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CA PARIS (5e ch. sect. A), 15 juin 1987

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (5e ch. sect. A), 15 juin 1987
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), 5e ch. sect. A
Date : 15/06/1987
Nature de la décision : Confirmation
Décision antérieure : T. COM. PARIS (1re ch.), 28 janvier 1985
Numéro de la décision : 7681
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 1309

CA PARIS (5e ch. sect. A), 15 juin 1987 : arrêt n° 7681

Publication : Bull. rap. Drt. Affaires 1987 n°24, p. 9

 

Extrait : « Considérant qu'il résulte des productions que M. X., qui a été en relations d'affaires avec d'autres établissements de crédit, était lui-même un commerçant recourant habituellement au crédit et faisant lui-même habituellement crédit à sa propre clientèle ; qu'il lui est en conséquence difficile de soutenir qu'il avait la qualité de non-professionnel ou de consommateur au sens des dispositions législatives invoquées qui, en raison de leur spécialité et de leur caractère dérogatoire au droit commun, sont d'interprétation stricte ; qu'en outre, dès lors que CREG s'est bornée à suspendre tout financement nouveau sans avoir jamais prétendu faire supporter à X. le risque d'impayés compris dans des opérations de financement antérieures, l'appelant ne peut sérieusement soutenir que l'application de la clause de résiliation, sans indemnité ni transfert des risques des opérations en cours, conférait à l'établissement de crédit un avantage excessif ; qu'en conséquence la clause litigieuse n'entrait pas en l'espèce dans la catégorie des clauses réputées non écrites par des dispositions législatives spéciales et d'ordre public, et que le moyen tiré de l'article 35 de la loi précitée doit être écarté ;

Considérant que, même en l'absence de dispositions législatives réputant non écrite une clause de résiliation non assortie d'une mise en demeure préalable, la rupture sans préavis ni justification légitime de relations contractuelles peut néanmoins présenter un caractère abusif, et comme telle fonder une demande en dommages et intérêts s'il en est résulté un préjudice ».

 

COUR D’APPEL DE PARIS

CINQUIÈME CHAMBRE SECTION A

ARRÊT DU 15 JUIN 1987

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

M. n° 7681. Sur appel d’un jugement du T. Com. Paris (1re ch.) du 28 janvier 1985. Date de l’ordonnance de clôture : 28 avril 1987.

 

PARTIES EN CAUSE :

1°/ M. X.,

demeurant [adresse], Appelant principal, intimé incident, représenté par Maître VALDELIEVRE, avoué, assisté de Maître Guérin, avocat.

 

2°/ Société CRÉDIT ÉLECTRIQUE ET GAZIER « CREG »,

ayant siège [adresse], Intimée principale, appelante incidente, représentée par Maître RIBAUT, avoué, assistée de Maître Zimmermann, avocat.

 

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré : Président : Monsieur MASSON - Conseillers : Messieurs CHAVANAC et DECHEZELLES.

GREFFIER : Madame LEQUEN.

DÉBATS : à l'audience publique du 18 mai 1987, Monsieur PECHEZELLES, magistrat chargé de la mise en état, a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés. Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.

ARRÊT contradictoire, prononcé publiquement par Monsieur MASSON, Président, lequel a signé la minute avec Madame LEQUEN, Greffier.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 2] FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte du 22 mai 1979 et avenant du 28 mai suivant, M. X., exerçant sous le nom de TELEXACT des activités de vente au détail d'appareils électriques et de télévision, et la société Crédit Électrique et Gazier, ci-après désignée CREG, ont conclu une convention aux termes de laquelle l'établissement de crédit s'engageait à financer les ventes à crédit consenties par le détaillant à sa propre clientèle,

Par lettre du 13 février 1981, CREG, alléguant le nombre anormal de mensualités impayées constatées dans la clientèle de X., a informé celui-ci qu'elle suspendait ses financements.

Le 26 janvier 1982, M. X. a assigné CREG devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de la somme de 100.000 francs (et non 10.000 francs comme indiqué alors par erreur) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice occasionné par la rupture de la convention de crédit.

Statuant au fond le 28 janvier 1985, au vu du rapport déposé par M. Y., Huissier-audiencier, qu'il avait commis en qualité de constatant, le tribunal a débouté M. X. de sa demande et l'a condamné aux dépens, mais a rejeté une demande présentée par la défenderesse sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au soutien de sa décision, le tribunal a dit que les termes du contrat autorisaient CREG à mettre fin à la convention à tout moment ; que si la clause de résiliation pouvait apparaître léonine du fait qu'il n'existait en contrepartie ni obligation de préavis, ni seuil ou définition de défaillance, CREG n'en avait pas moins averti son cocontractant longtemps à l'avance en le mettant en garde contre la proportion anormale d'incident de paiement que l'établissement de crédit subissait ;

M.X. a interjeté appel de ce jugement, demande à la Cour de l'infirmer, l'infirmer dire le contrat nul et non avenu, de dire que la rupture brutale a occasionné à l'appelant un préjudice représentant un manque à gagner équivalent à six mois de chiffres d'affaires, de lui allouer en conséquence une indemnité de 100.000 francs augmentée des intérêts légaux à compter de l'assignation et de le décharger des dépens.

