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CA BOULOGNE-SUR-MER (1re ch.), 11 juin 2024

Nature : Décision
Titre : CA BOULOGNE-SUR-MER (1re ch.), 11 juin 2024
Pays : France
Juridiction : T. jud. Boulogne
Demande : 22/02796
Date : 11/06/2024
Nature de la décision : Admission, Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 23/06/2022
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CERCLAB - DOCUMENT N° 23108

CA BOULOGNE-SUR-MER (1re ch.), 11 juin 2024 : RG n° 22/02796

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Il ressort de ces stipulations que la survenance de l'un des événements suspensifs, énoncés de manière claire, doit être justifiée par une lettre du maître d'œuvre. Cette clause a pour effet de donner à la lettre du maître d'œuvre une force probante particulière, celle de présomption simple des causes de retard qu'elle énonce. Il sera rappelé que le maître d'œuvre est un tiers au contrat. Il en résulte que la suspension du délai de livraison n'est nullement décidée arbitrairement par le promoteur. Les causes de retard sont en outre susceptibles d'être soumises à un contrôle juridictionnel.

Dans ces circonstances, il ne découle pas de cette clause un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et l'obligation essentielle du vendeur de livrer dans un délai déterminé ne se trouve aucunement vidée de sa substance.

Ladite clause n'étant pas abusive, la SCI Onyx sera déboutée de sa demande tendant à la voir réputer non écrite. »

2/ « Si les intempéries font partie des causes légitimes de suspension du chantier prévues au contrat, l'attestation se contentant de lister un nombre de jours de suspension sans autre explication ni justificatif quant aux dites intempéries est insuffisante à établir la preuve de cette cause légitime. »

3/ « Pour autant, la première période de la crise au printemps 2020 constitue indéniablement un motif légitime de report de livraison dès la mi-mars 2020. S'il est constant que la seule existence d'une épidémie ne suffit pas à caractériser un cas de force majeure, les contraintes qui ont découlé de l'obligation de confinement ainsi que des restrictions de déplacement, ont rendu beaucoup plus difficile l'exécution des marchés de travaux.

Il ressort de ce qui précède que cette cause légitime est établie ; mais que les quatre mois retenus comprennent en réalité les deux mois de confinement de mi-mars à mi-mai, soit 60 jours et le doublement de ce délai en vue de la réorganisation nécessaire des chantiers suite à cette période.

Dans ces conditions, et en l'absence de tout autre élément justificatif de la part du promoteur, ce dernier est légitime à imputer 120 jours de retard, en tout, au titre de la crise sanitaire. »

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOULOGNE-SUR-MER

PREMIÈRE CHAMBRE

JUGEMENT DU 11 JUIN 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 22/02796. N° Portalis DBZ3-W-B7G-75FEX.

 

DEMANDERESSE :

SCI ONYX

SCI au capital de 1.500 euros, immatriculée au RCS d’ARRAS sous le n° XXX, dont le siège social est sis [Adresse 1], représentée par Maître Louise BARGIBANT, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant

 

DÉFENDERESSE :

SCCV LES TERRASSES DE LA BAIE

SCCV au capital de 1.000 euros, immatriculée au RCS d’AMIENS sous le n° YYY dont le siège social est sis [Adresse 2], représentée par Maître Clément FOURNIER, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant

 

COMPOSITION DU TRIBUNAL : Le tribunal était composé de Mme Jennifer IVART, désignée en qualité de juge unique en application des dispositions de l’article 803 du Code de procédure civile 3ED78E8001381309EEA2ABB281775278.

Le juge unique était assisté de Madame Catherine BUYSE, Greffier.

DÉBATS - DÉLIBÉRÉ : Les débats ont eu lieu à l’audience publique du : 12 mars 2024.

A l’issue, les conseils ont été avisés que le jugement serait rendu le 21 mai 2024 et prorogé au 11 juin 2024 par mise à disposition au greffe en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile F23D2CC483AC17020CAB97538F82B395 issue de l’article 4 de la loi du 20 août 2004.

