TI PONTARLIER, 22 mai 2006
CERCLAB - DOCUMENT N° 1155
TI PONTARLIER, 22 mai 2006 : RG n° 11-05-000221 ; jugt n° 158/06
(sur appel CA Besançon (2e ch. civ.), 27 mars 2007 : RG n° 06/01406)
Extraits : 1/ « La SA FRANFINANCE prétend que les défenderesses n'ont pas fait valoir le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 311-9 du Code de la Consommation. Elle oublie ainsi qu'à l'audience du 19 décembre 2005, Madame X. a demandé au tribunal de vérifier le bien fondé du principe et du montant de la créance invoquée par la SA. FRANFINANCE, ce qui implique nécessairement qu'elle ait ainsi fait valoir l'ensemble des moyens de défense qu'elle pouvait opposer au prêteur. »
2/ « Cette solution doit être transportée à toutes les réglementations dérivées de directives relatives à la protection du consommateur, leur inspiration et leur finalité étant identiques. Mutatis mutandis le délai de forclusion opposable à l'emprunteur contrevient à l'esprit et à la finalité de la directive du 22 décembre 1987 en ce qu'elle empêche l'emprunteur de bénéficier des dispositions protectrices et des droits qui lui sont dévolus. Le juge national est tenu d'assurer l'effectivité de la directive et d'écarter les dispositions qui contreviendraient à ce principe. Dès lors ce délai de forclusion doit être écarté. »
TRIBUNAL D’INSTANCE DE PONTARLIER
JUGEMENT DU 22 MAI 2006
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 11-05-000221. Jugement n° 158/2006.
DEMANDERESSE :
Société Anonyme FRANFINANCE
[adresse], représentée par Me DEGENEVE, avocat du barreau de Besançon, D'une part,
DÉFENDERESSES :
Madame X. I.
[adresse], non comparante
Madame X. I. es qualité de représentante légale de sa fille mineure M. Y.
[adresse], non comparante
Madame X. I. ès qualité de représentante légale de sa fille mineure L. Y.
[adresse], non comparante
D'autre part,
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Monsieur Jean-Paul THEBAULT, Juge placé auprès de Monsieur le Premier Président de la Cour d'Appel de Besançon, chargé du service du tribunal d'instance de Pontarlier, selon ordonnance du 6 mars 2006, assisté de Madame Catherine MOYSE, Greffier,
DÉBATS À L'AUDIENCE DU VINGT SEPT MARS DEUX MIL SIX
Et ce jour, il a été rendu le jugement suivant, par mise à disposition au greffe :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] EXPOSÉ DU LITIGE
Par effet de l'acceptation en date du 23 septembre 1995 de l'offre de crédit du même jour, la SA FRANFINANCE a consenti à Monsieur Y. (emprunteur) et à Madame X. (coemprunteur solidaire) un crédit renouvelable d'un montant de 15.000 francs (2.286,74 euros), remboursable par mensualités variables selon le solde du compte (de 200 à 400 francs), à un TEG hors assurance variable selon le solde du compte de 17,40 % à 17,76 %.
Monsieur Y. est décédé le 20 juillet 2004.
Faisant valoir la défaillance de l'emprunteur, la SA FRANFINANCE a fait assigner par acte d'huissier du 18 novembre 2005 Madame X. en son nom personnel, et Madame X. en sa qualité de représentante légale de ses filles mineures M. et L. Y., devant le Tribunal d'Instance de Pontarlier aux fins de les voir condamnées solidairement à lui verser les sommes de :
- 5.091,40 euros outre intérêts au taux conventionnel de 16,92 % l'an à compter de la sommation de payer du 1er août 2005,
- 407,31 euros outre intérêts au taux légal à compter du 1er août 2005,
- 800 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre les entiers dépens, incluant le coût de la sommation de payer du 1er août 2005.
A l'audience du 19 décembre 2005, la SA FRANFINANCE maintient ses demandes.
Madame X. indique avoir vécu en union libre avec Monsieur Y. De leur union sont nées M. et L. Y.
Elle demande au tribunal de vérifier le bien fondé du principe et du montant de la créance invoquée par la SA FRANFINANCE.
A titre subsidiaire, elle sollicite des paiements échelonnés ne dépassant pas 130 euros par mois.
Par jugement avant dire droit en date du 13 février 2006, le tribunal a constaté le dépassement du montant prêté initialement convenu et invité la SA FRANFINANCE à faire valoir ses observations et à produire un nouveau décompte excluant les intérêts pratiqués depuis le 1er décembre 1998 et incluant les seuls intérêts au taux légal non majoré calculés depuis cette date sur le solde journalier dû.
A l'audience de renvoi du 27 mars 2006, la SA FRANFINANCE maintient ses demandes initiales en faisant valoir d'une part le délai de forclusion biennale de l'article L. 311-37 du Code de la Consommation, d'autre part que la violation des dispositions protectrices des articles L. 311-9 du même Code ne peut être soulevée d'office par le tribunal.