A l'appui de son appel, X. expose que la clause de résiliation invoquée par CREG, en ce qu'elle ne prévoit ni compensation ni préavis et en ce qu'elle aurait été conclue entre un professionnel et un non professionnel du crédit, serait de nul effet par application des dispositions de l'article 35 de la loi n° 23-78 du 10 janvier 1978 parce qu'elle procurerait à l'autre partie un avantage excessif par abus de pouvoir économique. L'appelant soutient qu'en tout état de cause la rupture a été brutale, [minute page 3] qu'elle est intervenue alors qu'il n'était pas stipulé de seuil ou de définition de défaillances, et qu'il n'est pas établi, selon le concluant, que sa clientèle aurait présenté une proportion anormale d'incidents de paiement.

CREG conclut à la confirmation de la décision en ses dispositions entreprises. Elle soutient que la clause de résiliation sur laquelle elle se fonde ne présentait pas un caractère léonin et qu'elle n'avait pas été conclue avec un non professionnel ; qu'elle prévoyait d'ailleurs plusieurs solutions possibles, l'une seule étant l'interruption du contrat qui, selon elle, était devenue la seule issue envisageable ; qu'en raison de la fréquence des impayés la rupture était justifiée, et qu'elle n'était pas intervenue dans des conditions abusives puisqu'une mise en garde constituant de fait un préavis de six mois avait été adressée à son cocontractant le 7 octobre 1980, et que la rupture n'avait d'ailleurs créé à X. aucune surprise. Elle soutient en outre que, compte tenu de la durée du préavis, et du défaut de production de pièces justificatives comptables, X. ne saurait établir la réalité d'un préjudice.

CREG, enfin, demande, par voie d'appel incident, l'allocation d'une somme de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et pour ses frais non taxables exposés pour l'ensemble de la procédure.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur quoi, la Cour,

Considérant que l'article II du contrat stipule que CREG se réserve à tout moment le droit de notifier au détaillant, soit une limite de plafond de financement, soit une modification des conditions de la convention relatives au volume d'affaires traitées ou à la qualité de la clientèle du détaillant, soit encore une interruption du financement de ses ventes à crédit ; que si les dispositions de cet article offrent, comme le fait observer l'intimée, plusieurs solutions possibles, il n'en demeure pas moins que l'établissement de crédit avait choisi la plus rigoureuse, et qu'il avait exercé la faculté ouverte par la convention sans avoir au préalable recherché une solution préservant la poursuite des relations contractuelles

Que, de son côté, M. X. ne peut, sans se contredire, à la fois soutenir que le contrat était nul et non avenu et reprocher à CREG d'y avoir mis fin en vertu d'une clause de résiliation qui, selon ses écritures, serait seule à l'origine du litige pour avoir été appliquée abusivement et en méconnaissance des dispositions législatives d'ordre public en vigueur ; que, c'est donc en réalité la validité de la clause et non celle de l'ensemble de la convention de financement, ainsi que les circonstances de la rupture contractuelle, qui motivent l'appel et la demande ainsi portée devant la Cour ;

Considérant que les dispositions de l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, relative à la [minute page 4] protection des consommateurs contre les clauses abusives, réputent abusives, et comme tels non écrites, les dispositions contractuelles conclues avec des non-professionnels, interdites par décret en Conseil d'Etat après avis de, la commission créée par l'article 36 de ladite loi, qui se rapportent aux conditions d'exécution et de résiliation des contrats, sont imposées à un non-professionnel par un abus de puissance économique et confèrent à l'autre partie un avantage excessif ;

Considérant qu'il résulte des productions que M.X., qui a été en relations d'affaires avec d'autres établissements de crédit, était lui-même un commerçant recourant habituellement au crédit et faisant lui-même habituellement crédit à sa propre clientèle ; qu'il lui est en conséquence difficile de soutenir qu'il avait la qualité de non-professionnel ou de consommateur au sens des dispositions législatives invoquées qui, en raison de leur spécialité et de leur caractère dérogatoire au droit commun, sont d'interprétation stricte ; qu'en outre, dès lors que CREG s'est bornée à suspendre tout financement nouveau sans avoir jamais prétendu faire supporter à X. le risque d'impayés compris dans des opérations de financement antérieures, l'appelant ne peut sérieusement soutenir que l'application de la clause de résiliation, sans indemnité ni transfert des risques des opérations en cours, conférait à l'établissement de crédit un avantage excessif ; qu'en conséquence la clause litigieuse n'entrait pas en l'espèce dans la catégorie des clauses réputées non écrites par des dispositions législatives spéciales et d'ordre public, et que le moyen tiré de l'article 35 de la loi précitée doit être écarté ;

