CA Rennes (2e ch.), 10 avril 1996
CERCLAB - DOCUMENT N° 1825
CA Rennes (2e ch.), 10 avril 1996 : RG n° 94/05455 ; arrêt n° 421
Publication : Juris-Data n° 044661
Extrait : « les dispositions de l'article 35 de la loi du 10 Janvier 1978 ne s'appliquant pas aux fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercé par le co-contractant, qu'en l'espèce la Société DOUX POUSSINS a bien le caractère d'utilisateur professionnel de l'énergie électrique, produit essentiel à son activité et ne peut revendiquer la protection du simple consommateur, l'EDF étant tenue à son égard sauf faute lourde, d'une obligation de moyen »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 10 AVRIL 1996
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 9405455. Arrêt n° 421.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Président : Monsieur CASORLA. Conseiller : Monsieur POUMARBDE. Conseiller : Madame LETOURNEUR-BAFFERT
MINISTÈRE PUBLIC : /
GREFFIER : Madame FOURNIER
DÉBATS : à l'audience publique du 21 février 1996
ARRÊT : CONTRADICTOIRE, prononcé par Monsieur POUMAREDE à l'audience publique du 10 avril 1996, date indiquée à l'issue des débats après prorogation du délibéré
PARTIES :
APPELANT :
SA DOUX POUSSINS
[adresse], AGISSANT AGENCE DE LA HARMOYE Maîtres BAZILLE et GENICON, Avoués, Maître DELACOURT, Avocat, APPELANT
INTIMÉE :
SOCIETE EDF GDF
[adresse], AGISSANT PAR SES DIRIGEANTS LEGAUX, Maîtres CASTRES et COLLEU, Avoués, Maître DE KERVENOAEL, Avocat, INTIMÉ
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] Statuant sur l'appel interjeté le 28 juin 1994 par la Société DOUX POUSSINS à l'encontre d'un jugement rendu le 13 juin 1994 par le Tribunal de Commerce de SAINT BRIEUC qui l'a condamnée à payer à l'EDF la somme de 28.761,00 Francs outre les intérêts de droit à compter du 1er novembre 1988, condamné l'EDF-GDF à payer l'indemnité contractuelle due par elle au titre du principe de sa responsabilité contractuelle pour interruptions inopinées de fourniture de courant électrique soit la somme de 915,85 Francs outre les intérêts de droit à dater du 1er novembre 1988, débouté La Société DOUX POUSSINS de toutes ses autres demandes fins et conclusions, condamné la Société DOUX POUSSINS à payer la somme de 5.000,00 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
Considérant qu'il résulte des énonciations non contredites de la décision attaquée, des écritures des parties et des pièces par elles régulièrement produites que la Société DOUX POUSSINS a laissé impayée une facture d'octobre 1988 pour un montant de 29.751,00 Francs prétextant une interruption d'électricité de deux heures le 1er mai 1988 ayant entraîné la perte de 20.000 poussins, qu'elle adressait à l'EDF une facture de 29.751,00 Francs estimant que cette dernière n'avait pas rempli ses obligations contractuelles, que le 12 octobre 1990 après une procédure de référé engagée par l'EDF auprès du Tribunal d'instance de LOUDEAC la SA DOUX POUSSINS était condamnée à verser à l'EDF la somme de 1.000,00 Francs à titre de provision à valoir sur le montant de la créance, que par exploit du 24 février 1992 l'EDF GDF assignait la SA DOUX POUSSINS pour l'entendre condamner à lui payer la somme de 28.751,00 Francs outre intérêts de droit à compter du 1er Novembre 1988 ainsi qu'à une somme de 8.000,00 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux entiers dépens, que par conclusions la Société DOUX POUSSINS introduisait une demande reconventionnelle aux fins d'entendre la Société EDF GDF à titre principal, condamnée à la somme de 29.751,00 Francs en principal, condamnée à la somme de 10.000,00 Francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, que par jugement dont appel le Tribunal [minute page 3] faisait droit à la demande de l'EDF tout en la condamnant à verser l'indemnité contractuelle de 915.85 Francs pour interruption inopinée de fourniture de contrat électrique ;
Considérant qu'aux termes de ses conclusions, la SA DOUX POUSSINS, appelante, demande à la Cour à titre principal, de réformer le jugement du Tribunal de Commerce de SAINT BRIEUC en date du 13 juin 1994, condamner EDF à lui verser les sommes de 29.751,00 Francs avec intérêts de droit à compter du 1er juin 1988, de 10.000,00 Francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée, débouter EDF de toutes ses demandes fins et conclusions, condamner EDF à lui verser la somme de 12.000 Francs au titre des frais irrépétibles, condamner EDF aux entiers dépens, à titre subsidiaire, dire et juger que l'interruption de la fourniture d'électricité le 1er mai 1988 constitue une faute lourde d'EDF, dire et juger qu'EDF sera tenue en conséquence à réparer l'entier préjudice subi par la Société DOUX POUSSINS du fait de cette interruption de fournitures d'électricité, surseoir à statuer sur l'évolution du préjudice, désigner tel expert judiciaire avec mission de réunir et entendre les parties sur les lieux du sinistre, apprécier les conséquences des interruptions de fonctionnement des installations électriques sur la production du site, déterminer le taux de mortalité des poussins mis en production au 1er mai 1988, se faire communiquer toutes pièces utiles par les parties et entendre tout sachant chiffrer le préjudice subi par la Société DOUX POUSSINS le 1er mai 1988, réserver les dépens ;
