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TJ LYON (ch. 9), 17 janvier 2025

Nature : Décision
Titre : TJ LYON (ch. 9), 17 janvier 2025
Pays : France
Juridiction : T. jud. Lyon
Demande : 21/08546
Date : 17/01/2025
Nature de la décision : Irrecevabilité
Mode de publication : Judilibre
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CERCLAB - DOCUMENT N° 24240

TJ LYON (ch. 9), 17 janvier 2025 : RG n° 21/08546 

Publication : Judilibre

 

Extrait : « Aux termes de l’article 1171 du même code dans sa version applicable à l’espèce, dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. L’article 1110 précise que le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties.

En l’espèce, à titre liminaire il est précisé que les dispositions du code de la consommation ne sont pas applicables à X., qui a agi en qualité de professionnel lorsqu’elle a signé en qualité de gérante de la société la lettre de mission du 29 novembre 2016.

L’article 8.3 des conditions générales dispose que « toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant une période de trois ans commençant à courir le premier jour de l’exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre ». Cette stipulation contractuelle constitue une clause non négociable, déterminée à l’avance par la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES. L’article 1171 du code civil lui est donc applicable.

Toutefois, la durée de ce délai, trois mois à compter de la connaissance du sinistre par le client, est suffisante pour permettre à celui-ci de saisir le juge. Contrairement à ce que soutient X., ce délai de forclusion n’est ainsi pas de nature à créer un déséquilibre entre les parties au sens de l’article précité.

Alors que la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES estime que X. a eu connaissance du dommage au jour de la délivrance de l’assignation par le liquidateur le 24 mars 2021 visant à retenir sa responsabilité, celle-ci ne se prévaut d’aucune autre date postérieure susceptible de constituer le point de départ du délai de forclusion.

L’assignation ayant introduit la présente instance ayant été délivrée le 6 décembre 2021, soit postérieurement à l’expiration d’un délai de trois mois suivant la signification de l’assignation par le liquidateur, l’action de X. fondée sur la responsabilité contractuelle est forclose et par conséquent irrecevable. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON

CHAMBRE 9 CAB 09 G

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ÉTAT DU 17 JANVIER 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/08546. N° Portalis DB2H-W-B7F-WK6K.

 

ENTRE :

DEMANDERESSE :

Madame X. épouse Y.

née le [date] à [Localité 4], demeurant [Adresse 2], représentée par Maître Renaud ROCHE de la SELARL LEVY ROCHE SARDA, avocats au barreau de LYON et Me Pierre LEVEQUE, avocat au barreau de VIENNE

 

ET :

DÉFENDERESSE :

SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIÉS

dont le siège social est sis [Adresse 1], représentée par Maître Laurent BURGY de la SELARL LINK ASSOCIES, avocats au barreau de LYON

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Aux termes d’une lettre de mission du 29 novembre 2016, la SARL I., dont X. épouse Y. était associée et gérante, a confié un certain nombre de missions au CABINET LAGIER & ASSOCIES, expert-comptable.

Le 4 octobre 2017, une convention de trésorerie a été conclue entre la SARL I. et la SARL PHENIX, dont X. était également associée et gérante.

Le 7 août 2018, X. a effectué une déclaration d’état de cessation des paiements pour les deux SARL et le Tribunal de commerce de Vienne (Isère) les a placées en liquidation judiciaire le 4 septembre suivant, désignant Maître U. en qualité de liquidateur.

Le 24 mars 2021, Maître U. a, ès qualités de liquidateur de la société I., assigné X. afin d’engager sa responsabilité personnelle au motif que ses fautes de gestion ont entraîné la liquidation judiciaire de la société pour insuffisance d’actif, sur le fondement des articles L651-2 et suivants du code de commerce.

Suite au paiement par X. des sommes réclamées par Maître U., ce dernier s’est désisté de son instance.

Par exploit du 6 décembre 2021, X. épouse Y. a fait assigner la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES devant le Tribunal judiciaire de LYON afin d'obtenir sa condamnation à lui verser diverses sommes en réparation de ses préjudices financier et moral découlant des fautes commises par l’expert-comptable dans l’accomplissement de sa mission.