En l’état de quoi, le tribunal a rendu la décision suivante.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte authentique du 26 septembre 2019, la SCI Onyx a régularisé un acte de vente en l'état de futur d'achèvement portant sur l'achat de deux lots, un appartement n°B-201 (lot n°26) et un stationnement (lot n°99) situés dans un immeuble en copropriété dénommé Le Bel Air, sis [Adresse 3] à [Localité 4].

Invoquant un retard de plusieurs mois dans la livraison des lots sans cause légitime, la SCI Onyx a fait assigner la SCCV Les Terrasses de la Baie par acte d'huissier de justice du 23 juin 2022 devant le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer aux fins de constater que la SCCV Les Terrasses de la Baie n'a pas respecté son obligation de délivrance dans le délai contractuellement prévu et solliciter en conséquence les sommes de 11.900 euros de dommages et intérêts pour la perte de perception de loyers du fait du retard dans la livraison, 1.761,09 euros au titre des intérêts intercalaires, 2.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral, 5.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive, 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens et frais d'instance.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 14 décembre 2023, la SCI Onyx demande au tribunal de :

- débouter la SCCV Les Terrasses de la Baie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- juger ses demandes recevables et bien fondées,

- constater que la SCCV Les Terrasses de la Baie n'a pas respecté son obligation de délivrance dans le délai contractuellement prévu,

- juger que la SCCV Les Terrasses de la Baie a engagé sa responsabilité et doit l'indemniser,

En conséquence,

- condamner la SCCV Les Terrasses de la Baie à lui payer la somme de 18 900 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de perception de loyers du fait de retard dans la livraison, selon décompte arrêté à la date d'assignation, somme à parfaire au jour du jugement à intervenir,

- condamner la SCCV Les Terrasses de la Baie à lui payer la somme de 1 761,09 euros au titre des intérêts intercalaires, somme à parfaire au jour du jugement à intervenir,

- condamner la SCCV Les Terrasses de la Baie à lui payer la somme de 2.000 à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait de l'inconséquence de la SCCV Les Terrasses de la Baie,

- condamner la SCCV Les Terrasses de la Baie à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- juger que l'ensemble de ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'assignation avec bénéfice de l'anatocisme sur le fondement des dispositions de l'article 1341-2 du code civil,

- condamner la SCCV Les Terrasses de la Baie à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCCV Les Terrasses de la Baie aux entiers dépens et frais d'instance.

Elle vise les articles 1103, 1110, 1171, 1231-1, 1353, 1601-1 et 1611 du code civil, les articles L. 211-1, L. 212-2 et R. 211-1 du code de la consommation et les articles 415 et 700 du code de procédure civile.

Elle indique, qu'ayant manqué à son obligation de délivrance dans les délais convenus, le SCCV Les Terrasses de la Baie a engagé sa responsabilité contractuelle. Elle fait valoir que la clause relative aux causes de suspension du délai de livraison contenue dans l'acte notarié du 26 septembre 2019 est abusive au regard des dispositions des articles 1171 du code civil et L. 212-1 du code de la consommation ; qu'un acte authentique peut être un contrat d'adhésion permettant l'application de la législation applicable aux clauses abusives ; qu'un arrêt de la troisième chambre de la Cour de cassation a jugé qu'une SCI, promoteur immobilier, n'était pas un professionnel de la construction et ce faisant, devait être considérée comme un non-professionnel (Cass. 3ème Civ., 4 février 2016, n°14-29347) ; qu'elle peut bénéficier des dispositions du code de la consommation alors qu'elle n'est intervenue que pour la gestion immobilière selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 3ème Civ., 7 novembre 2019, n°18-23.259) ; que la clause prévoyant une simple lettre du maître d'œuvre pour information dans le cas de la survenance d'une cause légitime de suspension du délai de livraison est une clause abusive devant être réputée non écrite alors qu'elle crée un déséquilibre significatif entre les parties ; que les évènements justifiant le retard de livraison prévus dans la clause sont larges et imprécis. Elle précise que, s'il n'est pas contesté la validité de la clause de doublement du délai de livraison, c'est le caractère discrétionnaire de production des justificatifs de retard au profit du promoteur qui est critiqué.

