CA PARIS (25e ch. sect. B), 15 mars 1996
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 1284
CA PARIS (25e ch. sect. B), 15 mars 1996 : RG n° 4062/95
Publication : D. Affaires 1996. 802 ; RJDA 1996/7, n° 980
Extrait : « Considérant que la demande de paiement de factures d'un fournisseur adressé à un client est une opération élémentaire pour tout commerçant ; que la prestation de services qui consiste pour un professionnel commerçant de proposer à un commerçant d'assurer le recouvrement de ses factures ne présente pas un caractère exceptionnel, et est en rapport direct avec l'activité commerciale du commerçant auquel est faite la proposition ; Considérant que le contrat présenté par la société POUEY à la société SPADO concernait le recouvrement des créances ordinaires de celle-ci, que d'ailleurs la société SPADO a continué à les recouvrer elle-même en utilisant simplement les modèles de lettres proposées sans faire appel aux représentants locaux de la société POUEY répartis sur le territoire français, démontrant qu'elle maîtrisait le processus banal pour un commerçant normalement avisé, que l'article L. 121-22 du code de la consommation dispensant une telle opération des prescriptions des articles L. 121-23 à 28 du Code précité est donc applicable ».
COUR D’APPEL DE PARIS
VINGT CINQUIÈME CHAMBRE SECTION B
ARRÊT DU 15 MARS 1996
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 4062/95. Sur appel d’un jugement du Tribunal de Commerce de PARIS rendu le 28 novembre 1994 - 16ème chambre - RG : 94/55900. Pt. : M. MATHIEU.
PARTIES EN CAUSE :
1°) La SOCIÉTÉ SPADO LASSAILLY
Société anonyme ayant son siège [adresse] - APPELANTE, représentée par la SCP VERDUN GASTOU, AVOUÉ, assistée de Maître RIVIERRE, AVOCAT du barreau de CHARTRES,
2°) La SOCIÉTÉ POUEY INTERNATIONAL
(société anonyme) ayant son siège : [adresse] - INTIMÉE, représentée par la SCP D'AURIAC GUIZARD, AVOUÉ, assistée de Maître Laurent VIDEAU, AVOCAT, B252,
COMPOSITION DE LA COUR : lors des débats, à l'audience publique du 18 janvier 1996, tenue en vertu des articles 786 et 910 du NCPC, par Monsieur WEILL, Conseiller rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré,
GREFFIER : Mme FALIGAND, [minute page 2]
lors du délibéré, Madame PINOT, Conseiller faisant fonction de Président, Monsieur WEILL, Conseiller, Madame CANIVET, Conseiller,
ARRÊT : CONTRADICTOIRE, Prononcé publiquement par Madame le Conseiller PINOT, faisant fonction de Président, lequel, a signé la minute avec Madame FALIGAND, greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
La Cour statue sur l'appel relevé par la société SPADO d'un jugement réputé contradictoire du Tribunal de commerce de PARIS prononcé le 28 novembre 1994 qui a :
- dit la demande de la SA POUEY INTERNATIONAL régulière, recevable et bien fondée ;
- condamné la société SPADO LASSAILLY à payer à la SA POUEY INTERNATIONAL les sommes de 28.946 Francs et 16 centimes avec intérêts légaux à compter du 17 décembre 1992 à titre principal, et de 3.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC, déboutant pour le surplus,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société SPADO LASSAILLY aux dépens.
Il est fait référence aux énonciations du jugement ainsi qu'aux conclusions des parties pour un exposé complet des faits, des prétentions et des moyens développés devant la Cour.
Il convient toutefois de rappeler les circonstances essentielles du litige.
La Société POUEY et la société SPADO ont signé le 12 novembre 1990 un contrat pour une durée de 2 ans renouvelable tacitement pour un an par lequel la société POUEY mettait ses différents services de recouvrement de créances à la disposition de la société SPADO.
La Société SPADO a refusé de payer la redevance mensuelle payable par semestre, prétextant qu'elle avait résilié le contrat.
Le Tribunal a fait droit à la demande de paiement des redevances dues pour les deux années.
[minute page 3] APPELANTE LA SOCIÉTÉ SPADO LASSAILLY soutient :
- que le contrat est nul :
* en raison de sa nature, que la société SPADO LASSAILLY a été démarchée par M. X., représentant la société POUEY, que la loi prohibe le démarchage juridique défini comme « le fait d'offrir ses services en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes juridiques, ou de provoquer à la souscription d'un contrat aux mêmes fins en se rendant personnellement ou par mandataire, soit à domicile, soit à la résidence d'une personne ou sur le lieu de travail », que les services proposés, « traitement de dossiers » et possibilité d'engager des procédures judiciaires après démarches amiables sur le terrain répondent à cette définition prohibant le démarchage ; que la mission de la société POUEY implique la rédaction d'actes juridiques pour le recouvrement, que ce contrat est nul comme contraire aux dispositions d'ordre public.
