TGI DRAGUIGNAN (1re ch. civ.), 5 août 1999
CERCLAB - DOCUMENT N° 1647
TGI DRAGUIGNAN (1re ch. civ.), 5 août 1999 : RG n° 99/00616 ; jugement n° 1437/99
(sur appel CA Aix-en-Provence (15e chambre B) 4 décembre 2003 : RG n° 99/17763 ; arrêt n° 2003/666)
Extrait : « Il résulte de l'article 1156 du Code civil, qu'il faut rechercher dans les conventions quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. L'article 1157 précise qu'en présence d'une clause susceptible de deux sens, il convient de l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir effet. En l'espèce, le contrat d'assurance souscrit par le demandeur afin de garantir le paiement des échéances de ses prêts, mentionne : « la garantie de l'assureur intervient en cas d'impossibilité totale de travail lorsqu'à l'expiration d'une période d'interruption continue d'activité pour des raisons de santé de 90 jours, il se trouve dans l'incapacité d'exercer une activité professionnelle ou non, même à temps partiel ».
La compagnie d'assurance WINTERTHUR, en application de cette clause, a cessé de garantir les paiements des prêts se fondant ainsi sur les conclusions d'un rapport d'expertise médicale en date du 23 septembre 1997. En effet, dans ce rapport, le docteur Z. conclut à la possibilité pour Monsieur X. de reprendre une autre activité par exemple dans un bureau. En l'espèce, il convient de considérer que l'interprétation de cette clause par la Compagnie d'assurance est contraire aux dispositions de l'article 1157 du Code civil. Tout d'abord, il est manifeste que lors de la souscription de l'assurance l'assuré entendait être préservé de toute cessation d'activité dans sa branche de travail. Considérer que c'est l'exercice de toutes les professions qui doit être rendu impossible par l'état de santé revient à déséquilibrer considérablement l'économie du contrat et à permettre à l'assurance de s'exonérer de la garantie dans la plupart des hypothèses. Surtout, les clauses du contrat devant s'apprécier in concreto, il convient de relever que le demandeur était maçon et est âgé de 48 ans et que l'expert constate une impossibilité de reprendre cette activité. Enfin, compte tenu de la situation actuelle de l'emploi en France, de l'absence de qualification professionnelle de Monsieur X. et de son état de santé, il est dans l'impossibilité totale de retrouver un emploi et ce malgré les conclusions de l'expert qui fait une appréciation abstraite de la situation.
La WINTERTHUR est donc tenue de poursuivre la garantie souscrite et de verser les échéances dues à savoir la somme de 107.096,15 francs à payer directement entre les mains de la CAISSE D'ÉPARGNE. »
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE DRAGUIGNAN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 5 AOÛT 1999
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 99/00616. Jugement n° 1437/99.
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT : Melle Sophie PISTRE, Juge statuant à juge unique
GREFFIER : M. Michel MAUNIER, F.F. [N.B. faisant fonction]
DÉBATS : à l'audience publique du 25 juin 1999 mis en délibéré au 5 août 1999
JUGEMENT prononcé publiquement, par décision CONTRADICTOIRE et en premier ressort par Melle Sophie PISTRE et rédigé par Melle BARDOSSE, Auditrice de Justice
[minute page 2]
NOMS DES PARTIES :
DEMANDEUR :
MONSIEUR X.,
né le [date] à [ville], demeurant [adresse], assisté de MADAME Y., désignée en qualité de curateur de MONSIEUR X. suivant jugement du Tribunal d'Instance de FREJUS en date du 25 octobre 1994, demeurant [adresse], Représenté par la SCP BOSSUT - FOURMEAUX, Avocats au Barreau de DRAGUIGNAN, d'une part ;
DÉFENDERESSES :
SA WINTERTHUR,
demeurant [adresse], Représentée par Maître DREVET, Avocat au Barreau de DRAGUIGNAN ;
CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE COTE D'AZUR,
demeurant [adresse], Représentée par la SCP CASANOVA - FENOT - TULASNE - GHRISTI, Avocats au Barreau de DRAGUIGNAN, d'autre part ;
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 3] EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 5 novembre 1988 et le 5 décembre 1989, Monsieur X. a souscrit auprès de la CAISSE D'ÉPARGNE deux prêts à l'habitat. Dans le même temps il a adhéré au contrat d'assurance de la Caisse Nationale de Prévoyance permettant de garantir le paiement des échéances en cas de défaillance du souscripteur causée par une impossibilité de travailler.
