du 8 janvier 2018 correspond à une autre prestation que celle qui a fait l'objet du devis du 8 décembre 2017, elle ne remet pas en cause la convention précédente mais porte sur 63 tonnes supplémentaires.
* Les dispositions de l'article 1590 du code civil sont applicables à tout contrat de vente. En application de ces dispositions, la société D. est libre de se départir, mais en abandonnant ses arrhes, soit la somme totale de 80.456€.
* subsidiairement, l'article 4.6 de l'APA prévoit une indemnité forfaitaire pour tout écart de tonnage de 20% en moins par rapport à la commande, cette indemnité est de 80 % du prix des tonnes « en moins ». La société D. avait été informée que l'offre de la société SAS était soumise à l'APA. Il ne s'agissait pas d'un contrat d'adhésion mais d'usages professionnels librement acceptés par les parties.
* la convention a été annulée sans qu'elle ait pu l'exécuter.
[*]
Vu les conclusions du 16 décembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions, la société D. demande à la cour de :
-déclarer mal fondé l'appel de la société SAS à l'encontre du jugement entrepris ;
En conséquence,
- confirmer ledit jugement en ce qu'il a :
* ordonné le remboursement de la somme de 64.384,80 € par la société SAS au profit de la société D. ;
* rejeté la demande en paiement de la somme de 80.456,00 € à titre de dommages et intérêts formulée par la société SAS ;
* condamné la société SAS à payer à la société D. la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'appelante à verser à l'intimée la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- condamner l'appelante aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
La société D. soutient que :
* Elle a décidé de résoudre le contrat, au torts de la société SAS en raison du retard de celle-ci dans l'exécution du contrat et de l'augmentation unilatérale du prix convenu initialement. Les deux devis ne concernent pas des prestations différentes. Le prix qui a été payé en contrepartie de marchandises qui n'ont été ni livrées ni même fabriquées est à restituer intégralement.
* le contrat a été conclu entre le 15 novembre 2017 et le 8 décembre 2018. Il s'ensuit que lui sont applicables les dispositions issues de l'ordonnance du 10 février 2016, applicables au 1er octobre 2016, mais ne lui sont pas applicables, celles issues de la loi 2018-287 du 20 avril 2018, applicables à compter du 1er octobre 2018.
* Le devis du 15 novembre 2017, valable jusqu'au 22 novembre 2017, qu'elle a accepté prévoit que le prix hors taxe de la fabrication et de la pose des armatures s'élève à un montant de 1,43 euros par kilogramme. La facture pro forma du 27 novembre 2017 est conforme à cette offre.
* Les usages professionnels des armaturiers n'ont pas été portés à sa connaissance préalablement au contrat. La société D. n'est pas un professionnel du secteur de l'armature, de sorte que ces usages ne lui sont pas opposables.
* A titre subsidiaire, l'indemnité forfaitaire prévue à l'APA est une clause pénale. Elle doit être réduite comme étant manifestement excessive.
* A titre encore plus subsidiaire, la modification unilatérale du prix de vente est une méconnaissance par le vendeur de ses obligations. En procédant ainsi, la société SAS a engagé sa responsabilité et doit l'indemniser à hauteur de 64.364,80 €.
* A titre extrêmement subsidiaire, la société SAS a engagé sa responsabilité pour manquement à son devoir pré-contractuel d'information.
* A titre encore plus subsidiaire, la clause 4.6 des conditions générales de la vente crée un déséquilibre entre les parties.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIVATION DE LA DÉCISION :
La violation du principe du contradictoire, n'est pas sanctionnée par l'infirmation du jugement mais par son annulation.
La société SAS qui ne demande pas cette annulation ne peut voir prospérer sa demande d'infirmation présentée sur ce fondement.
Sur la résolution du contrat :
Aux termes de l'article 1224 du code civil : « La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice. »
Aux termes de l'article 1226 du même code : « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution. »
Les faits ont succédé les uns aux autres de la façon suivante :
Le 15 novembre 2017, la société SAS a transmis un devis de feraillage, fabrication spécifique et pose des armatures sur le chantier « Le Carreau Connantre (51) ». Démarrage prévu : début décembre 2017, durée : 1 mois.
