CA NÎMES (ch. civ. 1re ch.), 8 décembre 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9987
CA NÎMES (ch. civ. 1re ch.), 8 décembre 2022 : RG n° 21/02820
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Comme le conclut à bon droit l'appelante, l'action qui tend à faire constater le caractère abusif d'une clause contractuelle en application de l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation est exclusive de toute prescription. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, VB et a., C-776/19 à C-782/19). »
2/ « Pour démontrer le déséquilibre significatif entre les obligations des parties créé par les deux clauses susvisées, l'appelante évoque l'asymétrie d'information entre la banque et elle-même, les deux clauses lui ayant interdit d'appréhender le surcoût pouvant résulter de la pleine utilisation du préfinancement, surcoût qu'elle évalue à 21,84 % du coût du crédit. Elle estime que les intérêts de la période maximale de préfinancement de 30 mois auraient dû être intégrés dans le coût total du crédit et le TEG. Quant au calcul des intérêts sur la base d'une année lombarde (360 jours), l'appelante estime qu'elle a majoré de manière dissimulée le montant des intérêts et se fonde sur les conclusions du rapport d'expertise établi par M. Y qu'elle verse aux débats (pièce n°3 communiquée par l'appelante).
Le rapport d'expertise de M. Y, s'il a relevé que les intérêts périodiques avaient été calculés non pas sur l'année civile mais sur la base d'une année de 360 jours n'a cependant pas constaté que ce mode de calcul avait entraîné un surcoût excédant la décimale. La banque quant à elle démontre que le TEG recalculé sur la base d'une année civile (365 jours) est égal à 3,36 % soit un TEG inférieur à celui de 3,38 % mentionné dans l'offre de prêt.
La cour considère donc que la clause se référant à une année de 360 jours pour calculer le montant des intérêts contractuels s'analyse en une clause d'équivalence financière dont il n'est pas établi qu'elle a entraîné un surcoût représentant un montant supérieur à la décimale prescrite en matière de calcul du taux effectif global. »
3/ « Pour évaluer l'impact théorique des frais et intérêts de la phase de préfinancement sur le TEG et le surcoût du crédit dans l'hypothèse d'une pleine utilisation du préfinancement, il est nécessaire de tenir compte de la durée totale du crédit, laquelle comprend non seulement la durée de l'amortissement (240 mois) mais aussi la durée maximale de la période de préfinancement (30 mois). Le déséquilibre significatif allégué lequel résulterait de l'erreur de TEG excédant la décimale de 0,98 (TEG de 4,36 % l'an au lieu du TEG de 3,38 % mentionné dans l'offre de prêt) n'est donc pas établi, l'expert désigné par l'appelante ayant mesuré l'impact de l'intégration des frais et intérêts de la phase de préfinancement sur la seule durée de l'amortissement (240 mois). L'intimée peut donc opposer la fin de non-recevoir tirée de la prescription à l'appelante, les clauses critiquées ne pouvant être qualifiées d'abusives. »
4/ « Pour que le point de départ du délai de prescription de cette action soit fixé à la date du contrat de prêt, il importe de s'assurer que l'emprunteur était effectivement en mesure de déceler par lui-même à la lecture de l'acte de prêt l'erreur affectant le TEG.
La cour relève que les éléments pris en compte pour le calcul du TEG figurent expressément dans le contrat de prêt souscrit par X. le 11 octobre 2010: les deux clauses susvisées ont été insérées dans le contrat et rédigées en termes clairs et précis de sorte qu'elles ont permis à l'emprunteuse dès la simple lecture de ce dernier de comprendre sans équivoque possible que les intérêts seraient calculés sur la base d'une année de 360 jours et que les intérêts et frais de la période de préfinancement ne seraient pas intégrés au calcul du TEG et du coût total du crédit. Les irrégularités déplorées par l'appelante étaient donc décelables dès la signature du contrat. Comme elle a eu une connaissance effective des irrégularités dénoncées le jour de la signature du contrat, rien ne justifie de reporter le point de départ du délai de prescription à la date de réalisation de l'expertise, aucune atteinte au principe de la protection de l'effectivité des droits n'étant caractérisée.
