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CA PARIS (pôle 5 ch. 8), 16 septembre 2025

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 8), 16 septembre 2025
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 8
Demande : 22/19745
Date : 16/09/2025
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 26/01/2022
Décision antérieure : TJ Paris (1re ch. 3e sect.), 17 octobre 2022 : RG n° 15/06682
Décision antérieure :
  • TJ Paris (1re ch. 3e sect.), 17 octobre 2022 : RG n° 15/06682
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CERCLAB - DOCUMENT N° 24318

CA PARIS (pôle 5 ch. 8), 16 septembre 2025 : RG n° 22/19745 

Publication : Judilibre

 

Extrait : « Aux termes de l'article 2220 du code civil, les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, soumis aux règles de la prescription extinctive. La clause qui fixe un terme au droit d'agir du créancier institue un délai de forclusion et non un délai de prescription.

Par lettre de mission du 14 octobre 2010, la société Sunny Asset Management a confié au cabinet d'expertise comptable Expertise-Union, en la personne de M. Y., la tenue de sa comptabilité et l'établissement de ses comptes annuels.

Il est indiqué en page 3 de la lettre de mission signée par les parties que « nos relations seront réglées sur le plan juridique tant par les termes de cette lettre que par les conditions générales d'intervention ci-jointes établies par notre profession ».

Lesdites « conditions générales d'exécution des missions d'établissement des comptes annuels » annexées stipulent aux articles 8 et 9 :

« 8. Responsabilité

1/ Le membre de l'Ordre assume dans tous les cas la responsabilité de ses travaux.

2/ La responsabilité civile du membre de l'Ordre pouvant résulter de l'exercice de ses missions comptables, fait l'objet d'un contrat d'assurance obligatoire dont le montant de la garantie minimum est fixé par décret.

3/ Toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. (mis en gras par la cour)

4/ Le membre de l'Ordre ne peut être tenu pour responsable, ni des conséquences dommageables de fautes commises par des tiers intervenant chez le client, ni des retards d'exécution lorsque ceux-ci résultent d'une communication tardive des documents par le client.

« 9. Différends

Les litiges qui pourraient éventuellement survenir entre le membre de l'Ordre et son client, pourront être portés avant toute action judiciaire, devant le Président du Conseil régional de l'Ordre compétent aux fins de conciliation. »

Il en résulte sans ambigüité qu'au délai de 5 ans pour agir à compter du premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande, s'ajoute un terme d'une durée de trois MOIS restreignant le droit d'agir à compter de la révélation du sinistre. Ce dernier s'analyse en un délai de forclusion.

En outre, le recours à la conciliation en cas de litige prévu à l'article 9 ne constitue pas un préalable obligatoire à l'instruction d'une demande de dommages et intérêts, alors que l'introduction d'une telle demande (de dommages et intérêts) dans le délai de trois mois stipulé à l'article 8 est une obligation, sans qu'il soit fait de distinction entre les cas dans lesquels il est recouru à la conciliation préalable et les autres, de sorte que la société Sunny ne peut valablement prétendre que la clause litigieuse devrait nécessairement être lue en lien avec l'article 9 des conditions générales du contrat. La faculté ouverte aux parties en litige de recourir à une conciliation préalable ne dispense, ni n'empêche le client, auteur de la demande de dommages et intérêts, d'introduire sa demande dans le délai de trois mois suivant la prise de connaissance du sinistre.

Au demeurant, il n'est pas justifié de ce que le sinistre visé dans la clause litigieuse, subi par le client de l'expert-comptable, soit identique à celui subi par ce dernier dans le cadre de sa relation contractuelle avec son assureur, de sorte qu'il n'est pas établi que la clause litigieuse a pour fonction principale de permettre à l'expert-comptable de préserver ses droits auprès de son assureur.

L'obligation d'introduire la demande de dommages et intérêts dans le délai restreint de trois mois ne peut que viser la demande d'action en justice, sauf à rendre inopérante ladite clause. En effet, si comme le prétend la société Sunny la demande de dommages et intérêts devait être uniquement faite à l'expert-comptable dans le délai de trois mois et à peine de forclusion, tout en laissant perdurer la faculté d'agir en justice dans un délai plus long, cela aurait pour conséquence d'annihiler tout effet à la clause puisque la saisine d'une juridiction, et donc une demande s'adressant à ce professionnel du chiffre, demeurerait possible.

Dès lors, la société Sunny manque à établir que la clause litigieuse constitue une « clause de réclamation ».

Il s'ensuit que comme l'a exactement jugé le tribunal, la clause litigieuse est un délai de forclusion.

A titre subsidiaire, la société Sunny fait valoir que l'interprétation des premiers juges conduit à réputer non écrite ou nulle la clause litigieuse, en ce que le délai pour introduire l'action en justice serait inférieur à un an et donc contraire aux prescriptions de l'article 2254 du code civil, qu'en outre, la clause litigieuse prive de sa substance l'obligation essentielle de l'expert-comptable qui est d'établir et de tenir une comptabilité pour le compte de son client sous sa responsabilité et dans le respect des diverses normes en vigueur, et qu'en ce que le délai de trois mois ne suffit pas au client pour élaborer son dossier destiné à l'introduction d'une instance judiciaire, la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans le cadre du contrat d'adhésion qui les lie de sorte qu'elle est entachée de nullité.

L'expert-comptable réplique que si l'appelante considère que la clause devrait être réputée non-écrite en ce qu'elle priverait l'obligation essentielle de l'expert-comptable de sa substance, elle porte en réalité sur le délai pour agir et non sur des obligations contractuelles de sorte que cette sanction lui est inapplicable, qu'un délai de trois mois est suffisant pour réaliser l'ensemble des diligences en vue d'une assignation, que la mise en 'uvre de la responsabilité contractuelle de l'expert-comptable n'a d'ailleurs rien de complexe, qu'un délai de trois mois est jugé raisonnable et ne portant pas atteinte au droit au procès équitable, que s'il est allégué par l'appelante que la clause crée un déséquilibre significatif, le moyen est inopérant car l'article 1171 du code civil entré en vigueur le 1er octobre 2016 ne peut s'appliquer au présent contrat conclu antérieurement et qu'en tout état de cause, aucun déséquilibre significatif ne pourrait être retenu dès lors que le délai de 3 mois pour agir est raisonnable.

La cour répond qu'en vertu de l'article 2220 du code civil, en présence d'un délai de forclusion, l'article 2254 du code civil, qui figure au titre XX relatif aux règles de la prescription extinctive, n'est pas applicable. La clause litigieuse restreint le droit d'agir mais n'est aucunement limitative de responsabilité de sorte qu'elle n'a pas d'effet sur le droit à réparation. L'argument n'est donc pas opérant, de sorte que la clause litigieuse n'a pas à être réputée non écrite de ce chef.

Se pose ensuite la question de savoir si la restriction à trois mois du droit d'agir n'aboutit pas indirectement à priver de sa substance l'obligation essentielle de l'expert-comptable qui est d'établir et de tenir une comptabilité pour le compte de son client sous sa responsabilité et dans le respect des diverses normes en vigueur.

Sur ce point, il est de jurisprudence constante qu'un délai de trois mois imparti pour agir en justice n'est pas d'une brièveté telle qu'il restreigne l'accès au juge, si bien que les premiers juges ont considéré à juste titre qu'il constituait un délai raisonnable et n'était pas de nature à priver la société Sunny du droit d'agir ni à porter atteinte à son droit au procès équitable, ni partant, indirectement à priver de sa substance l'obligation essentielle de l'expert-comptable. Il n'y a donc pas lieu de dire la clause non écrite.

S'agissant enfin du déséquilibre significatif que la société Sunny prétend créé par la clause litigieuse, celui-ci n'est pas non plus établi dans la mesure où le délai de trois mois est un délai raisonnable pour agir.

En tout état de cause, les articles L. 442-6 I. 2° du code de commerce et 1171 du code civil ne sauraient trouver application.

En effet, contrairement à ce que soutient la société Sunny l'article L. 442-6 I. 2° du code de commerce qui dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) 2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, édicte un régime de responsabilité spécifique imposant à l'auteur d'une pratique restrictive de concurrence de réparer le préjudice causé, ce qui n'est pas l'objet du présent litige qui a trait à la responsabilité contractuelle de l'expert-comptable à l'égard de son client.

Enfin, si la lettre de mission peut s'analyser en l'espèce comme un contrat d'adhésion qui n'a pas été négocié, il a toutefois été accepté sans réserve et le déséquilibre résultant de la restriction du droit d'agir à compter de la révélation du sinistre n'apparaît pas significatif eu égard aux parties en présence, qui sont des professionnels et non des consommateurs. Ainsi, la sanction édictée par l'article 1171 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ou appliquée en jurisprudence avant l'entrée en vigueur de ce dernier texte n'a pas à être mise en œuvre.

Les moyens subsidiaires doivent donc être écartés. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2025

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 22/19745 (32 pages). N° Portalis 35L7-V-B7G-CGXR2. Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 octobre 2022 - Tribunal Judiciaire de PARIS (1ère Chambre - 3e Section - PEC sociétés civiles) - RG n° 15/06682.

 

APPELANTE :

SA SUNNY ASSET MANAGEMENT

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro XXX, Dont le siège social est situé [Adresse 2], [Localité 11], Représentée par Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111, Assisté de Maître Laurent MARRIÉ de la SELEURL LAURENT MARRIÉ, avocat au barreau de PARIS, toque B 997,

 

INTIMÉS :

Monsieur X.

Né le [Date naissance 3] à [Localité 13], De nationalité française, Demeurant [Adresse 8], [Localité 5]

SAS AGIF AUDIT ET CONSEIL

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MELUN sous le numéro YYY, Dont le siège social est situé [Adresse 4], [Localité 10], Représentés par Maître François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125, Assistés de Maître Silvestre TANDEAU DE MARSAC de la SCP FTMS Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147,

SARL SOCIÉTÉ D'EXPERTISE COMPTABLE EXPERTISE-UNION

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro ZZZ, Dont le siège social est situé [Adresse 7], [Localité 9]

Monsieur Y.

Né le [Date naissance 1] à [Localité 12], De nationalité française, Demeurant [Adresse 6], [Localité 9], Représentés et assistés de Maître Florence VILAIN de l'AARPI PARRINELLO VILAIN & KIENER, avocat au barreau de PARIS, toque : R098,

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 2 décembre 2024, en audience publique, devant la cour, composée de :  Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, Madame Constance LACHEZE, conseillère, Monsieur François VARICHON, conseiller, qui en ont délibéré. Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT : - Contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :

La société anonyme Sunny Asset Management (la société Sunny) est une société de gestion de portefeuille agréée par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) depuis le 18 décembre 2008 pour la gestion collective et le conseil en investissement et depuis le 23 octobre 2009 pour la gestion de portefeuille pour le compte de tiers. Elle employait une dizaine de personnes.

Jusqu'au 20 août 2014, elle disposait d'un conseil d'administration composé de quatre personnes, MM. A., B., C. et D., ce dernier exerçant en outre les fonctions de directeur général depuis 2009 et jusqu'à sa révocation le 7 février 2014. Elle a eu comme président successivement M. B. jusqu'au 10 décembre 2010 et M. A. En janvier 2014, son capital social était principalement détenu par la société Pam 5 (holding commerciale de M. B.) à raison de 51,2%, par la société Globinvest (appartenant pour 72,5% à M. D.), par la société JC Holding (holding patrimoniale de M. C.) et par M. E., directeur du développement pour 9 %.