* que la loi impose en cas de démarchage à domicile ou sur le lieu de travail, que tout contrat proposant des services ou des prestations de services soit muni d'un bordereau détachable de rétractation permettant au cocontractant de résilier le contrat dans un délai de sept jours, que si la loi n'est pas applicable entre « professionnels », à condition que les prestations proposées ou fournies relèvent de la spécialité du cocontractant démarché, elle s'applique « lorsque n'ayant aucune compétence professionnelle en la matière, le cocontractant se trouve dès lors dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre consommateur » ; qu'en l'espèce, la spécialité de la société SPADO LASSAILLY est la fabrication et la vente de désinfectants, de produits d'entretien..., que le recouvrement et l'assistance juridique ne sont pas sa spécialité ni de sa compétence, qu'à défaut de contenir le bordereau détachable le contrat est nul ;
* Subsidiairement :
- que le tribunal de commerce l'a condamnée au paiement des sommes dues jusqu'au terme du contrat, que le contrat ne contient aucune clause stipulant une telle indemnité contractuelle, qui au demeurant s'analyse en une clause pénale réductible par le juge ;
- que la société POUEY ne lui a rendu aucun service, se contentant de lui adresser le 19 décembre 1990, un formulaire intitulé « notre méthode pré-contentieuse », contenant des formules types de lettres, et le 18 février 1991 des modèles de lettres « pré-contentieuses » reprenant le fascicule déjà remis,
[minute page 4] conclut que le montant des sommes réclamées n'a aucune contrepartie, que son engagement est sans cause, et demande l'infirmation du jugement, 10.000 Francs à titre de dommages et intérêts et 10.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC
INTIMÉE, la société POUEY INTERNATIONAL soutient :
Sur le démarchage :
- que la loi interdit et sanctionne le démarchage en vue de la consultation juridique ou de la rédaction d'acte, que cette interdiction n'est pas « réservée » aux professions réglementées, qu'elle est générale, et résultait déjà de l'article 75 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, explicitée à l'article 1er du Décret du 25 août 1972 ;
- qu'elle est reprise à l'article 66-4 de la loi du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires ou juridiques, mais que ce texte ne vise que la consultation juridique et la rédaction d'acte, qu'assorti d'une sanction pénale, il est d'interprétation stricte, qu'il ne concerne pas le renseignement commercial et le recouvrement d'impayés ;
- que la société SPADO LASSAILLY ne rapporte pas la preuve d'un démarchage et ne démontre pas que le contrat litigieux recouvrirait des prestations de consultation juridique ou de rédaction d'acte, que le recouvrement amiable de créance (relances téléphoniques, lettres de mises en demeure), et le recouvrement de créances par voie judiciaire (injonction de payer) ne relèvent pas de la consultation ou de la rédaction d'actes
- que son activité consiste à recouvrer des factures, des traites impayées et n'implique pas la prise en charge de débats de fond ;
- que si dans le recouvrement de créances ou la rédaction d'une lettre de mise en demeure, le droit n'est pas totalement absent, il ne s'agit pas d'une activité de conseil juridique, le décret du 25 août 1972 article 3 excluant les entreprises qui fournissent des renseignements, informations ou prestations de services comportant, à titre accessoire ou incident, des renseignements d'ordre juridique » ;
- que si le recouvrement se révèle complexe, elle se dessaisit du dossier ;
[minute page 5] Sur l'absence d'une faculté de rétractation et d'un bordereau détachable à cet effet :
- que la facture impayée relève du domaine de la compétence ordinaire du commerçant capable d'apprécier l'intérêt d'un abonnement qui lui offre d'assurer, sans aucun prélèvement sur les sommes recouvrées quel qu'en soit le montant, le recouvrement de ses impayées qui n'est pas un professionnel non spécialisé assimilable à un consommateur ;
Sur l'absence de mention au contrat d'une indemnité contractuelle de résiliation et la prétendue qualification de clause pénale de la demande de POUEY :
- que l'abonnement souscrit par la société SPADO LASSAILLY pour une durée de 2 ans ne comporte aucune faculté de résiliation anticipée,
- que compte tenu de cette durée de 2 ans, du prix forfaitaire et de la quantité de prestation offerte, il est parfaitement justifié que le contrat ne puisse être résilié avant son terme, que la demande en paiement des 4 semestrialités d'abonnement ne peut mériter la qualification de clause pénale et demande la confirmation du jugement et 7.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE, LA COUR,
Sur le démarchage au sens des articles 121-21 et suivants du Code de la consommation :
Considérant que la demande de paiement de factures d'un fournisseur adressé à un client est une opération élémentaire pour tout commerçant ;
que la prestation de services qui consiste pour un professionnel commerçant de proposer à un commerçant d'assurer le recouvrement de ses factures ne présente pas un caractère exceptionnel, et est en rapport direct avec l'activité commerciale du commerçant auquel est faite la proposition ;
Considérant que le contrat présenté par la société POUEY à la société SPADO concernait le recouvrement des créances ordinaires de celle-ci, que d'ailleurs la société SPADO a continué à les recouvrer elle-même en utilisant simplement les modèles de lettres proposées sans faire appel aux représentants locaux de la société POUEY répartis sur le territoire français, démontrant qu'elle maîtrisait le processus banal pour un commerçant [minute page 6] normalement avisé, que l'article L. 121-22 du code de la consommation dispensant une telle opération des prescriptions des articles L. 121-23 à 28 du Code précité est donc applicable ;