Ce devis 001, ind.2 porte sur une commande de 44 tonnes d'armatures et comprend les mentions suivantes :
- le prix de 1,43 € HT/kg, « Tous Ø confondus » pour la pose et la fabrication des armatures.
- le prix de 0,92 € HT/kg, « Tous Ø confondus » pour la fabrication spécifique des armatures « CF » (sic).
- le prix de 1,18 € HT/kg, « Tous Ø confondus » pour la fabrication spécifique des armatures « CFA » (sic).
Le devis précise le coût des prestations complémentaires, de l'assurance décennale et que :
- « nos prix sont fermes sur la durée des travaux » ; « notre offre est valable jusqu'au 22/11/2017. Au-delà, nos prix pourront varier et donner lieu à la remise d'une nouvelle proposition tarifaire » ;
- « délai de fabrication usine des armatures coupées/façonnées : 12 jours à réception des plans (hors week-end et jours fériés) » ;
- « gestion, facturation et condition de règlement :
* paiement entreprise à 30 jours date de facture
* établissement de notre situation de travaux avant le 25 du mois M
* les armatures livrées seront facturées chaque mois selon une quote-part de 75 % des prix de vente,
* déclaration de sous-traitance préalable et agrément maître d'ouvrage »
- « conditions générales de vente :
* Usages Professionnels et conditions générales 2017 de l'APA. »
Le devis comprend une vue aérienne du site, les certificat AFCAB attribués à la société SAS et le rappel des principales limites de prestations entre les parties.
En bas de chaque page, en caractères de couleur blanche sur fond noir est écrit « ATTENTION : Toutes nos fabrication, fournitures et prestations sont soumises aux usages professionnels et conditions générales 2017 de l'Association Professionnelles des Armaturiers, déposés au Tribunal de Commerce de PARIS »
Le 27 novembre 2017, la société SAS a émis une facture pro-forma de 80.456 € HT pour la fabrication de 50 tonnes d'armatures sur mesure au coût unitaire de 1.430 €, outre prestations complémentaires. La facture prévoit que l'échéance de paiement est à sa réception par virement bancaire. Elle reprend la mention « ATTENTION : Toutes nos fabrication, fournitures et prestations sont soumises aux usages professionnels et conditions générales 2017 de l'Association Professionnelles des Armaturiers, déposés au Tribunal de Commerce de PARIS ».
Le 8 décembre 2017, la société D. a effectué le virement de 80.456 €.
Le 8 janvier 2018, la société SAS a transmis à la société D. un devis 001 ind.2, similaire au précédent sauf en ce que le démarrage des travaux est prévu le 29 janvier 2018 ; qu'il porte sur 63 tonnes d'armatures et que le prix pour la fabrication spécifique des armatures est de 1,61 €/kg « Tous Ø confondus ».
Le 16 janvier 2018, la société D. a informé la société SAS de sa volonté de résoudre le contrat, par un courriel libellé ainsi : « Bonjour, Suite à l'annulation de la commande auprès de votre société pour notre chantier de Connantre, nous vous prions de bien vouloir procéder au remboursement de la facture pro-forma citée en objet d'un montant de 80.456 €. Vous trouverez en pj notre RIB. En vous remerciant par avance pour votre action. »
Il ressort de cette chronologie que la société D. a résolu le contrat sans alléguer aucune inexécution. Par la suite, dans la sommation de restituer la somme de 64.364 € qu'elle a adressée à la SAS le 24 avril 2018 par l'intermédiaire de son conseil, elle a fait valoir comme seule inexécution, la modification du prix postérieurement à la conclusion du contrat.
Force est de constater d'une part que, les deux devis ne portent pas sur le même objet, le premier étant pour 44 tonnes de marchandises, et le second pour 63 tonnes ; d'autre part que le deuxième devis n'a pas non plus le même objet que la commande qui figure sur la facture pro forma et pour lequel le prix a été réglé, cette facture ayant été émise pour 50 tonnes.