Le principe d'égalité des armes évoqué par l'appelante ne peut par ailleurs justifier un report du point de départ du délai de prescription en l'absence de tout fondement légal. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 8 DÉCEMBRE 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/02820. N° Portalis DBVH-V-B7F-ID5S. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON en date du 28 mai 2021, R.G. n° 2019009883.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère, Mme Séverine LEGER, Conseillère.
GREFFIER : Mme Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats, et Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors du prononcé.
DÉBATS : A l'audience publique du 4 octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 novembre 2022 et prorogé au 8 décembre 2022. Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
Madame X.
née le [Date naissance 2] à [Localité 6], [Adresse 4], [Localité 3], Représentée par Maître Karine HAROUTUNIAN-ASSANTE, Postulant, avocat au barreau D'AVIGNON, Représentée par Maître Jérémie BOULAIRE, Plaidant, avocat au barreau de DOUAI
INTIMÉE :
CAISSE D'ÉPARGNE CEPAC
Banque Coopérative régie par la loi du 25 juin 1999, SA à Directoire et Conseil d'Orientation et de surveillance, au capital de XXX € immatriculée au Registre du Commerce des Sociétés de MARSEILLE, sous le numéro YYY, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié en cette qualité audit siège. [Adresse 7], [Localité 1], Représentée par Maître Christine TOURNIER BARNIER de la SCP TOURNIER & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES, Représentée par Maître Gilles MATHIEU de la SELARL MATHIEU DABOT & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
ARRÊT : Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 8 décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Afin de financer l'achat d'un bien immobilier situé à [Localité 5] (84), X. a contracté un prêt immobilier auprès de la société Caisse d'Epargne (CEPAC) selon offre du 27 août 2010 acceptée le 11 octobre 2010. Le prêt d'un montant de 152 573,74 euros était remboursable en 240 mensualités, au taux nominal révisable de 3,26 % l'an. Le taux effectif global figurant dans le prêt était de 3,38 % l'an.
Excipant du caractère erroné du TEG mentionné dans le contrat de prêt au double motif que les intérêts périodiques étaient calculés sur la base d'une année de 360 jours et non d'une année civile et que les frais de la période de préfinancement du prêt n'avaient pas été intégrés au TEG, X. a assigné la banque devant le tribunal de commerce d'Avignon par acte du 11 juillet 2019 aux fins de voir ordonner la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel, à lui restituer le trop-perçu et lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté contractuelle.
Par jugement contradictoire du 28 mai 2021, le tribunal a :
- déclaré irrecevable X. en ses pièces et écritures n'ayant pas saisi valablement le juge à l'audience de plaidoiries ;
- déclaré irrecevable X. en ses demandes comme étant prescrites ;
- débouté la Caisse d'Epargne CEPAC de sa demande de dommages-intérêts ;
- condamné X. à payer à la Caisse d'Epargne CEPAC la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les premiers juges ont estimé au visa de l'article 446-1 du code de procédure civile que les conclusions et pièces de la demanderesse laquelle ne s'était pas présentée lors de l'audience de plaidoiries étaient irrecevables puisque son dossier de plaidoirie était parvenu au greffe après l'audience. Ils ont par ailleurs considéré que seule la date de la signature du contrat de prêt pouvait être retenue comme point de départ de la prescription prévue à l'article L. 110-4-1 du code de commerce : le contrat étant du 11 octobre 2010 et l'assignation du 11 juillet 2019, toutes les demandes de l'emprunteuse sont prescrites.
