CA BOURGES (ch. com.), 19 septembre 2025
- T. com. Nevers, 17 juillet 2024
CERCLAB - DOCUMENT N° 24312
CA BOURGES (ch. com.), 19 septembre 2025 : RG n° 24/00832
Publication : Judilibre
Extrait : « En l'espèce, le contrat de vente de gaz conclu entre les parties prévoit, à l'article 15.2 de ses conditions générales intitulé « Frais de résiliation », que sans préjudice de l'article relatif à la « responsabilité », en cas de résiliation avant l'échéance du contrat en dehors des cas de résiliation pour motif légitime tels que ceux énoncés aux alinéas b) [résiliation à l'initiative du fournisseur en cas de retard de paiement ou de défaut de remise d'une garantie de paiement], c) [résiliation par le client en cas de manquements de la part du fournisseur à son obligation de vente] et d) [force majeure et cas assimilés], le client versera au fournisseur des frais de résiliation correspondant à 30 % de la somme de la totalité du ou des abonnement(s) annuel(s) et du produit de la quantité annuelle déclarée et du ou des terme(s) de quantité en vigueur. Cette clause stipule en outre que dans tous les cas, si la durée prévue par le contrat est supérieure à un an, la somme ci-dessus est augmentée de la même somme, multipliée par le nombre d'années restant à courir à l'issue de l'année en cours.
La SARL Morvan Charcuteries Salaisons souligne ne pas avoir été mise en position de négocier ces stipulations insérées dans des conditions générales préétablies par la SA Engie. Elle soutient que cet article 15.2 n'impose le versement de frais de résiliation qu'au seul client, et qu'une résiliation intervenant à l'initiative de celui-ci en cas de manquement du fournisseur à son obligation de vente ne lui ouvrirait aucun droit à perception de frais de résiliation de la part de la SA Engie. Elle estime de ce fait avoir caractérisé le déséquilibre significatif visé par l'article 1171 précité.
Il doit néanmoins être tout d'abord observé que l'article 15.2 en cause, réserve expressément la possibilité de mise en œuvre de l'article relatif à la responsabilité, soit l'article 12 des conditions générales de vente, lequel prévoit la possibilité pour chacun des cocontractants d'engager la responsabilité de l'autre en cas de faute dans l'exécution du contrat. Il s'en déduit qu'un comportement fautif de la SA Engie, notamment dans le cadre d'un manquement à son obligation de vente entraînant la résiliation du contrat à l'initiative de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons, serait de nature à engager sa responsabilité et à ouvrir au profit de cette dernière un droit à indemnisation.
L'article 15.2 régit la faculté ouverte au client de résilier le contrat avant son échéance sans avoir à justifier du motif de sa décision, en dehors des cas de résiliation pour motif légitime énoncés à l'article précédent. Dans cette hypothèse de résiliation hors motif légitime, la facturation de frais de résiliation par la SA Engie est prévue. Il ne peut qu'être constaté que la SA Engie elle-même ne dispose d'aucune faculté analogue aux termes du contrat litigieux, la possibilité de résilier sans frais le contrat ne lui étant ouverte qu'en cas de manquement du client à son obligation de paiement ou de garantie, de force majeure ou dans l'hypothèse d'une perte de sa qualité de fournisseur de gaz. Il s'en déduit que le contrat n'accorde à la SA Engie aucune faculté de résiliation discrétionnaire de celui-ci.
Il est par ailleurs admis que le défaut de réciprocité d'une clause résolutoire de plein droit pour inexécution du contrat puisse se justifier par la nature des obligations auxquelles sont respectivement tenues les parties (voir notamment en ce sens Cass, Com., 26 janvier 2022, n° 20-16.782). Or la nature spécifique de l'obligation contractuelle de fourniture de gaz incombant à la SA Engie impose à celle-ci d'engager des sommes importantes en amont de la période de livraison à sa cliente, afin de se procurer les volumes de gaz correspondant à la consommation prévisionnelle annoncée. La résiliation anticipée par le client du contrat expose de ce fait la SA Engie à un risque de pertes financières conséquentes, en fonction des fluctuations du marché du gaz, que les frais de résiliation stipulés à la charge du client visent à compenser.
L'équilibre entre les droits et obligations des parties ressort donc du contrat pris dans son ensemble, la clause de résiliation litigieuse ne créant pas de déséquilibre significatif entre ceux-ci et permettant au client d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières de son engagement et d'une éventuelle résiliation.
