CA RIOM (1re ch. civ.), 8 novembre 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9932
CA RIOM (1re ch. civ.), 8 novembre 2022 : RG n° 22/00742 ; arrêt n° 514
Publication : Judilibre
Extrait : « En l'occurrence, il n'est pas sérieusement contestable que les deux lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 12 février 2015 et du 16 avril 2015 ont constitué chacune une mise en demeure de payer des arriérés d'échéances, en référence au prêt litigieux. La première mise en demeure porte sur trois mensualités impayées depuis décembre 2014 tandis que la seconde mise en demeure vise l'absence de règlement de l'échéance d'avril 2015. Chacun de ces courriers comporte explicitement l'avertissement comminatoire suivant lequel « A défaut de la régularisation de [ces mensualités / cette mensualité], nous serons contraints de faire jouer, conformément aux clauses générales de votre prêt, l'exigibilité anticipée du prêt, rendant ainsi immédiatement dû la totalité du capital. ». La société MA DO ne peut donc sérieusement affirmer qu'aucune mise en demeure ne lui aurait été adressé préalablement à la notification de la déchéance du terme du contrat et la de mise en œuvre de la condition d'exigibilité de remboursement anticipé de la totalité du prêt litigieux par courrier subséquent du 20 mai 2015.
La société MA DO critique par ailleurs l'absence de mention de délais de régularisation dans chacune de ces deux mises en demeure des 12 février et 16 avril 2015, arguant qu'il s'agirait là d'une carence constitutive d'un vice de forme pour ne lui avoir pas permis d'apurer ces situations d'impayés avant la notification de la déchéance du terme. La société BANQUE NUGER se prévaut à ce sujet de l'article 8.1 des Conditions générales du prêt (annexées à l'acte notarié), ainsi notamment libellé : « Le prêt, en principal, intérêts, frais et accessoires, deviendra immédiatement et de plein droit exigible par anticipation sans que le Prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, sauf accord de sa part, dans l'un des cas suivants : / (…) / - à défaut d'exécution d'un seul des engagements pris par l'Emprunteur ou par la Caution et notamment au cas de non-paiement au Prêteur, à son échéance, d'une somme quelconque devenue exigible ; / (…) ». Il s'en infère selon elle que la déchéance du terme peut tout à fait être prononcée lorsque au moins une des échéances n'est pas payée à terme, sans nécessité de mise en demeure préalable. C'est ce dispositif contractuel que la société MA DO entend soumettre au contrôle du déséquilibre significatif au sens des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code de la consommation afin de le faire réputé non écrit.
En l'occurrence, un consommateur est nécessairement une personne physique, le cas échéant une personne morale lorsque celle-ci conclut un contrat n'ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle. Or, la personnalité morale de la société MA DO s'inscrit dans une société civile immobilière ayant souscrit le financement bancaire litigieux afin d'effectuer une opération d'acquisition immobilière, conformément à son objet social et à l'article 2 de ses statuts portant notamment sur « (…) l'acquisition par voie d'achat ou d'apport, la propriété, la mise en valeur, la transformation, la construction, l'aménagement, l'administration et la location de tous biens et droits immobiliers (…) ». Elle ne peut dès lors qu'être elle-même considérée comme un professionnel échappant par voie de conséquence aux dispositions spécifiques de l'article L. 212-1 du code de la consommation en matière de protection du consommateur.