Par déclaration du 20 juillet 2021, X. a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 17 juin 2022, la procédure a été clôturée le 19 septembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 4 octobre 2022.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS :
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2022, X., appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la Caisse d'Epargne CEPAC de sa demande de dommages-intérêts et, statuant à nouveau des chefs infirmés,
- déclarer ses demandes recevables et bien fondées,
- juger abusive et réputée non écrite la clause ayant pour objet et pour effet d'exclure de l'assiette du coût total prévisionnel du crédit, le coût du préfinancement et écarter son application,
- ordonner la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel depuis la souscription du contrat initial qu'elle a souscrit consécutivement à l'annulation de la stipulation d'intérêts,
A titre subsidiaire,
- condamner la Caisse d'Epargne CEPAC à lui rembourser la somme de 0,19 euros, correspondant à la majoration dissimulée des intérêts de l'échéance du 14 juillet 2011 procédant de la pratique du diviseur 360,
En tout état de cause,
- condamner la Caisse d'Epargne CEPAC à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté contractuelle,
- condamner la Caisse d'Epargne CEPAC à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeter toutes demandes et prétentions contraires de la Caisse d'Epargne CEPAC.
L'appelante fait valoir les moyens suivants :
Sur la prescription, X. soutient que les deux clauses litigieuses (calcul des intérêts sur 360 jours et exclusion des frais de la période de préfinancement du coût total du crédit et du calcul du TEG) sont abusives au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation de sorte que son action en ce qu'elle tend à faire échec à une clause abusive ne peut se prescrire. Elle ajoute qu'elle est restée dans l'ignorance des erreurs contenues dans le contrat jusqu'à ce qu'un sachant les lui révèle : le point de départ du délai de prescription doit donc être à son avis reporté à la date du rapport d'expertise qu'elle a fait réaliser en vertu du principe de l'effectivité des droits des justiciables et notamment des consommateurs lequel commande de considérer qu'un consommateur normalement diligent peut légitimement ignorer les irrégularités renfermées dans le contrat et n'est pas tenu de les déceler. Comme le prêt est toujours en cours d'exécution et que le prêteur a le droit de réclamer le paiement pendant toute la durée du prêt, elle considère qu'en sa qualité d'emprunteur elle conserve le droit de contester la validité du contrat pendant la même durée en vertu du principe de l'égalité des armes prévue consacré par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Enfin, l'appelante considère que le comportement frauduleux adopté par la banque qui a édité en 2016 un nouveau tableau d'amortissement afin de masquer l'application erronée du diviseur 360, prive cette dernière du droit de se prévaloir de la prescription quinquennale selon l'adage fraus omnia corrumpit.
Sur le fond, l'appelante fait grief à la banque d'avoir manqué à son obligation de loyauté lors de la conclusion et de l'exécution du contrat ainsi que le démontre le rapport d'expertise qu'elle verse aux débats et dont la recevabilité ne saurait être remise en cause. Le prêteur a selon elle omis de prendre en compte dans le calcul du TEG les frais de la période de préfinancement pourtant déterminables et de ne pas avoir inclus dans le coût total du crédit les intérêts intercalaires : la somme de 12.434,76 euros a en conséquence de ces omissions été occultée dans son offre de prêt entraînant ainsi une charge supplémentaire de l'ordre de 21,84 % qu'elle ignorait totalement. Aussi cette clause doit-elle être réputée non écrite et par suite la stipulation d'intérêts, qui lui est indivisible, doit être annulée. L'emprunteuse sollicite en tout état de cause la déchéance des intérêts conventionnels et l'indemnisation du préjudice moral causé par les manquements de la Caisse d'Epargne à son obligation de loyauté.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 juillet 2022, la Caisse d'Epargne, intimée, demande à la cour de confirmer le jugement dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts formulée à l'encontre de Mme X. pour procédure abusive et, statuant à nouveau, de :
- condamner Mme X. à lui payer la somme de 10.000 euros pour procédure abusive
En tout état de cause,
- la condamner au paiement d'une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur la prescription, la banque considère qu'il n'y a pas lieu de reporter le point de départ du délai de prescription car l'appelante avait connaissance des faits qu'elle invoque dès la signature du contrat de prêt lequel exposait expressément les éléments pris en compte dans les calculs du TEG. Elle conteste le caractère imprescriptible de la clause abusive dont l'existence ne serait en outre pas établie.
