CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 8 septembre 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9767
CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 3-3), 8 septembre 2022 : RG n° 21/06618 ; arrêt n° 2022/264
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Mais, en premier lieu, les époux X., qui n'agissent pas en constatation du caractère abusif de la clause d'intérêts, ne peuvent utilement se prévaloir des règles propres à cette action.
En deuxième lieu, ainsi qu'il a été relevé, les griefs tirés d'un défaut de prise en compte des frais d'assurance de la période de préfinancement dans le calcul du TEG et dans le coût total du crédit, étaient apparents à la seule lecture de l'offre, en des termes accessibles et intelligibles à un consommateur. Il s'ensuit que la fixation d'un délai de prescription de cinq ans courant à compter de l'acceptation de l'offre ne méconnaît pas les exigences de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales puisqu'elle impartit aux emprunteurs un délai suffisant pour faire valoir leurs droits dans des conditions d'effectivité, sans qu'ils soient placés dans une situation de net désavantage au regard de la connaissance et de la preuve des éléments de fait susceptibles d'être invoqués.
En troisième lieu, les époux X., qui ont eu connaissance au jour de l'acceptation de l'offre de prêt de certaines des erreurs qu'ils invoquent, en sorte qu'ils ont disposé dès cette date d'un droit effectif d'action, ne peuvent reporter le point de départ de la prescription à la date à laquelle ils ont découvert une nouvelle cause d'erreur, tirée du calcul prétendu des intérêts conventionnels sur la base d'une année de 360 jours, peu important que l'exécution de la convention se soit poursuivie postérieurement à l'expiration du délai de prescription.
Ainsi, c'est à la date de l'acceptation de l'offre de crédit que doit être fixé le point de départ de la prescription quinquennale des actions en nullité et en déchéance formées par les époux X.
La prescription, qui a couru au plus tard à compter du 25 juin 2010, était acquise au jour de l'assignation en justice, le 6 février 2019. »
2/ « Quant au dommage prétendu découlant du recours à une année de 360 jours, il s'est réalisé et a été connu par les époux X. dès le premier prélèvement d'intérêts.
Il s'ensuit que l'action en responsabilité est prescrite pour avoir été formée plus de cinq ans après la réalisation des dommages et la connaissance que les emprunteurs en ont eu. »
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
CHAMBRE 3-3
ARRÊT DU 8 SEPTEMBRE 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/06618. Arrêt n° 2022/264. N° Portalis DBVB-V-B7F-BHMLU. ARRÊT AU FOND. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 29 mars 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 2019001667.
APPELANTE :
SA CRÉDIT FONCIER DE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux, dont le siège social est sis [Adresse 2], représentée par Maître Caroline PAYEN de la SCP DRUJON D'ASTROS et ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Maître Manon CHAMPEAUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Maître Anne LOUISET, avocat au barreau de PARIS, substituant Maître Georges JOURDE de l'ASSOCIATION VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur X.
né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 5], demeurant [Adresse 4], représenté par Maître Lysa LARGERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Madame Y. épouse Y.-X.
née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 6], demeurant [Adresse 4], représentée par Maître Lysa LARGERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 mai 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie GERARD, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Valérie GERARD, Président de chambre, Madame Françoise PETEL, Conseiller, Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller.
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 8 septembre 2022.
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé par mise à disposition au greffe le 8 septembre 2022, Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LA COUR :
Selon une offre du 25 mai 2010, acceptée au plus tard le 25 juin suivant, date d'expiration de l'offre, le Crédit foncier de France (le Crédit foncier) a consenti à M. X. et à son épouse, Mme Y.-X., un prêt à taux zéro et un prêt de 176.101 €, sur 30 ans, au taux de 4,30 %. L'acte fait mention, pour le prêt de 176.101 €, d'un taux de période de 0,43 % et d'un taux effectif global (TEG) de 5,13 %.
Le 6 février 2019, les époux X. ont fait assigner le Crédit foncier en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel, lui faisant grief du caractère erroné du TEG découlant, selon eux, de l'absence de prise en compte des frais de la période d'anticipation et du calcul des intérêts conventionnels sur la base d'une année de 360 jours. En outre, ils ont sollicité l'allocation de la somme de 10 000 € en réparation d'un manquement à l'obligation de loyauté contractuelle.
Le Crédit foncier a opposé, notamment, la prescription des actions.