Outre que la société D. a annulé sa commande sans avoir préalablement mis en demeure la société SAS de revoir son prix, il lui appartient de rapporter la preuve de l'inexécution qu'elle invoque. Elle ne justifie aucunement que le second devis, qui ne porte pas sur le même tonnage de marchandises que celui pour lequel elle a passé commande, constitue une modification unilatérale du contrat par la société SAS. En page 10 de ses conclusions, la société D. expose que « suite à divers échanges entre les acteurs du projet, celui-ci a quelque peu évolué entrainant ainsi une augmentation du poids des armatures à produire d'environ 25 % ». Ce propos corrobore que le second devis correspond à une commande différente de la première, et aucune disposition contractuelle n'imposait à la société SAS de maintenir le prix de la première commande. La société D. fait désormais état d'un retard de la société SAS dans l'exécution de sa prestation. Le seul fait que la date début des travaux indiquée au devis n'aient pas été suivie d'effets n'est pas à lui seul suffisant à rapporter la preuve d'une inexécution fautive de la société SAS.
A défaut de rapporter la preuve d'une inexécution fautive de ses obligations par la société SAS, et alors que le devis du 15 novembre 2017 précisait qu'au-delà du 22/11/2017, les prix pourraient varier et donner lieu à la remise d'une nouvelle proposition tarifaire, la société D. a résolu le contrat à ses risques et périls.
Sur les conséquences de la résolution du contrat :
Sur la qualification de la somme de 80.456 € :
La facture pro-forma émise le 27 novembre 2017 pour la totalité de la prestation comprend la totalité du prix hors taxe, étant précisé sur cette facture que les parties font application de l'autoliquidation de la TVA telle que précisée à l'article 283-2 nonies du code des impôts. Il y est prévu que le paiement doit être fait à sa réception. Ainsi, cette facture constitue le contrat de commande par la société D., qui a payé par avance la totalité de la prestation à effectuer.
Aux termes de l'article 1590 du code civil : « Si la promesse de vendre a été faite avec des arrhes chacun des contractants est maître de s'en départir.
Celui qui les a données, en les perdant.
Et celui qui les a reçues, en restituant le double. »
Les sociétés SAS et D. sont deux sociétés commerciales qui ont contracté pour les besoins de leur activité. De ce fait, les dispositions de l'article L. 214-1 du code de la consommation, qui régentent les contrats de vente ou prestations de service entre un professionnel et un consommateur ne sont pas applicables à la commande litigieuse.
La détermination de la nature juridique d'un paiement, résulte de l'intention des parties.
La facture pro forma rappelle que prestations sont soumises aux usages professionnels et conditions générales 2017 de l'Association Professionnelles des Armaturiers. Or l'APA prévoit des modalités précises de conservation par le vendeur d'une partie du prix dans l'hypothèse où l'acheteur se dédit d'une partie de la commande.
Compte tenu du paiement intégral de la somme correspondant au tonnage d'armatures acheté par la société D. et du renvoi express à l'APA quant aux modalités adoptées en cas d'annulation par l'acquéreur d'une part de sa commande, sans que le contrat prévoit d'autres modalités, la somme versée d'avance par la société D. ne peut être qualifiée d'arrhes. Elle représente le paiement du prix des biens et de la prestation précisés à la facture pro-forma.
Il en résulte que la société SAS ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 1590 du code civil pour conserver une partie du prix de la commande.
Sur l'opposabilité à la société D. des Usages Professionnels et Conditions Générales de Fabrication d'Armatures du Béton :
La société SAS justifie que les Usages Professionnels et Conditions Générales de Fabrication d'Armatures du Béton ont été déposés le 28 février 2017 au greffe du tribunal de commerce de Paris. Ce dépôt étant précisé au devis comme à la facture pro-forma.