Elle réfute tout manquement à son devoir de loyauté contractuelle et considère que le rapport d'expertise sur lequel se fonde l'appelante, non contradictoire, doit être écarté des débats. L'absence d'intégration de la période de préfinancement dans l'assiette du TEG, favorable aux intérêts de l'emprunteur, n'est pas de nature à son avis à le rendre irrégulier, lesdits frais étant par définition indéterminables. Le prêt litigieux est soumis aux dispositions des articles L. 312-1 ancien et suivants du code de la consommation, la seule sanction d'un éventuel manquement aux dispositions de l'article L. 312-8 est la déchéance du droit aux intérêts. La banque s'estime fondée à obtenir la condamnation de l'appelante au titre de sa responsabilité délictuelle au paiement de la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de la procédure et de l'atteinte portée à son image.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur la prescription :
L'action de l'emprunteuse tend à l'annulation de la clause stipulant les intérêts conventionnels, à la déchéance des intérêts conventionnels et à l'indemnisation de son préjudice découlant du manquement de la banque à son obligation de responsabilité contractuelle.
Les premiers juges ont considéré que le point de départ du délai de prescription de cinq ans prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce était le 25 septembre 2010, date de la signature de l'offre de prêt et constaté que l'action engagée par X. contre la Cepac était prescrite.
L'argumentation de l'appelante consiste à soutenir non seulement que la prescription doit être écartée au double motif qu'elle ne s'applique pas aux clauses dont la validité est contestée lesquelles seraient des clauses abusives et que la banque est privée de son droit de l'invoquer à titre de sanction de la fraude qu'elle a commis mais aussi que le point de départ du délai de prescription n'est pas la date de la conclusion du contrat de prêt doit être reporté à une date ultérieure afin de laisser à l'emprunteur le temps de prendre connaissance de manière effective des irrégularités et de lui faire bénéficier d'un délai d'une durée équivalente à celui dont bénéficie le prêteur pour agir contre lui.
Sur le droit de la banque de se prévaloir de la prescription de l'action de l'emprunteuse :
La prescription doit-elle être écartée parce que l'action de l'appelante tend à faire échec à des clauses abusives non soumises à la prescription ?
X. soutient que les deux clauses litigieuses (calcul des intérêts sur 360 jours et exclusion des frais de la période de préfinancement du coût total du crédit et du calcul du TEG) sont abusives au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation.
Elle considère en effet que leur rédaction n'est ni claire ni compréhensible et produit un déséquilibre significatif entre le professionnel et le consommateur découlant de l'asymétrie d'information qu'elle crée entre ces derniers, le consommateur restant dans l'ignorance du surcoût du crédit dans l'hypothèse d'une pleine utilisation du préfinancement. En omettant de prendre en compte dans le calcul du TEG les frais de la période de préfinancement et dans le coût total du crédit les intérêts intercalaires, la banque a ainsi occulté la somme de 12.434,76 euros représentant une charge d'emprunt supplémentaire de l'ordre de 21,84 % que l'emprunteuse ignorait totalement.
L'appelante en déduit que son action en ce qu'elle tend à faire échec à une clause abusive ne peut donc pas se prescrire. En page 35 de ses conclusions, l'appelante précise comme suit le fondement de son action : « il s'agit au premier chef non pas de tirer les conséquences d'une erreur de TEG ou d'une irrégularité affectant les modalités de calcul des intérêts mais de faire échec à une clause abusive ayant pour effet de minorer artificiellement la présentation du coût de crédit. Or, cette clause est indivisible de la clause d'intérêts...qui ne peut qu'être annulée... » L'appelante considère donc que si la clause stipulant le mode de calcul des intérêts conventionnels est réputée non écrite pour être jugée abusive, la clause stipulant les intérêts conventionnels suit le sort de la clause qui régissait son application et que son annulation en est la conséquence nécessaire.
La Caisse d'Epargne rappelle à la cour qu'aucun texte ne prévoit l'imprescriptibilité de l'action sur le fondement de clauses abusives, laquelle relève du droit des contrats et reste soumise à la prescription quinquennale. Elle estime aussi que la preuve du caractère abusif de la clause 30/360 n'est au demeurant pas rapportée par l'appelante qui échoue à justifier du déséquilibre significatif allégué, cette modalité de calcul étant par ailleurs conforme aux dispositions légales dès lors qu'elle aboutit au même résultat par un calcul simplifié.