Considérant que, même en l'absence de dispositions législatives réputant non écrite une clause de résiliation non assortie d'une mise en demeure préalable, la rupture sans préavis ni justification légitime de relations contractuelles peut néanmoins présenter un caractère abusif, et comme telle fonder une demande en dommages et intérêts s'il en est résulté un préjudice ;

Mais considérant qu'en l'espèce la lettre notifiant la suspension des financements était motivée par l’allégation d'un nombre anormal de sommes impayées dans la clientèle de X. ; que celui-ci avait déjà pour cette raison, reçu les 7 octobre 1980 et 13 février 1981 des lettres de mise en garde ; que, dans une lettre adressée le 15 avril 1981 à CREG, X., se référant à ces correspondances, avait indiqué qu'il avait prévu l'éventualité d'une suspension du financement et que, s'estimant victime de la malignité de sa cocontractante, il avait pour cela fait parvenir à « Monsieur le Président de la Concurrence ...(et) à la préfecture de Bobigny » la lettre du 7 octobre 1980 ; qu'il est ainsi établi que le bénéficiaire du contrat de financement avait, de fait, reçu un préavis de plus de six mois et qu'il n'ignorait pas la nature des motifs pouvant être allégués pour justifier ultérieurement la résiliation du contrat ;

[minute page 5] Considérant que M. X., enfin, conteste les motifs mêmes de la résiliation, savoir l'existence dans sa clientèle d'une proportion anormale de règlements non honorés ;

Qu'à cet égard Maître Y., qui a établi un rapport bien que CREG ait refusé de consigner les sommes dont l'avance avait été mise à sa charge, expose que la proportion d'impayés varie, selon les modes de calcul des parties entre 3,32 % (méthode X.) et 23,8 % (méthode CREG) ; que le mode de M. X. consiste à calculer le pourcentage d'impayés par rapport à la totalité du crédit consenti depuis l'entrée en application de la convention jusqu'à son interruption et en incluant les mensualités non encore échues ; que CREG calcule pour sa part le pourcentage des impayés à une date donnée, et en prenant en compte les seules mensualités échues ;.

Qu'il résulte des investigations de l'huissier-audiencier le pourcentage calculé par X. ne prend en compte ni les affaires résolues, après contentieux ou non, ni les affaires pouvant donner lieu à des incidents non encore révélés ; que les chiffres de CREG reflètent donc mieux la situation existant au moment où elle devait déterminer l'attitude commerciale propre à préserver ses intérêts ; que, selon les documents produits et soumis à Maître Y., la proportion des impayés à la date de référence du 30 décembre 1980 était de 23,80 % pour la clientèle de X. contre 7,49 % pour la moyenne de l'ensemble des financements assumés par CREG ; qu'il apparaît ainsi que, près de trois mois après la première mise en garde adressée à X., la clientèle de celui-ci continuait à présenter pour l'établissement financier une charge et un risque d'une ampleur inhabituelle ; que cette situation anormale, surtout alors qu'elle avait été signalée à, l'intéressé depuis près d'un trimestre pouvait justifier le refus de financer de nouvelles ventes à crédit ;

Considérant, enfin, que, quand bien même M. X. aurait pu se prévaloir d'une faute de CREG qui n'est nullement démontrée en l'espèce, l'intéressé, qui a bénéficié de fait d'un délai de six mois avant résiliation, ne pourrait établir la réalité d'un préjudice résultant d'un manque à gagner équivalent à six mois de chiffre d'affaires ;

Considérant que M. X., qui succombe en son appel, doit être condamné à supporter les entiers dépens lesquels comprennent, pour ceux de première instance, les frais de constat ;

Qu'il n'est pas inéquitable dans le cas de l'espèce de laisser à la charge de chacune des partie les frais non répétibles de procédure qu'elle a exposés ; qu'il ne sera en conséquence pas fait droit aux demandes présentées par CREG sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs et ceux non contraires du tribunal

Déboutant M. X. de son appel principal et la société CREG de son appel incident,

[minute page 6] Confirme le jugement en toutes ses dispositions entreprises ;

Rejette toute demande autre, contraire ou plus ample ;

Condamne M. X. à supporter les dépens d'appel ;

Autorise Maître Ribaut, avoué, à recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.