Par jugement contradictoire du 29 mars 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Fréjus a :
- dit que la prescription « n'est pas opposable » et a déclaré les demandes recevables ;
- dit que le TEG est erroné ;
- constaté que les intérêts ont été calculés sur la base d'une année de 360 jours ;
- prononcé la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel et ordonné au Crédit foncier d'établir, en conséquence, de nouveaux tableaux d'amortissement ;
- condamné le Crédit foncier à restituer le trop-perçu et ordonné que les sommes correspondantes à cet écart seront actualisées au regard des nouveaux tableaux d'amortissement ;
- condamné le Crédit foncier à payer la somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts ;
- débouté le Crédit foncier de ses demandes ;
- condamné le Crédit foncier aux dépens et au paiement de la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Crédit foncier est appelant de ce jugement.
* * *
Vu les conclusions remises le 21 avril 2022, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles le Crédit foncier demande à la cour de :
- infirmer le jugement attaqué ;
- dire que la cour n'est pas saisie d'une prétention en matière de clause abusive ;
- déclarer irrecevables comme prescrites l'ensemble des demandes des époux X. ;
A titre subsidiaire,
- les déclarer mal fondées ;
- débouter les époux X. de leurs demandes ;
En tout état de cause,
- condamner les époux X. aux dépens et au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
* * *
Vu les conclusions remises le 19 avril 2022, auxquelles la cour se réfère en application de l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles les époux X. demandent à la cour de :
- confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
Subsidiairement,
- prononcer la déchéance du droit aux intérêts ;
En tout état de cause,
- condamner le Crédit foncier aux dépens et au paiement de la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
* * *
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 26 avril 2022.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur les demandes en nullité de la clause d'intérêts et en déchéance du droit aux intérêts :
Les époux X. agissent, à titre principal, en nullité de la clause d'intérêts de la convention de prêt, sur le fondement des articles 1907 du code civil et L. 313-1 du code de la consommation, ce dernier texte dans sa rédaction applicable au jour de la convention, subsidiairement, en déchéance du droit aux intérêts, sanction civile prévue par l'article L. 312-33, devenu L. 341-34 du code de la consommation. Ils se prévalent du caractère erroné du TEG découlant, selon eux, de l'absence de prise en compte des frais de la période d'anticipation et du calcul des intérêts conventionnels sur la base d'une année de 360 jours. En outre, ils font grief à la banque de l'inexactitude du coût total du crédit à raison de l'absence de prise en compte des cotisations d'assurance personnelle de la période de préfinancement.
L'absence de prise en compte, dans le calcul du TEG et dans le coût total du crédit, des cotisations d'assurance de la période de préfinancement fait l'objet d'une mention expresse dans l'offre de crédit puisqu'il est précisé que le TEG « inclut, outre le taux d'intérêt du prêt, les éléments suivants :
- frais de dossier : 0,00 €
- frais de garantie : 953 €
- assurance obligatoire sur la durée prévisionnelle du prêt (hors période de préfinancement) dont le montant mensuel figure dans le tableau ci-dessus
- les frais de courtage à la charge de l'emprunteur : 2.000 €. »
Au surplus, la rubrique « Coût total prévisionnel du prêt » indique de façon apparente que ce coût inclut, notamment, « les assurances obligatoires sur la durée initiale du prêt (hors période de préfinancement) ».
En revanche, aucune clause ne stipule un calcul des intérêts conventionnels sur la base d'une année de 360 jours. Les époux X. fondent ce grief sur un rapport d'expertise amiable du 28 août 2019 qui conclut en ce sens.
Le Crédit foncier oppose, à titre principal, la prescription des actions. Il se prévaut de la règle selon laquelle la prescription quinquennale de l'action nullité d'une clause d'intérêts, comme de l'action en déchéance du droit aux intérêts à raison de l'inexactitude du TEG, court du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'irrégularité qu'il invoque. Il en résulte que le point de départ de la prescription se situe à la date de l'acceptation de l'offre lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'irrégularité et, dans les autres cas, à la date à laquelle celle-ci a été révélée à l'emprunteur.