Comme le conclut à bon droit l'appelante, l'action qui tend à faire constater le caractère abusif d'une clause contractuelle en application de l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation est exclusive de toute prescription. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, VB et a., C-776/19 à C-782/19).
Selon les dispositions de l'ancien article L. 132-1 du code de la consommation applicable au contrat de prêt litigieux, est abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. La charge de la preuve du déséquilibre significatif incombe à celui qui en invoque l'existence.
Les deux clauses jugées abusives par l'appelante sont les suivantes :
« Durant le préfinancement, les intérêts sont calculés sur le montant des sommes débloquées, au taux d'intérêt indiqué ci-dessus sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours. Durant la phase d'amortissement, les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû...sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours. »
« Le coût total du crédit et le taux effectif global ne tient pas compte des intérêts intercalaires, de la prime de raccordement d'assurance et le cas échéant des primes d'assurance de la phase de préfinancement ».
Pour démontrer le déséquilibre significatif entre les obligations des parties créé par les deux clauses susvisées, l'appelante évoque l'asymétrie d'information entre la banque et elle-même, les deux clauses lui ayant interdit d'appréhender le surcoût pouvant résulter de la pleine utilisation du préfinancement, surcoût qu'elle évalue à 21,84 % du coût du crédit. Elle estime que les intérêts de la période maximale de préfinancement de 30 mois auraient dû être intégrés dans le coût total du crédit et le TEG. Quant au calcul des intérêts sur la base d'une année lombarde (360 jours), l'appelante estime qu'elle a majoré de manière dissimulée le montant des intérêts et se fonde sur les conclusions du rapport d'expertise établi par M. Y qu'elle verse aux débats (pièce n°3 communiquée par l'appelante).
Le rapport d'expertise de M. Y, s'il a relevé que les intérêts périodiques avaient été calculés non pas sur l'année civile mais sur la base d'une année de 360 jours n'a cependant pas constaté que ce mode de calcul avait entraîné un surcoût excédant la décimale. La banque quant à elle démontre que le TEG recalculé sur la base d'une année civile (365 jours) est égal à 3,36 % soit un TEG inférieur à celui de 3,38 % mentionné dans l'offre de prêt.
La cour considère donc que la clause se référant à une année de 360 jours pour calculer le montant des intérêts contractuels s'analyse en une clause d'équivalence financière dont il n'est pas établi qu'elle a entraîné un surcoût représentant un montant supérieur à la décimale prescrite en matière de calcul du taux effectif global.
L'appelante soutient aussi que la clause excluant les frais de la période de préfinancement du coût total du crédit et du TEG ne lui a pas permis de connaître le montant réel de son engagement et la considère en conséquence abusive.
La banque soutient que la clause critiquée n'a pu entraîner aucun déséquilibre significatif : tout au contraire, l'intégration des intérêts et frais de la période de préfinancement aurait mécaniquement minoré le TEG car la durée du prêt aurait alors été rallongée de 30 mois, durée maximale de la période de préfinancement.
L'appelante estime quant à elle que le TEG doit être calculé sur la base de la seule durée initiale de l'amortissement et qu'il n'y a pas lieu d'allonger cette durée à concurrence de celle du préfinancement. Elle fait valoir que le déséquilibre significatif créé par la clause litigieuse est démontré par le rapport d'expertise établi par M. Y qu'elle verse aux débats et qui conclut que l'absence d'intégration du coût de la phase de préfinancement entraîne une erreur de TEG excédant la décimale de 0,98 (TEG de 4,36 % l'an au lieu du TEG de 3,38 % mentionné dans l'offre de prêt).
Pour évaluer l'impact théorique des frais et intérêts de la phase de préfinancement sur le TEG et le surcoût du crédit dans l'hypothèse d'une pleine utilisation du préfinancement, il est nécessaire de tenir compte de la durée totale du crédit, laquelle comprend non seulement la durée de l'amortissement (240 mois) mais aussi la durée maximale de la période de préfinancement (30 mois). Le déséquilibre significatif allégué lequel résulterait de l'erreur de TEG excédant la décimale de 0,98 (TEG de 4,36 % l'an au lieu du TEG de 3,38 % mentionné dans l'offre de prêt) n'est donc pas établi, l'expert désigné par l'appelante ayant mesuré l'impact de l'intégration des frais et intérêts de la phase de préfinancement sur la seule durée de l'amortissement (240 mois).