En tout état de cause, les deux mises en demeure des 12 février et 16 avril 2015 ont de fait aménagé au profit de la société MA DO un délai de mise en garde suffisamment long de plus de trois mois avant la décision de notification de déchéance du 20 mai 2015, remise au destinataire le 26 mai 2015 à la suite d'un nouvel incident de paiement. C'est donc avec exactitude que le premier juge a relevé à ce sujet que la mise en œuvre de cette déchéance du terme s'était en tout état de cause déroulée sans aucune automaticité. »
COUR D’APPEL DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 8 NOVEMBRE 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/00742. N° Portalis DBVU-V-B7G-FZIQ. Arrêt n° 514. Jugement Au fond, origine Juge de l'exécution du tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 25 mars 2022, enregistrée sous le R.G. n° 21/00005.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré : M. Philippe VALLEIX, Président, M. Daniel ACQUARONE, Conseiller, Mme Laurence BEDOS, Conseiller
En présence de : Mme Marlène BERTHET, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
APPELANTE :
SCI MA DO
[Adresse 3], [Localité 4], Représentée par Maître Christine BAUDON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND Timbre fiscal acquitté
ET :
INTIMÉS :
SA BANQUE NUGER
[Adresse 2], [Localité 7], Représentée par Maître Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et par Maître Gérard LEGRAND de la SELAS FIDUCIAL LEGAL BY LAMY, avocat au barreau de LYON Timbre fiscal acquitté
SERVICE DES IMPOTS DES PARTICULIERS DE [Localité 12]
[Adresse 5], [Localité 12], non représenté
PÔLE RECOUVREMENT SPECIALISE
[Adresse 6], [Localité 7], non représenté
DÉBATS : L'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 septembre 2022, en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. VALLEIX, rapporteur.
ARRÊT : RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE ; Prononcé publiquement le 8 novembre 2022, après prorogé du délibéré initialement prévu le 25 octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Signé par M. VALLEIX, président et par Mme BERTHET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte authentique conclu le 12 juin 2014, la SA BANQUE NUGER a prêté à la SCI MA DO la somme principale de 360.000,00 € dans le cadre d'une opération de rachat d'un emprunt précédemment contracté le 29 juin 2012 auprès de la société CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN afin de financer l'acquisition d'une maison d'habitation avec terrain et dépendances, située dans la commune de Maringues (Puy-de-Dôme). Ce capital emprunté était stipulé comme étant remboursable par 240 mensualités de 2.320,32 € incluant intérêts et assurance (la dernière étant de 2.319,08 €) du 10 juillet 2014 au 10 juin 2034, moyennant un taux d'intérêt fixe annuel de 3,55 % hors assurance.
Le remboursement de ce prêt était garanti par une inscription d'hypothèque conventionnelle sur la parcelle bâtie et non bâtie faisant l'objet de ce concours bancaire. Il s'agit d'une maison d'habitation, avec piscine, dépendances et terrain attenant, l'ensemble étant cadastré section ZT numéro [Cadastre 1] sur une superficie totale de 01 ha 04 a 50 ca et situé au lieu-dit [Localité 8] sur le territoire de la commune de [Localité 10] (Puy-de-Dôme). Cette hypothèque a été publiée au Service de la publicité foncière de [Localité 12] (Puy-de-Dôme) le 2 juillet 2014, volume 2014 V numéro XX7, faisant par ailleurs l'objet d'un bordereau rectificatif publié le 18 août 2014, volume 2014 V numéro YY8.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 mai 2015, dont l'avis de réception a été signé le 26 mai 2015 par son destinataire, la société BANQUE NUGER a notifié à la société MA DO la déchéance du terme de ce contrat de prêt en arguant d'une situation d'impayé, se prévalant en conséquence de l'exigibilité anticipée du prêt et réclamant les sommes suivantes :
* au titre des échéances impayées, la somme totale de 3.423,57 € ;
* au titre du capital exigible, la somme totale de 349.540,30 € ;
* au titre de l'indemnité d'exigibilité de 8 %, la somme de 27.963,22 € ;
* soit la somme totale générale de 380.927,09 €.
C'est dans ces conditions que la société BANQUE NUGER a, par acte d'huissier de justice signifié le 4 novembre 2020, signifié à la société MA DO un commandement de payer valant saisie du bien immobilier susmentionné, afin d'obtenir le remboursement du solde impayé de ce prêt dans les conditions suivantes :
* capital restant dû au 10 mai 2015, soit : 349.540,30 € ;
* intérêts de retard au taux conventionnel de 3,55 % pour la période du 10 mai 2015 au 15 juillet 2020, soit : 64.355,16 € ;
* échéances impayées du 10 avril 2015 au 10 mai 2015, soit : 3.423,57 € ;
* intérêts de retard au taux conventionnel de 3,55 % pour la période du 10 mai 2015 au 15 juillet 2020, soit : 630,33 € ;
* indemnité d'exigibilité anticipée de 8 % sur le capital restant dû, soit : 27.963,22 € ;
* soit au total, sauf mémoire : 445.912,58 €, outre le coût de l'acte.