Qu'elle fait valoir, que d'une part, l'obligation de fournitures ou de délivrance qui s'impose à EDF en tant que venderesse d'électricité est une obligation de résultat mise en évidence par plusieurs clauses du contrat tenant lieu de loi entre les parties, que du fait de sa situation de monopole et de l'importance des moyens qui sont les siens, EDF doit être en mesure de satisfaire l'obligation à laquelle elle même s'astreint dans les contrats d'adhésion qu'elle propose à ses abonnés, que la clause de limitation de responsabilité, compte tenu du caractère ridicule de l'indemnisation qu'elle retient n'est pas limitative mais exclusive de responsabilité et par la même [minute page 4] tombe sur le coup de l'article 35 de la loi 1978-23 du 10 juillet 1978 [N.B. : lire 10 janvier 1978] et de l'article 2 de son décret du 24 mars 1978 sur les clauses abusives entre professionnel et non professionnel ou consommateur, que la Société DOUX POUSSINS affirme une qualité de non professionnel au sens de la loi dès lors qu`elle agit hors de sa sphère habituelle d'activité, que cette clause doit être réputée non écrite, que d'autre part, la coupure d'électricité survenue le 1er mai 1988 pendant deux heures ne peut qu'être constitutive d'une faute lourde, qu'il appartenait à en sa qualité de professionnel, de prévenir qu'ainsi seul le défaut de vigilance dans l’entretien de ses installations semble être à l'origine de la panne, qu'elle ne peut s'exonérer de sa responsabilité en retenant la force majeure, qu'elle ne peut pas davantage s'exonérer en reprochant à la SA DOUX POUSSINS de ne pas avoir eu un groupe électrogène de secours en état de marche, que l'EDF soutient encore à tort que la perte des poussins proviendrait d'un défaut d'entretien des équipements nécessaires au bien être et à la santé des animaux alors que seul le fluide énergétique faisait défaut ;
Considérant qu'aux termes de ses conclusions, l'EDF, intimée, demande à la Cour de débouter la SA DOUX POUSSINS de son appel, confirmer le jugement en ce que, statuant sur la demande principale d'EDF, il a condamné la SA DOUX POUSSINS à lui verser la somme de 28.751,00 Francs avec les intérêts de droit à compter du 1er novembre 1988, outre une indemnité de 5.000,00 Francs pour les frais irrépétibles, recevant EDF en son appel incident portant sur la demande reconventionnelle initiale de la SA DOUX POUSSINS, et faisant droit à ce recours incident, exonérer EDF de toute responsabilité dans les conséquences de l'interruption inopinée de fourniture d'énergie en raison de la grave faute d'imprudence commise par la SA DOUX POUSSINS, en conséquence, dire n'y avoir lieu à réparation quelconque au profit de cette dernière, condamner la SA DOUX POUSSINS à payer à EDF une indemnité de 8.000,00 Francs pour ses frais irrépétibles d'appel, débouter la SA DOUX POUSSINS de ses demandes autres, contraires ou plus amples, condamner la SA DOUX POUSSINS aux dépens ;
[minute page 5] Qu'elle fait valoir, qu'elle ne conteste pas être responsable de l'interruption accidentelle de fourniture mais qu'il ne peut en aucun cas s'agir d'une faute lourde de sa part, que la chute du conducteur moyenne tension caractérise un fait totalement accidentel exempt de toute qualification de faute lourde, qu'à l'inverse la Société DOUX POUSSINS, spécialiste reconnu de l'élevage hors sol est tout naturellement au fait des problèmes ponctuels que peut rencontrer la distribution d'énergie et la stricte nécessité de pouvoir y pallier très rapidement à l' intérieur de 1’entreprise, pour parer à leurs conséquences irrémédiables à très court terme sur les animaux élevés dans des conditions « industrielles », qu'ainsi, si effectivement, l'installation d'un groupe électrogène n'est pas obligatoire contractuellement, celle-ci est suffisamment recommandée pour attirer l'attention de la clientèle d'EDF sur les risques encourus, que la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages du 10 mars 1976 et l'arrêté du 29 septembre 1987 relatif à la protection des poules pondeuses fait obligation de vérifier les installations techniques lors d'une inspection approfondie au moins