Au surplus, elle indique que la SCCV Les Terrasses de la Baie est défaillante dans le cadre de l'exécution de ses obligations contractuelles alors qu'elle n'a fourni aucun justificatif probant des retards imposés qui ne lui ont pas été fournis malgré ses demandes.

Indiquant avoir subi un non-perçu de 27 mois de loyers estimé à la somme mensuelle de 700 euros, elle sollicite 18.900 euros au titre de la perte locative. Le retard de livraison injustifié et le manque de considération du promoteur immobilier avançant des motifs fallacieux justifient d'un préjudice moral à hauteur de 2.000 euros. Elle relève qu'elle a dû régler des frais intercalaires et d'assurance sur le crédit en raison du retard de livraison à hauteur de 1.761,09 euros. Sollicitant la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, elle fait valoir que la SCCV Les Terrasses de la Baie a communiqué une attestation indigente 8 mois après une mise en demeure, n'a pas fourni d'élément probant pour justifier des retards de livraison.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 15 septembre 2023, la SCCV Les Terrasses de la Baie demande au tribunal, au visa des articles 1231-1 du code civil et 700 du code de procédure civile, de :

- à titre principal, débouter la SCI Onyx de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- à titre subsidiaire, ramener à de plus justes proportions l'indemnité sollicitée,

- en tout état de cause, condamner la SCI Onyx à lui payer la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de la présente instance.

Elle fait valoir que la clause de doublement des délais de retard de livraison au profit du promoteur est valable et non abusive selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 3ème, 23 mai 2019, n°18-14212) ainsi que selon l'avis du 29 septembre 2016 rendu par la Commission des clauses abusives.

Elle indique que la SCI Onyx, promoteur immobilier, doit être considérée comme un professionnel de l'immobilier, excluant l'application de la théorie des clauses abusives ; que les statuts de la société prévoient que son objet s'étend au-delà de la simple gestion immobilière alors qu'elle a procédé à l'acquisition d'un immeuble non bâti par le biais d'une vente en l'état futur d'achèvement.

Elle entend justifier des causes légitimes qui ont engendré un retard dans la livraison en indiquant avoir subi 117 jours d'intempéries selon l'attestation du 21 mars 2022 du maître d'œuvre ; que les parties ont accepté de se référer à une attestation de la maîtrise d'œuvre pour en justifier alors qu'en qualité de professionnel, il aurait pu refuser cette clause. Elle précise avoir subi des retards dus à la période de la crise sanitaire liée à la Covid-19, notamment 104 jours qui, par la clause de doublement contractuelle, s'élève à 208 jours de retard. De même, des défaillances d'entreprises en charge des travaux de construction l'ont contrainte à négocier et signer des nouveaux contrats et ont engendré une durée totale de 606 jours grâce à la clause de doublement (278 jours de retard + 25 jours de délais de réapprovisionnement, soit 303 jours au total de retard) ; que l'ouverture d'une procédure collective, puis d'une liquidation judiciaire, en cours de chantier pour la Société Nord construction nouvelle a engendré 18 jours de retards de chantier ; que la défaillance technique de la Société Bonvoisin mise en demeure à plusieurs reprises et ayant causé la résiliation partielle de marchés, a engendré un retard d'une durée de 22 jours ; que la défaillance de la Société Roger Delattre a également causé la résiliation du marché.

Elle indique, avoir régulièrement informé l'acquéreur de la survenance des causes de retard de livraison conformément à son obligation d'information par des courriers des 15 juin 2021 (sur la nécessité de réaliser un bassin paysager), 28 juillet 2021 (sur le Covid-19 et les intempéries) et du 3 octobre 2022 (sur la défaillance de société), exposant en outre l'absence de justification d'un quelconque préjudice à ce titre.

