CA PARIS (5e ch. sect. C), 11 mars 1993
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 1300
CA PARIS (5e ch. sect. C), 11 mars 1993 : RG n° 91/16625
Extrait : « Mais qu'on se trouve en l'espèce en face de contrats conclus entre un professionnel, LOCATION MODERNE, et un non professionnel, le COMITE D'ETABLISSEMENT, en ce qui concerne la garantie légale qui incombe au bailleur. Que les clauses ci-dessus rappelées apparaissent imposées au non-professionnel par un abus de la puissance économique de l'autre partie en lui conférant un avantage excessif puisque, en cas de défaillance du fournisseur comme cela s'est produit, elle n'est tenue à aucune obligation alors que le locataire reste tenu de payer le prix convenu. Que ces clauses tombent sous le coup de l'article 35 de la loi du 10 Janvier 1978 et doivent être réputées non écrites. »
COUR D’APPEL DE PARIS
CINQUIÈME CHAMBRE SECTION C
ARRÊT DU 11 MARS 1993
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° Répertoire Général : 91/16625. Sur appel d’un jugement du TGI Evry (3e ch.), 10 mai 1991. Date de l’ordonnance de clôture : 7 janvier 1993.
PARTIES EN CAUSE :
1°) LA SOCIÉTÉ COMITÉ D'ENTREPRISE DE LA SOCIÉTÉ IMPRIMERIE JEAN DIDIER,
dont le siège est [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, APPELANTE. Représentée par Maître GIBOUPIGNOT, Avoué, Assistée de Maître RIBOT ASTIER, Avocat,
2°) LA SOCIÉTÉ LOCATION MODERNE,
Société Anonyme, dont le siège est à [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège, INTIMÉE. Représentée par la SCP GAULTIER-KISTNER, Avoués, Assistée de Maître DUFFOUR, Avocat,
[minute page 2]
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré : Monsieur COUDERETTE, Président (Loi du 7.1.88), Monsieur BORRA, Président (Loi du 7.1.88), Madame CABAT, Conseiller
GREFFIER : Madame ARDES, aux débats et au prononcé de l'arrêt
DÉBATS : A l'Audience publique du Mardi 26 janvier 1993 Monsieur COUDERETTE, Magistrat chargé de la mise en état, a entendu les avocats des parties. Ceux-ci ne s'y étant pas opposés. Puis il en a rendu compte à la Cour lors du délibéré.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE - Prononcé publiquement le JEUDI 11 MARS 1993 par Monsieur Le Président COUDERETTE (Loi du 7.1.88) lequel a signé la minute avec Madame ARDES, Greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 3] Suivant contrats en dates des 28 novembre et 12 décembre 1986 la Société LOCATION MODERNE a loué au COMITE D'ETABLISSEMENT DE L'IMPRIMERIE JEAN DIDIER à MASSY :
- au titre du premier contrat un banc télévisuel de stockage d'information et de reproduction à caractère culturel plus pack supports magnétiques Nos 1 à 50 moyennant paiement de 36 mensualités de 3.839 Francs 90 TTC se terminant le 30 octobre 1989 ;
- au titre du second contrat un banc télévisuel de stockage d'information et de reproduction à caractère culturel plus pack supports magnétiques Nos 1 à 30 moyennant paiement de 36 mensualités de 1.686 Francs 62 TTC se terminant le 30 novembre 1989.
En cas de non paiement à l'échéance d'un seul terme de loyer la résiliation était acquise avec obligation pour le locataire de restituer le matériel et de payer le montant des loyers à échoir HT outre frais et application d'une clause pénale égale à 10 % du prix d'acquisition du matériel.
Les matériels ont été livrés les 28 novembre et 12 décembre 1986 par la Société FRANCE-VIDEO FCC, fournisseur choisi par le Comité conformément aux clauses des contrats de location ; et la Société FCC a assuré le renouvellement périodique des cassettes (supports magnétiques) jusqu'au mois de juin 1988 date à laquelle, mise en liquidation judiciaire avec Maître BAUMGARTNER comme liquidateur, elle a informé le COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPRIMERIE JEAN DIDIER de la situation et cessé d'assurer le renouvellement.