Par lettre de mission du 16 janvier 2010 renouvelée le 9 décembre 2013, la société Sunny Asset Management a confié le contrôle légal de ses états financiers à la SECCC X., en la personne de M. X., commissaire aux comptes, aux droits de laquelle vient la société Agif Audit et Conseil.

Par lettre de mission du 14 octobre 2010, la société Sunny Asset Management a confié au cabinet d'expertise comptable Expertise-Union, en la personne de M. Y., la tenue de sa comptabilité et l'établissements de ses comptes annuels.

Un contrôle diligenté par l'AMF dans les locaux de la société Sunny Asset Management le 27 janvier 2014 a révélé que M. D. s'était livré entre 2010 et 2014 à des détournements d'actifs au détriment de la société Sunny et de clients dont Mme W. sous couvert de faux placements en or auprès d'une société anglaise RPT Trading.

Au cours du conseil d'administration convoqué le 7 février 2014, M. D. a été révoqué de ses fonctions de directeur général de la société Sunny Asset Management et M. C. a été nommé pour le remplacer.

Le 11 février 2014, le commissaire aux comptes de la société Sunny a révélé au procureur de la République l'existence d'une falsification des comptes et le 19 février suivant, la société Sunny a déposé plainte contre personne non dénommée auprès du procureur de la République des chefs de faux, usage de faux et d'abus de biens sociaux.

Le 23 avril 2014, la société d'expertise comptable Expertise Union a également déposé plainte auprès du procureur de la République à l'encontre de M. D. des chefs de faux et usage de faux, prétendant que M. D. lui avait communiqué de faux documents en vue de l'établissement des comptes, de faux avis de virements pour justifier les virements de la société Sunny à destination de la société RPT Trading, un faux relevé de compte communiqué en 2012 pour maquiller ces placements en des placements en or et des relevés bancaires falsifiés sur la période allant de juin à septembre 2013 mentionnant comme destinataire de virements la société RPT Trading pour maquiller les flux en direction d'une société Globinvest.

A l'issue de son contrôle, l'AMF a, dans un rapport du 13 octobre 2014, relevé l'absence d'une procédure comptable définissant les niveaux de contrôle et séparant les tâches de façon appropriée, de sorte que M. D. était le seul interlocuteur de l'expert-comptable, des banques et du commissaire aux comptes, étant précisé qu'en outre, il recevait l'ensemble des factures et disposait de l'ensemble des moyens de paiement de la société Sunny Asset Management. L'AMF y ajoutait qu'aucun contrôle de second niveau n'était non plus réalisé.

Par décision du 18 juillet 2016, la commission des sanctions de l'AMF a sanctionné la société Sunny et le président de son conseil d'administration de l'époque M. Z. d'un blâme et d'une sanction pécuniaire après avoir constaté les manquements à leurs obligations édictées par le règlement général et caractérisés par :

- le défaut de contrôle, par le conseil d'administration et son président, du dispositif comptable par le responsable de la conformité et du contrôle interne entre le 27 janvier 2011 et le 13 octobre 2014, obligation édictée par les articles 313-1 et 313-6 du règlement général de l'AMF ;

- l'absence d'une procédure comptable définissant les niveaux de contrôle et séparant les tâches de façon appropriée en violation des dispositions de l'article 313-57 du règlement général de l'AMF.

Sur réquisitoires du procureur de la République de Nanterre des 18 et 25 septembre 2014 et 2 février 2015, une information judiciaire a été ouverte des chefs d'abus de biens sociaux au préjudice de la société Sunny et de la société Globinvest, d'escroquerie en bande organisée au préjudice de la société Sunny, d'escroquerie au préjudice de Mme W., de faux et usage de faux, de blanchiment commis de manière habituelle et de présentation de comptes inexacts, sur la période du 1er janvier 2009 au 28 février 2014.

Par jugement du 26 mars 2021, le tribunal correctionnel de Nanterre a déclaré M. D. coupable des chefs de faux et usage de faux, blanchiment aggravé, escroquerie, présentation des comptes annuels inexacts pour dissimuler la situation d'une société par actions, abus de biens ou du crédit d'une société à responsabilité limitée par un gérant à des fins personnelles et abus de biens ou du crédit d'une société par actions par un dirigeant à des fins personnelles, puis condamné à la peine de 48 mois d'emprisonnement dont 30 mois assortis du sursis probatoire pendant deux ans, au paiement d'une amende de 350.000 euros et à titre de peines complémentaires, l'interdiction de gérer à titre définitif toute entreprise industrielle, commerciale de manière directe ou indirecte et à l'interdiction d'exercer à titre définitif la profession d'intermédiaire financier dans le secteur bancaire, dans le domaine de l'assurance et les services financiers, en ce compris la profession de conseiller en investissements financiers.

Sur l'action civile, M. D. a été condamné à payer les sommes suivantes :

à la société Sunny Asset Management :

- 3 872 833, 89 euros en réparation des sommes détournées ;

- 126 543 euros au titre des frais exposés pour reconstituer les fonds propres ;

- 30.000 euros en réparation du préjudice moral ;

- 30.000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

à Mme W. :

- 146 146,25 euros en réparation du préjudice matériel ;

- 10.000 euros en réparation du préjudice moral ;

- 3 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

à M. X. :

- 7 917 euros en réparation du préjudice financier ;

- 3.000 euros en réparation du préjudice moral ;

- 5.000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

à la société Agif Audit Conseil venant aux droits de la société SECCC X. :

- 20.000 euros en réparation du préjudice financier ;

- 5.000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

à la société Expertise Union :

- 13 920 euros en réparation des autres dommages ;

- 3.000 euros en réparation du préjudice moral ;

- 3.000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

M. D. a interjeté appel de ce jugement dont il s'est désisté le 26 janvier 2022.

Parallèlement et par actes d'huissier des 14 et 16 avril 2015, la société Sunny Asset Management a assigné en responsabilité la société SECCC X., aux droits de laquelle vient la société Agif Audit et Conseil, M. X., la société Expertise-Union et M. Y., au visa des articles 1147 et 1382 anciens du code civil et de l'article L. 822-17 du code de commerce, afin que le tribunal constate que l'expert-comptable et le commissaire aux comptes ont méconnu leurs obligations professionnelles et ont commis des fautes et négligences fautives dans l'exécution de leur mission de nature à engager leur responsabilité professionnelle et délictuelle in solidum et à hauteur de la somme de 4.100.467,15 euros.

[*]

Par jugement contradictoire du 17 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré l'action de la société Sunny Asset Management à l'encontre de la société d'expertise comptable Expertise Union et M. Y. forclose,

- constaté que l'action de la société Sunny Asset Management à l'encontre de la société Agif Audit et Conseil et M. X. est prescrite en ce qui concerne les négligences et fautes alléguées lors de l'audit des comptes 2009 et 2010,

- jugé que la société Agif Audit et Conseil et M. X. ont contribué aux dommages subis par la société Sunny Asset Management,

- condamné in solidum la société Agif Audit et Conseil et M. X. à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 305 612,80 euros en réparation de son préjudice matériel,

- condamné in solidum la société Agif Audit et Conseil et M. X. à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 30.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- débouté les autres parties de toutes leurs autres demandes,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné in solidum la société Agif Audit et Conseil et M. X. à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum la société Agif Audit et Conseil et M. X. aux dépens, et ordonné l'exécution provisoire.

Le 23 novembre 2022, la société Sunny Asset Management a relevé appel de ce jugement.

La médiation entamée par les parties n'a pas permis de résoudre leur litige.

[*]

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 18 octobre 2024, la société Sunny Asset Management demande à la cour de :

infirmer le jugement en ce qu'il a :

- déclaré son action à l'encontre de la société d'expertise comptable Expertise Union et M. Y. forclose ;

- constaté que son action à l'encontre de la société Agif Audit et Conseil et M. X. est prescrite en ce qui concerne les négligences et fautes alléguées lors de l'audit des comptes 2009 et 2010 ;

- limité la condamnation in solidum de la société Agif Audit et Conseil Management à lui payer la somme de 305 612,80 euros en réparation de son préjudice matériel ;

- limité la condamnation in solidum de la société Agif Audit et Conseil Management à lui payer la somme de 30.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- débouté de toutes ses autres demandes ;

- limité la condamnation in solidum de la société Agif Audit et Conseil et M. X. à lui payer la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

confirmer le jugement pour le surplus ;

statuant à nouveau :

- déclarer recevables l'intégralité de ses demandes ;

- condamner in solidum la société Agif Audit et Conseil, M. X., la société Expertise Union et M. Y. à lui verser la somme de 4 299 426,89 euros à titre de dommages-intérêts, outre intérêts légaux à compter de l'assignation du 14 avril 2015 avec capitalisation annuelle ;

- débouter la société Agif Audit et Conseil, M. X., la société Expertise Union et M. Y. de leurs plus amples demandes ;

- condamner in solidum la société Agif Audit et Conseil, M. X., la société Expertise Union et M. Y. à lui verser la somme de 250.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par la SCP Grapotte Benetreau.

[*]

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 13 novembre 2024, la société d'expertise comptable Expertise Union et M. Y. demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré forclose l'action de la société Sunny Asset Management à leur encontre ;

par conséquent,

- déclarer l'action de la société Sunny Asset Management à leur encontre irrecevable pour cause de forclusion ;

en tout état de cause,

- débouter la société Sunny Asset Management de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

très subsidiairement,

- constater qu'il convient de tenir compte de ce que la société Sunny Asset Management a récupéré ou récupèrera sur M. D. dans le cadre de la procédure pénale aujourd'hui définitive et sinon, tirer toutes les conséquences sur l'incertitude du préjudice et du refus de la société Sunny Asset Management de recouvrer les sommes dues contre M. D. et l'en débouter simplement ;

- constater que le préjudice indemnisable doit être apprécié au regard de la perte de chance dont le taux ne pourrait qu'être minime compte tenu des fautes prépondérantes de la société Sunny Asset Management ;

en conséquence,

- dire et juger que le préjudice qui pourrait être alloué à la société Sunny Asset Management doit être fortement réduit à proportion de ses fautes et de ses négligences ayant concouru à la survenance du dommage ;

y ajoutant en tout état de cause,

- condamner la société Sunny Asset Management à leur payer la somme de 60.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens de l'instance d'appel dont distraction faite au profit de Me Florence Vilain, avocat aux offres de droit.

[*]

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 15 novembre 2024, la société AGIF Audit et Conseil, venant aux droits de la société SECCC, et M. X. demandent à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que l'action de la société Sunny Asset Management à leur encontre est prescrite en ce qui concerne les négligences et les fautes alléguées lors de l'audit des comptes 2009 et 2010 ;

infirmer le jugement en ce qu'il a :

- jugé qu'ils ont contribué aux dommages subis par la société Sunny Asset Management ;

- les a condamnés in solidum à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 305 612,80 euros en réparation de son préjudice matériel ;

- les a condamnés in solidum à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 30.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- les a déboutés de leurs autres demandes ;

- les a condamnés in solidum à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les a condamnés in solidum aux dépens ;

et, statuant à nouveau,

- juger qu'ils n'ont commis aucune faute dans l'exercice de leur mission de commissaire aux comptes de la société Sunny Asset Management :

- juger que ni la SECCC ni M. X. ne sont responsables des détournements commis par M. D. lorsqu'il dirigeait la société Sunny Asset Management ;

- débouter la société Sunny Asset Management de l'ensemble de ses demandes à leur encontre ;

- condamner la société Sunny Asset Management au paiement d'une somme de 350.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

[*]

L'instruction a été clôturée le 19 novembre 2024.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE,

Sur la recevabilité de l'action de la société Sunny Asset Management :

Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel la prescription, le délai préfix.