A titre subsidiaire, elle s'oppose au montant des demandes indemnitaires en faisant valoir que la SCI Onyx ne démontre pas avoir perdu une chance de louer le bien tandis qu'elle ne peut pas solliciter la perte d'un gain manqué, étant précisé que la location précaire à la semaine engendre des périodes d'inoccupation et qu'elle ne justifie pas des caractéristiques du logement pour déterminer le loyer. Sur la demande de 1.761 euros au titre des intérêts intercalaires, elle sollicite le débouté en faisant valoir qu'elle est tiers à la relation contractuelle entre l'acquéreur et son propre établissement bancaire ; que les intérêts, non négociés, sont inhérents aux conditions du contrat ; que le retard de livraison n'a engendré aucun préjudice car les intérêts n'ont pas été réévalués à la hausse tandis qu'ils sont déductibles des revenus fonciers. Elle s'oppose enfin au préjudice moral et à la résistance abusive en indiquant qu'aucun préjudice n'est justifié sur ces postes de préjudice.

[*]

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions récapitulatives des parties pour un exposé complet des moyens.

La clôture de l'affaire a été fixée au 12 mars 2024.

L'affaire a été mise en délibéré au 21 mai 2024 et prorogée au 11 juin 2024.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la validité de la clause relative aux causes légitimes de suspension du délai de livraison :

Aux termes de l'article 1601-1 du code civil, la vente d'immeubles à construire est celle par laquelle le vendeur s'oblige à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat.

Elle peut être conclue à terme ou en l'état futur d'achèvement.

Aux termes de l'article 1170 du même code, toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.

Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

En l'espèce, l'activité principale de la SCI Onyx est l'acquisition d'immeubles et leur mise en location. Pour autant, cette constatation est en elle-même insuffisante à lui conférer un statut de professionnel de la construction dans ses relations contractuelles avec la société civile immobilière de construction les Terrasses de la Baie. Les dispositions susvisées du code de la consommation en matière de clauses abusives peuvent dès lors lui être applicables.

Le contrat de septembre 2019 signé entre les deux sociétés stipule à l'article « poursuite et achèvement de la construction », au point 3 « délai d'achèvement/causes légitime de suspension du délai de livraison » :

« - Intempéries prises en compte par les Chambres Syndicales Industrielles du Bâtiment ou la Caisse du bâtiment et des Travaux Publics, empêchant les travaux ou l'exécution des Voies et Réseaux Diverses (VRD) selon la réglementation des chantiers du bâtiment.

- Des jours de retard consécutifs à une grève générale ou partielle affectant le chantier ou les fournisseurs.

- Retard résultant de la liquidation des biens ou du placement de l'une des entreprises sous le régime du redressement ou de la liquidation judiciaire

- Retard provenant de la défaillance d'une entreprise (la justification de la défaillance pouvant être fournie par la société venderesse à l'acquéreur au moyen de la production du double de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressé par le maître d'œuvre du chantier à l'entrepreneur défaillant)

- Retards entraînés par la recherche et la désignation d'une nouvelle entreprise se substituant à une entreprise défaillante et à l'approvisionnement du chantier par celle-ci.

- Retards provenant d'une anomalie du sous-sol

- Injonctions administratives ou judiciaires de suspendre ou d'arrêter les travaux, à moins que lesdites injonctions ne soient fondées sur des fautes ou des négligences imputables au vendeur

- Troubles résultant d'hostilités, cataclysmes, accident de chantier

- Retards imputables aux compagnies concessionnaires

- Retards de paiement de l'acquéreur

Ces différentes circonstances auraient pour effet de retarder la livraison du bien vendu d'un temps égal au double de celui effectivement enregistré, en raison de leur répercussion sur l'organisation générale du chantier.