une fois par jour et tout défaut constaté doit être éliminé dans les plus brefs délais, que la SA DOUX POUSSINS a fait preuve de négligence dans l'entretien de ses installations, que la faute grave d'imprudence commise par la SA DOUX POUSSINS, en s'abstenant de disposer effectivement de dispositif de secours opérationnel apparaît seule à l'origine de la mortalité des poussins par asphyxie, que subsidiairement l'indemnité visée à l'article 12 du contrat hors faute lourde, dans l'hypothèse où un principe d'indemnisation serait quand même retenu à la charge d'EDF, ne pourrait dépasser la somme de 915,85 Francs, que c'est en vain que la SA DOUX POUSSINS argumente sur le caractère abusif de la clause limitative de responsabilité, au motif qu'elle serait un non professionnel, que la SA DOUX POUSSINS a le caractère d`utilisateur professionnel de l'énergie électrique qui constitue un produit essentiel à son activité, au même titre que d'autres matières relevant de sa spécialité et ne peut revendiquer l'application d'une législation protectrice du simple consommateur non professionnel qu'elle n'est pas, que l'EDF n'ayant commis aucune [minute page 6] faute lourde sa responsabilité ne saurait être retenue ;
Considérant que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR QUOI, LA COUR :
Considérant que c'est à bon droit et par une juste appréciation des éléments de la cause non démentie par les débats devant la Cour et par les pièces qui y ont été produites que le Tribunal a statué en l'espèce, que tant la facture initiale d'octobre 1988 que le montant de son solde, soit 28.751,00 Francs après prise en compte de l'indemnité provisionnelle allouée par le Président du Tribunal d'instance de LOUDEAC dans son ordonnance de référé du 12 octobre 1990, ne suscitent de discussions de la part des parties, que le jugement du Tribunal de Commerce de SAINT BRIEUC devra donc être confirmé en ce qu'il a condamné la SA DOUX POUSSINS à payer cette somme de 28.751,00 Francs avec les intérêts de droit à compter du 1er mai 1988, que sur la demande reconventionnelle de la SA DOUX POUSSINS tendant à voir retenir la responsabilité exclusive d'EDF dans le sinistre subi le 1er mai 1988 et a obtenir pour son indemnisation la somme de 29.751,00 Francs, il sera observé qu'il s'agit dans la réalité, de la chute d'un conducteur moyenne tension, ce qui caractérise un fait totalement accidentel exempt de toute qualification en faute lourde, qu'EDF ne conteste pas être responsable de l'interruption purement accidentelle de fourniture incriminée, ni ses propres obligations en la matière, que la Cour adopte les motifs du jugement relatif à la responsabilité contractuelle de l'EDF sur la base de l'article XII du contrat de fournitures, et pas plus que l’EDF ne fait démonstration probante d'une faute grave d'imprudence de la Société DOUX POUSSINS qui n'était pas tenue d'avoir un dispositif de secours, la faute lourde n'est pas davantage démontrée à l'encontre de l'EDF et le principe d'indemnisation étant [minute page 7] contractuellement limité à 915,85 Francs, cette obligation est opposable à la Société DOUX POUSSINS qui y a librement consenti, les dispositions de l'article 35 de la loi du 10 Janvier 1978 ne s'appliquant pas aux fournitures de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l'activité professionnelle exercé par le co-contractant, qu'en l'espèce la Société DOUX POUSSINS a bien le caractère d'utilisateur professionnel de l'énergie électrique, produit essentiel à son activité et ne peut revendiquer la protection du simple consommateur, l'EDF étant tenue à son égard sauf faute lourde, d'une obligation de moyen, qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement dans toutes ses dispositions ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé les frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel et qu'il y a lieu en conséquence de condamner la Société DOUX POUSSINS à lui payer la somme de 8.000,00 Francs, que succombant en son appel la Société DOUX POUSSINS sera également condamnée aux dépens ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement,
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires au présent arrêt,
Condamne la Société DOUX POUSSINS à payer à l'EDF la somme de 8.000,00 Francs au titre des frais irrépétibles,
La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- 5841 - Code de la consommation - Domaine d’application - Contrat - Nature du contrat - Qualification du contrat - Clauses abusives - Décret du 24 mars 1978 (anc. art. R. 132-1 c. consom.)
- 5860 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection implicite
- 5927 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Fourniture d’électricité ou de gaz