 

Sur la fin de non-recevoir tirée de la forclusion invoquée par l'expert-comptable :

La société Expertise Union et M. Y. opposent à la société Sunny l'irrecevabilité de son action pour cause de forclusion.

Les premiers juges ont considéré qu'au jour de l'introduction de l'instance, l'action de la société Sunny Asset Management à l'encontre de l'expert-comptable était forclose depuis le 22 février 2015, faisant application de l'article 8 des conditions générales annexées à la lettre de mission de l'expert-comptable, estimant que la mise en demeure du 21 novembre 2014 n'était pas susceptible d'avoir interrompu le délai de prescription de trois mois qu'elles contiennent, que la conciliation prévue par les conditions générales n'était pas un préalable obligatoire à l'introduction de l'action en justice à l'encontre de l'expert-comptable, que le délai de trois mois devait courir à compter de la connaissance par le client de la faute qu'il reproche à l'expert-comptable, qu'il n'y avait pas lieu de réputer la clause non écrite et que le client avait porté à la connaissance de l'expert-comptable le litige par lettre de mise en demeure du 21 novembre 2014 de sorte que le délai pour agir a expiré le 22 février 2015.

La société Sunny fait valoir que le tribunal a dénaturé le contrat par fausse interprétation de la clause litigieuse qui est une clause de réclamation, que l'article 8 impose uniquement au client ayant connaissance du sinistre de présenter à l'expert-comptable sa demande de dommages et intérêts et ce à peine de forclusion, qu'au sein de l'ensemble contractuel, la clause ne vise pas une action en justice mais instaure une faculté pour le client de porter le litige devant l'ordre des experts-comptables, que l'acte enfermé dans le délai contractuel est l'émission par le client d'une réclamation dans les trois mois de la prise de conscience de la faute de l'expert-comptable, que la clause litigieuse a pour fonction principale de permettre à l'expert-comptable de préserver ses droits auprès de son assureur, que l'interprétation de la clause par les premiers juges, selon lesquels une action doit être initiée dans un délai de 3 mois à compter de la découverte de la faute de l'expert-comptable, met en échec la clause de conciliation prévue à l'article 9 des conditions générales de la lettre de mission du 14 octobre 2010, en ce que ce délai ne peut permettre la saisine du conseil de l'Ordre d'une demande de conciliation puis, en cas d'échec de la conciliation, d'introduire une action judiciaire, que dans de nombreuses hypothèses la loi instaure des délais de forclusion susceptibles d'interruption, et qu'en cas de doute, il doit lui profiter, que le délai a été valablement interrompu par l'envoi, moins de deux mois suivant le rapport Egide, d'un courrier circonstancié par lequel elle exposait à l'expert-comptable les différents manquements professionnels qu'elle lui reprochait.

La société Expertise Union et M. Y. soutiennent :

- que l'action de la société Sunny Asset Management est irrecevable car forclose en application de l'article 8 des conditions générales d'intervention annexées à la lettre de mission, que cette clause doit s'analyser en un délai de forclusion contractuellement défini entre les parties et doit recevoir pleine et entière application dès lors que le délai de 3 mois pour agir est raisonnable et ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable, que la société appelante a eu connaissance de la fraude organisée par M. D. courant février 2014, connaissance attestée par la révocation de ce dernier le 7 février 2014, et qu'en tout état de cause elle avait connaissance des prétendues anomalies et irrégularités établies par le rapport par le cabinet Egide du 9 octobre 2014 au 21 novembre 2014, date de la mise en demeure qu'elle lui a fait délivrer ;

- qu'en présence d'un délai de forclusion, une mise en demeure ne figure pas parmi les causes interruptives de prescription limitativement énumérées aux articles 2241 et 2244 du code civil, que l'appelante ne peut soutenir qu'il s'agit d'une clause de réclamation et encore moins qu'elle a été stipulée pour préserver les droits de l'expert-comptable auprès de son assureur ;

- que de toute évidence, la mise en 'uvre d'une procédure de conciliation n'empêchait pas la société Sunny d'agir en justice pour préserver ses droits, que la clause de conciliation est purement facultative, qu'elle n'est obligatoire que dans les contestations d'honoraires, qu'elle n'est pas applicable aux litiges en responsabilité de l'expert-comptable, que la mise en demeure restée infructueuse permet de considérer comme remplie l'exigence de recherche d'une issue amiable du litige, et que la société Sunny n'a rien fait durant les cinq mois qui ont suivi cette mise en demeure.

Sur ce, la cour,

Aux termes de l'article 2220 du code civil, les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, soumis aux règles de la prescription extinctive.

La clause qui fixe un terme au droit d'agir du créancier institue un délai de forclusion et non un délai de prescription.

Par lettre de mission du 14 octobre 2010, la société Sunny Asset Management a confié au cabinet d'expertise comptable Expertise-Union, en la personne de M. Y., la tenue de sa comptabilité et l'établissement de ses comptes annuels.

Il est indiqué en page 3 de la lettre de mission signée par les parties que « nos relations seront réglées sur le plan juridique tant par les termes de cette lettre que par les conditions générales d'intervention ci-jointes établies par notre profession ».

Lesdites « conditions générales d'exécution des missions d'établissement des comptes annuels » annexées stipulent aux articles 8 et 9 :

« 8. Responsabilité

1/ Le membre de l'Ordre assume dans tous les cas la responsabilité de ses travaux.

2/ La responsabilité civile du membre de l'Ordre pouvant résulter de l'exercice de ses missions comptables, fait l'objet d'un contrat d'assurance obligatoire dont le montant de la garantie minimum est fixé par décret.

3/ Toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. (mis en gras par la cour)

4/ Le membre de l'Ordre ne peut être tenu pour responsable, ni des conséquences dommageables de fautes commises par des tiers intervenant chez le client, ni des retards d'exécution lorsque ceux-ci résultent d'une communication tardive des documents par le client.

« 9. Différends

Les litiges qui pourraient éventuellement survenir entre le membre de l'Ordre et son client, pourront être portés avant toute action judiciaire, devant le Président du Conseil régional de l'Ordre compétent aux fins de conciliation. »

Il en résulte sans ambigüité qu'au délai de 5 ans pour agir à compter du premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande, s'ajoute un terme d'une durée de trois MOIS restreignant le droit d'agir à compter de la révélation du sinistre. Ce dernier s'analyse en un délai de forclusion.

En outre, le recours à la conciliation en cas de litige prévu à l'article 9 ne constitue pas un préalable obligatoire à l'instruction d'une demande de dommages et intérêts, alors que l'introduction d'une telle demande (de dommages et intérêts) dans le délai de trois mois stipulé à l'article 8 est une obligation, sans qu'il soit fait de distinction entre les cas dans lesquels il est recouru à la conciliation préalable et les autres, de sorte que la société Sunny ne peut valablement prétendre que la clause litigieuse devrait nécessairement être lue en lien avec l'article 9 des conditions générales du contrat. La faculté ouverte aux parties en litige de recourir à une conciliation préalable ne dispense, ni n'empêche le client, auteur de la demande de dommages et intérêts, d'introduire sa demande dans le délai de trois mois suivant la prise de connaissance du sinistre.

Au demeurant, il n'est pas justifié de ce que le sinistre visé dans la clause litigieuse, subi par le client de l'expert-comptable, soit identique à celui subi par ce dernier dans le cadre de sa relation contractuelle avec son assureur, de sorte qu'il n'est pas établi que la clause litigieuse a pour fonction principale de permettre à l'expert-comptable de préserver ses droits auprès de son assureur.

L'obligation d'introduire la demande de dommages et intérêts dans le délai restreint de trois mois ne peut que viser la demande d'action en justice, sauf à rendre inopérante ladite clause. En effet, si comme le prétend la société Sunny la demande de dommages et intérêts devait être uniquement faite à l'expert-comptable dans le délai de trois mois et à peine de forclusion, tout en laissant perdurer la faculté d'agir en justice dans un délai plus long, cela aurait pour conséquence d'annihiler tout effet à la clause puisque la saisine d'une juridiction, et donc une demande s'adressant à ce professionnel du chiffre, demeurerait possible.

Dès lors, la société Sunny manque à établir que la clause litigieuse constitue une « clause de réclamation ».

Il s'ensuit que comme l'a exactement jugé le tribunal, la clause litigieuse est un délai de forclusion.

A titre subsidiaire, la société Sunny fait valoir que l'interprétation des premiers juges conduit à réputer non écrite ou nulle la clause litigieuse, en ce que le délai pour introduire l'action en justice serait inférieur à un an et donc contraire aux prescriptions de l'article 2254 du code civil, qu'en outre, la clause litigieuse prive de sa substance l'obligation essentielle de l'expert-comptable qui est d'établir et de tenir une comptabilité pour le compte de son client sous sa responsabilité et dans le respect des diverses normes en vigueur, et qu'en ce que le délai de trois mois ne suffit pas au client pour élaborer son dossier destiné à l'introduction d'une instance judiciaire, la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans le cadre du contrat d'adhésion qui les lie de sorte qu'elle est entachée de nullité.

L'expert-comptable réplique que si l'appelante considère que la clause devrait être réputée non-écrite en ce qu'elle priverait l'obligation essentielle de l'expert-comptable de sa substance, elle porte en réalité sur le délai pour agir et non sur des obligations contractuelles de sorte que cette sanction lui est inapplicable, qu'un délai de trois mois est suffisant pour réaliser l'ensemble des diligences en vue d'une assignation, que la mise en 'uvre de la responsabilité contractuelle de l'expert-comptable n'a d'ailleurs rien de complexe, qu'un délai de trois mois est jugé raisonnable et ne portant pas atteinte au droit au procès équitable, que s'il est allégué par l'appelante que la clause crée un déséquilibre significatif, le moyen est inopérant car l'article 1171 du code civil entré en vigueur le 1er octobre 2016 ne peut s'appliquer au présent contrat conclu antérieurement et qu'en tout état de cause, aucun déséquilibre significatif ne pourrait être retenu dès lors que le délai de 3 mois pour agir est raisonnable.

La cour répond qu'en vertu de l'article 2220 du code civil, en présence d'un délai de forclusion, l'article 2254 du code civil, qui figure au titre XX relatif aux règles de la prescription extinctive, n'est pas applicable. La clause litigieuse restreint le droit d'agir mais n'est aucunement limitative de responsabilité de sorte qu'elle n'a pas d'effet sur le droit à réparation. L'argument n'est donc pas opérant, de sorte que la clause litigieuse n'a pas à être réputée non écrite de ce chef.

Se pose ensuite la question de savoir si la restriction à trois mois du droit d'agir n'aboutit pas indirectement à priver de sa substance l'obligation essentielle de l'expert-comptable qui est d'établir et de tenir une comptabilité pour le compte de son client sous sa responsabilité et dans le respect des diverses normes en vigueur.

Sur ce point, il est de jurisprudence constante qu'un délai de trois mois imparti pour agir en justice n'est pas d'une brièveté telle qu'il restreigne l'accès au juge, si bien que les premiers juges ont considéré à juste titre qu'il constituait un délai raisonnable et n'était pas de nature à priver la société Sunny du droit d'agir ni à porter atteinte à son droit au procès équitable, ni partant, indirectement à priver de sa substance l'obligation essentielle de l'expert-comptable. Il n'y a donc pas lieu de dire la clause non écrite.