Sur la nature de la prestation de recouvrement de créances :
Considérant que la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose dans son titre II intitulé « réglementation de la consultation en matière juridique et de rédaction d'actes sous seing privé », à l'article 54, que nul ne peut directement ou par personne interposée à titre habituel et rémunéré donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé pour autrui s'il ne satisfait aux conditions précisées ensuite ;
Considérant que les articles 56 à 66 énumèrent les différentes catégories de personnes exerçant des activités professionnelles autorisées à donner des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous seing privé ;
Considérant que l'activité exercée à titre professionnel de recouvrement de créances n'est pas comprises dans les activités citées dans les articles 54 à 66 de la loi précitée ;
Considérant d'une part :
- que le recouvrement de créance consiste à mettre en œuvre tous les moyens matériels, tels que l'envoi de lettres sous toutes formes, d'appels téléphoniques ou autres ou de démarches auprès des débiteurs pour les amener à payer volontairement leur dette en leur rappelant l'origine de celle-ci avant d'utiliser les voies de droit, tout en attirant l'attention du débiteur sur ces dernières ;
- que cette activité se distingue donc de la consultation juridique qui « peut se définir comme une prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis, parfois un conseil, qui concourt, par les éléments qu'il apporte à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation, qu'elle se distingue de l'information à caractère documentative visée à l'article 66-1 de la loi du 31 décembre 1971 qui consiste à renseigner un interlocuteur sur l'état de droit ou de la jurisprudence relativement à un problème donné » (Rép. min. JO Ass. Nat. 10 août 1992, p. 3745) et des actes sous seing privé qui « s'entendent des actes unilatéraux et des contrats, non revêtus de la forme authentique, rédigés pour autrui et créateurs de droits ou d'obligations » (Rép. min. J.O. Ass. nat. 20 juillet 1992, p. 3291) ;
[minute page 7] Considérant d'autre part,
que quand bien même l'activité de recouvrement de créance supposerait qu'elle soit précédée d'une activité de consultation et impliquerait la rédaction d'actes sous seing privé, la loi du 31 décembre 1971 a laissé subsister un certain nombre de dispositions légales applicables à l'activité de recouvrement de créances ;
Considérant qu'en effet l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux huissiers de justice confère à ces derniers un monopole prévu à l'article 1er alinéa 1, tandis que l'alinéa 2 leur permet de procéder au recouvrement amiable de toutes créances, que cette faculté donnée aux huissiers de justice à titre non exclusif de procéder au recouvrement amiable de créances offre à toute autre professionnel en l'absence d'interdiction la même faculté ;
Considérant que la loi de 1971 précitée a également laisser subsister l'article 853 du NCPC permettant aux parties de se faire représenter devant le tribunal de commerce par la personne de son choix ;
Considérant que le recouvrement d'une créance peut être poursuivi suivant la procédure d'injonction de payer prévue à l'article 1405 du NCPC, qu'à cet égard la requête peut être présentée par tout mandataire telle qu'une société de recouvrement de créances ;
Considérant que l'article 32 dernier alinéa de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution dispose que l'activité des personnes physiques ou morales non soumises à un statut professionnel qui d'une manière habituelle ou occasionnelle, même à titre accessoire, procèdent au recouvrement amiable des créances pour le compte d'autrui, fait l'objet d'une réglementation fixée par décret en conseil d'État ;
Considérant qu'en vertu de ce texte, nonobstant la non-publication du décret précité, et des textes précités, l'activité de recouvrement de créance exercée par la société POUEY, non soumise à un statut professionnel, est licite et le contrat conclu avec la société SPADO également par voie de conséquence ;
Sur la durée d'exécution du contrat :
Considérant que le protocole d'accord a été conclu pour une durée de deux années sans qu'ait été prévu la possibilité de résiliation anticipée, que le contrat type mentionnait une durée de cinq ans, que c'est donc en connaissance de cause que la société SPADO s'est engagée pour une durée réduite, qu'il n'est nullement justifié de réduire le montant de la somme réclamée ;
[minute page 8]
Sur l'application de l'article 1131 du Code civil :
Considérant qu'outre les prestations rappelées précédemment, la société SPADO avait la possibilité de faire relancer ses clients défaillants par la société POUEY, faculté qu'elle n'a pas utilisé, qu'il est donc établi que le contrat du 12 novembre 1990 n'était pas dépourvu de cause, qu'il est donc valable ; que la suspension du contrat en raison du non-paiement des redevances n'en dispense pas la société débitrice du paiement des sommes dues ;
Considérant que l'équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application de l'article 700 du NCPC
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
CONFIRME le jugement entrepris ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC ;
CONDAMNE la société SPADO aux dépens d'appel et ADMET la SCP D'AURIAC GUIZARD, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC
- 5861 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Démarchage à domicile
- 5897 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Indices - Objet du contrat - Contrat usuel ou courant
- 5941 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Paiement du professionnel