Dans un tel cas, la justification de la survenance de l'une de ses circonstances sera apportée par le vendeur à l'acquéreur par une lettre du Maître d'œuvre.

Le tout sous réserve des dispositions des articles L. 261-11 du code de la construction et de l'habitation et 1184 du code civil ».

Il ressort de ces stipulations que la survenance de l'un des événements suspensifs, énoncés de manière claire, doit être justifiée par une lettre du maître d'œuvre. Cette clause a pour effet de donner à la lettre du maître d'œuvre une force probante particulière, celle de présomption simple des causes de retard qu'elle énonce. Il sera rappelé que le maître d'œuvre est un tiers au contrat. Il en résulte que la suspension du délai de livraison n'est nullement décidée arbitrairement par le promoteur. Les causes de retard sont en outre susceptibles d'être soumises à un contrôle juridictionnel.

Dans ces circonstances, il ne découle pas de cette clause un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et l'obligation essentielle du vendeur de livrer dans un délai déterminé ne se trouve aucunement vidée de sa substance.

Ladite clause n'étant pas abusive, la SCI Onyx sera déboutée de sa demande tendant à la voir réputer non écrite.

 

Sur le retard de livraison et les demandes indemnitaires :

Aux termes des dispositions de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

L'article 1601-1 du même code dispose que la vente d'immeubles à construire est celle par laquelle le vendeur s'oblige à édifier un immeuble dans un délai déterminé par le contrat. Elle peut être conclue à terme ou en l'état futur d'achèvement.

L'article 1217 prévoit que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation, poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation, obtenir une réduction du prix, provoquer la résolution du contrat, demander réparation des conséquences de l'inexécution. Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées et des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

Il ressort des pièces versées aux débats qu'en juillet 2020, la SCCV informait la SCI que suite à la crise sanitaire et à la cessation d'activité d'une des entreprises, le chantier allait prendre un retard de 15 mois, soit une livraison prévue au premier trimestre 2022. En effet, les parties s'accordent à dire que les lots devaient être livrés au plus tard le 31 décembre 2020.

Par courrier du 24 juin 2021, le report était envisagé au 31 mars 2022, le retard devant comprendre « 95 jours d'intempéries subis par le chantier jusqu'au 26 janvier 2021 ».

Par courrier recommandé de septembre 2021, la SCI Onyx mettait en demeure sa cocontractante de lui verser notamment les justificatifs des motifs du retard des travaux accompagnés de l'attestation du maître d'œuvre selon les termes du contrat.

D. T. de l'agence T., le Maître d'œuvre, rédigeait une « attestation d'intempéries et défaillance entreprises sur chantier » le 21 mars 2022 selon les termes suivants :

« *12 jours d'intempéries l'entreprise NCN

* 18 jours suite Défaillance de l'entreprise NCN

* 101 jours d'intempéries des entreprises de GO

* 16 jours d'intempéries entreprise Jacques Leclercq

* 104 jours épidémie COVID à déduire des intempéries GO

* 22 jours défaillance technique de l'entreprise Bonvoisin

* 25 jours délais de passage des nouveaux marchés avec les entreprises des lots plomberie et électricité

*  25 jours de retard des livraisons matériels suite délai de réapprovisionnement équipement arrêt Bonvoisin,

Soit un total de 278 jours d'intempéries ou aléas imprévus + 25 jours délais de réapprovisionnement ».

Cette attestation intervenue près de six mois suivant la lettre recommandée susvisée n'était accompagnée d'aucun justificatif tel que sollicité par l'acheteur.

Par courrier du 3 octobre 2022, le directeur des travaux du groupe Edouard Denis indiquait que la livraison était finalement reportée à fin novembre 2022 compte tenu de la résiliation du marché avec l'entreprise de peinture et de parquet.

Les lots allaient finalement être livrés avec 23 mois de retard. Il résulte des débats que ces derniers ont finalement été livrés en avril 2023, soit avec 28 mois de retard.