S'agissant enfin du déséquilibre significatif que la société Sunny prétend créé par la clause litigieuse, celui-ci n'est pas non plus établi dans la mesure où le délai de trois mois est un délai raisonnable pour agir.

En tout état de cause, les articles L. 442-6 I. 2° du code de commerce et 1171 du code civil ne sauraient trouver application.

En effet, contrairement à ce que soutient la société Sunny l'article L. 442-6 I. 2° du code de commerce qui dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) 2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, édicte un régime de responsabilité spécifique imposant à l'auteur d'une pratique restrictive de concurrence de réparer le préjudice causé, ce qui n'est pas l'objet du présent litige qui a trait à la responsabilité contractuelle de l'expert-comptable à l'égard de son client.

Enfin, si la lettre de mission peut s'analyser en l'espèce comme un contrat d'adhésion qui n'a pas été négocié, il a toutefois été accepté sans réserve et le déséquilibre résultant de la restriction du droit d'agir à compter de la révélation du sinistre n'apparaît pas significatif eu égard aux parties en présence, qui sont des professionnels et non des consommateurs. Ainsi, la sanction édictée par l'article 1171 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ou appliquée en jurisprudence avant l'entrée en vigueur de ce dernier texte n'a pas à être mise en œuvre.

Les moyens subsidiaires doivent donc être écartés.

Ainsi, alors que la société Sunny Asset Management indique avoir eu connaissance de l'étendue de son dommage et des éventuels manquements commis par les professionnels du chiffre à compter de la réception du rapport du cabinet Egide le 9 octobre 2014, ce que confirme la mise en demeure qu'elle a fait délivrer le 21 novembre 2014 à la société Expert-Union, le délai de trois mois expirant le 22 février 2015 était écoulé à la date de l'assignation, les 14 et 16 avril 2015, de sorte que son action était forclose.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré forclose l'action engagée le 16 avril 2014 à l'encontre de l'expert-comptable.

 

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription partielle invoquée par le commissaire aux comptes concernant les négligences et fautes alléguées au titre de la certification des comptes des exercices 2009 et 2010 :

La société AGIF Audit et Conseil et M. X. opposent à la société Sunny la prescription partielle de son action concernant les négligences et fautes alléguées au titre de la certification des comptes des exercices 2009 et 2010.

Les premiers juges ont considéré que l'action de la société Sunny Asset Management à l'encontre du commissaire aux comptes était prescrite au titre de la certification des comptes des exercices 2009 et 2010, après avoir écarté la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir, considérant qu'à la date de cessation de l'empêchement (le 7 février 2014), la société Sunny disposait encore du temps nécessaire pour agir (jusqu'au 14 juin 2014).

La société Sunny fait valoir :

- qu'en vertu de l'article 2234 du code civil, elle doit bénéficier d'un report du point de départ du délai de prescription à la date à partir de laquelle l'empêchement a cessé, que la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, à la cessation de l'empêchement, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration d'un délai de prescription, est devenue obsolète à la suite de la réforme de la prescription de 2008 ;

- que l'empêchement à agir n'a pas à revêtir les caractéristiques de la force majeure, que l'ignorance d'un droit constitue un cas de suspension de la prescription à la condition que le titulaire de l'action justifie d'une « juste raison » et que celle-ci soit légitime et raisonnable ; - qu'elle subissait un empêchement d'agir ab initio, du fait de son ignorance des agissements frauduleux de son directeur général qui tirait parti de la négligence fautive du commissaire aux comptes, et ce jusqu'à la révocation de M. D. le 7 février 2014, qu'elle était d'ailleurs dans l'impossibilité d'agir puisque seul le directeur général, lui-même auteur des faits délictueux, était habilité à la représenter en justice ;

- qu'après la découverte de la fraude commise par M. D. en février 2014, l'empêchement d'agir en responsabilité du commissaire aux comptes a perduré au-delà de cette date pour ne cesser d'exister qu'au 9 octobre 2014, date de la remise du rapport du cabinet d'expertise-comptable Egide qui a permis de révéler l'étendue des détournements opérés par M. D., l'évaluation précise du préjudice financier en résultant et la nature des fautes commises par les professionnels du chiffre chargés d'établir et de certifier ses comptes, que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité du commissaire aux comptes doit donc être fixé à cette dernière date ;

- qu'en toutes hypothèses, elle ne disposait pas de temps pour agir à la date de cessation de l'empêchement, qu'en effet le délai de prescription théorique était intégralement écoulé au jour où l'empêchement a cessé, que s'agissant des comptes de l'exercice 2009, le délai de prescription théorique a expiré le 7 juin 2013 dès lors que ces mêmes comptes ont été certifiés sans réserve par le commissaire aux comptes le 7 juin 2010, que s'agissant des comptes de l'exercice 2010, le délai de prescription théorique a expiré depuis le 24 janvier 2014 dès lors que le fait dommageable, au sens des dispositions de l'article L. 225-254 du code de commerce, s'est réalisé le 24 janvier 2011, date à laquelle le commissaire aux comptes auraient eu connaissance des opérations d'achat d'or prétendument réalisées avec la société RPT Trading Ltd et qu'il s'est fautivement abstenu de révéler aux organes sociaux en violation de son devoir d'alerte permanent.

La société AGIF Audit et Conseil et M. X. répliquent :

- que, sauf dissimulation volontaire, seul le fait dommageable (et non la date de sa découverte) constitue le point de départ du délai de prescription, que ce fait dommageable se situe au jour de la certification des comptes, soit le 14 juin 2011, que l'action engagée le 14 avril 2015 est prescrite s'agissant des comptes des exercices 2009 et 2010, que la SECCC n'avait pas encore été mandatée lors des détournements commis au cours de l'exercice 2009 ;

- que les demandes relatives aux négligences et fautes alléguées pour l'audit des comptes des années 2009 et 2010 sont prescrites depuis respectivement les 8 juin 2013 et 15 juin 2014 ;

- que la plainte pénale déposée le 19 février 2014 n'a pas interrompu la prescription ;

- que la société Sunny ne justifie d'aucun empêchement pour agir résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure de nature à reporter le point de départ du délai de prescription, étant précisé que l'ignorance des agissements frauduleux de son directeur général n'emprunte aucune de ces caractéristiques, qu'elle pouvait révoquer son directeur général ad nutum, que ses actionnaires pouvaient introduire l'action ut singuli contre lui ;

- que la société Sunny disposait du temps suffisant pour agir à compter de la date à laquelle son prétendu empêchement a cessé (date de révocation de son directeur général), qu'au titre de l'exercice 2010, elle confond fait dommageable et manquement du commissaire aux comptes à son devoir d'alerte, que ce manquement ne peut résulter du manquement au devoir du CAC d'alerter la direction de la société des « faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation » au sens de l'article L. 234-1 du code de commerce, que même en admettant que le manquement puisse résulter d'un non-respect du devoir du CAC de signaler à la direction de la société « les irrégularités et inexactitudes » qu'il découvre (le 24 janvier 2011), le délai de prescription serait arrivé à son terme avant la date de son assignation et que l'ignorance de la société Sunny résulte uniquement de sa propre négligence qui a empêché ses dirigeants à de nombreuses reprises de découvrir le mode opératoire de M. D. et les faits de détournements.

Sur ce, la cour,

Aux termes de l'article L. 822-18, devenu L. 821-38, du code de commerce, les actions en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrivent dans les conditions prévues à l'article L. 225-254.

Selon l'article L. 225-254 du même code, l'action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu'individuelle, se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.

Il résulte de ces dispositions, d'une part, que la prescription triennale de l'action en responsabilité exercée contre un commissaire aux comptes court à compter du fait dommageable, lequel ne peut résulter que de la certification des comptes à laquelle il a procédé, [l'ouverture d'une procédure collective étant sans effet sur le point de départ de la prescription,] d'autre part, que ce n'est que lorsque le commissaire aux comptes a eu la volonté de dissimuler des faits dont il a eu connaissance à l'occasion de la certification des comptes qu'elle court à compter de la révélation du fait dommageable. (Com. 27 nov. 2024, n° 23-14.208)

En l'espèce, la société Sunny Asset Management a confié le contrôle légal de ses états financiers à la SECCC X., en la personne de M. X., commissaire aux comptes, aux droits de laquelle vient la société Agif Audit et Conseil.

La lettre de mission du 16 janvier 2010 fixe le début de celle-ci à l'exercice clos le 31 décembre 2009.

Alors qu'il est reproché au commissaire aux comptes sa négligence dans la détection et le signalement des faits délictueux commis par M. D., et en ce qu'il n'est pas justifié ni même allégué que le commissaire aux comptes aurait eu la volonté de dissimuler lesdits faits dont il aurait eu connaissance à l'occasion de la certification des comptes, il est acquis que la prescription triennale de l'action en responsabilité exercée contre un commissaire aux comptes court en principe à compter de la certification des comptes, à savoir :

Pour les comptes de l'exercice 2009, le 7 juin 2010,

Pour les comptes de l'exercice 2010, le 14 juin 2011.

L'interruption de la prescription résultant du dépôt de plainte contre M. D. le 19 février 2014 n'est plus invoquée à hauteur d'appel. En revanche, il est opposé par la société Sunny afin de voir différer le point de départ de la prescription, l'impossibilité d'agir résultant d'un empêchement au sens de l'article 2234 du code civil, par suite de l'empêchement résultant du fait que son directeur général auteur des délits était le seul à être en mesure de la représenter en justice jusqu'à sa révocation le 7 février 2014 et par suite de l'ignorance de la substance des agissements frauduleux commis par celui-ci jusqu'à réception du rapport du cabinet d'expertise-comptable Egide le 9 octobre 2014.

Aux termes de l'article 2234 du code civil, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

La charge de la preuve de l'impossibilité d'agir incombe à celui qui invoque la suspension de la prescription.

En l'espèce, le fait que l'auteur du délit ait été le directeur général, seul organe disposant du pouvoir de représenter la société Sunny en justice, n'est pas constitutif d'un empêchement au sens de ce texte, et ce en raison du fait que les actions du directeur général font l'objet d'une surveillance de la part du conseil d'administration et qu'en cas de besoin, le directeur général est révocable ad nutum. L'empêchement de droit n'est donc pas caractérisé, ce qui conduit à rechercher un empêchement de fait.

L'empêchement de pur fait requiert selon la loi que soit caractérisée la « force majeure », c'est-à-dire, en substance, l'existence d'un événement insurmontable et imprévisible.

Or la société Sunny ne rapporte pas la preuve que l'ignorance des faits délictueux dans laquelle elle prétend s'être trouvée présentait un caractère imprévisible et insurmontable, preuve qui ne saurait résulter du seul fait de son ignorance.