Dans ces conditions, et sans même qu'il soit nécessaire de s'appesantir sur la qualification de contrat d'adhésion exigée pour la mise en œuvre de l'article 1171 précité, la clause portée à l'article 15.2 des conditions générales de vente prévoyant le paiement par le client de frais de résiliation hors cas de motif légitime ne saurait être déclarée abusive au regard de l'équilibre général du contrat. »
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 19 SEPTEMBRE 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 24/00832. N° Portalis DBVD-V-B7I-DVSY. Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de NEVERS en date du 17 juillet 2024.
PARTIES EN CAUSE :
I - SA ENGIE
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social : [Adresse 4], [Localité 2], N° SIRET : XXX, Représentée par Maître Adrien-Charles LE ROY DES BARRES, avocat au barreau de BOURGES, Plaidant par Me Angélique FACCHINI, avocat au barreau de LYON, timbre fiscal acquitté, APPELANTE suivant déclaration du 11/09/2024
II - SAS MORVAN CHARCUTERIES SALAISON
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social : [Adresse 3], [Localité 1], N° SIRET : YYY, Représentée par la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES, Plaidant par la SCP MERIENNE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, timbre fiscal acquitté, INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 juillet 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. TESSIER-FLOHIC, Président chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. Alain TESSIER-FLOHIC Président de Chambre, M. Richard PERINETTI Conseiller, Mme Marie-Madeleine CIABRINI Conseiller.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme MAGIS
ARRÊT : CONTRADICTOIRE ; prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
La SARL Morvan Charcuteries Salaisons a souscrit, le 8 janvier 2020, un contrat de fourniture de gaz auprès de la SA Engie, avec prise d'effet au 1er août 2020 jusqu'au 31 juillet 2024.
Le 1er août 2020, la SARL Morvan Charcuteries Salaisons a résilié son contrat de fourniture d'énergie.
Le 5 octobre 2020, la SA Engie a adressé à la SARL Morvan Charcuteries Salaisons une facture de résiliation d'un montant de 22.369,12 euros. Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 21 décembre 2020, la SA Engie a mis la SARL Morvan Charcuteries Salaisons en demeure de lui régler ce montant.
Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 26 janvier 2021, la SARL Morvan Charcuteries Salaisons a contesté le bien-fondé de cette facture de résiliation.
Le 22 avril 2021, la SA Engie a mis la SARL Morvan Charcuteries Salaisons en demeure de procéder au règlement de cette facture sous 10 jours sous peine de poursuites.
Suivant acte d'huissier en date du 15 mars 2023, la SA Engie a fait assigner la SARL Morvan Charcuteries Salaisons devant le tribunal de commerce de Nevers aux fins de voir, en l'état de ses dernières demandes, de recevoir l'intégralité des moyens et prétentions de la SA Engie et de constater l'acceptation des conditions générales de la SA Engie par la SARL Morvan Charcuteries Salaisons, et en conséquence de :
- dire et juger que la SARL Morvan Charcuteries Salaisons était débitrice à l'égard de la SA Engie de la somme de 22.369,12 euros,
- dire et juger que la SARL Morvan Charcuteries Salaisons avait fait preuve d'une résistance abusive et engagé sa responsabilité envers la SA Engie en s'abstenant de régler la facture de résiliation relative au contrat de consommation énergétique,
- rejeter toutes les demandes contraires de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons,
- en conséquence, condamner la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à régler à la SA Engie la somme de 22.369,12 euros outre intérêts au taux légal, au titre de la facture impayée,
- condamner la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à régler à la SA Engie la somme de 3.000 euros au titre de la résistance abusive dont elle avait fait preuve,
- condamner la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à régler à la SA Engie la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SARL Morvan Charcuteries Salaisons aux entiers dépens de l'instance et de ses suites.
[*]
En réplique, la SARL Morvan Charcuteries Salaisons a demandé au tribunal à titre principal,
- de constater l'absence de connaissance et d'acceptation des conditions générales de vente de la part de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons, et en conséquence, de débouter la SA Engie de l'ensemble de ses demandes. De manière subsidiaire, l'intimée entend que soit déclarée abusive la clause de résiliation anticipée du contrat d'adhésion et en conséquence, déclarer la clause de résiliation anticipée du contrat d'adhésion non écrite, déboutée la SA Engie de l'ensemble de ses demandes.
A titre très subsidiaire, la SARL demande de qualifier la clause de résiliation anticipée du contrat d'adhésion de clause pénale, et en conséquence, de réduire à l'euro symbolique le montant de l'indemnité forfaitaire de la clause pénale de résiliation anticipée du contrat d'adhésion de fourniture d'énergie souscrit par la SARL Morvan Charcuteries Salaisons. Elle conclut encore au débouté de la SA Engie de sa demande de condamnation de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à hauteur de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, de sa demande de condamnation de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à hauteur de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et sollicite pour sa part la condamnation de la SA Engie à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et sa condamnation aux entiers dépens.