La société BANQUE NUGER a dès lors assigné le 1er février 2021 la société MA DO devant le Juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand qui, suivant un jugement d'orientation n° RG-21/00005 rendu le 25 mars 2022, a :
- débouté la société MA DO de l'intégralité de ses contestations et de sa demande de vente amiable ;
- fixé la créance du créancier poursuivant dans les conditions suivantes :
* capital restant dû au 10 mai 2015, soit : 349.540,30 € ;
* échéances impayées, soit : 3.423,57 € ;
* intérêts de retard au taux de 3,5 % jusqu'au 15 juillet 2020, soit : 72.882,59 € ;
* indemnité de résiliation réduite à 4 % du capital restant dû, soit : 13.981,61 € ;
* acomptes à déduire, soit : 5.000,00 € ;
* soit un solde total impayé de 434.828,07 €.
- ordonné la vente forcée de l'ensemble immobilier susmentionné sur la base d'une mise à prix de 120.000,00 €, à l'audience des saisies immobilières du 8 juillet 2022 à 10h00, avec possibilité préalable de visites en présence d'un huissier de justice le cas échéant assisté d'un serrurier et avec si besoin le concours de la force publique ;
- condamné la société MA DO à payer au profit de la société BANQUE NUGER une indemnité de 1.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rappelé l'exécution provisoire de droit de la décision ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- dit que les dépens de l'instance seront employés en frais de saisie à la suite de leur taxation.
Par ailleurs, ce jugement a été rendu en présence du SERVICE DES IMPÔTS DES PARTICULIERS DE [Localité 12] (Puy-de-Dôme), venant aux droits de la TRÉSORERIE DE [Localité 9] (Puy-de-Dôme), et du PÔLE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ DU SERVICE DES IMPÔTS DE [Localité 7] (Puy-de-Dôme), en qualité chacun de créancier inscrit et qui n'étaient ni comparants ni représentés.
Par déclaration formalisée par le RPVA le 12 avril 2022, le conseil de la SCI MA DO a interjeté appel du jugement susmentionné, l'appel portant sur l'intégralité de la décision.
[*]
Par assignation à jour fixe délivrée par acte d'huissier de justice signifié le 18 mai 2022, valant conclusions d'appelant, la SCI MA DO a demandé de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 25 mars 2022 du Juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand et statuer à nouveau ;
- au visa de l'article L. 311-2 du code des procédures civiles d'exécution et de l'article L. 212-1 du code de la consommation ;
à titre principal ;
- juger abusive la clause de déchéance du terme contenu dans les Conditions générales du prêt contracté ;
- juger en conséquence que cette procédure de saisie immobilière est non valable et irrégulière, faute d'exigibilité de la créance réclamée ;
- débouter la société BANQUE NUGER de l'ensemble de ses demandes ;
- ordonner la radiation du commandement valant saisie du 4 novembre 2020 ;
à titre subsidiaire ;
- au visa de l'article 2240 du Code civil, déclarer prescrite l'action de la société BANQUE NUGER ;
- au visa de l'« article L. 231-5 du Code Civil » (sic), réduire à 1,00 € l'indemnité d'exigibilité de 8 % ;
- au visa de l'article R.322-15 du code des procédures civiles d'exécution, l'autoriser à vendre amiablement le bien saisi sur la base d'une mise à prix de 130.000,00 € ;
- condamner la société BANQUE NUGER à lui payer une indemnité de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société BANQUE NUGER aux entiers dépens de l'instance.
Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées par le RPVA le 30 juin 2022, la SA BANQUE NUGER a demandé de :
- au visa des articles L. 311-2, R.322-4 et suivants et R .322-26 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
[à titre principal] ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a réduit le montant de l'indemnité d'exigibilité à 4 % du capital restant dû, soit 13.981,61 € ;
- confirmer ce même jugement en ce qui concerne le rejet de l'intégralité des contestations et la demande de vente amiable de la société MA DO, le recours à la vente forcée de l'immeuble litigieux moyennant la mise à prix de 120.000,00 €, les conditions de visites préalables de cet immeuble, le défraiement lui ayant été accordé à hauteur de 1.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'emploi des dépens de l'instance en frais de saisie après taxation ainsi que le rejet du surplus des demandes des parties ;
statuer de nouveau en jugeant que :
* la déchéance du terme a régulièrement été prononcée ;
* la demande formée par la société MA DO aux fins de radiation du commandement de payer et de saisie du 4 novembre 2020 doit être rejetée ;
* la créance résultant de ce prêt du 12 juin 2014 à hauteur de 360.000,00 € est exigible et n'est pas atteinte par la prescription ;
* l'indemnité d'exigibilité anticipée réclamée à hauteur de 27.963,22 € n'est pas excessive (8 %) ;
* la demande alternative de vente amiable n'est pas justifiée ;
en conséquence ;
* fixer sa créance à la somme totale de 463.971,37 €, outre intérêts de retard au taux conventionnel de 3,55 % du 23 juin 2002 jusqu'à parfait paiement ;
* ordonner la vente forcée du bien immobilier objet de cette saisie sur la base d'une mise à prix de 120.000,00 € ;
* statuer ce que de droit conformément aux dispositions des articles R. 322-5 alinéa 2, R. 322-15 et R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution ;
* « (…) dans l'hypothèse d'une vente amiable, dire et juger qu'il sera fait entière application du cahier des conditions de vente et que, conformément au Décret du 9 mai 2017, l'Avocat poursuivant ayant déposé le cahier des conditions de vente aura droit, indépendamment des frais préalables et de la rémunération de tout autre intervenant, à un émolument fixé conformément aux articles L. 444-3, R. 444-71 et suivants du Code de Commerce » ;
* fixer la date d'adjudication ;
* désigner la SELARL CE LORRAIN, Huissiers de justice associée à [Localité 7] (Puy-de-Dôme), ou tel autre huissier de justice, pour permettre les visites du bien immobilier objet de la saisie, avec possibilité de se faire assister de deux témoins et d'un serrurier et le cas échéant le concours de la force publique ;
* déclarer irrecevable et mal fondé l'ensemble des fins de non-recevoir et prétentions de la société MA DO ;
* à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la déchéance du terme serait jugée irrégulière, condamner la société MA DO à reprendre le paiement des échéances du prêt à compter de la décision à intervenir et jusqu'au remboursement des sommes dues ;
en tout état de cause ;
- condamner la société MA DO à lui payer une indemnité de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que les dépens de l'instance seront pris en frais privilégiés de vente.
[*]
Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par chacune des parties à l'appui de leurs prétentions respectives sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.
Après l'évocation de cette affaire et clôture des débats lors de l'audience civile en conseiller-rapporteur du 8 septembre 2022 à 14h00, au cours de laquelle chacun des conseils des parties a réitéré et développé ses moyens et prétentions précédemment énoncés. La décision suivante a été mise en délibéré au 25 octobre 2022, prorogée au 8 novembre 2022, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1/ Sur la déchéance du terme et la clause d'exigibilité de remboursement anticipé :
L'article L. 311-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose que « Tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière dans les conditions fixées par le présent livre [LIVRE III : LA SAISIE IMMOBILIÈRE] et par les dispositions qui ne lui sont pas contraires du livre 1er [DISPOSITIONS GÉNÉRALES]. » Il résulte par ailleurs notamment des dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation que « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. / Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution. / L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. / (...) ».
La créance contractuelle invoquée à titre principal par la société BANQUE NUGER repose indéniablement sur un titre exécutoire, s'agissant d'un prêt financier notarié consenti le 12 juin 2014. Il n'est pas moins contestable que le remboursement de ce crédit a été émaillé de plusieurs incidents de paiement ayant donné lieu à des relances par la voie postale sous la forme de deux mises en demeure du 12 février 2015 et du 16 avril 2015 par lettres recommandées avec demande d'avis de réception. Le défaut de régularisation qui s'en est suivie a en définitive amené la société BANQUE NUGER à se prévaloir de la clause légale de déchéance du terme et d'exigibilité du remboursement anticipé de la totalité du prêt, en termes d'échéances impayées et de capital restant dû, outre frais accessoires. Cette intention de résiliation a été formalisée par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 mai 2015, dont l'avis de réception a été dûment signé le 26 mai 2015 par la gérante de la société MA DO. Cette dernière conteste l'existence même des mises en demeure préalables et critique la clause résolutoire mise en œuvre, objectant qu'il s'agirait là d'une clause illicite ou abusive au sens des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code de la consommation.