Le 25 octobre 1994, Monsieur X. a été placé sous curatelle n'étant plus à même de gérer ses affaires.
La compagnie d'assurance WINTERTHUR, s'étant substituée à la CNP, a pris en charge les échéances des prêts du 15 juin 1994 au 31 août 1994. La garantie a cessé après cette date, la compagnie s'appuyant sur un rapport d'expertise mentionnant que Monsieur X. ne pouvait certes plus occuper sa précédente activité de maçon mais pouvait en occuper une autre moins éprouvante.
Par acte en date du 28 janvier 1999, Monsieur X. a fait assigner la SA WINTERTHUR et la CAISSE D'ÉPARGNE et de PRÉVOYANCE de la COTE D'AZUR aux fins de voir condamner la SA WINTERTHUR avec exécution provisoire au paiement des sommes suivantes :
- 79.868,25 Francs avec intérêt au taux légal à compter du 10 juillet 1998.
- 50.000 Francs à titre de dommages et intérêts.
- 20.000 Francs en application de l'article 700 du NCPC.
Il sollicite en outre que lui soit donné acte de ce qu'il n'est pas opposé au versement des échéances directement entre les mains de la CAISSE D'ÉPARGNE ; que le jugement soit déclaré commun et opposable à la CAISSE D'ÉPARGNE COTE D'AZUR ; que la WINTERTHUR prenne en charge les échéances à compter du 5 août.
A l'appui de ces demandes Monsieur X. fait valoir que :
La WINTERTHUR a cessé de couvrir le prêt alors que son état de santé ne s'est pas modifié depuis 1994 ;
Il ne peut reprendre aucune activité en rapport avec ses qualifications ;
La WINTERTHUR a continué à l'indemniser après réception d'un premier rapport, elle a ainsi renoncé à invoquer une non-garantie ;
La Cie d'assurance fait une lecture restrictive du contrat, la clause sur laquelle elle se base pour cesser la garantie étant d'ailleurs discutable et certainement abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ;
L'attitude de la WINTERTHUR mérite l'octroi de dommages et intérêts.
La WINTERTHUR s'oppose à ces demandes dont elle sollicite au principal le rejet aux motifs que la clause dont se prévaut le demandeur est insusceptible de plusieurs interprétations ; qu'il n'a jamais été mentionné que l'assuré devait être dans l'incapacité d'exercer sa seule activité professionnelle ; que Monsieur X. peut travailler ; qu'elle n'a jamais entendu renoncer à invoquer une non-garantie.
[minute page 4] Subsidiairement, la requise sollicite que Monsieur X. produise la jurisprudence citée dans ses écritures et qu'il soit condamné à lui payer la somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC.
La CAISSE D'ÉPARGNE et de PRÉVOYANCE de COTE d'AZUR s'en rapporte à l'appréciation du tribunal et sollicite en cas de condamnation de la WINTERTHUR, que les versements se fassent directement à la CAISSE D'ÉPARGNE ; et outre le paiement de la somme de 4.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 juin 1999.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
SUR LA PROCÉDURE :
Le demanderesse [N.B. conforme à la minute] a déposé le 25 juin 1999 des conclusions récapitulatives
En application des dispositions de l'article 753 du NCPC, les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnées.
En l'espèce les conclusions récapitulatives ont été régulièrement signifiées et ne sont pas discutées par les adversaires à la cause. Il convient en raison des difficultés d'application du Décret du 28 décembre 1998 de relever qu'une cause grave justifie de recevoir ses conclusions tardives.
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE :
Sur la clause litigieuse :
Il résulte de l'article 1156 du Code civil, qu'il faut rechercher dans les conventions quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. L'article 1157 précise qu'en présence d'une clause susceptible de deux sens, il convient de l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir effet.
En l'espèce, le contrat d'assurance souscrit par le demandeur afin de garantir le paiement des échéances de ses prêts, mentionne : « la garantie de l'assureur intervient en cas d'impossibilité totale de travail lorsqu'à l'expiration d'une période d'interruption continue d'activité pour des raisons de santé de 90 jours, il se trouve dans l'incapacité d'exercer une activité professionnelle ou non, même à temps partiel ».