Il ressort au contraire de la décision de la commission des sanctions de l'AMF qu'entre le 27 janvier 2011 et le 13 octobre 2014, la société Sunny n'était pas dotée d'une procédure comptable définissant les niveaux de contrôle et séparant les tâches de façon appropriée et qu'elle avait failli à son obligation de mettre en place un dispositif comptable adéquat, que l'enquête menée par l'AMF a montré l'absence de tout contrôle de la part du responsable de la conformité et du contrôle interne (RCCI), qu'aucune des fonctions ou missions dont le président du conseil d'administration M. A. a affirmé avoir assumé la charge ne se rapporte au contrôle du dispositif comptable, qu'il résulte des déclarations de la société Sunny que le rôle du conseil d'administration en matière comptable s'est limité à des contrôles de cohérence de la situation financière de la société lors de l'arrêté des comptes à l'exclusion de tout contrôle du dispositif comptable et que le président du conseil d'administration chargé de la supervision des contrôles chez Sunny a exercé de manière déficiente ce contrôle et commis plusieurs manquements en ne prêtant pas le soin requis à la réclamation de M. W. consécutivement à la perte inexpliquée des avoirs de son épouse (défaut d'enregistrement de la réclamation et des mesures prises en vue de son traitement). L'AMF a ainsi considéré que les carences des procédures et contrôles dans le domaine comptable, l'exercice déficient, en cette matière, de ses fonctions de dirigeant effectif par M. A. et le mauvais traitement d'une réclamation faisant état d'une perte inexpliquée d'une somme investie par une cliente ont amoindri les chances de détection de la disposition des fonds constituant la trésorerie de la société Sunny et l'essentiel de ses fonds propres qui au demeurant n'a été découverte qu'à la suite du contrôle de l'AMF après avoir perduré pendant trois ans.

Par ailleurs, n'est pas avéré le caractère obsolète dont se prévaut la société Sunny à l'appui de sa demande d'infirmation, de la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription (Civ. 1ère, 29 mai 2013, no 12-15.001).

Enfin, alors que la société Sunny avait révoqué son directeur général depuis le 7 février 2014, que le commissaire aux comptes avait mis en 'uvre la procédure de révélation de faits délictueux le 11 février et qu'elle avait déposé plainte le 19 février suivant auprès du procureur de la République des chefs de faux, usage de faux et d'abus de biens sociaux, suivie en cela le 23 avril 2014 par l'expert-comptable, elle ne saurait valablement prétendre qu'elle se trouvait empêchée d'agir jusqu'au 9 octobre 2014.

Elle disposait en réalité d'un laps de temps suffisant entre le 7 février 2014 et le 14 juin 2014, date d'expiration du délai pour agir au titre de la certification des comptes de l'exercice 2010.

Dans ces conditions, elle échoue à démontrer les causes d'une interruption ou d'un report de la prescription.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont dit son action prescrite au titre de la certification des comptes des exercices 2009 et 2010.

En conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef.

 

Sur la responsabilité du commissaire aux comptes :

Aux termes de l'article L. 822-17 du code de commerce, dans sa version applicable au moment des faits, les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions.

Leur responsabilité ne peut toutefois être engagée à raison des informations ou divulgations de faits auxquelles ils procèdent en exécution de leur mission.

Ils ne sont pas civilement responsables des infractions commises par les dirigeants et mandataires sociaux, sauf si, en ayant eu connaissance, ils ne les ont pas signalées dans leur rapport à l'assemblée générale ou à l'organe compétent mentionnés à l'article L. 823-1.

Les commissaires aux comptes sont en principe tenu d'une obligation de moyens, de telle sorte que leur faute réside, en principe, dans le fait de n'avoir pas mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour remplir efficacement leur mission. Devant procéder par sondages dans le cadre de sa mission de certification, il n'est pas tenu de réaliser une vérification exhaustive de la comptabilité de la société. La faute du commissaire aux comptes ne peut résider dans le fait d'avoir certifié réguliers et sincères des comptes faux mais il est nécessaire que son opinion erronée résulte de l'insuffisance des vérifications qu'il a le devoir d'effectuer en se conformant aux diligences normales établies par sa profession.

Il appartient par ailleurs à celui qui recherche la responsabilité d'un commissaire aux comptes, de démontrer la faute par lui commise, le préjudice et le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice.

La société Sunny Asset Management reproche trois fautes au commissaire aux comptes de nature à engager sa responsabilité professionnelle au titre :

- de la revue de l'organisation et du contrôle interne de la société,

- de l'audit des comptes annuels,

- du devoir d'alerte.

 

Sur les fautes commises lors de la revue de l'organisation et du contrôle interne :

Le tribunal a retenu la responsabilité de la société AGIF Audit et conseil, considérant que le CAC avait manqué à son obligation de contrôle découlant de la NEP 315.

La société Sunny reproche au commissaire aux comptes de ne pas s'être assuré d'avoir acquis l'assurance raisonnable de déceler les anomalies significatives dans les comptes, (i) de s'être abstenu d'analyser le dossier d'agrément, (ii) de ne pas avoir évalué la fiabilité du contrôle interne de la gestion de ses fonds propres alors qu'elle a précisément été sanctionnée par l'AMF en raison des carences de son dispositif comptable, (iii) de s'être focalisé uniquement sur des éléments relatifs au contrôle de l'activité de gestion de fonds pour compte de tiers, (iv) d'être responsable d'agissements qui ont conduit l'AMF à émettre un signalement au Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C).

La société AGIF Audit et Conseil venant aux droits de la SECCC et M. X. répliquent que le CAC a respecté les termes de sa mission qui ne comprennent pas la détection des fraudes en général, ni des détournements de fonds en particulier, que lors de sa prise de fonction, il a établi une note de synthèse des risques inhérents et liés au contrôle, qu'il a en outre rempli sa mission légale en prenant connaissance de l'environnement de la société Sunny et des intervenants à son contrôle interne, qu'il s'est en premier lieu assuré de l'existence d'un RCCI sur les travaux duquel il pouvait s'appuyer, qu'il a pris en compte l'existence de deux codirigeants effectifs responsables dont l'un était titulaire d'un diplôme d'expertise-comptable, qu'il a tenu compte du fait que la société Sunny était contrôlée par l'AMF qui a finalement sanctionné ses dirigeants pour leur négligence et attribué l'absence de contrôle du dispositif de contrôle au RCCI, au conseil d'administration et au président du conseil d'administration, qu'il a basé sa revue de l'environnement de la société Sunny sur son dossier d'agrément, qu'ainsi il a correctement évalué le risque d'anomalies significatives au vu des éléments objectifs qu'il a pu réunir et que le fait que le contrôle interne, dont il avait vérifié l'existence ait été défaillant, que ses dirigeants aient été négligents et que la société Sunny aient été sanctionnés à ce titre n'engagent pas sa responsabilité professionnelle.

Sur ce, la cour,

La mission de la société SECCC devenue AGIF Audit et Conseil et de M. X. comportait des obligations à la fois statutaires et conventionnelles.

La lettre de mission stipule à cet égard que la mission du CAC comprendra :

- l'audit des comptes annuels selon les normes professionnelles applicables en France,

- les autres vérifications spécifiques prévues par la loi,

- les interventions définies par la loi ou le règlement,

- les interventions définies par convention.

Elle indique que la mission d'audit des comptes annuels a pour objectif d'exprimer une opinion sur la régularité, la sincérité et l'image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de l'entité auditée à la fin de cet exercice.

Elle précise que pour y parvenir, elle procédera à la recherche d'anomalies significatives selon les normes professionnelles applicables en France en recourant à la technique des sondages et suivant six étapes, dont les trois premières sont :

- la prise de connaissance de l'évolution de l'entité et de son environnement,

- l'examen du système comptable et du contrôle interne des processus de traitement significatifs afin d'en apprécier le degré de fiabilité,

- l'identification des comptes ou transactions susceptibles de présenter des risques d'erreurs et l'évaluation de leur niveau de risque.

Elle précise également que les normes professionnelles applicables requièrent la mise en 'uvre par le CAC de diligences permettant d'obtenir l'assurance raisonnable que les comptes annuels ne comportent pas d'anomalies significatives, d'une part, et qu'il n'a pas pour objectif et ne saurait être considéré comme servant à révéler les irrégularités, détournements de fonds et fraudes éventuels.

Si la mission n'a pas pour objectif la recherche de fraudes, il n'en demeure pas moins qu'elle consiste à rechercher des anomalies significatives parmi lesquelles figurent entre autres les fraudes et les irrégularités affectant les opérations comptables enregistrées.

La norme d'exercice professionnel dénommée « CONNAISSANCE DE L'ENTITÉ ET DE SON ENVIRONNEMENT ET ÉVALUATION DU RISQUE D'ANOMALIES SIGNIFICATIVES DANS LES COMPTES » (NEP 315, dans sa version applicable homologuée par arrêté du ministre de l'économie et du budget du 19 juillet 2006), prévoit :

« 1. Le commissaire aux comptes acquiert une connaissance suffisante de l'entité, notamment de son contrôle interne, afin d'identifier et évaluer le risque d'anomalies significatives dans les comptes et afin de concevoir et mettre en 'uvre des procédures d'audit permettant de fonder son opinion sur les comptes. (...)

14. La prise de connaissance des éléments du contrôle interne pertinents pour l'audit permet au commissaire aux comptes d'identifier les types d'anomalies potentielles et de prendre en considération les facteurs pouvant engendrer des risques d'anomalies significatives dans les comptes.

Le commissaire aux comptes prend connaissance des éléments du contrôle interne qui contribuent à prévenir le risque d'anomalies significatives dans les comptes, pris dans leur ensemble et au niveau des assertions.

Pour ce faire, le commissaire aux comptes prend notamment connaissance des éléments suivants :

- l'environnement de contrôle, qui se traduit par le comportement des personnes constituant le gouvernement d'entreprise et de la direction, leur degré de sensibilité et les actions qu'ils mènent en matière de contrôle interne ;

- les moyens mis en place par l'entité pour identifier les risques liés à son activité et leur incidence sur les comptes et pour définir les actions à mettre en 'uvre en réponse à ces risques ;

- les procédures de contrôle interne en place, et notamment la façon dont l'entité a pris en compte les risques résultant de l'utilisation de traitements informatisés; ces procédures permettent à la direction de s'assurer que ses directives sont respectées ;

- les principaux moyens mis en 'uvre par l'entité pour s'assurer du bon fonctionnement du contrôle interne, ainsi que la manière dont sont mises en 'uvre les actions correctives ; (mis en gras par la cour)

- le système d'information relatif à l'élaboration de l'information financière. A ce titre, le commissaire aux comptes s'intéresse notamment :

- aux catégories d'opérations ayant un caractère significatif pour les comptes pris dans leur ensemble ;

- aux procédures, informatisées ou manuelles, qui permettent d'initier, enregistrer, traiter ces opérations et de les traduire dans les comptes ;

- aux enregistrements comptables correspondants, aussi bien informatisés que manuels ;

- à la façon dont sont traités les événements ponctuels, différents des opérations récurrentes, susceptibles d'engendrer un risque d'anomalies significatives ;

- au processus d'élaboration des comptes, y compris des estimations comptables significatives et des informations significatives fournies dans l'annexe des comptes;

- la façon dont l'entité communique sur les éléments significatifs de l'information financière et sur les rôles et les responsabilités individuelles au sein de l'entité en matière d'information financière. A ce titre, le commissaire aux comptes s'intéresse notamment à la communication entre la direction et les personnes constituant le gouvernement d'entreprise ou les autorités de contrôle, ainsi qu'aux actions de sensibilisation de la direction envers les membres du personnel afin de les informer quant à l'impact que peuvent avoir leurs activités sur l'élaboration de l'information financière.

