CA AMIENS (1re ch. civ.), 17 mai 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9596
CA AMIENS (1re ch. civ.), 17 mai 2022 : RG n° 20/06095
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Quoiqu'il en soit, l'action en nullité fondée sur les dispositions des articles 1304 (ancien, applicable au litige, ou 1144 et 1152 nouveaux) et 1907 du code civil ou l'action en déchéance du droit aux intérêts fondée sur l'article L. 312-33 ancien du code de la consommation sont soumises, en application des articles 1304 et 2224 du code civil pour la première et L. 110-4 du code de commerce pour la seconde à la prescription quinquennale et leur régime est identique quant au point de départ de la prescription qui est le « jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », ce dont conviennent les parties.
Ce jour est celui de la conclusion du contrat de prêt support du TEG critiqué « lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur » (depuis Civ. 1re, 11 juin 2009, cité sous l'article 1134 ancien au code civil Dalloz ; Civ.1re, 7 février 2012, n° 11-10833 ; Civ. 1re, 5 janvier 2022, n° 20-23-415).
Pour soutenir que le taux effectif global est erroné, M. et Mme X. indiquent que leurs deux prêts contiennent la « clause lombarde », à savoir que les intérêts du TEG ont été calculés selon une année de 360 jours, ce qui en fausse le calcul à leur détriment, sans autre démonstration.
Il en résulte que les emprunteurs avaient tous les éléments pour soutenir cette thèse dès la conclusion du contrat et émettre au moins un doute qui leur permettait de recourir, le cas échéant, dans des délais raisonnables, à un conseil technique, de sorte qu'il n' y a pas lieu de retarder le point de départ de la prescription à l'année 2016 au cours de laquelle, par ouïe-dire, le père de Mme X., l'apprenant à l'occasion d' un procès personnel, aurait appris cette règle et leur en aurait parlé, peu important qu'ils soient profanes en matière de crédit ou de taux d'intérêts. »
2/ « S'il a été jugé que la clause contraire aux dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation, qui prohibe les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs (ou non-professionnels selon l'articleL.212-2) est « réputée non-écrite », cette expression signifie simplement que seule la clause est nulle, non le contrat entier, et non pas qu'il s'agirait d'une sanction spécifique, autre que la nullité, échappant à la prescription.
S'agissant d'une nullité visant à protéger les intérêts d'une partie, cette nullité est relative (comp. article 1179 nouveau du code civil consacrant la jurisprudence antérieure).
Par l'effet des même principes, tirés des articles 1304 ancien, 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, le point de départ doit en être fixé au « jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », c'est à dire au jour de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de se convaincre du caractère abusif de la clause. Le jugement doit également être confirmé en ce qu'il a jugé que l'action exercée sur ce fondement était prescrite. »
COUR D’APPEL D’AMIENS
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 17 MAI 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/06095. N° Portalis DBV4-V-B7E-H6CB. Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE VINGT.
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTS :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], de nationalité Française, [adresse], [...]
Madame Y. épouse X.
née le [date] à [ville], de nationalité Française, [adresse], [...]
Représentés par Maître Marc D., avocat au barreau d'AMIENS
ET :
INTIMÈE :
SA CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE DES HAUTS DE FRANCE (anciennement CAISSE D'ÉPARGNE DE PICARDIE)
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [...], [...], Représentée par Maître P. substituant Maître Jérôme LE R. de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocats au barreau d'AMIENS, Plaidant par Maître Etienne C., avocat au barreau de LILLE
DÉBATS & DÉLIBÉRÉ : L'affaire est venue à l'audience publique du 15 mars 2022 devant la cour composée de M. Pascal BRILLET, Président de chambre, M. Vincent ADRIAN et Mme Myriam SEGOND, Conseillers, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.
A l'audience, la cour était assistée de Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffier.
Sur le rapport de M. Vincent ADRIAN et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et le président a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 mai 2022, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
PRONONCÉ : Le 17 mai 2022, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Pascal BRILLET, Président de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DÉCISION :
La Caisse d’Épargne et de prévoyance de Picardie, devenue depuis la Caisse d’Épargne et de prévoyance des Hauts de France, a consenti à M. X. et à son épouse, Mme Y., outre un prêt 0 %, deux prêts à intérêts immobiliers dans une offre du 19 octobre 2010 :
- un prêt « Primo Ecureuil » d'un montant de 36.400 € remboursable en 120 mensualités moyennant des intérêts au taux effectif global de 4, 01 % l'an,
- un prêt « Primolis 3 phases » d'un montant de 75.491,94 € remboursable en 222 mensualités moyennant des intérêts au taux effectif global de 3,83 % l'an.
