T. COM. PARIS (6e ch.), 2 octobre 2006
CERCLAB/CRDP - FICHE N° 1055
T. COM. PARIS (6e ch.), 2 octobre 2006 : RG n° 2005/028485
Publication : Juris-Data n° 343304
Extrait : « Attendu que les conditions générales de CHRONOPOST indiquent clairement des restrictions de prise en charge ; que les réponses à appel d’offre font partie de celles-ci ; que l’existence de ces conditions générales est rappelée au recto du Bordereau d’Envoi à l’emplacement où l’expéditeur appose sa signature, que leurs clauses essentielles, dont les restrictions de prise en charge, sont reproduites au verso du dit bordereau, que ces restrictions sont également imprimées de manière apparente sur l’enveloppe contenant l’envoi ; qu’un service particulier est par ailleurs proposé pour envoyer un appel d’offre ; qu’il s’agit de restrictions de prise en charge et non de limitation de responsabilité, qu’elles ont ainsi force contractuelle et n’ayant aucun caractère abusif, ne sauraient être réputées non écrites ».
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS
SIXIÈME CHAMBRE
JUGEMENT DU 2 OCTOBRE 2006
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG 2005028485 - 09.05.2005
ENTRE :
SA BENEDETTI,
dont le siège social est [adresse] - RCS [ville] XX. PARTIE DEMANDERESSE assistée de la SCP GONTARD G TOULOUSE MAUBOURGUET Avocats au barreau d’Avignon et comparant par Maître SELIGMAN Avocat, [adresse].
ET :
SA CHRONOPOST,
dont le siège social est [adresse]. PARTIE DÉFENDERESSE assistée de Maître GARRABOS Avocat et comparant par Maître Marie-France DUFFOUR-LUCET, Avocat (B.242)
APRES EN AVOIR DÉLIBÉRÉ
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LES FAITS :
L’entreprise BENEDETTI SA a déposé, le 7 juin 2004 à 14 H 00, un pli postal au bureau de La Poste à L’ISLE SUR LA SORGUE. Ce pli, envoyé sous la forme colis Chronopost, contenait la réponse à un appel d’offres et était destiné aux Etablissements du Génie de GRENOBLE. La date limite de remise des offres était fixée au 8 juin à 16 h 00. Or, le pli n’est parvenu à son destinataire que le 9 juin à 8 h 30 et donc a mis plus de 36 heures pour parvenir à son destinataire. Arrivée hors délai, l’offre n’a pas été retenue. C’est dans ces conditions que le Tribunal de céans a été saisi.
LA PROCÉDURE :
Par acte extrajudiciaire du 5 avril 2005, signifié à personne habilitée, la SA BENEDETTI a assigné devant ce tribunal la SA CHRONOPOST et demandé au tribunal de la condamner à lui payer :
- 67.713,27 euros avec intérêts de retard au taux légal à compter de l’assignation
- 1.500,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du NCPC
- EP [N.B. : exécution provisoire] et dépens requis.
Par jugement en date 6 juin 2005, Le Tribunal a renvoyé l’affaire, à la demande des parties, celle-ci n’étant pas en état d’être plaidée.
[minute page 2] Par des conclusions en date du 24 octobre 2005, la SA CHRONOPOST a demandé de :
- Juger la société Benedetti irrecevable en sa demande, faute de justifier d’un intérêt à agir. L’en débouter.
Subsidiairement,
- Juger la société Benedetti mal fondée en toutes ses demandes : L’en débouter.
Très subsidiairement,
- Juger que la condamnation susceptible d’être prononcée à l’encontre de la société Chronopost ne saurait excéder le prix du transport,
- Débouter en conséquence la société Benedetti pour le surplus de ses demandes,
- Condamner en toute hypothèse la société Benedetti à payer à la société Chronopost la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du NCPC,
- EP et dépens requis.
Par des conclusions responsives régularisées en date du 5 décembre 2005 la SA BENEDETTI a réitéré.
Par des conclusions récapitulatives en date du 6 février 2006 la SA CHRONOPOST a réitéré.
Par des conclusions récapitulatives et responsives en date du 20 mars 2006 la SA BENEDETTI a réitéré, portant à 4.000 euros sa demande au titre de l’article 700 du NCPC.
Par des conclusions récapitulatives N° 2 en date du 20 mars 2006 la SA CHRONOPOST a réitéré.
Par des conclusions récapitulatives et responsives N° 2 et N° 3 en date du 15 mai 2006 la SA BENEDETTI a réitéré.
Lors de l’audience du 3 juillet 2006, à laquelle les parties étaient présentes, le juge rapporteur après avoir écouté leurs observations, a prononcé la clôture des débats, mis le jugement en délibéré et dit qu’il sera prononcé le 2 octobre 2006.