L'intimée peut donc opposer la fin de non-recevoir tirée de la prescription à l'appelante, les clauses critiquées ne pouvant être qualifiées d'abusives.
La prescription doit-elle-être écartée pour sanctionner la déloyauté de la banque ?
L'appelante soutient que la déloyauté de la banque à son égard la prive de son droit de se prévaloir de la prescription quinquennale selon l'adage fraus omnia corrumpit. Elle considère en effet que la banque a, au mépris des règles de droit applicables, rédigé l'offre, stipulé et pratiqué des intérêts sur une année de 360 jours et que de surcroît, dans le dessein de dissimuler ses manquements, elle n'a pas hésité à éditer le 15 décembre 2016 un faux tableau d'amortissement pour dissimuler l'application erronée du diviseur 360.
X. ne rapporte pas toutefois la preuve de l'élément intentionnel de la fraude dont elle accuse la banque.
La seule mention d'un TEG erroné n'est pas en elle-même constitutive d'une fraude.
M. Y a relevé que le tableau d'amortissement du 15 décembre 2016 présentait des montants d'intérêts intercalaires modifiés par rapport à ceux du tableau d'amortissement édité le 17 décembre 2011, les premiers ayant été calculés sur la base du diviseur 365 tandis que les seconds l'ont été sur la base du diviseur 360.
L'appelante ne peut déduire de cette seule distorsion entre les deux tableaux d'amortissement la preuve de l'intention délibérée de la banque de dissimuler à sa cliente l'erreur qu'elle aurait commise dans le calcul du TEG.
Sur le point de départ du délai de prescription de l'action de l'emprunteuse :
L'offre de prêt acceptée par X. le 25 septembre 2010 stipule :
« Durant le préfinancement, les intérêts sont calculés sur le montant des sommes débloquées, au taux d'intérêt indiqué ci-dessus sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours. Durant la phase d'amortissement, les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû...sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours. »
« Le coût total du crédit et le taux effectif global ne tient pas compte des intérêts intercalaires, de la prime de raccordement d'assurance et le cas échéant des primes d'assurance de la phase de préfinancement ».
L'appelante fait grief au tribunal d'avoir jugé que le point de départ du délai de prescription était la date de la signature de l'offre de prêt alors qu'elle est restée dans l'ignorance des erreurs contenues dans le contrat jusqu'à ce qu'un sachant les lui révèle et rappelle que le principe de l'effectivité des droits des justiciables et notamment des consommateurs commande tant en droit interne qu'en droit de l'Union d'écarter un régime de prescription fondé sur une présomption de connaissance parfaite des irrégularités renfermées dans un contrat de sorte qu'on peut postuler qu'un consommateur normalement diligent peut légitimement les ignorer et n'est pas tenu de les déceler. Elle considère de surcroît que l'action du consommateur tendant à contester la validité du contrat de prêt ne saurait être enfermée dans un délai de cinq ans débutant dès la conclusion du contrat quand le prêteur bénéficie d'un délai égal à toute la durée du prêt pour exercer son action en paiement contre l'emprunteur.
L'intimé soutient que la prescription de la demande de nullité de la clause d'intérêt conventionnel est acquise en application de l'article 1304 du code civil car l'offre de prêt exposait expressément les éléments pris en compte dans le calcul du TEG de sorte qu'elle a pu déceler l'erreur affectant le taux effectif global dès la signature du prêt. Elle considère que la prescription de l'action en déchéance des intérêts est acquise, le point de départ de la prescription prévue par l'article L. 110-4 du code de commerce lequel n'est pas flottant étant la date de la signature du prêt.
La cour de cassation considère que le point de départ de l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel comme de l'action en déchéance du droit aux intérêts, formée en raison d'une erreur affectant le TEG, se situe au jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur (Civ. 1ère, 11 juin 2009 et Civ. 1ère, 15 juin 2016).