* Concernant les intempéries, la SCCV invoque l'attestation du maître d'œuvre visant 128 jours d'intempérie et rédigée 6 mois après le courrier de mise en demeure de la SCI Onyx.

Il n'est versé aucun autre élément pouvant venir justifier ou expliquer l'attestation du maître d'œuvre.

Si les intempéries font partie des causes légitimes de suspension du chantier prévues au contrat, l'attestation se contentant de lister un nombre de jours de suspension sans autre explication ni justificatif quant aux dites intempéries est insuffisante à établir la preuve de cette cause légitime.

* Concernant la crise sanitaire, la SCCV rappelle l'ampleur et l'impact de la crise de la Covid et vise les ordonnances du 25 mars et du 15 avril 2020 visant la suspension des pénalités en cours. L'attestation du Maître d'œuvre indique 104 jours de suspension.

Dans son courrier du 24 juin 2021, la SCCV invoque un délai de quatre mois correspondant à la période d'état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020. Elle fait référence à l'Ordonnance du 15 avril 2020.

Il reste toutefois que l'Ordonnance du 25 mars 2020 et modifiée le 15 avril 2020 concerne la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire. Elle ne vise pas la présente situation et n'est dès lors pas applicable.

Pour autant, la première période de la crise au printemps 2020 constitue indéniablement un motif légitime de report de livraison dès la mi-mars 2020. S'il est constant que la seule existence d'une épidémie ne suffit pas à caractériser un cas de force majeure, les contraintes qui ont découlé de l'obligation de confinement ainsi que des restrictions de déplacement, ont rendu beaucoup plus difficile l'exécution des marchés de travaux.

Il ressort de ce qui précède que cette cause légitime est établie ; mais que les quatre mois retenus comprennent en réalité les deux mois de confinement de mi-mars à mi-mai, soit 60 jours et le doublement de ce délai en vue de la réorganisation nécessaire des chantiers suite à cette période.

Dans ces conditions, et en l'absence de tout autre élément justificatif de la part du promoteur, ce dernier est légitime à imputer 120 jours de retard, en tout, au titre de la crise sanitaire.

* Concernant la défaillance des entreprises, la SCCV invoque 18 jours correspondant à la défaillance de la société NCN.

Cette dernière société a été placée en liquidation judiciaire simplifiée en juillet 2020. La SCCV verse en outre un procès-verbal de constat du 10 juin 2020 aux termes duquel il est rappelé que le lot gros œuvre a été confié à cette société et que le chantier est désormais abandonné. Elle prévenait dès juillet 2020 la SCI Onyx.

Cette cause légitime est suffisamment établie et compte tenu de la clause de doublement contractuelle, la SCCV est légitime à imputer 36 jours de retard suite à la mise en liquidation de la société NCN.

La SCCV invoque également la défaillance de la société Bonvoisin. Elle indique avoir été dans l'obligation de repasser un marché s'agissant de ces travaux et avoir pris du retard quant à la livraison des éléments. Ces difficultés correspondent ainsi aux causes légitimes listées : retard provenant de la défaillance d'une entreprise, retards entraînés par la recherche et la désignation d'une nouvelle entreprise se substituant à une entreprise défaillante et à l'approvisionnement du chantier par celle-ci.

Pour autant, si le volet « défaillance » de la société Bonvoisin apparaît établi, la SCCV versant aux débats des courriers du mois de juillet 2021, puis un courrier de septembre 2021 annonçant la résiliation du contrat pour le lot plomberie s'agissant du bâtiment B ; elle ne verse aux débats aucun élément permettant d'établir les deux fois 25 jours de retard s'agissant de la recherche d'une entreprise nouvelle et le problème de réapprovisionnement.

Dans ces circonstances, seuls 22 jours de suspensions apparaissent avoir une cause légitime et prouvée. La SCCV est légitime à imputer 44 jours de retard suite à la défaillance de la société Bonvoisin et à ses conséquences.