Les époux X. contestent la fixation du point de départ de la prescription au jour de l'acceptation de l'offre de prêt en faisant valoir :
- que la clause d'intérêts litigieuse présente un caractère abusif en ce qu'il en résulte un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'ainsi, la règle selon laquelle la prescription ne court pas en matière de clauses abusives doit s'appliquer ;
- qu'un bref délai de prescription courant à compter de l'acceptation de l'offre de crédit méconnaît l'exigence d'effectivité des droits d'un consommateur dans un domaine dont la forte technicité ne lui permet pas d'agir en justice dans un délai utile ;
- que le principe de l'égalité des armes, consacré par l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales fait obstacle à ce que la banque oppose la prescription à une action en contestation de la clause d'une convention en cours d'exécution ;
- qu'en tout état de cause, le calcul des intérêts conventionnels sur la base d'une année de 360 jours n'est apparu qu'à la suite de la remise du rapport de l'expert amiable qu'ils ont sollicité.
Mais, en premier lieu, les époux X., qui n'agissent pas en constatation du caractère abusif de la clause d'intérêts, ne peuvent utilement se prévaloir des règles propres à cette action.
En deuxième lieu, ainsi qu'il a été relevé, les griefs tirés d'un défaut de prise en compte des frais d'assurance de la période de préfinancement dans le calcul du TEG et dans le coût total du crédit, étaient apparents à la seule lecture de l'offre, en des termes accessibles et intelligibles à un consommateur. Il s'ensuit que la fixation d'un délai de prescription de cinq ans courant à compter de l'acceptation de l'offre ne méconnaît pas les exigences de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales puisqu'elle impartit aux emprunteurs un délai suffisant pour faire valoir leurs droits dans des conditions d'effectivité, sans qu'ils soient placés dans une situation de net désavantage au regard de la connaissance et de la preuve des éléments de fait susceptibles d'être invoqués.
En troisième lieu, les époux X., qui ont eu connaissance au jour de l'acceptation de l'offre de prêt de certaines des erreurs qu'ils invoquent, en sorte qu'ils ont disposé dès cette date d'un droit effectif d'action, ne peuvent reporter le point de départ de la prescription à la date à laquelle ils ont découvert une nouvelle cause d'erreur, tirée du calcul prétendu des intérêts conventionnels sur la base d'une année de 360 jours, peu important que l'exécution de la convention se soit poursuivie postérieurement à l'expiration du délai de prescription.
Ainsi, c'est à la date de l'acceptation de l'offre de crédit que doit être fixé le point de départ de la prescription quinquennale des actions en nullité et en déchéance formées par les époux X.
La prescription, qui a couru au plus tard à compter du 25 juin 2010, était acquise au jour de l'assignation en justice, le 6 février 2019.
Sur la demande en paiement de dommages-intérêts :
Les époux X. soutiennent que le Crédit foncier a manqué à l'obligation de bonne foi contractuelle en dissimulant « une part non négligeable des composantes du coût du crédit » et en « pratiquant de manière dissimulée un calcul des intérêts sur 360 jours ». Ils sollicitent, en réparation des préjudices qui en découlent, l'allocation de la somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts.
Le Crédit foncier leur oppose, à titre principal, la prescription de l'action en responsabilité, subsidiairement, son mal fondé.
La prescription d'une action en responsabilité fondée sur un manquement à l'obligation de bonne foi contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci n'en avait pas eu précédemment connaissance.
Le dommage découlant de l'inexactitude prétendue du TEG et du coût total du crédit s'est réalisé au jour de la formation de la convention de crédit par l'effet de l'acceptation de l'offre. Ainsi qu'il a été dit précédemment les époux X. en ont eu connaissance le jour même.
Quant au dommage prétendu découlant du recours à une année de 360 jours, il s'est réalisé et a été connu par les époux X. dès le premier prélèvement d'intérêts.
Il s'ensuit que l'action en responsabilité est prescrite pour avoir été formée plus de cinq ans après la réalisation des dommages et la connaissance que les emprunteurs en ont eu.
* * *
Le jugement attaqué est infirmé.
Les époux X., qui succombent, sont condamnés aux dépens et, en considération de l'équité, au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement attaqué,
Statuant à nouveau
Déclare irrecevables comme prescrites les demandes en nullité de la clause d'intérêts, en déchéance du droit aux intérêts et en paiement de dommages-intérêts formées par M. X. et Mme Y.-X.,
Condamne solidairement M. X. et Mme Y.-X. aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Mme Caroline Payan, avocat, et au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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