Pour l'un et l'autre prêt, l'acte précise, s'agissant du calcul des intérêts, que : « Durant la phase d'amortissement, les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû, au taux d'intérêt indiqué ci-dessus sur la base d' une année bancaire de 360 jours, d' un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d' un mois de 30 jours ».
À partir d’un courrier d'octobre 2016, reçu le 20 octobre 2016 par la Caisse d’Épargne, M. et Mme X. ont demandé une « vérification » du taux effectif global puis en ont contesté la validité et ont sollicité « une renégociation au taux légal de 0,65 % en vigueur », sans succès.
Par acte d'huissier de justice en date du 8 avril 2019, M. et Mme X. ont assigné la Caisse d’Épargne et de prévoyance des Hauts de France en annulation des deux stipulations d'intérêts et en dommages et intérêts.
Dans leurs conclusions ils ont sollicité, en invoquant à la fois le dol et les règles sur le crédit immobilier, l'annulation des deux stipulations en indiquant que les clauses prévoyaient que les intérêts seraient calculés sur une base de 360 jours alors que les intérêts doivent être calculés sur la base de l'année civile, outre que ces clauses sont purement et simplement abusives au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation, ainsi que le confirme une recommandation de la Commission des clauses abusives du 14 avril 2005, ce qui entraine leur nullité, laquelle, dans ce cas, est imprescriptible.
Ils ont fait valoir que, profanes en matière de crédit, ils n'étaient pas capables, lorsqu'ils ont accepté les offres de prêt de se rendre compte du caractère illégal et abusif de cette clause, ce qu'ils ont appris au début de l'année 2016 grâce au père de Madame X. qui se défendait dans une procédure de saisie-immobilière.
Ils ont sollicité également une somme de 10.000 € de dommages et intérêts pour l'indemnisation du préjudice subi.
La Caisse d’Épargne a fait valoir, à titre principal, la prescription quinquennale de toutes ces demandes.
Par jugement du 21 octobre 2020, dont les époux X. ont relevé appel, le tribunal a déclaré les différentes demandes des époux X. irrecevables pour être atteintes par la prescription quinquennale de l'article 2224.
La cour se réfère aux dernières conclusions des parties par visa.
[*]
Vu les conclusions d'appel récapitulatives notifiées par M. et Mme X. le 6 août 2021 sollicitant l'infirmation du jugement, le prononcé de « l'irrégularité » des deux clauses d’intérêts, subsidiairement, le prononcé de leur caractère abusif, et « en conséquence la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel », la production d'un nouveau tableau d'amortissement pour chacun des contrats et la condamnation de la banque à leur payer la somme de 10.000 € de dommages et intérêts.
M. et Mme X. reprennent leur argumentation de première instance. Ils insistent sur le fait qu'ils étaient totalement ignorants des problèmes liés aux taux d’intérêts et que de toute façon les clauses abusives sont réputées non écrites ce qui les fait échapper à toute prescription.
[*]
Vu les conclusions d'intimé n° 2 notifiées le 20 octobre 2021 par la Caisse d’Épargne et de prévoyance des Hauts de France visant à la confirmation du jugement.
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L'instruction a été clôturée le 2 mars 2022.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Comme le tribunal, la cour doit examiner en premier lieu les prétentions de la Caisse d’Épargne à voir prononcer l'irrecevabilité des demandes des époux X. compte tenu de leur possible prescription.
1. Sur la prescription de l'action en nullité ou en déchéance du droit aux intérêts.
L'article L. 312-8 du code de la consommation devenu l'article L. 313-25, dans sa rédaction antérieure à la recodification issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, concernant les prêts immobiliers consentis aux non-professionnels prescrit notamment au prêteur de faire figurer dans son offre préalable le coût total du crédit, sa durée de remboursement et un taux d'intérêt dit taux effectif global (TEG) défini à l'article L. 313-1 qui doit comprendre tous les types de frais et rémunération supplémentaires (sauf les frais d'acte notarié) et se définit selon la méthode d'équivalence correspondant à la formule mathématique posée à l'article R. 313-1 du même code ; à peine, précise l'article L. 312-33, pour le prêteur, de se voir déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
Il convient d'abord de relever, comme le soutient à juste titre la Caisse d’Épargne, que les époux X., même en appel, et même en réplique dans leurs dernières écritures, ne précisent pas le fondement juridique de leur demande, se bornant à soutenir « l'irrégularité des clauses stipulant les intérêts conventionnels (...) dans la mesure où, appliquant le système de l'année lombarde, elles procurent un avantage indu à l'établissement prêteur (conclusions page 5).