Elle ajoute qu'elle ne peut produire le décompte demandé.
Madame X. n'a pas comparu et n'est pas représentée à cette audience.
[minute page 3] Le jugement sera contradictoire en application de l'article 469 du nouveau code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
A titre liminaire
La SA FRANFINANCE prétend que les défenderesses n'ont pas fait valoir le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 311-9 du Code de la Consommation. Elle oublie ainsi qu'à l'audience du 19 décembre 2005, Madame X. a demandé au tribunal de vérifier le bien fondé du principe et du montant de la créance invoquée par la SA. FRANFINANCE, ce qui implique nécessairement qu'elle ait ainsi fait valoir l'ensemble des moyens de défense qu'elle pouvait opposer au prêteur.
Sur la forclusion
Le moyen tiré de l'article L. 311-37 du Code de la Consommation est inopérant en l'espèce, la question n'étant pas d'apprécier la régularité ou l'irrégularité de l'offre préalable de crédit au regard des articles L. 311-8 et suivants du Code de la Consommation, mais de se prononcer sur la nullité absolue de la stipulation d'intérêts dont se prévaut le prêteur.
Au surplus, il apparaît nécessaire de rappeler à la SA FRANFINANCE les éléments suivants.
Pour l'application des droits accordés par le consommateur en application de directives européennes, la Cour de Justice des Communautés Européennes écarte tout délai de nature à restreindre la protection issue du droit communautaire ; en effet si « les droits conférés par le droit communautaire doivent être exercés devant les juridictions nationales selon les modalités déterminées par la règle nationale (...), ces modalités et délais ne doivent pas aboutir à rendre en pratique impossible l'exercice de droits que les juridictions nationales ont l'obligation de sauvegarder » (CJCE 16 décembre 1976, Rewe Zentralfinanz, n° 33/76, Rec. p. 1989) ; du reste, c'est après avoir pris conscience de ce que le délai de forclusion empêchait en réalité le consommateur de faire valoir les droits que devait lui offrir la réglementation du crédit à la consommation que le législateur a réformé l'article L. 311-37 du code de la consommation pour en limiter les effets aux seules actions en paiement du prêteur.
Dans une espèce relative à l'application de la directive 85/577 du 20 décembre 1985, relative au démarchage à domicile, où en l'absence d'information du consommateur de l'existence du délai de rétractation, l'exercice de ce droit était limité dans le temps à un an à compter de la conclusion du contrat, la Cour de Justice des Communautés Européennes a jugé que : « ...quant à l'argument selon lequel il est indispensable de limiter le délai d'exercice du droit de révocation pour des motifs de sécurité juridique, il convient d'observer que de tels motifs ne peuvent prévaloir dans la mesure où ils impliquent une limitation des droits expressément accordés par la directive [..] au consommateur pour le protéger contre les risques [minute page 4] découlant du fait que les institutions de crédit ont choisi de conclure des contrats de crédit en dehors de leurs établissements commerciaux. En effet, si ces institutions choisissent de telles méthodes pour commercialiser leurs services, elles peuvent sans difficulté sauvegarder tant les intérêts des consommateurs que leurs propres exigences de sécurité juridique en se conformant à leur obligation d'informer ceux-ci » (CJCE, 13 décembre 2001, Georg Heininger et Helga Heininger c/Bayerische Hypo- und Vereinsbank AG, Les activités de la CJCE et du TPI des Communautés européennes, n° 33/01, p. 47).
De même, dans une hypothèse où le moyen tiré du caractère abusif d'une clause stipulée dans un contrat de crédit à la consommation se voyait opposer le délai de forclusion prévu à l'article L. 311-37 du code de la consommation, la Cour de Justice des Communautés Européennes a confirmé cette solution en jugeant que « la protection que la directive (sur les clauses abusives) assure aux consommateurs s'oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l'encontre d'un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national à l'expiration d'un délai de forclusion de relever, d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d'une clause insérée dans le dit contrat » CJCE 21 novembre 2002, Fredout, n° 473/00).
Cette solution doit être transportée à toutes les réglementations dérivées de directives relatives à la protection du consommateur, leur inspiration et leur finalité étant identiques.
Mutatis mutandis le délai de forclusion opposable à l'emprunteur contrevient à l'esprit et à la finalité de la directive du 22 décembre 1987 en ce qu'elle empêche l'emprunteur de bénéficier des dispositions protectrices et des droits qui lui sont dévolus.
Le juge national est tenu d'assurer l'effectivité de la directive et d'écarter les dispositions qui contreviendraient à ce principe.
Dès lors ce délai de forclusion doit être écarté.
Sur la demande en paiement
Aux termes de l'article L. 311-33 du Code de la Consommation, « le prêteur qui accorde un crédit sans saisir l'emprunteur d'une offre préalable satisfaisant aux conditions fixées par les articles L. 311-8 à L. 311-13 est déchu du droit aux intérêts et l'emprunteur n'est tenu qu'au seul remboursement du capital suivant l'échéancier prévu. »
En cas de dépassement du montant prêté contractuellement prévu, le prêteur doit soumettre à l'emprunteur une nouvelle offre préalable de crédit conforme aux dispositions des articles L. 311-8 à L. 311-13 et mentionnant le nouveau montant du crédit accordé.