C'est dans ces conditions que le Comité a cessé de payer les loyers à partir de l'échéance du 30 avril 1989 et par exploit du 21 mars 1990 la Société LOCATION MODERNE l'a fait assigner aux fins de restitution des matériels loués et de paiement des sommes de 26.879 Francs 30 et 13.492 Francs 96 correspondant aux loyers restant à échoir après la résiliation du fait du non paiement outre indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par jugement du 10 mai 1991 le Tribunal de Grande Instance d'EVRY a fait droit à cette demande sauf en ce qui concerne l'application de l'article 700 en relevant qu'aux termes des contrats de location la Société LOCATION MODERNE n'avait pas l'obligation de renouveler les cassettes, obligation qui appartenait à la seule Société FCC.
[minute page 4] Le COMITÉ D'ETABLISSEMENT DE L'IMPRIMERIE JEAN DIDIER a régulièrement en la forme interjeté appel principal de cette décision, en invoquant sur le fondement de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 l'abus de la puissance économique commis par le bailleur pour s'exonérer de ses obligations.
Il conclut en conséquence au rejet des prétentions de la Société LOCATION MODERNE et, arguant du fait que les matériels loués lui ont été repris en juin 1988, il reprend les fins de sa demande reconventionnelle en remboursement de 52.236 Francs 81 montant des loyers payés sans cause de juin 1988 à avril 1989, de 20.000 Francs à titre de dommages-intérêts et de 15.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Société LOCATION MODERNE conclut pour sa part à la confirmation du jugement et sollicite par un appel incident une indemnité de 5.000 Francs en compensation de ses frais irrépétibles.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Considérant que les contrats de location signés entre la Société LOCATION MODERNE et le COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPRIMERIE JEAN DIDIER ne stipulent effectivement que la mise à disposition par le bailleur de bancs télévisuels et de packs de supports magnétiques, qui ont été livrés, moyennant paiement par le locataire de mensualités de 3.839 Francs 90 et 1.686 Francs 62 au nombre de 36. Et qu'aux termes de l'article 3-4 le locataire a reconnu pour débiteur éventuel le seul fournisseur par exclusion de toute obligation du bailleur.
Mais qu'il convient pour apprécier exactement la portée des contrats de se pencher sur la commune intention des parties.
Considérant qu'il résulte du libellé des contrats de location, de la fourniture des matériels par la Société FCC et du renouvellement périodique par celle-ci des cassettes jusqu'à sa mise en liquidation judiciaire que l'économie des contrats visait la constitution par le COMITÉ JEAN DIDIER d'une vidéothèque à la disposition du personnel de l'entreprise et que cette économie se trouvait rompue à partir du moment où le renouvellement des cassettes n'était plus assuré.
[minute page 5] Que sans doute les conditions générales jointes aux contrats précisaient que la location ne portait pas sur l'entretien et la réparation des matériels ni la fourniture des accessoires et ou des fournitures nécessaires au fonctionnement et qu'en ce qui concerne la garantie contractuelle le locataire reconnaissait pour seul débiteur le fournisseur et excluait toute obligation du bailleur à ce titre.
Mais qu'on se trouve en l'espèce en face de contrats conclus entre un professionnel, LOCATION MODERNE, et un non professionnel, le COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT, en ce qui concerne la garantie légale qui incombe au bailleur.
Que les clauses ci-dessus rappelées apparaissent imposées au non-professionnel par un abus de la puissance économique de l'autre partie en lui conférant un avantage excessif puisque, en cas de défaillance du fournisseur comme cela s'est produit, elle n'est tenue à aucune obligation alors que le locataire reste tenu de payer le prix convenu.
Que ces clauses tombent sous le coup de l'article 35 de la loi du 10 Jjanvier 1978 et doivent être réputées non écrites.