Il est de droit, pourtant, qu'il résulte des articles L. 312-8 et L. 312-33 anciens du code de la consommation et de l'article R. 313-1 du même code également dans sa rédaction antérieure au décret du 13 mai 2016, que la mention, dans l'offre de prêt acceptée, d’un taux conventionnel calculé sur la base d' une année civile, ne peut être sanctionnée que par la déchéance, totale ou partielle, du droit du prêteur aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge, sous réserve que ce calcul ait généré au détriment de l'emprunteur un surcoût d'un montant supérieur à la décimale prévue à l'article R. 313-1 précité (Civ. 1ère, 9 septembre 2020, pourvoi n° 19-14.607 ; Civ. 1ère, 26 septembre 2018, arrêt Nono, n° 17-15.352 ; Civ. 1re, 3 février 2021, n° 19-21-341).
Quoiqu'il en soit, l'action en nullité fondée sur les dispositions des articles 1304 (ancien, applicable au litige, ou 1144 et 1152 nouveaux) et 1907 du code civil ou l'action en déchéance du droit aux intérêts fondée sur l'article L. 312-33 ancien du code de la consommation sont soumises, en application des articles 1304 et 2224 du code civil pour la première et L. 110-4 du code de commerce pour la seconde à la prescription quinquennale et leur régime est identique quant au point de départ de la prescription qui est le « jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », ce dont conviennent les parties.
Ce jour est celui de la conclusion du contrat de prêt support du TEG critiqué « lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur » (depuis Civ. 1re, 11 juin 2009, cité sous l'article 1134 ancien au code civil Dalloz ; Civ.1re, 7 février 2012, n° 11-10833 ; Civ. 1re, 5 janvier 2022, n° 20-23-415).
Pour soutenir que le taux effectif global est erroné, M. et Mme X. indiquent que leurs deux prêts contiennent la « clause lombarde », à savoir que les intérêts du TEG ont été calculés selon une année de 360 jours, ce qui en fausse le calcul à leur détriment, sans autre démonstration.
Il en résulte que les emprunteurs avaient tous les éléments pour soutenir cette thèse dès la conclusion du contrat et émettre au moins un doute qui leur permettait de recourir, le cas échéant, dans des délais raisonnables, à un conseil technique, de sorte qu'il n' y a pas lieu de retarder le point de départ de la prescription à l'année 2016 au cours de laquelle, par ouïe-dire, le père de Mme X., l'apprenant à l'occasion d' un procès personnel, aurait appris cette règle et leur en aurait parlé, peu important qu'ils soient profanes en matière de crédit ou de taux d'intérêts.
Leur appel doit être rejeté.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a jugé que l'action exercée par M. et Mme X. était prescrite et irrecevable.
2. Sur la prescription de l'action fondée sur le caractère abusif de la clause.
S'il a été jugé que la clause contraire aux dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation, qui prohibe les clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs (ou non-professionnels selon l'articleL.212-2) est « réputée non-écrite », cette expression signifie simplement que seule la clause est nulle, non le contrat entier, et non pas qu'il s'agirait d'une sanction spécifique, autre que la nullité, échappant à la prescription.
S'agissant d'une nullité visant à protéger les intérêts d'une partie, cette nullité est relative (comp. article 1179 nouveau du code civil consacrant la jurisprudence antérieure).
Par l'effet des même principes, tirés des articles 1304 ancien, 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, le point de départ doit en être fixé au « jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer », c'est à dire au jour de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de se convaincre du caractère abusif de la clause.
Le jugement doit également être confirmé en ce qu'il a jugé que l'action exercée sur ce fondement était prescrite.
3. Sur la demande de dommages et intérêts (10.000 €).
Le droit de faire constater une erreur ou une omission fautive supposée de la banque dans la formulation du taux effectif global étant prescrit, il y a lieu de déclarer l'action en responsabilité fondée sur la même cause dépourvue par hypothèse de fondement et même prescrite, comme l'a jugé le tribunal.
Le jugement sera aussi confirmé sur ce point.
Le jugement peut être confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 21 octobre 2020 par le tribunal judiciaire d'Amiens en toutes ses dispositions,
Condamne M. X. et à son épouse, Mme Y. épouse X. aux dépens d'appel et à payer à la société Caisse d’Épargne et de prévoyance des Hauts de France la somme de 1.200 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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