[*]

Par conclusions notifiées par le RPVA le 22 janvier 2024, la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES a soulevé un incident.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 8 novembre 2024, la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES sollicite :

Que les demandes formées par X. soient déclarées irrecevables pour forclusion, Que les demandes formées par X. soient déclarées irrecevables pour violation du principe du non cumul de la responsabilité contractuelle et délictuelle, Que les demandes formées par X. soient déclarées irrecevables pour violation du principe de l’estoppel, Le rejet des demandes adverses, La condamnation de X. à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, La condamnation de X. aux dépens et à l’éventuel droit de recouvrement ou d’encaissement mis à la charge du créancier en application de l’article A444-32 du code de commerce.

En premier lieu, pour conclure à la forclusion, la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES invoque la lettre de mission du 29 novembre 2016 qui prévoit que toute mise en cause de la responsabilité de l’expert-comptable doit être effectuée dans les trois mois de la connaissance du sinistre conformément aux règles prévues par l’ordre des experts-comptables. Elle en conclut que l’assignation du 6 décembre 2021, plus de huit mois après l’assignation que le liquidateur judiciaire a fait délivrer à X., est tardive.

En réponse aux moyens adverses, elle conteste que X. puisse être qualifiée de consommateur ou encore s’être immiscée dans la gestion de l’entreprise. Elle ajoute que la Cour de cassation estime que le tiers qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants. Elle en déduit que le délai de forclusion prévu contractuellement est également applicable à l’action de X. fondée sur la responsabilité délictuelle.

En deuxième lieu, la SELAS invoque la jurisprudence qui prohibe les demandes formées sous le double fondement des responsabilités contractuelle et délictuelle.

En troisième lieu, la SELAS estime que l’argumentation que X. développe dans son assignation contredit celle dont elle se prévaut dans ses conclusions n° 3, et ce en violation du principe de l’estoppel selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, et de l’article 56 du code de procédure civile qui prévoit que l’assignation contient à peine de nullité un exposé des moyens en fait et en droit.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 4 octobre 2024, X. sollicite :

Le rejet des demandes adverses, La condamnation de la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, La condamnation de la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES aux dépens et à l’éventuel droit de recouvrement ou d’encaissement mis à la charge du créancier en application de l’article A444-32 du code de commerce.

Pour conclure au rejet de la fin de non-recevoir fondée sur la forclusion, X. soutient que la clause dont se prévaut la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES doit être qualifiée d’abusive au sens de l’article 1171 du code civil car conclue entre un professionnel de la matière et une profane qui doit être considérée comme une consommatrice de droit commun. Elle ajoute qu’en tout état de cause le point de départ du délai de forclusion doit être fixé à la date où elle a eu connaissance du dommage subi et que cette clause n’est pas applicable aux demandes qu’elle forme sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Subsidiairement s’agissant de la violation du principe de non cumul des deux ordres de responsabilité, X. affirme que l’expert-comptable est sorti du cadre de sa lettre de mission qui concernait l’établissement des comptes, des déclarations ainsi qu’une mission d’assistance sociale, en s’immisçant dans la gestion de l’entreprise et en réalisant un montage juridique. Elle en conclut qu’elle est fondée à invoquer sa responsabilité délictuelle.

[*]

L’affaire a été appelée à l’audience d’incident du 10 décembre 2024 à l’issue de laquelle elle a été mise en délibéré au 17 janvier 2025 par mise à disposition au greffe.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIVATION :

A titre liminaire, le juge de la mise en état rappelle que les mentions figurant dans le dispositif des conclusions des parties qui se réduisent à une simple synthèse des moyens développés dans le corps des écritures ne constituent pas des prétentions et ne feront par conséquent pas l'objet d'une réponse spécifique au sein du dispositif de la présente décision.

L’article 789 du code de procédure civile dans sa version issue du décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024 applicable à compter du 1er septembre 2024 aux instances en cours dispose que :

« Le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :

1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance ;

2° Allouer une provision pour le procès ;

3° Accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;

4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l'exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d'un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;

5° Ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction ;

6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Par dérogation au premier alinéa, s'il estime que la complexité du moyen soulevé ou l'état d'avancement de l'instruction le justifie, le juge de la mise en état peut décider que la fin de non-recevoir sera examinée à l'issue de l'instruction par la formation de jugement appelée à statuer sur le fond.

Dans le cas visé au précédent alinéa, la décision du juge de la mise en état, qui constitue une mesure d'administration judiciaire, est prise par mention au dossier. Avis en est donné aux avocats. Les parties sont alors tenues de reprendre la fin de non-recevoir dans les conclusions adressées à la formation de jugement. »

 

Sur les fins de non-recevoir :

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

 

Sur la forclusion :

L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Aux termes de l’article 1171 du même code dans sa version applicable à l’espèce, dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation.