Il est précisé en préambule de ces usages, 'que les dispositions des présentes conditions générales' constituent la loi des parties « pour l'exécution de tous contrats de fournitures, tous contrats de fabrications et tous contrats de prestations conclus entre les armaturiers et leurs clients qui sont réputés les avoir intégralement adoptés comme telles, sauf dérogation écrite expressément acceptée par l'armaturier. Elles font échec à toutes les clauses contraires proposées par les clients et non explicitement acceptées par les armaturiers. »
Le paragraphe 1 des usages précise que : « Les conditions générales ci-après concernent la fabrication ou la fourniture, par les adhérentes de l'APA (...) des armatures du béton (…) définies par la norme française NF A 35-027. (…) Le client est réputé être un professionnel des armatures et en connaître parfaitement les normes, pratiques et règles de l'art, il lui appartient de vérifier que les produits commandés correspondent bien à l'utilisation envisagée et notamment leur conformité aux réglementations, normes pratiques et règle de l'art en vigueur, l'armaturier déclinant toute responsabilité à cet égard ».
La société D. entend renverser la présomption édictée par les usages et rapporter la preuve qu'elle n'est pas un professionnel des armatures.
La société D. est une société Holding dont l'objet social n'est pas spécifique aux armatures. Mais elle a personnellement commandé 50 tonnes d'armatures après avoir pris connaissance d'un devis qui laisse expressément à sa charge des prestations telles que le traçage des axes, le repiquage éventuel du béton et le redressage des armatures après un éventuel repiquage, les interventions sur les armatures de deuxième phase, de reprise ou sur élément préfabriqué. Il ressort de l'acceptation de ces charges techniques que la société D. s'est dotée des moyens lui permettant une compétence certaine en matière d'armatures.
De plus, les parties ont la possibilité de soumettre leur contrat à des usages professionnels particuliers. Le devis du 15 novembre 2017 comme la facture pro-forma du 27 novembre suivant rappellent que le contrat est soumis à ces usages, et ni le devis ni la facture pro-forma ne détaillent de conditions générales du contrat, ces conditions étant édictées au document de l'APA.
La société D., en sa qualité de société commerciale savait comment consulter le document de L'APA. Elle ne justifie ni même n'allègue avoir fait avant son paiement une observation sur la soumission du contrat à ces conditions générales. Il en résulte qu'elle a accepté que sa commande soit soumise aux Usages professionnels et Conditions Générales de Fabrication d'Armatures du Béton.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a déclaré inopposables à la société D. les Usages professionnels et conditions générales 2017 de l'Association Professionnelles des Armaturiers, ces usages et conditions générales lui étant opposables.
Sur l'application du sous paragraphe 4.6 :
Le sous paragraphe 4.6 de ces usages et conditions générales est ainsi rédigé :
« Indemnité forfaitaire pour non-respect des quantités ou de la durée de la commande :
Les tonnages à fabriquer ainsi que la durée de la commande devront être clairement spécifiés dans la commande. Tout écart de tonnage de 20 % en plus par rapport à la commande donnera lieu à application d'une majoration de 10 % du prix des tonnes en plus étant précisé que nous pouvons refuser de fournir ces tonnes supplémentaires.
Tout écart de tonnage de 20 % en moins par rapport à la commande donnera lieu au règlement d'une indemnité forfaitaire de 80 % du prix des tonnes en moins.
Tout écart de 20 % en plus ou en moins de la durée de la commande donnera lieu au règlement d'une majoration forfaitaire de 10 % du montant total du marché »
Cette clause est une clause de dédit qui permet à l'acquéreur de modifier ou même de rompre unilatéralement le contrat, moyennant une contrepartie pour le vendeur, et non une clause pénale qui viendraient sanctionner la défaillance de l'une des parties. Par voie de conséquence, elle ne peut faire l'objet d'une modération par le juge.
Si le contrat du 27 novembre 2017 est un contrat d'adhésion, en ce qu'il comporte des conditions générales non négociables, déterminées à l'avance par le vendeur, la clause de dédit énoncée au sous-paragraphe 4-6 est non équivoque, limitée, et permet à l'acquéreur de connaître à l'avance les conséquences de son dédit. Par voie de conséquence, elle ne crée pas de déséquilibre significatif entre les parties au sens de l'article 1171 du code civil.
