TI ROUBAIX, 9 octobre 2003
CERCLAB - DOCUMENT N° 151
TI ROUBAIX, 9 octobre 2003 : RG n° 11-03-000545
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Malgré l'expiration du délai biennal de forclusion en date du 11 octobre 1993, le juge d'instance avait bien le pouvoir de relever d'office, par jugement avant dire droit en date du 15 mai 2003 et en application des articles 12 et 16 du NCPC, le caractère abusif de clauses insérées dans le contrat de crédit, dès lors que ce moyen a été soumis au débat contradictoire et peu important que le contrat litigieux soit antérieur à la loi MURCEF du 12 décembre 2001, la finalité de la directive de 1993 l'emportant sur la lettre du texte de l'article L. 311-37 du Code de la consommation ».
2/ « Quant à l'argument de l'absence d'intérêt pour le litige, dès que celui-ci est provoqué par l'absence de paiement de l'emprunteur, il est naturellement sans objet s'agissant d'une législation prévoyant un formalisme dont le non-respect est sanctionné en l'absence de tout grief. Le fait que la clause n'ait pas été utilisée ou invoquée par le prêteur et que le consommateur n'en ait pas demandé la suppression importe peu : il n'est pas nécessaire que la clause ait été mise en œuvre par le prêteur pour revêtir un caractère abusif. Sa seule existence au contrat aggrave la situation de l'emprunteur, et en fait une clause au caractère abusif.
Sur le fond, la résiliation en cas d'émission par l'emprunteur d'un chèque sans provision prévue au contrat est une clause sans rapport avec l'objet principal du contrat de crédit, car une telle émission traduit certes une fragilisation de la situation financière du débiteur, mais n'empêche pas l'emprunteur d'honorer ses échéances, la résiliation anticipée risquant au contraire de précipiter sa déconfiture. Cette clause résolutoire, qui prive le consommateur d'un certain nombre de ses droits pourtant prévus par la loi et le modèle type et le pénalise de manière significative, sont en elles-mêmes abusives au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation. »
3/ « La sanction attachée à la présence des clauses abusives figurant à l'article 3 des conditions générales de l'offre du 10 octobre 1991 est, outre le caractère réputé non écrit des clauses prévu par l'article L. 132-1 du Code de la Consommation, la déchéance du droit aux intérêts pour la SA F. conformément aux dispositions de l'article L. 311-33 du Code de la consommation ».
TRIBUNAL D’INSTANCE DE ROUBAIX
JUGEMENT DU 9 OCTOBRE 2003
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
RG n° 11-03-000545.
DEMANDEUR :
SA F.
[adresse], représente(e) par Maître KEHR Paul-Alain, avocat au barreau de LILLE
DÉFENDEUR :
Madame D.
[adresse], comparant en personne
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Juge d’instance : Ghislain POISSONNIER
Greffier : Florence VILLE
JUGEMENT : réputé contradictoire, prononcé le 9 octobre 2003
DÉBATS : Audience publique du 3 juillet 2003
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 1 - N.B. première page non paginée] EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon l'offre préalable en date du 10 octobre 1991, la SA F. a consenti à Mme X. un crédit de type crédit par fractions (le compte pluriel) portant sur un montant de découvert autorisé de 8.000 Frs, au TEG de 19,68 %, et remboursable par mensualités dont le montant varie en fonction du niveau d'Utilisation des sommes financées.
Par acte d'huissier en date du 27 mars 2003, la SA F a assigné Mme X. devant le Tribunal d'instance de ROUBAIX afin de la voir condamner à lui payer
- la somme de 1.583,67 € représentant le capital restant dû, les mensualités échues impayées et l'indemnité de 8 %, assortie des intérêts au taux contractuel,
- la somme de 305 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- et la somme de 305 € sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
À l'audience du 28 avril 2003, où l'affaire a été évoquée une première fois, la SA a confirmé ses demandes en faisant valoir que Mme X. s'était montrée défaillante dans le paiement des mensualités.
Par jugement avant dire droit daté du 15 mai 2003, le Tribunal a soulevé d'office un moyen de droit tiré de la présence d'une clause éventuellement abusive figurant à l'article 3 des conditions générales disposant que le prêteur pourra résilier le contrat en cas d'interdiction de chéquier prononcée contre l'emprunteur, la présence de cette clause étant susceptible d'entraîner une déchéance du droit aux intérêts.