DIRES ET MOYENS DES PARTIES :
La SA BENEDETTI, demanderesse, expose que par la lenteur de l’acheminement du colis objet du litige, la SA CHRONOPOST a manqué à son obligation contractuelle essentielle de célérité. La société CHRONOPOST ne peut alors opposer les clauses limitatives de responsabilité prévues dans le bordereau d’envoi, signé par le client, car ayant pour effet de remettre en cause l’objet même du contrat elles devront être réputées non écrites. Reprenant les dispositions de l’article 1147 du Code Civil, elle souligne que le responsable « clientèle » de la [minute page 3] Poste Grenoble-Chavant ayant reconnu l’existence d’un dysfonctionnement dans le service de distribution qui a gardé le document pendant 24 heures sans le distribuer, il y a eu faute lourde et CHRONOPOST lui doit réparation. La demanderesse ajoute qu’elle a choisi CHRONOPOST afin de se prémunir de tout risque de non-distribution ou de distribution tardive. Pourtant, du fait de la défaillance de celle-ci, la SA BENEDETTI a vu son offre rejetée, comme parvenue hors délais. L’existence d’une faute lourde fait que CHRONOPOST ne peut limiter sa responsabilité au coût du transport litigieux. Répondant aux conclusions de son adversaire sur son intérêt à agir, elle en justifie par la production de sa réponse à appel d’offres, démontrant ainsi avoir mené les travaux de préparation nécessaires pour participer à cet appel d’offres de l’Etablissement du Génie de Grenoble.
La SA CHRONOPOST réplique en observant que la SA BENEDETTI ne démontrant pas avoir subi un préjudice, sa demande doit être déclarée irrecevable. Elle ajoute de plus qu’elle est mal fondée car les conditions générales de CHRONOPOST, que BENEDETTI a dûment acceptées, lui sont opposables, notamment par les restrictions à la prise en charge de certains envois qui y figurent, dont les réponses à appels d’offre, et qui sont rappelées au recto de l’enveloppe et sur le bordereau d’envoi. La demanderesse savait ainsi que son envoi ne pouvait valablement être pris en charge, elle a alors expressément accepté que le transport soit effectué à ses seuls risques et périls. CHRONOPOST ajoute qu’une telle clause d’exclusion ne saurait être assimilée à une clause de limitation de responsabilité, car il s’agit ici d’une condition de consentement à la mission confiée par l’expéditeur qui si la nature de l’envoi avait été connu aurait provoqué le refus de la prise en charge par la défenderesse laquelle lui aurait proposé le service spécifique Chrono Mission Appel d’Offres. Enfin, le préjudice allégué par la société BENEDETTI, portant sur une hypothétique « perte de chance » de conclure le marché objet de l’appel d’offres et sur des frais d’étude exposés pour répondre au dit appel d’offres revêt un caractère immatériel et indirect par rapport à l’exécution du contrat de transport. La prise en charge en est exclue par l’article 7.3 des conditions générales de même que par l’article 1151 du Code Civil. Ce préjudice était également imprévisible ce qui en exclut la prise en charge au titre de l’article 1150 du Code Civil. La défenderesse subsidiairement souligne que l’article 7.2 de ses conditions générales conformément à l’article 22.3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, limite sa responsabilité au prix du transport (droits, taxes et frais exclus) sauf faute lourde ce qu’elle réfute dans les circonstances présentes.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 4] SUR CE
Sur l’intérêt à agir de BENEDETTI :
Attendu que la demanderesse produit les originaux de sa réponse à l’appel d’offres suscité ; qu’il apparaît qu’un volume de travail significatif a du être développé pour leur réalisation ;
Que le retard apporté dans la livraison de ces documents a fait que ce travail a été dépensé en pure perte ;
Le Tribunal jugera que BENEDETTI a suffisamment justifié de son intérêt à agir et la dira recevable ;
Sur l’exclusion des appels d’offres par le service CHRONOPOST :
Attendu que les conditions générales de CHRONOPOST indiquent clairement des restrictions de prise en charge ; que les réponses à appel d’offre font partie de celles-ci ; que l’existence de ces conditions générales est rappelée au recto du Bordereau d’Envoi à l’emplacement où l’expéditeur appose sa signature, que leurs clauses essentielles, dont les restrictions de prise en charge, sont reproduites au verso du dit bordereau, que ces restrictions sont également imprimées de manière apparente sur l’enveloppe contenant l’envoi ; qu’un service particulier est par ailleurs proposé pour envoyer un appel d’offre ; qu’il s’agit de restrictions de prise en charge et non de limitation de responsabilité, qu’elles ont ainsi force contractuelle et n’ayant aucun caractère abusif, ne sauraient être réputées non écrites ;
Le Tribunal dira la restriction de prise en charge des réponses à appel d’offres opposable au demandeur, qu’en décidant de l’ignorer, alors qu’il en était valablement informé, celui-ci a pris sur lui d’envoyer ses documents à ses risques et périls en ce qui concerne les conséquences propres à ce type d’envoi, mais que néanmoins, la société CHRONOPOST en n’acheminant pas ce courrier dans les délais prévus n’a pas respecté une obligation essentielle de son contrat et a ainsi commis une faute ;