En l'occurrence, il n'est pas sérieusement contestable que les deux lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 12 février 2015 et du 16 avril 2015 ont constitué chacune une mise en demeure de payer des arriérés d'échéances, en référence au prêt litigieux. La première mise en demeure porte sur trois mensualités impayées depuis décembre 2014 tandis que la seconde mise en demeure vise l'absence de règlement de l'échéance d'avril 2015. Chacun de ces courriers comporte explicitement l'avertissement comminatoire suivant lequel « A défaut de la régularisation de [ces mensualités / cette mensualité], nous serons contraints de faire jouer, conformément aux clauses générales de votre prêt, l'exigibilité anticipée du prêt, rendant ainsi immédiatement dû la totalité du capital. ». La société MA DO ne peut donc sérieusement affirmer qu'aucune mise en demeure ne lui aurait été adressé préalablement à la notification de la déchéance du terme du contrat et la de mise en œuvre de la condition d'exigibilité de remboursement anticipé de la totalité du prêt litigieux par courrier subséquent du 20 mai 2015.
La société MA DO critique par ailleurs l'absence de mention de délais de régularisation dans chacune de ces deux mises en demeure des 12 février et 16 avril 2015, arguant qu'il s'agirait là d'une carence constitutive d'un vice de forme pour ne lui avoir pas permis d'apurer ces situations d'impayés avant la notification de la déchéance du terme. La société BANQUE NUGER se prévaut à ce sujet de l'article 8.1 des Conditions générales du prêt (annexées à l'acte notarié), ainsi notamment libellé : « Le prêt, en principal, intérêts, frais et accessoires, deviendra immédiatement et de plein droit exigible par anticipation sans que le Prêteur ait à remplir une formalité judiciaire quelconque, sauf accord de sa part, dans l'un des cas suivants : / (…) / - à défaut d'exécution d'un seul des engagements pris par l'Emprunteur ou par la Caution et notamment au cas de non-paiement au Prêteur, à son échéance, d'une somme quelconque devenue exigible ; / (…) ». Il s'en infère selon elle que la déchéance du terme peut tout à fait être prononcée lorsque au moins une des échéances n'est pas payée à terme, sans nécessité de mise en demeure préalable. C'est ce dispositif contractuel que la société MA DO entend soumettre au contrôle du déséquilibre significatif au sens des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code de la consommation afin de le faire réputé non écrit.
En l'occurrence, un consommateur est nécessairement une personne physique, le cas échéant une personne morale lorsque celle-ci conclut un contrat n'ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle. Or, la personnalité morale de la société MA DO s'inscrit dans une société civile immobilière ayant souscrit le financement bancaire litigieux afin d'effectuer une opération d'acquisition immobilière, conformément à son objet social et à l'article 2 de ses statuts portant notamment sur « (…) l'acquisition par voie d'achat ou d'apport, la propriété, la mise en valeur, la transformation, la construction, l'aménagement, l'administration et la location de tous biens et droits immobiliers (…) ». Elle ne peut dès lors qu'être elle-même considérée comme un professionnel échappant par voie de conséquence aux dispositions spécifiques de l'article L. 212-1 du code de la consommation en matière de protection du consommateur.
En tout état de cause, les deux mises en demeure des 12 février et 16 avril 2015 ont de fait aménagé au profit de la société MA DO un délai de mise en garde suffisamment long de plus de trois mois avant la décision de notification de déchéance du 20 mai 2015, remise au destinataire le 26 mai 2015 à la suite d'un nouvel incident de paiement. C'est donc avec exactitude que le premier juge a relevé à ce sujet que la mise en œuvre de cette déchéance du terme s'était en tout état de cause déroulée sans aucune automaticité.
Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté ce moyen de déni de mises en demeure préalables ainsi que de clause illicite ou abusive sur la clause résolutoire en jugeant en conséquence régulière la mise en œuvre de cette procédure de saisie immobilière et en rejetant la demande subséquente de radiation du commandement de payer. La date de déchéance du terme sera toutefois fixée au 26 mai 2015, date de notification au destinataire de cette déchéance du terme, et non au 20 mai 2015, date du libellé de cette intention de mise en œuvre de la déchéance du terme.