Pour que le point de départ du délai de prescription de cette action soit fixé à la date du contrat de prêt, il importe de s'assurer que l'emprunteur était effectivement en mesure de déceler par lui-même à la lecture de l'acte de prêt l'erreur affectant le TEG.
La cour relève que les éléments pris en compte pour le calcul du TEG figurent expressément dans le contrat de prêt souscrit par X. le 11 octobre 2010: les deux clauses susvisées ont été insérées dans le contrat et rédigées en termes clairs et précis de sorte qu'elles ont permis à l'emprunteuse dès la simple lecture de ce dernier de comprendre sans équivoque possible que les intérêts seraient calculés sur la base d'une année de 360 jours et que les intérêts et frais de la période de préfinancement ne seraient pas intégrés au calcul du TEG et du coût total du crédit. Les irrégularités déplorées par l'appelante étaient donc décelables dès la signature du contrat. Comme elle a eu une connaissance effective des irrégularités dénoncées le jour de la signature du contrat, rien ne justifie de reporter le point de départ du délai de prescription à la date de réalisation de l'expertise, aucune atteinte au principe de la protection de l'effectivité des droits n'étant caractérisée.
Le principe d'égalité des armes évoqué par l'appelante ne peut par ailleurs justifier un report du point de départ du délai de prescription en l'absence de tout fondement légal.
L'action en responsabilité formée contre la Caisse d'Epargne est pareillement prescrite en application de l'article 2224 du code civil, les manquements de la banque à son obligation de loyauté contractuelle dans la conclusion du contrat invoqués par l'appelante - calcul des intérêts sur 360 jours et non intégration des frais et intérêts de la période de préfinancement - étant aisément décelables à la lecture du contrat de prêt. La date de conclusion du contrat de prêt sera donc retenue comme point de départ de la prescription de l'action en responsabilité au titre desdits manquements.
L'action en responsabilité fondée sur l'édition d'un tableau d'amortissement targué de faux n'est en revanche pas prescrite, ledit tableau d'amortissement ayant été édité le 15 décembre 2016, moins de cinq ans avant l'assignation.
La demande de l'appelante sera néanmoins rejetée, faute pour elle de rapporter la preuve que le calcul des intérêts de la phase de préfinancement sur la base d'une année civile de 365 jours au lieu d'une année lombarde de 360 jours lui a causé un préjudice. La réalité de ce préjudice est d'autant plus douteuse que l'essentiel de l'argumentation de l'appelante repose sur le postulat que le calcul du TEG sur la base d'une année de 360 jours au lieu de 365 jours lui a été défavorable et caractérise une manœuvre déloyale lui causant un préjudice.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive :
L'intimée estime que l'appelante a exercé abusivement son droit d'agir en justice et souligne que son action s'inscrit dans le contexte d'innombrables procès menés par des emprunteurs tentant, sur la base de rapports d'expertise indigents, de convaincre les juridictions que les banques leur ont consenti des crédits en faussant les éléments de calcul du TEG. Elle déduit l'intention de nuire de la multiplicité des actions intentées contre elle, lesquelles ternissent son image et s'estime victime d'un acharnement procédural de X.
La Caisse d'Epargne ne démontre pas quelle est la faute commise par X. qui a fait dégénérer en abus l'exercice de son droit d'agir en justice. Le seul fait que son action soit fondée sur une argumentation semblable à celle développée par de nombreux plaideurs ne caractérise pas cette faute et aucun acharnement procédural n'est établi, la banque ne rapportant pas la preuve que l'emprunteuse a engagé contre elle d'autres actions.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité justifie de condamner X. à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité fondée sur l'édition par la banque d'un faux tableau d'amortissement le 15 décembre 2016,
Statuant à nouveau sur ce seul point,
Déclare la demande recevable,
Déboute X. de cette demande,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Déboute X. de sa demande tendant à déclarer réputée non écrite comme étant une clause abusive la clause ayant pour objet et pour effet d'exclure de l'assiette du coût total prévisionnel du crédit le coût du préfinancement,
Condamne X. à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
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