Sur l’existence d’une faute lourde de CHRONOPOST :
Attendu que le responsable clientèle du bureau de Poste de Grenoble-Chavant déclare dans une attestation produite par le demandeur : « le pli Chronopost... a été déposé dans nos services par un Agent Chronopost le XX à 07 h 34, dans la mesure où le destinataire dispose d’une boite postale au niveau du Cedex 1 (dépendant de Grenoble Chavant), bénéficiant de plus d’un service de remise de courrier à domicile, en course spéciale, l’heure d’arrivée à notre niveau, aurait dû [minute page 5] permettre la distribution en date du 8 juin 2004. Pour une raison indéterminée, relevant d’un dysfonctionnement probable de nos services, cet envoi n’a été remis au destinataire qu’en date du 9 juin 2004. » ; que ces faits ne sont pas contestés par CHRONOPOST ; que le dysfonctionnement ainsi reconnu a été à l’origine du retard apporté à la délivrance du courrier pour lequel le respect du délai de livraison était une obligation essentielle ;
Le Tribunal qualifiera, la défaillance de CHRONOPOST, de faute lourde de nature à écarter les limitations de responsabilité prévues par ses Conditions Générales ;
Sur la demande de dommages et intérêts de la société BENEDETTI :
Attendu que CHRONOPOST a commis une faute lourde qui a conduit à ce que le courrier qui lui avait été confié ne soit pas délivré dans les délais ; que n’ayant pas été délivré avant une date limite, compatible avec le délai contractuel de livraison, le document transmis a perdu toute valeur, un préjudice en est résulté qu’il convient de réparer ; Attendu que ledit document faisait l’objet d’une restriction de prise en charge concernant les réponses à appel d’offres opposable à la demanderesse, qu’ainsi, la perte de chance d’être adjudicatrice dudit appel d’offre ne saurait être retenue ; Le Tribunal rejettera la partie de la demande de DI réclamée à ce titre ;
Attendu, néanmoins, qu’au même titre que pour n’importe quel document ou objet envoyé par CHRONOPOST qui aurait perdu toute valeur du fait d’une faute commise par le transporteur, l’émetteur est en droit de demander réparation du préjudice subi ; qu’une faute lourde a été commise par CHRONOPOST faisant tomber les limitations de responsabilité contractuelle prévues dans ses Conditions Générales ; que BENEDETTI est alors bien fondé à réclamer le coût du travail investi dans la réalisation du dit document en l’occurrence ses frais d’étude qu’il évalue à 10.000 euros, que le Tribunal, au vu des documents produits et faisant usage de son pouvoir d’appréciation, évalue le préjudice subi à 3.000 euros ;
En conséquence le Tribunal condamnera CHRONOPOST à payer à BENEDETTI la somme de 3.000 euros à titre de dommage et intérêts ;
Sur la demande d’exécution provisoire :
La nature de l’instance justifie que l’exécution provisoire soit ordonnée,
Sur les demandes en application de l’article 700 du NCPC Attendu que pour faire reconnaître ses droits, BENEDETTI a dû exposer des frais non compris dans les dépens ;
[minute page 6] Le Tribunal condamnera CHRONOPOST à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du NCPC et de la débouter du surplus de sa demande ;
Sur les autres demandes des parties :
Le Tribunal déboutera les parties de leurs demandes plus amples et contraires
Sur les dépens :
Attendu que les dépens seront mis à la charge de CHRONOPOST qui succombe à l’instance,
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,
Dit la SA BENEDETTI recevable en son action,
- Dit les restrictions de prise en charge prévues par les Conditions Générales de la SA CHRONOPOST opposables à la SA BENEDETTI,
- En conséquence déboute la SA BENEDETTI de sa demande de dommages et intérêts concernant la perte de chance de se voir adjuger l’appel d’offre ;
- Condamne la SA CHRONOPOST à payer à la SA BENEDETTI la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts.
- Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement sans constitution de garantie,
- Condamne la SA CHRONOPOST à payer à la SA BENEDETTI la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du NCPC,
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
- Condamne la SA CHRONOPOST aux dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de 92,59 euros TTC dont 14,86 euros de TVA.
- Confié lors de l’audience du 12 juin 2006 à Monsieur DEJOUHANET en qualité de Juge Rapporteur.
Mis en délibéré le 3 juillet 2006.
[minute page 7] Délibéré par Messieurs JULLIEN, DEJOUHANET, BEGON-LOURS et prononcé à l’audience publique où siégeaient :
Monsieur RENAULT-SABLONIERE, Président de Chambre présidant l’audience, Messieurs D’ARJUZON, VALACHS, GUERIN Lionel et BEGON-LOURS, Juges, assistés de Madame DUQUENNE, Greffier. Les parties en ayant été préalablement avisées.
La minute du jugement est signée par le Président du délibéré et le Greffier.
- 5859 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection explicite
- 5934 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Transport et courrier
- 6153 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 - Extension directe sans texte
- 6429 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Poste (courriers et colis)