Faute de stipulation d'intérêts en conformité avec les règles d'ordre public des articles L. 311-8 et suivants du Code de la Consommation, et en application de l'article 1907 du Code Civil, le prêteur n'apporte pas la preuve de l'obligation dont il réclame l'exécution et ne peut alors prétendre à aucun intérêt comptabilisé à [minute page 5] compter du jour du dépassement du crédit prévu dans les stipulations contractuelles.
La SA FRANFINANCE produit au soutien de sa demande :
- la copie du contrat en date du 23 septembre 1995,
- l'historique du compte depuis l'origine,
- le décompte de la créance au 29 avril 2005,
- la sommation de payer du 1er et 2 août 2005.
Au regard des pièces remises par la SA FRANFINANCE, il apparaît que le découvert initialement convenu (15.000 francs selon les conditions particulières) a été très rapidement dépassé dès novembre 1998 atteignant jusqu'à environ 27.000 francs en août 1999, puis 30.000 francs en novembre 2001, variant par la suite entre environ 4.500 euros et 5.000 euros.
Aucune nouvelle offre préalable de crédit mentionnant un découvert conforme aux montants prêtés n'a été proposée à l'acceptation des emprunteurs.
La convention de prêt en date du 23 août 1995 que la SA FRANFINANCE fait valoir ne vaut dès lors plus à compter du jour du dépassement du découvert contractuellement prévu.
Le prêteur ne peut prétendre à l'application d'une telle convention, et succombe dans la charge de la preuve, qui lui incombe en application des articles 1907 et 1315 du Code Civil, d'une convention d'intérêts régulière et conforme aux dispositions de l'article 6 du Code Civil.
Dans ces conditions, conformément à l'article L. 311-33 du code de la consommation, le débiteur n'est tenu qu'au remboursement du seul capital restant dû, après déduction des intérêts réglés à tort, et aucun intérêt excédant l'intérêt légal n'est dû à compter du jour du dépassement du découvert convenu, soit le 1er décembre 1998 en l'espèce.
Cette limitation légale de la créance du prêteur exclut en outre qu'il puisse prétendre au paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 311-30 du code de la consommation et l'article D. 311-11 du code de la consommation.
La SA FRANFINANCE soutient que « son équipement informatique ne lui permet pas de fournir le décompte sollicité » par le tribunal.
Il convient ici de préciser qu'un simple tableur est suffisant pour procéder au décompte demandé.
Le tribunal ne peut se livrer, devant la carence du demandeur, à des calculs complexes afin de retrancher les intérêts comptabilisés depuis le 1er décembre 1998 et d'inclure les seuls intérêts au taux légal depuis cette même date sur le solde journalier restant dû.
Un calcul sommaire sur tableur Excel révèle cependant que les emprunteurs ont, depuis le 1er décembre 1998, perçu (capital prêté existant au 1er décembre 1998 [minute page 6] inclus) les sommes de 12.707,08 euros, et remboursé à l'organisme de crédit la somme globale de 12.616,52 euros.
Madame X. en son nom personnel, et Madame X. en sa qualité de représentante légale de ses filles mineures M. et L. Y., seront donc condamnées solidairement à payer à la SA FRANFINANCE le solde de 90,55 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 1998.
Sur les autres demandes
Madame X. en son nom personnel, et Madame X. en sa qualité de représentante légale de ses filles mineures M. et L. Y., qui succombent principalement à l'instance, seront condamnées aux dépens.
Aucune considération tirée de l'équité ou de la situation économique des parties ne permet de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et la demande de la SA FRANFINANCE à ce titre sera donc rejetée.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire, et en premier ressort,
CONDAMNE solidairement Madame X. en son nom personnel, et Madame X. en sa qualité de représentante légale de ses filles mineures M. et L. Y., à payer à la SA FRANFINANCE la somme de 90,55 euros (QUATRE VINGT DIX EUROS ET CINQUANTE CINQ CENTIMES) pour solde du crédit, avec intérêts au taux légal à compter du 1er décembre 1998 ;
DÉBOUTE la SA FRANFINANCE du surplus de ses prétentions ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
CONDAMNE Madame X. en son nom personnel, et Madame X. en sa qualité de représentante légale de ses filles mineures M. et L. Y., aux dépens de l'instance ;
AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ PAR MISE À DISPOSITION AU GREFFE LES JOUR, MOIS ET AN QUE DESSUS, ET ONT SIGNÉ À LA MINUTE LE PRÉSIDENT ET LE GREFFIER PRÉSENTS LORS DU PRONONCÉ
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5706 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Recevabilité - Délai pour agir - Forclusion - Clauses abusives
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