À l'audience du 3 juillet 2003, où l'affaire a été évoquée une seconde fois, la SA F. a sollicité du Tribunal qu'il fasse droit à sa demande en paiement en indiquant :
- à titre principal, que le tribunal était forclos à soulever tout moyen die droit, le délai biennal étant acquis s'agissant d'une offre préalable de crédit souscrite en 1991, et que le tribunal n'avait pas au demeurant le pouvoir de soulever un moyen de droit issu d'une législation de protection dès lors que ce moyen n'a pas été soulevé par la personne du débiteur que ces dispositions ont pour but de protéger,
- à titre subsidiaire que la clause de l'article 3 ne présentait aucun intérêt pratique pour le présent litige, la demande de l'établissement de crédit étant une demande en paiement fondée exclusivement sur la défaillance des emprunteurs dans le paiement des échéances, et que la clause litigieuse n'avait pas pour effet d'aggraver les conséquences pécuniaires de la rupture des relations contractuelles, l'aggravation de la situation du débiteur n'étant dès lors pas démontrée,
- à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où ces clauses seraient déclarées abusives, que la sanction appliquée soit celle du caractère réputé non écrit desdites clauses en application de l'article L. 132-1 du Code de la consommation et non celle de la déchéance du droit aux intérêts, sanction extensive non prévue en pareille situation.
Mme X. a comparu, a indiqué avoir signé le contrat de crédit, a reconnu la dette en son principe et a sollicité des délais de paiement.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] MOTIFS DE LA DÉCISION :
La SA F. réclame la condamnation de la défenderesse à lui régler le solde demeuré impayé du crédit par fractions souscrit le 10 octobre 1991, en principal, intérêts et frais.
Au vu des pièces fournies à l'audience (contrat de crédit en original, historique des paiements depuis l'origine, lettre de mise en demeure constatant la déchéance du terme), la demande en paiement de la SA F. apparaît fondée en son principe.
Toutefois, s'agissant d'une demande en paiement ayant pour origine un contrat de crédit à la consommation soumis aux dispositions d'ordre public du Code de la consommation, il appartient au juge de vérifier le droit du prêteur au paiement des intérêts et frais au regard de la régularité de l'offre préalable de crédit souscrite.
Sur le pouvoir du juge de soulever le caractère abusif d'une clause contenue dans un contrat de crédit :
Conformément à l'arrêt rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes le 21 novembre 2002 (Cofidis SA et Jean-Louis Fredout, C-473/00, Contrats conc. consom., févr. 2003, n° 31 obs. G. Raymond), le juge d'instance peut, malgré l'expiration du délai de forclusion de l'article L. 311-37 du Code de la consommation, relever d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d'une clause insérée dans un contrat de crédit à la consommation, et ceci afin d'atteindre le résultat fixé à l'article 6 de la directive 93/13/CEE, à savoir garantir que les clauses abusives ne lient pas le consommateur.
En l'espèce, le contrat conclu entre les parties le 10 octobre 1991 est un contrat de crédit à la consommation soumis aux dispositions d'ordre public du Code de la consommation.
Malgré l'expiration du délai biennal de forclusion en date du 11 octobre 1993, le juge d'instance avait bien le pouvoir de relever d'office, par jugement avant dire droit en date du 15 mai 2003 et en application des articles 12 et 16 du NCPC, le caractère abusif de clauses insérées dans le contrat de crédit, dès lors que ce moyen a été soumis au débat contradictoire et peu important que le contrat litigieux soit antérieur à la loi MURCEF du 12 décembre 2001, la finalité de la directive de 1993 l'emportant sur la lettre du texte de l'article L. 311-37 du Code de la consommation.
Sur le caractère abusif des clauses contenues dans le contrat de crédit :
En application des dispositions des articles L. 311-13 et R. 311-6 du Code de la consommation, l'offre préalable de crédit soumise par le professionnel à l'emprunteur doit être conforme au modèle type applicable à l'opération de crédit envisagée et comporter toutes les mentions obligatoires prévues par la loi et le décret (Cass. civ. 1ère, 25 avril 1989).