Evaluation du risque d'anomalies significatives dans les comptes

15. Lors de sa prise de connaissance, le commissaire aux comptes identifie et évalue le risque d'anomalies significatives :

- au niveau des comptes pris dans leur ensemble ; et

- au niveau des assertions, pour les catégories d'opérations, les soldes de comptes et les informations fournies dans l'annexe des comptes.

L'évaluation des risques au niveau des assertions est basée sur les éléments collectés par le commissaire aux comptes lors de la prise de connaissance de l'entité mais elle peut être remise en cause et modifiée au cours de l'audit en fonction des autres éléments collectés au cours de la mission.

16. Le commissaire aux comptes évalue la conception et la mise en 'uvre des contrôles de l'entité lorsqu'il estime :

- qu'ils contribuent à prévenir le risque d'anomalies significatives dans les comptes, pris dans leur ensemble ou au niveau des assertions ; (mis en gras par la cour)

- qu'ils se rapportent à un risque inhérent élevé identifié qui requiert une démarche d'audit particulière. Un tel risque est généralement lié à des opérations non courantes en raison de leur importance et de leur nature ou à des éléments sujets à interprétation, tels que les estimations comptables ;

- que les seuls éléments collectés à partir des contrôles de substance ne lui permettront pas de réduire le risque d'audit à un niveau suffisamment faible pour obtenir l'assurance recherchée.

17. L'évaluation par le commissaire aux comptes de la conception et de la mise en oeuvre des contrôles de l'entité consiste à apprécier si un contrôle, seul ou en association avec d'autres, est théoriquement en mesure de prévenir, détecter ou corriger les anomalies significatives dans les comptes. (mis en gras par la cour) »

Il en résulte que dans le cadre de la prise de connaissance de l'entité contrôlée, le commissaire aux comptes se livre à une analyse des risques qui détermine l'étendue et la nature des contrôles qu'il sera amené à opérer en vue de la recherche d'anomalies significatives.

En premier lieu, la société Sunny soutient avoir constaté dans le cadre des échanges entre les parties au cours à la première instance que le CAC a admis ne pas avoir analysé son dossier d'agrément par l'AMF qui définissait la politique des placements de ses fonds propres dont le CAC devait s'assurer du respect.

La cour constate que l'objet des demandes de communications de pièces formées en juin et juillet 2021 se limitait en réalité à l'actualisation du dossier d'agrément de Sunny en 2009, qui sollicitait l'extension de son agrément à la gestion individuelle sous mandat et à l'utilisation de nouveaux produits tels que les options, les OPCVM étrangers non autorisés à la commercialisation en France hors gestion alternative et aux instruments financiers cotés sur Alternext et le Marché Libre (ainsi qu'à 90 annexes au rapport de contrôle de l'AMF du 13 octobre 2014). Ce fait ne permet pas de démontrer que le CAC n'avait pas pris connaissance ni analysé son dossier d'agrément en 2010 lors de sa prise de fonctions.

Au contraire, et comme l'affirme le CAC, la société Sunny était dotée d'un dispositif de contrôle interne dès 2009 chargé d'opérer des contrôles du placement des fonds propres et de la conformité à l'instruction AMF 2008-03, en la personne du cabinet Constantin en 2009, 2010 et début 2011 date à laquelle le contrôle a été internalisé en la personne de Mme [V], ancienne employée du Cabinet Constantin avant d'être recrutée par la société Sunny pour exercer les fonctions de RCCI à temps partiel. De même, la note d'orientation rédigée par le CAC fait expressément référence au dossier d'agrément AMF, au titre des risques liés au contrôle interne (« les contrôles devant être réalisés à ce titre sont décrits dans le dossier d'agrément AMF ») ainsi que dans l'arborescence de son dossier de travail.

Le moyen manque donc de fait.

En second lieu, la société Sunny soutient qu'à les supposer effectuées, les vérifications du système comptable et du contrôle interne de Sunny étaient de toute évidence insuffisantes, que l'AMF a identifié les imperfections du contrôle interne à compter de 2011, que le CAC n'a jamais émis au préalable la moindre réserve sur le dispositif comptable de la société, qu'il a manqué à ses obligations en n'identifiant pas les lacunes de ce dispositif interne ou les risques associés et en ne les révélant pas aux organes sociaux de la société, qu'il a également manqué à ses obligations en n'opérant pas par la suite un contrôle de deuxième niveau sur la comptabilisation des opérations réalisées par M. D. et qu'il ne saurait se retrancher derrière la présence de deux codirigeants. Elle ajoute que le commissaire aux comptes s'est contenté de procéder à une revue des risques inhérents à la seule activité de gestion pour compte de tiers, manquant à son obligation de prise de connaissance de l'organisation et de l'environnement de Sunny ainsi que des éléments du contrôle interne pertinents pour l'audit. Elle rappelle que l'AMF a signalé les manquements du commissaire aux comptes au H3C, à une époque où ce dernier n'était pas doté de pouvoirs de poursuites disciplinaires et de sanction, de sorte que la société AGIF Audit et Conseil et M. X. ne peuvent tirer argument de l'absence de poursuites disciplinaires pour en déduire qu'ils auraient correctement rempli leur mission.

La cour observe qu'il ressort de la note d'orientation de M. X. que le CAC avait identifié que la société Sunny avait « mis en place les procédures requises par la réglementation en matière de déontologie professionnelle, ainsi qu'une procédure d'investissement faisant intervenir un comité consultatif et divers niveaux de contrôle à chaque stade d'avancement des opérations.

Le Cabinet Constantin est en charge du respect de la déontologie et du contrôle interne au sein de la structure, sous la supervision du DG qui remplit les fonctions de RCCI ; les contrôles devant être réalisés à ce titre sont décrits dans le dossier d'agrément AMF. (mis en gras par la cour)

L'environnement « contrôle » contribue également à fiabiliser les processus internes ainsi que les données financières et comptables présentées :

- les OPCVM gérés sont audités par un commissaire aux comptes (ERNST & YOUNG),

- le dépositaire doit s'assurer de la régularité des décisions de la société de gestion,

- les procédures mises en place par le dépositaire d'OPCVM, dans le cadre de sa fonction de conservation des actifs, sont également audités annuellement.

Il convient en conséquence de demander communication des rapports émis par les Commissaires aux Comptes des fonds et du dépositaire, et de prendre connaissance des travaux effectués par le contrôleur externe (délégué du RCCI) au cours de l'exercice, afin de conforter ou revoir le cas échéant, notre évaluation préliminaire du risque lié au contrôle. »

Le commissaire aux comptes indique dans ses dernières écritures avoir tenu compte du fait qu'il pouvait s'appuyer sur les travaux du RCCI, de l'externalisation de la tenue de la comptabilité à un expert-comptable indépendant et de la présence de deux codirigeants effectifs responsables, dont notamment M. B., actionnaire, administrateur et titulaire d'un diplôme d'expertise-comptable.

La question qui se pose est celle de savoir si en présence d'une telle organisation et des contrôles en principe induits, la SECCC X. et M. X. qui ont indéniablement pris connaissance de l'existence des différentes procédure de contrôle mises en place au sein de l'entité, ont effectué les diligences nécessaires pour évaluer la conception et la mise en 'uvre de ces contrôles et pour s'assurer que ces procédures étaient théoriquement en mesure de prévenir, détecter ou corriger les anomalies significatives dans les comptes.

Il y a lieu de rappeler que dès 2011, les fonctions de RCCI ont été internalisées au sein de la société Sunny avec l'embauche de Mme [V], qui traitait préalablement le dossier au sein du Cabinet Constantin, M. D. étant alors RCCI.

Si le CAC aurait pu s'étonner du cumul de fonctions par M. D., qui en 2009 et 2010, était en qualité de directeur général et de RCCI, susceptible de se trouver en conflit d'intérêts en ce qu'il cumulait les fonctions de décideur et de contrôleur au sein de la société Sunny, force est de constater qu'à partir de 2011, date à partir de laquelle il a été jugé que les faits n'étaient plus prescrits, la société Sunny avait mis en place une organisation différente, internalisant la fonction de RCCI et en embauchant Mme [V] à temps partiel à cet effet, renforçant théoriquement le contrôle interne.

Le contrôle opéré par l'AMF les 24, 25 et 27 janvier 2011 et portant sur l'organisation en place en 2009 et 2010 n'a d'ailleurs pas estimé que cette organisation constituait une anomalie, bien qu'ayant dressé le constat que M. D. était « RCCI-dirigeant » et que Mme [V] du cabinet Constantin était chargée « du contrôle permanent et du contrôle périodique par délégation du RCCI avec une intervention de deux jours par mois », se référant en cela au « plan de contrôle » de Sunny.

Ce n'est que passé le 27 janvier 2011 et à l'occasion du contrôle opéré entre février et octobre 2014 que l'AMF a jugé le dispositif dysfonctionnel en estimant que la société Sunny ne s'était pas dotée d'une procédure comptable définissant les niveaux de contrôle et séparant les tâches de façon appropriée et que, de fait, le RCCI n'avait procédé à aucun contrôle effectif du dispositif comptable. L'AMF n'a cependant pas jugé bon de signaler les manquements du cabinet SECCC X. ni pointé de violation de l'obligation de diligence du CAC à ce titre dans son signalement au H3C du 26 juin 2015.

Le cabinet Egide n'a pas relevé de manquement à ce titre de la part du commissaire aux comptes.

Dans sa note technique du 28 avril 2023, M. F., expert-comptable et commissaire aux comptes honoraire missionné par la société AGIF Audit et Conseil et M. X., a estimé que l'organisation mise en place répondait aux critères de sécurité imposés par l'AMF et que les défaillances relevées par l'AMF à ce titre résultaient moins d'une insuffisance de procédures de contrôle que d'une absence d'application de ces procédures par les dirigeants.

Le rapport de M. G., expert-comptable et commissaire aux comptes missionné par la société Sunny, décrit la procédure d'audit selon laquelle le CAC doit s'assurer de l'efficacité de la conception et de la mise en œuvre des contrôles pertinents. Il y est précisé que si le commissaire aux comptes peut utiliser les travaux de tiers tels que ceux des services de contrôle interne de l'entreprise ou de l'expert-comptable, il ne peut déléguer les diligences propres à sa mission et la circonstance que les investissements étaient réalisés par un des deux actionnaires seuls signataires auprès des banques, qui caractérisait selon lui la réunion des attributions opérationnelles en une seule main, lui semblait « témoigner d'une faille du contrôle interne de la société Sunny Asset Management dont le commissaire aux comptes aurait dû s'inquiéter ».

Il appartenait en outre au CAC, selon la norme d'exercice professionnel relative à la prise en considération de fraudes lors de l'audit des comptes (NEP 240) :

« 1. Lors de la planification et de la réalisation de son audit, le commissaire aux comptes identifie et évalue le risque d'anomalies significatives dans les comptes et conçoit les procédures d'audit à mettre en œuvre en réponse à cette évaluation. Ces anomalies peuvent résulter d'erreurs mais aussi de fraudes. (…)

5. Le risque de ne pas détecter une anomalie significative dans les comptes est plus élevé en cas de fraude qu'en cas d'erreur parce que la fraude est généralement accompagnée de procédés destinés à dissimuler les faits.

6. Conformément au principe défini dans la norme « Principes applicables à l'audit des comptes mis en œuvre dans le cadre de la certification des comptes », le commissaire aux comptes fait preuve d'esprit critique et tient compte, tout au long de son audit, du fait qu'une anomalie significative résultant d'une fraude puisse exister. (mis en gras par la cour) (...)