2/ En ce qui concerne la prescription :
Il résulte des dispositions de portée générale de l'article 2224 du Code civil que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ». La société MA DO convient dans ses écritures de l'application de ce dispositif de droit commun à la situation litigieuse. Elle fait ici observer que la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 mai 2015 de déchéance du terme a ouvert un délai supérieur à cinq ans jusqu'à la date du 4 novembre 2020 à laquelle a été délivrée le commandement aux fins de saisie-vente immobilière. Il convient ici de rappeler que cette déchéance du terme doit être fixée au 26 mai 2015, date de notification par signature de l'avis de réception de cette lettre recommandée, et non au 20 mai 2015, date du simple libellé et d'envoi de cette lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
En l'occurrence, en application des dispositions de l'article 2240 du Code civil suivant lesquelles « La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. », la société BANQUE NUGER réplique à juste titre que cette prescription quinquennale a été interrompue le 15 juin 2015, date à laquelle la société MA DO a procédé au règlement de la somme de 5.000,00 € au titre de l'apurement de cette dette contractuelle, puis le 28 septembre 2015, date à laquelle cette dernière a dans un courrier confirmé son intention de procéder au règlement des sommes restant dues au titre de ce prêt. Ces deux événements valent donc reconnaissance de dette interruptive de prescription au sens des dispositions précitées de l'article 2240 du Code civil.
C'est également à juste titre que la BANQUE NUGER ajoute qu'un précédent commandement de saisie-vente délivré le 23 juillet 2020 a de nouveau interrompu cette prescription quinquennale depuis la dernière date interruptive du 28 septembre 2015. Si cet acte extrajudiciaire a fait l'objet d'un procès-verbal de recherches au sens des dispositions de l'article 659 du code de procédure civile, il n'en a pas moins été signifié au dernier siège social connu de la société MA DO, [Adresse 3] (Puy-de-Dôme), et a fait ensuite l'objet d'une dénonciation à la même date par acte d'huissier de justice auprès de Mme [M] [K] [P] et de M. [X] [C], tous deux en qualité de co-gérants de la société MA DO, avec remise personnelle de l'acte de dénonciation à Mme [M] [K] [P]. Cet acte extrajudiciaire apparaît donc normalement opposable à la société MA DO.
L'acte de commandement de payer valant saisie immobilière signifié par acte d'huissier de justice du 4 novembre 2020 a en conséquence été délivré dans le respect de la prescription quinquennale du fait de ces interruptions successives de prescription, ce qui amène à rejeter la fin de non-recevoir soulevée au titre de la prescription quinquennale par la société MA DO, conformément à ce qui a été jugé en la matière en première instance.
3/ Sur les autres demandes :
En ce qui concerne la créance litigieuse arrêtée à la somme totale de 434.828,07 € à la date du 15 juillet 2020 en première instance, la société MA DO ne conteste que le poste d'indemnité de résiliation anticipée dont le montant a été fixé à la somme de 13.981,61 €par prélèvement de 4 % du capital restant dû à hauteur de 349.540,30 €. Elle en demande la réduction à la somme symbolique d'1,00 €. La société BANQUE NUGER conteste de son côté cet abattement de 8 % à 4 %, réclamant le retour au taux de 8 % prévu au contrat.
Il convient en l'occurrence de considérer que le premier juge, faisant application des dispositions de l'article 1231-5 du Code civil, a correctement usé en équité de son pouvoir modérateur des clauses pénales en ramenant cette indemnité de résiliation anticipée de 8 % à 4 %. Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé sur ce point.
Dans ces conditions, la créance litigieuse, dont les autres modes de calcul ne sont pas contestés, sera réactualisée dans les conditions suivantes :
* capital restant dû au 10 mai 2015, soit : 349.540,30 € ;
* intérêts de retard au taux conventionnel de 3,5 % pour la période du 10 mai 2015 au 23 juin 2022, soit : 87.178,21 € ;
* échéances impayées du 10 avril 2015 au 10 mai 2015, soit : 3.423,57 €;
* intérêts de retard au taux de 3,5 % du 10 mai 2015 au 23 juin 2022, soit : 866,07 € ;
* indemnité d'exigibilité de 4 %, soit : 13.981,61 € ;
* précédent paiement à déduire, soit : 5.000,00 € ;
* montant total net général, soit : 449.989,76 €, outre intérêts de retard au taux conventionnel de 3,55 % du 23 juin 2002 jusqu'à parfait paiement .