Qu'il découle de cette analyse que la Société LOCATION MODERNE doit être considérée comme tenue d'assurer en raison de la défaillance du fournisseur sur ce point le renouvellement périodique des cassettes.
Considérant par voie de conséquence qu'elle ne peut revendiquer le paiement des loyers restant à échoir à partir de la date à laquelle le locataire a cessé de payer, ce qui a entraîné la résiliation automatique des contrats, mais qu'elle doit rembourser les loyers payés sans cause entre le jour où le renouvellement des cassettes a cessé et celui où le locataire a arrêté ses versements.
Que la Société LOCATION MODERNE sera donc déboutée de sa demande aux fins de paiement et condamnée à rembourser les mensualités payées sans cause.
[minute page 6] Qu'il résulte des pièces produites que la première mensualité impayée a été celle du 30 avril 1989 et que c'est fin juin 1988 (attestations produites par le COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT) que FRANCE VIDEO a retiré les cassettes précédemment déposées en s'abstenant de renouveler le stock.
Qu'il s'en suit que les mensualités payées du 30 juin 1988 au 30 mars 1989 l'ont été sans cause, ce qui représente un trop payé de 55.265 Francs 20.
Qu'il convient donc de faire droit à la demande reconventionnelle du COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT JEAN DIDIER en remboursement de la somme de 52.236 Francs 81, laquelle sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 1990 date de la demande valant mise en demeure de payer formalisée devant les premiers juges.
Considérant, sur la demande de restitution du matériel, que le COMITÉ JEAN DIDIER fait valoir que son bailleur aurait repris ce matériel en juin 1988, mais qu'il ne prouve pas cette affirmation, les seuls documents qu'il verse aux débats faisant seulement état d'une reprise des cassettes par la Société FCC.
Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné le Comité à restituer le matériel loué, mais seulement en ce qui concerne les deux bancs télévisuels de stockage d'information et de reproduction à caractère culturel.
Considérant que le COMITÉ JEAN DIDIER ne précise pas en quoi l'inexécution de ses obligations par le bailleur lui aurait causé un préjudice distinct de celui créé par le versement de fonds sans contrepartie qui se trouve compensé par la restitution des dits fonds avec intérêts moratoires. Et que sa demande de dommages-intérêts n'est pas fondée.
[minute page 7] Considérant par contre qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'il a été amené à exposer du fait de la procédure et qu'il y a lieu de lui allouer à ce titre une indemnité de 3.000 Francs.
Considérant que la Société LOCATION MODERNE, qui succombe, sera déboutée de sa demande du même chef et condamnée aux dépens de la procédure.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Reçoit les appels principal et incident réguliers en la forme,
Infirme le jugement du Tribunal de Grande Instance d'EVRY du 10 Mai 1991 sauf en ce qu'il a condamné le COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPRIMERIE JEAN DIDIER à restituer à la Société LOCATION MODERNE les deux bancs télévisuels de stockage d'information et de reproduction à caractère culturel tels que désignés dans les contrats de location des 28 novembre et 12 décembre 1986.
Statuant à nouveau pour le surplus,
Dit que les clauses d'exonération de la responsabilité contractuelle du bailleur insérées dans les contrats sont réputées non écrites en application de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978.
Déboute la Société LOCATION MODERNE de l'ensemble de ses demandes.
Faisant droit pour partie aux demandes reconventionnelles du COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPRIMERIE JEAN DIDIER,
[minute page 8] Condamne la Société LOCATION MODERNE à lui rembourser la somme de 52.236 Francs 81 avec intérêts au taux légal à compter du 4 octobre 1990 ; et celle de 3.000 Francs au titre des frais irrépétibles.
Déboute le Comité d'établissement du surplus de ses demandes.
Condamne la Société LOCATION MODERNE aux, dépens de première instance et d'appel et pour ces derniers autorise Maître GIBOU-PIGNOT, avoué, à poursuivre le recouvrement de ceux qu'elle a exposés selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
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