L’article 1110 précise que le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties.

En l’espèce, à titre liminaire il est précisé que les dispositions du code de la consommation ne sont pas applicables à X., qui a agi en qualité de professionnel lorsqu’elle a signé en qualité de gérante de la société la lettre de mission du 29 novembre 2016.

L’article 8.3 des conditions générales dispose que « toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant une période de trois ans commençant à courir le premier jour de l’exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre ».

Cette stipulation contractuelle constitue une clause non négociable, déterminée à l’avance par la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES. L’article 1171 du code civil lui est donc applicable.

Toutefois, la durée de ce délai, trois mois à compter de la connaissance du sinistre par le client, est suffisante pour permettre à celui-ci de saisir le juge.

Contrairement à ce que soutient X., ce délai de forclusion n’est ainsi pas de nature à créer un déséquilibre entre les parties au sens de l’article précité.

Alors que la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES estime que X. a eu connaissance du dommage au jour de la délivrance de l’assignation par le liquidateur le 24 mars 2021 visant à retenir sa responsabilité, celle-ci ne se prévaut d’aucune autre date postérieure susceptible de constituer le point de départ du délai de forclusion.

L’assignation ayant introduit la présente instance ayant été délivrée le 6 décembre 2021, soit postérieurement à l’expiration d’un délai de trois mois suivant la signification de l’assignation par le liquidateur, l’action de X. fondée sur la responsabilité contractuelle est forclose et par conséquent irrecevable.

Il résulte des conclusions au fond de la demanderesse qu’elle invoque, pour démontrer la faute de la SELAS :

La violation de son obligation de conseil dans le cadre de ses missions d’établissement des comptes de la société I., de gestion de la comptabilité et de création de la société PHENIX en ce qu’elle ne lui a pas conseillé d’établir une déclaration de cessation des paiements pour les deux sociétés, Dans le cadre de sa mission de présentation des comptes, la convention de trésorerie que la SELAS aurait établie entre I. et PHENIX, à tort puisqu’aucune de ces deux sociétés n’était rentable, Son abstention fautive en ce qu’elle ne lui a fait aucune remarque sur l’irrégularité des opérations qui ont été ultérieurement reprochées par le liquidateur, « alors qu’elle établissait la comptabilité de PHENIX », Le dépassement de sa mission en ce qu’elle a établi les modèles de réponse à adresser à Maître U., Son immixtion dans la stratégie à adopter lorsque I. était en difficulté, outrepassant ainsi son mandat de présentation de comptes, en lui conseillant et en mettant en place une filiale qui n’aurait pas dû être créée.

S’agissant des trois premiers de ces griefs, il résulte des termes mêmes employés par X. qu’ils s’inscrivent directement dans les missions confiées à la SELAS aux termes de la lettre de mission du 29 novembre 2016 et relèvent en cela de la responsabilité contractuelle.

S’agissant des deux derniers, ils répondent à l’obligation de conseil qui incombe à l’expert-comptable chargé comme en l’espèce d’une mission de présentation des comptes annuels. Ainsi, contrairement à ce que soutient la demanderesse, sous couvert d’invoquer la responsabilité délictuelle de la société défenderesse, elle exerce en réalité une action exclusivement fondée sur la responsabilité contractuelle de sa co-contractante.

L’ensemble de ses demandes est donc irrecevable.

 

Sur les dépens, l’article 700 du code de procédure civile et l’exécution provisoire :

La présente décision met fin à l’instance. X., qui succombe, sera condamnée aux dépens de l’instance.

L’équité commande de la condamner à verser la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aucun élément ne justifie de déroger au principe de l’exécution provisoire.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Nous, Caroline LABOUNOUX, juge de la mise en état, assistée de B. MALAGUTI, greffier, statuant publiquement par décision contradictoire, susceptible de recours dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile et rendue par mise à disposition au greffe,

DECLARONS les demandes de X. irrecevables,

CONDAMNONS X. à verser la somme de 1.500 euros à la SELAS CABINET LAGIER & ASSOCIES sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNONS X. aux dépens de l’instance,

RAPPELLONS que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire,

Ainsi jugé et rendu par mise à disposition au greffe.

En foi de quoi, la juge de la mise en état et le greffier ont signé la présente ordonnance.

LE GREFFIER                                LA JUGE DE LA MISE EN ÉTAT