[*]
Par jugement contradictoire du 17 juillet 2024, le tribunal de commerce de Nevers a :
- constaté l'acceptation des conditions générales de vente de la SA Engie par la SARL Morvan Charcuteries Salaisons ;
- débouté la SA Engie de sa demande de condamnation de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à lui payer la somme de 22.369,12 euros outre intérêts au taux légal, au titre de la facture impayée ;
- débouté la SA Engie de sa demande de condamnation de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de résistance abusive de paiement ;
- débouté la SA Engie de l'ensemble de ses autres prétentions, fins et demandes ;
- condamné la SA Engie à payer et porter à la SARL Morvan Charcuteries Salaisons la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SA Engie aux entiers dépens de la procédure dont frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 60,22 euros TTC ;
- rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions ;
- dit que l'exécution provisoire du jugement était de droit, nonobstant appel ou opposition et sans caution.
Le tribunal a notamment retenu que la SARL Morvan Charcuteries Salaisons avait signé les conditions particulières du contrat de vente de gaz qui la liait à la SA Engie comprenant acceptation des conditions générales de vente, que la SA Engie n'apportait pas la preuve de l'existence des conditions financières de résiliation du contrat dont elle se prévalait ni des autres clauses les régissant, que le guide de bonnes pratiques qu'elle produisait aux débats n'était pas un document contractuel, qu'elle ne justifiait pas du mode de calcul de l'indemnité de résiliation retenue, que les conditions générales de vente n'étaient pas versées aux débats, et que la SA Engie ne justifiait pas d'un préjudice issu de la résistance abusive qu'elle entendait imputer à la SARL Morvan Charcuteries Salaisons ni de la mauvaise foi de cette dernière.
[*]
La SA Engie a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 11 septembre 2024.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 mai 2025, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'elle développe, la SA Engie demande à la Cour de réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Nevers du 17 juillet 2024, et par conséquent de recevoir son appel ainsi que l'intégralité des moyens et des prétentions qu'elle développe. La SA Engie demande de constater l'acceptation des conditions générales de la SA Engie par la SARL Morvan Charcuteries Salaisons, et en conséquence de juger que la SARL Morvan Charcuteries Salaisons est débitrice à l'égard de la SA Engie de la somme de 22.369,12 euros outre intérêts au taux de 8%, au titre de la facture impayée à l'échéance, jusqu'au complet paiement. Elle réclame à titre de résistance abusive la somme de 3.000 euros à la SARL Morvan Charcuteries Salaisons outre 40 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement, et 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre sa condamnation aux entiers dépens de la présente instance et de ses suites.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 5 mai 2025, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu'elle développe, la SARL Morvan Charcuteries Salaisons demande à la Cour de déclarer mal fondé l'appel de la SA Engie à l'encontre de la décision rendue par le Tribunal de Commerce de Nevers dans son jugement du 17 juillet 2024. Et par conséquent, de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions. La société intimée réclame incidemment la condamnation de la SA Engie à lui payer la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens d'appel.
Très subsidiairement, elle demande à fixer le montant des frais de résiliation à l'euro symbolique et en conséquence à statuer ce que de droit sur les dépens.
[*]
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mai 2025.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DISCUSSION :
Sur la demande principale en paiement présentée par la SA Engie :
Les articles 1103 et 1104 du code civil posent pour principe que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
L'article 1353 du même code impose à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et réciproquement, à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l'espèce, il sera tout d'abord relevé que la SARL Morvan Charcuteries Salaisons ne conteste pas à hauteur d'appel avoir eu connaissance de la clause figurant aux conditions générales de vente prévoyant la facturation de frais en cas de résiliation anticipée du contrat. Elle soulève en revanche, à titre principal, le caractère abusif de cette clause et sollicite, à titre subsidiaire, la modération du montant de l'indemnité litigieuse constitutive à ses yeux d'une clause pénale.
Sur le caractère abusif de la clause litigieuse :
Aux termes de l'article 1171 du code civil, dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation.
En l'espèce, le contrat de vente de gaz conclu entre les parties prévoit, à l'article 15.2 de ses conditions générales intitulé « Frais de résiliation », que sans préjudice de l'article relatif à la « responsabilité », en cas de résiliation avant l'échéance du contrat en dehors des cas de résiliation pour motif légitime tels que ceux énoncés aux alinéas b) [résiliation à l'initiative du fournisseur en cas de retard de paiement ou de défaut de remise d'une garantie de paiement], c) [résiliation par le client en cas de manquements de la part du fournisseur à son obligation de vente] et d) [force majeure et cas assimilés], le client versera au fournisseur des frais de résiliation correspondant à 30 % de la somme de la totalité du ou des abonnement(s) annuel(s) et du produit de la quantité annuelle déclarée et du ou des terme(s) de quantité en vigueur. Cette clause stipule en outre que dans tous les cas, si la durée prévue par le contrat est supérieure à un an, la somme ci-dessus est augmentée de la même somme, multipliée par le nombre d'années restant à courir à l'issue de l'année en cours.