Prise de connaissance de l'entité et de son environnement et évaluation du risque d'anomalies significatives résultant de fraudes

12. Afin d'identifier le risque d'anomalies significatives résultant de fraudes, le commissaire aux comptes, lors de sa prise de connaissance de l'entité et de son environnement, met en oeuvre des procédures d'audit qui consistent à :

- s'enquérir du risque de fraude ;

- prendre connaissance de la façon dont l'organe d'administration ou de surveillance exerce sa surveillance en matière de risque de fraude ; (mis en gras par la cour)

- analyser les facteurs de risque de fraude.

Par ailleurs, il tient compte des résultats des procédures analytiques et des informations obtenues à l'occasion d'autres procédures d'audit mises en œuvre dans le cadre de sa mission.

13. Parce que la direction est responsable du contrôle interne mis en place dans l'entité et de la préparation des comptes, le commissaire aux comptes s'enquiert auprès d'elle :

- de l'appréciation qu'elle a du risque que les comptes comportent des anomalies significatives résultant de fraudes ;

- des procédures qu'elle a mises en place pour identifier les risques de fraude dans l'entité et pour y répondre, y compris les risques spécifiques qu'elle aurait identifiés, ou les catégories d'opérations, les soldes de comptes ou les informations fournies dans l'annexe au titre desquels un risque de fraude peut exister ;

- le cas échéant, des informations qu'elle a communiquées à l'organe d'administration ou de surveillance sur les procédures mises en place pour identifier les risques de fraude dans l'entité et y répondre ; (mis en gras par la cour)

- le cas échéant, des informations qu'elle a communiquées aux employés sur sa vision de la conduite des affaires et sur la politique éthique de l'entité ;

- de la connaissance éventuelle par celle-ci de fraudes avérées, suspectées ou simplement alléguées concernant l'entité.

14. Le commissaire aux comptes s'enquiert par ailleurs auprès des personnes chargées de l'audit interne et de toute autre personne qu'il estime utile d'interroger dans l'entité de leur éventuelle connaissance de fraudes avérées, suspectées ou simplement alléguées concernant l'entité.

Il s'entretient également de ces questions avec l'organe d'administration ou de surveillance, notamment afin de corroborer les réponses apportées par la direction de l'entité.

15. L'importance accordée par l'organe d'administration ou de surveillance à la prévention de la fraude a une incidence sur le risque de fraude. Le commissaire aux comptes prend connaissance de la façon dont cet organe exerce sa surveillance sur les procédures mises en 'uvre par la direction pour identifier les risques de fraude dans l'entité et pour répondre à ces risques. (mis en gras par la cour) (...) »

La SECCC X. cite par ailleurs la NEP 265 selon laquelle le CAC est tenu, lors de la prise de connaissance de l'entité et de son environnement, et tout au long de son audit, de relever les faiblesses du contrôle interne lié à l'information comptable et financière de la société, précisant qu'il n'a pas à exprimer une opinion sur l'efficacité du contrôle interne.

Alors qu'il appartient au CAC de procéder à un examen critique du système comptable et du contrôle interne des processus de traitement significatifs afin d'en apprécier le degré de fiabilité et des principaux moyens mis en 'uvre par l'entité pour s'assurer du bon fonctionnement du contrôle interne, ainsi que la manière dont étaient mises en 'uvre les actions correctives, notamment en interrogeant les organes de direction de la société Sunny sur leur manière de détecter les risques de fraude, afin d'apprécier si le contrôle interne, seul ou en association avec d'autres, était théoriquement en mesure de prévenir, détecter ou corriger les anomalies significatives dans les comptes, notamment par suite de fraude, la SECCC X. et M. X. se sont contentés de constater la présence d'organes de contrôles (RCCI, expert-comptable externalisé et double direction) et de tenir pour acquis le « risque faible » en matière de fonds propres relevé par le RCCI de la société Sunny, M. D. auquel a succédé Mme [V], sans analyser la pertinence des procédures de communication et d'échanges entre ces organes, ni s'assurer de leur efficacité, ni s'enquérir du degré de sensibilisation au risque de fraude auprès de l'organe d'administration et de surveillance, ce qui, s'il l'avait fait, aurait dû le conduire à constater l'écueil relevé par l'AMF, à savoir l'absence de procédure comptable définissant les niveaux de contrôle et séparant les tâches de façon appropriée, puis à adapter sa propre méthodologie d'audit et à procéder à des diligences plus approfondies. Ce défaut de diligence dans l'approfondissement de l'analyse des risques a eu pour conséquence sur le niveau des contrôles qu'il a fait le choix d'opérer dans le cadre de sa mission et lui a fait perdre une chance de détecter la fraude massive mise en place par M. D..

Il en résulte que si le CAC a bien constaté l'existence d'une procédure de contrôle interne, il a manqué à son obligation de diligence dans l'évaluation des procédures de contrôle des comptes mises en œuvre au sein de la société Sunny au stade de la planification de sa procédure d'audit, en ne faisant pas preuve d'esprit critique, en ne vérifiant pas si les contrôles internes mis en place étaient opérationnels et en mesure de remplir leurs missions et se contentant de s'appuyer sur les travaux existants des organes de contrôle interne qui se sont avérés lourdement déficients selon l'AMF, ce qui par la suite l'a empêché de mettre en place les réponses appropriées (concrètement des procédures d'audit complémentaires) et l'a privé d'une chance de déceler les déficiences du contrôle interne.

La société Sunny soutient donc valablement que la déficience du contrôle interne qui a été relevée par l'AMF, pour s'être référé à des documents qui avaient été préalablement falsifiés par M. D. et ne pas avoir été en mesure de déceler les fraudes de ce dernier, ne constitue pas une cause d'exonération.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est à juste titre que le tribunal a constaté que le commissaire aux comptes a manqué à son obligation de contrôle découlant de la NEP 315.

 

Sur les fautes commises lors de l'audit des comptes annuels :

Le tribunal a retenu que la SECCC X. devenue la société AGIF Audit et conseil et M. X. avaient manqué à leur obligation de diligence en ne tenant pas compte de l'existence de placements en or et en n'effectuant pas de circularisation auprès de la société RPT Trading.

La société Sunny reproche au commissaire aux comptes de s'être abstenu de circulariser la société RPT Trading, de s'être contenté des faux documents transmis par M. D. (i) et de ne pas avoir tiré les conséquences des nombreuses erreurs commises par l'expert-comptable D., notamment en ne relevant pas l'incohérence entre deux certificats remis par M. D. qui présentaient une signature différente pour la même personne. (ii).

Le commissaire aux comptes soutient, après avoir rappelé son devoir de non immixtion dans la gestion de la société auditée et son obligation de moyens en matière d'audit et de certification des comptes, qu'il n'est pas tenu de vérifier, à tout moment de l'exercice contrôlé, l'exactitude des documents qui lui sont soumis, que son travail ne se confond pas avec celui du RCCI ;

- que le responsable de la conformité et du contrôle interne (RCCI) des sociétés de gestion a la charge du contrôle permanent et du contrôle périodique, que lesdits contrôles comprennent le contrôle de conformité, que ce dernier recouvre le contrôle et l'évaluation de l'adéquation et de l'efficacité des politiques de détection des risques de non-conformité dont le non-respect est sanctionnable par l'AMF, à l'instar du non-respect des règles de placement des fonds propres ;

- que le CAC n'a pas obligation de procéder à une vérification exhaustive de la comptabilité, que l'usage de la méthode de circularisation n'est qu'une faculté offerte par l'article L. 823-14 du code de commerce et découle d'une appréciation préalable d'un risque d'anomalies significatives, que la seule démonstration d'une erreur de jugement et d'une irrégularité comptable n'engage pas automatiquement la responsabilité du commissaire aux comptes, qu'il est nécessaire de prouver une erreur manifeste d'appréciation, que le commissaire aux comptes n'est pas responsable en cas d'infractions commises par les dirigeants (art. L. 822-17), ni lorsque la fraude est indétectable ; que l'AMF ne prohibe pas le placement de fonds propres en or ;

- que ni sa lettre de mission rédigée conformément aux normes en vigueur, ni le programme de travail au titre de l'année 2012 ne lui imposaient une circularisation systématique, seule étant obligatoire la circularisation auprès des banquiers, avocats et assureurs, qu'il n'avait relevé aucune anomalie significative l'imposant, que ce soit dans les comptes, dans les rapports du RCCI, dans les avis d'opéré ou dans les états de stock, que le CAC peut s'abstenir de circulariser s'il dispose de sources d'information de force probante équivalente, que les anomalies des avis d'opéré dont il avait connaissance n'étaient pas, isolément, flagrantes, que le placement de fonds propres en or, valeur refuge en temps de crise, ne constitue pas un anomalie significative, ce qui ne permettait pas à l'époque des faits de suspecter l'existence d'une fraude, qu'il n'avait pas à s'immiscer dans la gestion de la société, que le placement en or physique ne lui est pas apparu anormal dans le contexte de l'époque, que la comptabilisation en valeurs mobilières du placement en or n'a pas d'incidence sur le bilan soumis à son contrôle, qu'en revanche, au stade préalable de l'arrêté des comptes par les dirigeants, ces derniers avaient accès à une plaquette détaillée transmise par l'expert-comptable leur permettant de vérifier et contrôler les comptes ainsi communiqués, et donc de s'apercevoir des détournements opérés par M. D., que l'absence d'inclusion des commissions est sans incidence, que les irrégularités et anomalies n'ont pas non plus été détectées par les autres professionnels de la comptabilité, le RCCI, l'expert-comptable, l'AMF en 2011, que les falsifications de M. D. rendaient la fraude indétectable (habillage en achats d'or de fonds versés à l'Etat nigérian grâce à des factures de la société RPT Trading, communication au CAC de fausses attestations de stocks d'or au nom de RPT Trading, falsification du rapport annuel 2011 de la SECCC, falsification des relevés bancaires), que le CAC a procédé à la circularisation dès qu'il a eu connaissance d'une anomalie significative, qu'ainsi, il n'existe aucune preuve d'un manquement à ses obligations dans le cadre de l'audit des comptes de la société Sunny, qu'il ne peut lui être reproché une erreur de jugement alors même que les diligences réalisées et les éléments recueillis lors de l'audit lui octroyaient objectivement l'assurance raisonnable, qui n'avait pas à être absolue, que les comptes pris dans leur ensemble ne comportaient pas d'anomalie significative et que le fait qu'il ait été trompé par des manœuvres frauduleuses et l'écriture de faux sophistiqués ne permet pas de remettre en cause ni sa diligence, ni le respect de ses obligations professionnelles.

Sur ce, la cour,

Le code de commerce encadre les missions d'audit imparties aux commissaires aux comptes, notamment en ces termes (dans leur version en vigueur au moment des faits) :

- Les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice (article L. 823-9, alinéa 1er, du code de commerce) ;

- Les commissaires aux comptes ont pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la personne ou de l'entité dont ils sont chargés de certifier les comptes et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur.

Ils vérifient également la sincérité et la concordance avec les comptes annuels des informations données dans le rapport de gestion du conseil d'administration, du directoire ou de tout organe de direction, et dans les documents adressés aux actionnaires ou associés sur la situation financière et les comptes annuels. Ils attestent spécialement l'exactitude et la sincérité des informations relatives aux rémunérations et aux avantages de toute nature versés à chaque mandataire social.