Il résulte de tout ceci que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement de la somme de 64.384,80 € par la Société d'Armatures Spéciales au profit de la société D. ; et la société D. sera déboutée de sa demande de remboursement.
Sur la responsabilité de la société Société Armatures Spéciales :
Sur la modification unilatérale du contrat :
Ainsi qu'il a été exposé plus haut, la société SAS n'a pas commis de faute en proposant un prix plus élevé dans le devis du 8 janvier 2018 que celui qui avait été prévu au devis initial et à la facture pro forma du 27 novembre 2017. Le moyen tiré de l'absence de respect des dispositions de l'article 1193 du code civil sera écarté.
Sur le manquement au devoir d'information :
Aux termes de l'article 1112-1 du code civil : « Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants »
La société D. soutient que la société SAS aurait dû lui délivrer un exemplaire des Usages professionnels et conditions générales de 2017de l'APA et attirer spécialement son attention sur les dispositions du sous- paragraphe 4.6.
Ceci étant exposé :
La société D. est une société holding. Il est mentionné à sa fiche infogreffe qu'elle est immatriculée depuis le mois de novembre 1991 ; qu'elle possède dix établissements et qu'elle a en 2016 réalisé un chiffre d'affaires de 8.519.633 €. Il s'agit d'une société importante, qui à la date du contrat avait vingt six années d'expérience. Elle disposait ainsi d'une compétence en matière de contrat, et savait comment consulter un document déposé au tribunal de commerce de Paris. Dès lors, en précisant au devis que les conditions générales du contrat sont ceux des Usages professionnels et conditions générales de 2017de l'APA, et que ce document avait été déposé au tribunal de commerce de Paris, information rappelée à la facture pro-forma, la société SAS a satisfait à son devoir d'information.
Sur le déséquilibre significatif au regard des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa version applicable du 11 décembre 2016 au 26 avril 2019 :
La compétence exclusive des juridictions spécialisées pour trancher les litiges fondés sur l'article L. 442-6 du code de commerce dans sa version applicable du 11 décembre 2016 au 26 avril 2019 est prévue par l'article D. 442-3 du même code depuis un décret du 11 novembre 2009, relatif notamment à la spécialisation des juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence, entré en application le 1er décembre 2009. L'inobservation de cette règle étant sanctionnée par une fin de non-recevoir qui revêt un caractère d'ordre public et doit être relevée d'office par le juge.
En l'espèce, le tribunal de grande instance d'Evreux, qui n'est pas une juridiction spécialisée en cette matière, n'a pas statué sur cette demande.
Il résulte de ces éléments que la demande de la société D. sur ce fondement, présentée devant la cour d'appel de Rouen relève de la compétence exclusive de la cour d'appel de Paris et est en conséquence irrecevable
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire ;
Infirme le jugement entrepris du 23 avril 2020, le Tribunal de commerce d'Évreux en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
Déclare irrecevable la demande de la SAS D. présentée sur le fondement de l'article 442-6 du code de commerce dans sa version applicable du 11 décembre 2016 au 26 avril 2019 ;
Déboute la société D. du surplus de ses demandes ;
Déclare opposables à la société D. les Usages professionnels et conditions générales 2017 de l'Association Professionnelles des Armaturiers ;
Dit que la société Société Armatures Spéciales dispose sur la société SAS D. d'une créance de 64.364,80 € ;
Déboute la SAS D. de sa demande de remboursement de la somme de 64.364,80 € ;
Y ajoutant ;
Condamne la société D. aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société D. à payer à la société Société Armatures Spéciales la somme de 2.000 € au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE
- 5922 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Immeubles - Contrats relatifs au local professionnel
- 6242 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Régime de l’action - Compétence territoriale
- 8261 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 -Loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. – Domaine d'application
- 9844 - Code civil - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Art. 1171 C. civ. (Ord. 10 février 2016 – L. ratif. 20 avril 2018). – Présentation par contrat – Prestations de services