La SARL Morvan Charcuteries Salaisons souligne ne pas avoir été mise en position de négocier ces stipulations insérées dans des conditions générales préétablies par la SA Engie. Elle soutient que cet article 15.2 n'impose le versement de frais de résiliation qu'au seul client, et qu'une résiliation intervenant à l'initiative de celui-ci en cas de manquement du fournisseur à son obligation de vente ne lui ouvrirait aucun droit à perception de frais de résiliation de la part de la SA Engie. Elle estime de ce fait avoir caractérisé le déséquilibre significatif visé par l'article 1171 précité.
Il doit néanmoins être tout d'abord observé que l'article 15.2 en cause, réserve expressément la possibilité de mise en œuvre de l'article relatif à la responsabilité, soit l'article 12 des conditions générales de vente, lequel prévoit la possibilité pour chacun des cocontractants d'engager la responsabilité de l'autre en cas de faute dans l'exécution du contrat.
Il s'en déduit qu'un comportement fautif de la SA Engie, notamment dans le cadre d'un manquement à son obligation de vente entraînant la résiliation du contrat à l'initiative de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons, serait de nature à engager sa responsabilité et à ouvrir au profit de cette dernière un droit à indemnisation.
L'article 15.2 régit la faculté ouverte au client de résilier le contrat avant son échéance sans avoir à justifier du motif de sa décision, en dehors des cas de résiliation pour motif légitime énoncés à l'article précédent. Dans cette hypothèse de résiliation hors motif légitime, la facturation de frais de résiliation par la SA Engie est prévue.
Il ne peut qu'être constaté que la SA Engie elle-même ne dispose d'aucune faculté analogue aux termes du contrat litigieux, la possibilité de résilier sans frais le contrat ne lui étant ouverte qu'en cas de manquement du client à son obligation de paiement ou de garantie, de force majeure ou dans l'hypothèse d'une perte de sa qualité de fournisseur de gaz.
Il s'en déduit que le contrat n'accorde à la SA Engie aucune faculté de résiliation discrétionnaire de celui-ci.
Il est par ailleurs admis que le défaut de réciprocité d'une clause résolutoire de plein droit pour inexécution du contrat puisse se justifier par la nature des obligations auxquelles sont respectivement tenues les parties (voir notamment en ce sens Cass, Com., 26 janvier 2022, n° 20-16.782). Or la nature spécifique de l'obligation contractuelle de fourniture de gaz incombant à la SA Engie impose à celle-ci d'engager des sommes importantes en amont de la période de livraison à sa cliente, afin de se procurer les volumes de gaz correspondant à la consommation prévisionnelle annoncée. La résiliation anticipée par le client du contrat expose de ce fait la SA Engie à un risque de pertes financières conséquentes, en fonction des fluctuations du marché du gaz, que les frais de résiliation stipulés à la charge du client visent à compenser.
L'équilibre entre les droits et obligations des parties ressort donc du contrat pris dans son ensemble, la clause de résiliation litigieuse ne créant pas de déséquilibre significatif entre ceux-ci et permettant au client d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et financières de son engagement et d'une éventuelle résiliation.
Dans ces conditions, et sans même qu'il soit nécessaire de s'appesantir sur la qualification de contrat d'adhésion exigée pour la mise en œuvre de l'article 1171 précité, la clause portée à l'article 15.2 des conditions générales de vente prévoyant le paiement par le client de frais de résiliation hors cas de motif légitime ne saurait être déclarée abusive au regard de l'équilibre général du contrat.
Sur la qualification de la clause litigieuse :
Aux termes de l'article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.
Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.
Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure.
Il est constant qu'une clause contractuelle stipulant une indemnité en cas de résiliation anticipée de la part du client dont le montant est équivalent au prix dû en cas d'exécution du contrat jusqu'à son terme et qui présente, dès lors, un caractère comminatoire, en ayant pour objet de contraindre le locataire d'exécuter le contrat jusqu'à cette date, constitue une clause pénale et non une clause de dédit (voir notamment en ce sens Cass, Com, 25 septembre 2019, n° 18-14.427).