Dans le cas contraire, le juge peut prononcer la sanction de la déchéance du droit aux intérêts. Mais il n'est pas interdit au prêteur de faire figurer sur son offre d'autres mentions ou clauses. La Cour de cassation a ainsi rappelé, après la promulgation du Code de la consommation, que le prêteur pouvait présenter une offre contenant des clauses non prévues par le modèle type (Cass. civ. 1ère, 1er déc. 1993, Bull. civ. I, n° 354).
Toutefois, ces clauses non prévues par le modèle type ne doivent pas aggraver la situation de l'emprunteur par rapport au minimum légal.
[minute page 3] En l'espèce, l'offre préalable de crédit par fractions du 10 octobre 1991 devait être conforme au modèle type n° 5.
Sa lecture révèle qu'elle contient des clauses figurant à l'article sur les conditions de fonctionnement du compte, prévoyant la possibilité pour la SA F. de résilier l'ouverture de crédit « en cas d'interdiction de chéquier prononcée contre l'emprunteur ».
Au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, une clause n'est abusive que si elle a pour objet ou pour effet de créer au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
La clause résolutoire est une clause par laquelle le prêteur se réserve le droit de se prévaloir de la déchéance du terme pour un motif autre que la défaillance de l'emprunteur dans ses paiements. Il convient de s'interroger sur sa nature intrinsèquement abusive.
Une partie de la doctrine estime que « si le modèle type prévoit bien la résiliation en cas de défaillance de l'emprunteur et précise les sanctions financières effectivement réservées à ce cas, il ne dit nulle part que la défaillance dans le paiement constituerait le seul cas de résiliation » (Fadlallah (I), Baude-Texidor (C.), « L'office du juge en matière de crédit à la consommation : éloge de la neutralité judiciaire », D. 2003 chron. p. 752).
Cette analyse est contraire à la lettre et à l'esprit même du modèle type, qui est de créer des droits au bénéfice du consommateur.
Le modèle type n° 1, auquel renvoient les modèles type n° 3, 4, 5, 6 et 7, n'envisage en son paragraphe 5 b) la résiliation du contrat de crédit à l'initiative du préteur qu'en cas de non-paiement des échéances : « en cas de défaillance de votre part dans les remboursements, le préteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés ». Et l'article L. 311-30 du Code de la consommation, prévoyant les sommes dues en cas de déchéance du terme, n'envisage que l'hypothèse de la défaillance de l'emprunteur.
En réalité, il découle de la logique même du modèle type que la déchéance du terme pour un motif autre que la défaillance de l'emprunteur dans ses paiements est prohibée.
L'aggravation de la situation de l'emprunteur ne fait aucun doute, dès lors que le modèle type ne prévoit la résolution du contrat de crédit qu'en cas de défaillance de l'emprunteur. Car toute autre clause résolutoire fait grief au consommateur, en ce sens que son jeu provoque la déchéance du terme et donc l'exigibilité immédiate de la totalité des sommes restant dues, ce qui peut entraîner sa déconfiture, puisque le prêteur pourra exiger de lui le remboursement immédiat du capital majoré des intérêts échus non payés, outre l'indemnité de 8 %. Elle constitue bien une sanction et il n'est pas douteux que le consommateur, qui peut se voir réclamer du jour au lendemain la totalité du solde du crédit, fera tout pour respecter la condition imposée par l'établissement pour éviter le jeu de la clause résolutoire. L'aggravation de sa situation par rapport au contenu du modèle type est donc établie.
Quant à l'argument de l'absence d'intérêt pour le litige, dès que celui-ci est provoqué par l'absence de paiement de l'emprunteur, il est naturellement sans objet s'agissant d'une législation prévoyant un formalisme dont le non-respect est sanctionné en l'absence de tout grief. Le fait que la clause n'ait pas été utilisée ou invoquée par le prêteur et que le consommateur n'en ait pas demandé la suppression importe peu : il n'est pas nécessaire que la [minute page 4] clause ait été mise en œuvre par le prêteur pour revêtir un caractère abusif. Sa seule existence au contrat aggrave la situation de l'emprunteur, et en fait une clause au caractère abusif.