La compagnie d'assurance WINTERTHUR, en application de cette clause, a cessé de garantir les paiements des prêts se fondant ainsi sur les conclusions d'un rapport d'expertise médicale en date du 23 septembre 1997. En effet, dans ce rapport, le docteur Z. conclut à la possibilité pour Monsieur X. de reprendre une autre activité par exemple dans un bureau.
[minute page 5] En l'espèce, il convient de considérer que l'interprétation de cette clause par la Compagnie d'assurance est contraire aux dispositions de l'article 1157 du Code civil.
Tout d'abord, il est manifeste que lors de la souscription de l'assurance l'assuré entendait être préservé de toute cessation d'activité dans sa branche de travail. Considérer que c'est l'exercice de toutes les professions qui doit être rendu impossible par l'état de santé revient à déséquilibrer considérablement l'économie du contrat et à permettre à l'assurance de s'exonérer de la garantie dans la plupart des hypothèses.
Surtout, les clauses du contrat devant s'apprécier in concreto, il convient de relever que le demandeur était maçon et est âgé de 48 ans et que l'expert constate une impossibilité de reprendre cette activité.
Enfin, compte tenu de la situation actuelle de l'emploi en France, de l'absence de qualification professionnelle de Monsieur X. et de son état de santé, il est dans l'impossibilité totale de retrouver un emploi et ce malgré les conclusions de l'expert qui fait une appréciation abstraite de la situation.
La WINTERTHUR est donc tenue de poursuivre la garantie souscrite et de verser les échéances dues à savoir la somme de 107.096,15 francs à payer directement entre les mains de la CAISSE D'ÉPARGNE.
Sur les dommages et intérêts :
L'attitude de la WINTERTHUR est dommageable au demandeur puisque celle-ci a cessé « ex abrupto » toute prise en charge financière obligeant l'assuré à entreprendre de nombreuses démarches, notamment une action en référé, et le soumettant à la pression de sa banque. En outre, Monsieur X. est invalide et placé sous curatelle et il est manifeste que la compagnie d'assurance a agi au mépris de cette condition personnelle délicate.
En conséquence, le tribunal dispose d'éléments suffisants pour chiffrer à 10.000 francs les dommages et intérêts dus par la WINTERTHUR.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :
Sur les intérêts :
Il convient de faire droit à la demande de Monsieur X. et de dire que le principal produira intérêts au taux légal, conformément aux dispositions de l'article 1153 du Code civil à compter du 10 juillet 1998, date de la signification de l'assignation en référé.
Sur l'exécution provisoire :
Compte tenu de l'ancienneté du litige et de la compatibilité avec la nature de la procédure, l'exécution provisoire sera ordonnée
[minute page 6]
Sur l'article 700 du NCPC :
Il serait inéquitable de laisser supporter au demandeur la charge des frais irrépétibles par lui exposé à l'occasion de la procédure.
En conséquence, La WINTERTHUR devra verser la somme de 10.000 francs à Monsieur X.
S'agissant de la demande de la Caisse d'Epargne sur le fondement de l'article 700 du NCPC, il lui sera alloué la somme de 2.000 francs.
Sur les dépens :
La WINTERTHUR supportera les dépens de la procédure.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort REVOQUE l'ordonnance de clôture en date du 3 juin 1999,
DÉCLARE recevables les conclusions de la demanderesse en date du 25 juin 1999,
Vu les dispositions de l'article 1156 et 1157 du Code civil,
DÉCLARE le présent jugement opposable à la CAISSE D'ÉPARGNE COTE D'AZUR ;
CONDAMNE la SA WINTERTHUR à verser à la CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE DE LA COTE D'AZUR la somme de 107.096,15 francs avec intérêt au taux légal à compter du 10 juillet 1998 ;
CONDAMNE la SA WINTERTHUR à prendre en charge les échéances des prêts souscrits par Monsieur X. à compter du 5 août 1998 ;
CONDAMNE la SA WINTERHUR à verser à Monsieur X. la somme de 10.000 francs (DIX MILLE FRANCS) à titre de dommages et intérêts ;
ORDONNE l'exécution provisoire ;
CONDAMNE la SA WINTERTHUR à verser à Monsieur X. la somme de 10.000 francs (dix mille francs) sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNE la SA WINTERTHUR aux entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du NCPC au profit de l'avocat demandeur.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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