En l'espèce, la SARL Morvan Charcuteries Salaisons soutient que la clause litigieuse, au visa de laquelle la SA Engie lui a facturé des frais de résiliation à hauteur de 22.369,12 euros, constitue non une clause de dédit mais une clause pénale présentant un caractère manifestement excessif au regard du préjudice réellement subi par la SA Engie du fait de la résiliation, réductible à ce titre en son montant par la juridiction.
Il convient tout d'abord de rappeler que la clause de dédit constitue, par principe, la contrepartie de l'exercice du droit accordé à une partie de se libérer du contrat et non la sanction de l'inexécution d'une obligation contractuelle, contrairement à la clause pénale.
Il doit ensuite être relevé que le mode de calcul de la somme réclamée en application de cette clause contractuelle est clairement défini par celle-ci, et conforme aux explications données par courriel du 28 décembre 2020 par Mme X., du département Entreprises et collectivités de la SA Engie, à M. [U], responsable de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons. Le montant annuel annoncé des prestations fournies par la SA Engie correspondait en effet à la somme de 18.889,20 euros HT par an, montant à partir duquel l'appelante a appliqué un pourcentage de 30 % avant de multiplier le résultat obtenu par le nombre d'années d'exécution du contrat restant à courir, soit quatre.
Si le montant des frais de résiliation réclamés par la SA Engie se trouve ainsi supérieur au budget annuel annoncé, ainsi que le fait valoir la SARL Morvan Charcuteries Salaisons, il ne peut être considéré comme équivalent au prix qui aurait été dû en cas d'exécution du contrat jusqu'à son terme. Il ne peut de ce fait être jugé que la clause contractuelle fixant les frais de résiliation présente un caractère comminatoire. Dès lors, il doit être estimé que la clause litigieuse constitue bien une clause de dédit et non une clause pénale. Elle échappe de ce fait au champ d'application de l'article 1231-5 précité, et ne peut voir son montant réduit par la présente décision.
En considération de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à verser à la SA Engie la somme de 22.369,12 euros, outre intérêts au taux contractuel de 8 % à compter du 15 mars 2023, date de l'acte introductif d'instance, ainsi qu'une somme de 40 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement telle que prévue au contrat, et de débouter la SARL Morvan Charcuteries Salaisons de sa demande tendant à voir fixer les frais de résiliation à l'euro symbolique.
Sur la demande indemnitaire pour résistance abusive présentée par la SA Engie :
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il est constant que le droit d'agir ou de se défendre en justice ne dégénère en abus pouvant donner lieu à indemnisation que dans le cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.
En l'espèce, la SA Engie ne motive nullement la demande indemnitaire qu'elle formule à l'encontre de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons au titre de la résistance abusive qu'elle impute à cette dernière.
L'appréciation inexacte que la SARL Morvan Charcuteries Salaisons a pu porter sur le bien-fondé de la demande en paiement des frais de résiliation présentée par la SA Engie ne caractérise néanmoins pas à son encontre de comportement fautif susceptible d'engendrer un préjudice indemnisable.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SA Engie de sa demande de condamnation de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons au paiement de dommages-intérêts de ce chef.
Sur l'article 700 et les dépens :
L'équité et la prise en considération de l'issue du litige déterminée par la présente décision commandent de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la SARL Morvan Charcuteries Salaisons, qui succombe en l'intégralité de ses prétentions, à verser à la SA Engie la somme de 3.000 euros au titre des frais exposés par elle qui ne seraient pas compris dans les dépens.
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie. La SARL Morvan Charcuteries Salaisons, partie succombante, devra supporter la charge des dépens de première instance et d'appel.
Le jugement entrepris sera enfin infirmé de ces chefs.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
INFIRME le jugement rendu le 17 juillet 2024 par le tribunal de commerce de Nevers, sauf en ce qu'il a débouté la SA Engie de sa demande de condamnation de la SARL Morvan Charcuteries Salaisons au paiement de dommages-intérêts au titre de la résistance abusive ;
Et statuant de nouveau des chefs infirmés,
CONDAMNE la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à payer à la SA Engie la somme de 22.369,12 euros, outre intérêts au taux contractuel de 8 % à compter du 15 mars 2023, et la somme de 40 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement ;
DÉBOUTE la SARL Morvan Charcuteries Salaisons de sa demande tendant à voir fixer les frais de résiliation à l'euro symbolique ;
CONDAMNE la SARL Morvan Charcuteries Salaisons à verser à la SA Engie la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la SARL Morvan Charcuteries Salaisons aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'arrêt a été signé par A. TESSIER-FLOHIC, Président, et par S. MAGIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S. MAGIS A. TESSIER-FLOHIC