Sur le fond, la résiliation en cas d'émission par l'emprunteur d'un chèque sans provision prévue au contrat est une clause sans rapport avec l'objet principal du contrat de crédit, car une telle émission traduit certes une fragilisation de la situation financière du débiteur, mais n'empêche pas l'emprunteur d'honorer ses échéances, la résiliation anticipée risquant au contraire de précipiter sa déconfiture.
Cette clause résolutoire, qui prive le consommateur d'un certain nombre de ses droits pourtant prévus par la loi et le modèle type et le pénalise de manière significative, sont en elles-mêmes abusives au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation.
En outre, toutes ces clauses prévoient la possibilité pour la SA F. de prononcer la résiliation du contrat de crédit dans des cas autres que celui de la défaillance de l'emprunteur.
Or, le modèle type n°1, auquel renvoie le modèle type n° 5, ne prévoit la possibilité pour le prêteur d'exiger le remboursement immédiat des sommes dues uniquement en cas de « défaillance (…) dans les remboursements » de l'emprunteur.
Ainsi, les clauses prévues au contrat aggravent la situation de l'emprunteur par rapport au contenu du modèle type, qui constitue un minimum légal de protection pour le consommateur auquel il ne peut être dérogé.
Le caractère abusif de ces clauses découle également de ce que le prêteur créé un déséquilibre par rapport à une situation juridique organisée de manière détaillée par les textes en vigueur visant à protéger l'emprunteur, peu important que ces clauses ne soient pas le fondement juridique de l'action en paiement.
Sur la sanction attachée à la présence de clauses abusives contenues dans le contrat de crédit :
La présence de clauses abusives rend l'offre de crédit irrégulière par rapport aux modèles types prévus aux dispositions de l'article L. 311-13 et R. 311-6 du Code de la consommation. Leur présence est ainsi sanctionnée par la déchéance du droit aux intérêts, la Cour de cassation ayant approuvé une cour d'appel qui avait prononcé la déchéance du droit aux intérêts pour ce motif (Cass. civ. 1ère, 1er déc. 1993, Daguerre : Bull. civ. I, p. 247).
Ainsi, la sanction attachée à la présence des clauses abusives figurant à l'article 3 des conditions générales de l'offre du 10 octobre 1991 est, outre le caractère réputé non écrit des clauses prévu par l'article L. 132-1 du Code de la Consommation, la déchéance du droit aux intérêts pour la SA F. conformément aux dispositions de l'article L. 311-33 du Code de la consommation.
Sur le montant de la créance :
L'article L. 311-33 du Code de la consommation prévoit que lorsque l'établissement de crédit est « déchu du droit aux intérêts », l'emprunteur n'est « tenu qu'au seul remboursement du capital ».
Le montant de la créance de la SA F. sera fixé en déduisant le montant des intérêts, frais et primes d'assurances du solde débiteur.
[minute page 5] Solde au 21 août 2002 suivant historique : 1.583,67 €.
Montant des intérêts, frais et primes d'assurance depuis l'origine (à déduire) : 2.286,74 €. Total restant à payer : - 703,07 €.
Il convient de constater que c'est au contraire Mme X. qui est créancière de la SA F. à hauteur de la somme de 703,07 euros, correspondant à des frais et intérêts réclamés à tort par la société de crédit. En conséquence, la SA sera donc déboutée de sa demande en paiement.
La SA F. ayant été déboutée de sa demande en paiement, sa demande faite à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle au titre de l'article 700 du NCPC seront également rejetées.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, en dernier ressort :
DÉBOUTE la SA F. de sa demande en paiement à l'encontre de Madame X.
DIT qu'en conséquence Mme X ne sera plus tenue au paiement d'aucune somme au titre du contrat de crédit par fractions du 10 octobre 1991,
REJETTE toute autre demande,
RAPPELLE qu'il appartient à Mme X. en cas de plan conventionnel ou judiciaire de surendettement, de transmettre une copie du présent jugement à la Commission de surendettement de ROUBAIX,
CONDAMNE la SA F. aux dépens.
Ainsi jugé et prononcé les jours, mois et an que dessus et le Président a signé avec le Greffier.
Le Greffier Le Juge
Signé : Florence VILLE Signé : Ghislain POISSONNIER
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