Au total, la SCCV est légitime à imputer 200 (120 + 36 + 44) jours de retard suite aux divers évènements listés par le maître d'œuvre, effectivement justifiés et en application de la règle du doublement ; soit environ 7 mois.

Dès lors que le retard effectif du chantier a été équivalent à 28 mois (avril 2023 au lieu de décembre 2020), 21 mois ne sont dès lors pas justifiés.

En outre, la SCI Onyx reproche particulièrement à sa cocontractante de ne pas l'avoir suffisamment informée quant à l'avancée du chantier et quant aux motifs des retards et à leurs justifications. Elle lui reproche de ne pas avoir exécuté le contrat de bonne foi, la laissant dans l'incertitude pour finalement verser plusieurs mois après sa demande une attestation du maître d'œuvre très succincte et sans justificatif.

Si cette attestation a pu être versée assez tardivement et sans aucun justificatif, il reste que la SCCV qui a dû faire face à la crise sanitaire courant 2020, à la liquidation judiciaire d'une entreprise chargée du gros œuvre et à une défaillance d'une entreprise chargée du lot électricité/plomberie au cours de l'été 2021. Elle n'a pas laissé sa cocontractante sans aucune nouvelle pendant la période d'exécution du contrat la prévenant dès juillet 2020 des difficultés rencontrées. Elle a par la suite confirmé le retard du chantier et son report au premier trimestre 2022 par courrier du 24 juin 2021. Et par courrier du 3 octobre 2022, elle indiquait avoir résilié le marché conclu avec l'entreprise de peinture et devoir reporter la livraison du bien à fin novembre 2022.

Reste les 21 mois de retard non justifiés selon les pièces versées aux débats.

La SCI Onyx sollicite une indemnisation du fait du retard pris par le chantier. Elle indique avoir subi une perte locative équivalent à 700 euros par mois, versant des annonces de location pour un bien équivalent s'agissant d'un 50m2 à [Localité 4] ; soit pour une période de 21 mois non justifiée, une perte locative théorique de 14700 euros.

Pour autant le préjudice indemnisable du fait du retard pris et non justifié doit correspondre davantage à une perte de chance de pouvoir louer l'immeuble en cause.

Cette perte de chance sera dès lors évaluée à hauteur de 5.000 euros.

Les tracas engendrés par la présente procédure justifient d'octroyer à la SCI Onyx une somme de 1.000 euros en réparation de son préjudice moral. En revanche, le temps écoulé entre la lettre recommandée de septembre 2021 et l'attestation du maître d'œuvre courant 2022 est insuffisante à caractériser une « résistance abusive » de la part de la SCCV.

Enfin, concernant les intérêts intercalaires, la SCI Onyx verse deux courriers du Crédit agricole indiquant le montant des intérêts, assurance et frais d'emprunt pour les années 2021 et 2022 s'élevant à la somme totale de 1.761,09 euros. Ces éléments sont en eux même insuffisants à établir que ces frais sont en lien causal direct avec le retard pris de la livraison du bien immobilier.

Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que la SCCV sera condamnée à verser à la société Onyx la somme de 5.000 euros s'agissant de la perte de chance de mettre son bien en location pendant les 21 mois de retard non justifiés et 1.000 euros en réparation du préjudice moral subi.

Compte tenu de la solution apporté au litige, la SCCV sera condamnée aux dépens de la présente instance et à verser la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire susceptible d'appel et par mise à disposition au greffe,

CONDAMNE la SCCV Les Terrasses de la Baie à payer à la SCI Onyx la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de louer le bien subie ;

CONDAMNE la SCCV Les Terrasses de la Baie à payer à la SCI Onyx la somme de 1.000 euros en réparation du préjudice moral subi ;

CONDAMNE la SCCV Les Terrasses de la Baie à payer à la SCI Onyx la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE les demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la SCCV Les Terrasses de la Baie aux entiers dépens.

LE GREFFIER                                           LE PRESIDENT