L'article R.322-15 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution disposent que « Lorsqu'il autorise la vente amiable, le juge s'assure qu'elle peut être conclue dans des conditions satisfaisantes compte tenu de la situation du bien, des conditions économiques du marché et des diligences éventuelles du débiteur. ».
En l'occurrence, la société MA DO ne justifie pas davantage en cause d'appel qu'en première instance de conditions alternatives satisfaisantes à la vente forcée du bien litigieux. Elle ne produit en effet qu'un document estimatif établi le 27 septembre 2021 par une agence immobilière de [Localité 11] (Puy-de-Dôme), faisant état d'une fourchette de prix entre 130.000,00 € et 150.000,00 €. Force est de constater que ce document demeure trop conjectural pour refléter une tendance du marché immobilier local et pour constituer une alternative crédible, la société MA DO ne produisant par ailleurs aucune autre pièce de nature à caractériser un engagement ferme d'acquisition à plutôt bref délai de la part d'une personne tierce ou une quelconque autre perspective sérieuse de vente. Par ailleurs les diligences que l'on pourrait attendre d'elle dans le cadre de la présentation d'une alternative de vente amiable ne sont pas convaincantes. En effet l'attestation établie le 17 décembre 2021 par M. [S] [Y], précisant l'état d'usure avancée de la couverture [en chaume] de cette maison, est totalement insuffisante pour objectiver cette fourchette de prix. Enfin, l'attestation manuscrite d'engagement d'achat formée par M. [E] [C] ne peut qu'être écartée comme en première instance, cette offre n'étant accompagnée d'aucun justificatif quant au sérieux de cette offre ni d'aucune garantie financière.
Dans ces conditions, le jugement de première instance sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande de vente amiable, ordonné la vente forcée du bien immobilier litigieux et rejeté le surplus des demandes des parties. Il sera également confirmé en ce qui concerne la mise à prix à hauteur de 120.000,00 € et les conditions usuelles de visites préalables du bien objet de la vente. Enfin, le premier juge a fait une correcte application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de l'emploi des dépens en frais de saisie après taxation.
En définitive, le jugement de première instance sera confirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la date de déchéance du terme et le montant réactualisé de la créance mise en recouvrement forcé pour les motifs précédemment énoncés.
Il n'y a pas lieu de fixer en cause d'appel la date d'adjudication, celle-ci devant être fixée à nouveau par le premier juge.
Il n'y a pas davantage lieu de faire droit en cause d'appel à la demande de la société BANQUE NUGER de la désignation nominative d'un huissier de justice concernant les visites du bien immobilier ainsi que leurs modalités de mise en œuvre, ces questions étant afférentes à la date d'adjudication devant être fixée à nouveau par le premier juge.
Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de la société BANQUE NUGER les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 1.500,00 €.
Succombant à l'instance, la société MA DO sera purement et simplement déboutée de sa demande de défraiement formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de l'instance seront employés en frais de saisie immobilière après taxation.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement d'orientation n° RG-21/00005 rendu le 25 mars 2022 par le Juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, sauf à préciser que la date de déchéance du terme est le 26 mai 2015 et que la créance mise en recouvrement est réactualisée à la somme totale de 449.989,76 €, outre intérêts de retard au taux conventionnel de 3,55 % du 23 juin 2002 jusqu'à parfait paiement.
Y ajoutant.
ORDONNE le renvoi du dossier de la procédure devant le Juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand afin de fixer la date d'adjudication ainsi que les modalités usuelles de mise en œuvre de cette vente immobilière forcée.
CONDAMNE la SCI MA DO à payer au profit de la SA BANQUE NUGER une indemnité de 1.500,00 € en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile.
REJETTE le surplus des demandes des parties.
DIT que les entiers dépens de l'instance seront employés en frais de saisie à la suite de leur taxation.
Le greffier, Le Président,
- 5860 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection implicite
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- 5983 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Juge de l’exécution (JEX)