Ils vérifient, le cas échéant, la sincérité et la concordance avec les comptes consolidés des informations données dans le rapport sur la gestion du groupe. (article L. 823-10)

- A toute époque de l'année, les commissaires aux comptes, ensemble ou séparément, opèrent toutes vérifications et tous contrôles qu'ils jugent opportuns et peuvent se faire communiquer sur place toutes les pièces qu'ils estiment utiles à l'exercice de leur mission et notamment tous contrats, livres, documents comptables et registres des procès-verbaux.

Pour l'accomplissement de leurs contrôles, les commissaires aux comptes peuvent, sous leur responsabilité, se faire assister ou représenter par tels experts ou collaborateurs de leur choix, qu'ils font connaître nommément à la personne ou à l'entité dont ils sont chargés de certifier les comptes. Ces experts ou collaborateurs ont les mêmes droits d'investigation que les commissaires aux comptes. (article L. 823-13 du code de commerce)

- Les investigations prévues à l'article L. 823-13 peuvent être faites tant auprès de la personne ou de l'entité dont les commissaires aux comptes sont chargés de certifier les comptes que des personnes ou entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle au sens de l'article L. 233-3. Elles peuvent également être faites, pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 823-9, auprès de l'ensemble des personnes ou entités comprises dans la consolidation.

Les commissaires aux comptes peuvent également recueillir toutes informations utiles à l'exercice de leur mission auprès des tiers qui ont accompli des opérations pour le compte de la personne ou de l'entité. Toutefois, ce droit d'information ne peut s'étendre à la communication des pièces, contrats et documents quelconques détenus par des tiers, à moins qu'ils n'y soient autorisés par une décision de justice.

Le secret professionnel ne peut être opposé aux commissaires aux comptes dans le cadre de leur mission, sauf par les auxiliaires de justice. (article L. 823-14 du code de commerce).

En complément, la NEP-505 relative aux demandes de confirmation des tiers, dans sa version issue de l'arrêté du 22 décembre 2006 prévoit :

« Introduction

01. Pour collecter les éléments qui lui permettent d'aboutir à des conclusions à partir desquelles il fonde son opinion sur les comptes, le commissaire aux comptes choisit parmi différentes techniques de contrôle, dont celle de la demande de confirmation des tiers. (mis en gras par la cour)

02. La présente norme a pour objet de définir les principes relatifs à l'utilisation de cette technique par le commissaire aux comptes.

Caractéristiques de la demande de confirmation des tiers

03. La demande de confirmation des tiers consiste à obtenir de la part d'un tiers une déclaration directement adressée au commissaire aux comptes concernant une ou plusieurs informations.

04. Il y a lieu de distinguer la demande de confirmation fermée par laquelle il est demandé au tiers de donner son accord sur l'information fournie de la demande de confirmation ouverte par laquelle il est demandé au tiers de fournir lui-même l'information.

05. Cette technique de contrôle est généralement utilisée pour confirmer un solde de compte et les éléments le composant, mais elle peut aussi permettre de confirmer :

‘les termes d'un contrat ou l'absence d'accords particuliers susceptibles d'avoir une incidence

sur la comptabilisation de produits ;

‘ou encore l'absence d'engagements hors bilan.

06. Le commissaire aux comptes utilise cette technique de contrôle lorsqu'il l'estime nécessaire à la collecte d'éléments suffisants et appropriés pour vérifier une assertion.

Pour ce faire, il prend en compte le risque d'anomalies significatives au niveau de l'assertion et ce qui est attendu des autres procédures d'audit planifiées en terme de réduction de ce risque. (mis en gras par la cour)

07. L'utilité de cette technique de contrôle n'est pas la même selon l'assertion à vérifier. Si elle permet par exemple de collecter des éléments fiables et pertinents sur l'existence de créances clients, elle ne permet généralement pas de collecter des éléments sur l'évaluation de ces créances, en raison de la difficulté d'interroger un tiers sur sa capacité à s'en acquitter. » (mis en gras par la cour) (...)

La NEP-530 relative à la sélection des éléments à contrôler dans sa version issue de l'arrêté du 18 juillet 2007 dispose :

« Introduction

01. Lorsque, dans le cadre de l'audit des comptes, le commissaire aux comptes met en 'uvre des tests de procédures ou des tests de détail, il sélectionne les éléments sur lesquels portent ces procédures d'audit.

02. La présente norme a pour objet de définir les principes relatifs à l'utilisation par le commissaire aux comptes de méthodes de sélection dans le cadre de l'audit des comptes.

Définition

03. Population : ensemble des données à partir desquelles le commissaire aux comptes sélectionne un échantillon et sur lesquelles il souhaite parvenir à une conclusion. Une population peut par exemple être constituée de tous les éléments d'un solde de compte ou d'une catégorie d'opérations.

Méthodes de sélection d'éléments à contrôler

04. Lors de la conception des procédures d'audit à mettre en 'uvre, le commissaire aux comptes détermine, sur la base de son jugement professionnel, les méthodes appropriées de sélection des éléments à contrôler. (mis en gras par la cour)

En fonction des caractéristiques de la population qu'il veut contrôler, le commissaire aux comptes utilise une ou plusieurs des méthodes de sélection suivantes :

- la sélection de tous les éléments ;

- la sélection d'éléments spécifiques ;

- les sondages.

Sélection de tous les éléments

05. Cette méthode de sélection est principalement utilisée lorsque la population est constituée d'un petit nombre d'éléments.

Sélection d'éléments spécifiques

06. En fonction de la connaissance qu'il a acquise de l'entité et de son environnement et de son évaluation du risque d'anomalies significatives, le commissaire aux comptes peut décider d'utiliser cette méthode de sélection notamment lorsqu'il estime pertinent: (mis en gras par la cour)

- de couvrir, en valeur, une large proportion de la population. Dans ce cas et lorsque les caractéristiques de la population le permettent, le commissaire aux comptes sélectionne les éléments dont le montant est supérieur à un montant donné qu'il fixe pour cette sélection, conformément aux principes définis dans la norme relative aux anomalies significatives et au seuil de signification ;

- de contrôler des éléments inhabituels en raison de leur importance ou de leur nature. (mis en gras par la cour)

Sondages

07. Un sondage donne à tous les éléments d'une population une chance d'être sélectionnés.

Les techniques de sélection d'échantillons dans le cadre de sondages peuvent être statistiques ou non statistiques. » (...)

En premier lieu, il est constant que la SECCC X. n'a pas circularisé la société RPT Trading lors de ses opérations de contrôle des comptes.

Se pose la question de savoir si, au vu des éléments dont il disposait à cette époque, le commissaire aux comptes a manqué à son obligation de diligence en ne circularisant pas la société RPT Trading, autrement dit s'il a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la circularisation qui est une technique de contrôle facultative, n'était pas nécessaire à la détection d'anomalies significatives, étant précisé que l'anomalie significative est une information comptable ou financière inexacte, insuffisante ou omise, en raison d'erreurs ou de fraude, d'une importance telle que, seule ou cumulée avec d'autres, elle peut influencer le jugement de l'utilisateur d'une information comptable et financière, et si c'est à juste titre, alors qu'il avait indiqué dans son programme de travail qu'il allait circulariser systématiquement les banquiers, avocats et assureurs, qu'il a considéré inutile d'y procéder avec la société RPT Trading qui se voyait confier une proportion importante des fonds propres de la société Sunny.

Des précédents développements, il apparaît que le CAC avait sous-estimé le risque résultant des insuffisances du contrôle comptable interne et ne pouvait en définitive pas se fier aux contrôles opérés par le RCCI qui de fait s'est avéré défaillant, notamment en ce qu'il était mentionné un niveau de risque bas s'agissant du contrôle du placement des fonds propres.

En outre, l'information judiciaire menée à l'encontre de M. D. qui a conduit à la condamnation de ce dernier des chefs d'abus de crédit et d'abus de biens sociaux au préjudice de la société Sunny, faux et usage de faux, de présentation de comptes inexacts, a mis en lumière un processus de triple falsification auquel se livrait ce dernier afin de dissimuler ses agissements délictueux :

Dans un premier temps et en vue de l'établissement des comptes de la société Sunny, il remettait à l'expert-comptable de fausses factures et de faux relevés bancaires présentant des opérations de vente fictives de la société RPT Trading au profit de la société Sunny en vue de l'établissement des comptes de cette dernière. Les fonds de la société Sunny n'étaient en réalité pas investis dans l'achat d'or mais reversés, après avoir transité par les comptes de la société RPT Trading, à des sociétés off-shore en vue du paiement, selon les explications de M. D., d'une créance détenue par la société de droit béninois Masterford Bénin sur la compagnie pétrolière d'Etat Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) d'un montant de 189 millions de dollars, en espérant un rendement de 5%.

Dans un second temps et en vue de la certification des comptes de la société, M. D. remettait au commissaire aux comptes de faux états valorisés du portefeuille émanant de la société RPT Trading, de faux avis d'opéré au nom de la société RPT Trading faisant état d'opérations d'achat d'or, de faux relevés de stock d'or détenus par la société RPT Trading pour le compte de la société Sunny inscrits au bilan de cette dernière aux fins de certification des comptes présentés aux actionnaires et publiés au greffe.

Enfin, M. D. falsifiait les comptes certifiés par le commissaire aux comptes faisant apparaître de faux placements en OPCVM monétaires pour les exercices 2010, 2011 et 2012 (changeant de mode opératoire à partir de l'été 2013). De telles falsifications étaient facilitées alors que le CAC communiquait à M. D., à la demande de ce dernier, des versions des comptes sociaux et des grands livres comptables certifiés aisément modifiables.

L'AMF a relevé sur ce point que les actionnaires s'étaient vu remettre en 2010 et 2012 un rapport annuel du CAC non falsifié mais ne répertoriant en annexe que les comptes simplifiés ne permettant pas de voir la ligne RPT Trading, tandis qu'en 2011, le rapport du CAC présentant en annexe les comptes détaillés avait été falsifié pour remplacer « RPT Trading » par « SG monétaire euro ».

Dès lors, le commissaire aux comptes se voyait remettre une comptabilité établie par un expert-comptable faisant état d'achat d'or et des relevés de stocks d'or concordants, et ce afin de ne pas faire apparaître de discordances lors du contrôle de cohérence opéré par le CAC et ne pas éveiller de soupçons. Ce n'est que par la suite que les versions certifiées des comptes étaient falsifiées pour faire apparaître de faux placements en OPCVM et donc dissimuler les faux placements en stock d'or aux actionnaires.

Faute de circularisation, la SECCC X. a donc limité son contrôle à la vérification de la concordance des mouvements financiers enregistrés en comptabilité avec les justificatifs apportés par M. D., avis d'opéré et attestations annuelles (faussement) émis par la société RPT Trading.

A cet égard, l'AMF a signalé au H3C le défaut de circularisation vers la société RPT Trading afin de vérifier l'existence du stock d'or.

En effet, il appartenait au CAC de prendre en compte le risque d'anomalies significatives au niveau de l'assertion.

La cour estime, nonobstant un risque jugé bas par le RCCI susceptible de l'induire en erreur, la concordance des justificatifs qui lui ont été soumis, et même si l'AMF n'a jamais relevé d'irrégularité relative au placement des fonds propres en or physique et sa comptabilisation en valeurs mobilières, que le CAC ne pouvait ignorer que les montants investis faisaient apparaître des décaissements très importants en contrepartie de l'achat d'or physique, de telle sorte qu'à partir de 2011 les placements prétendument en or physique représentaient au moins 75% de l'actif de la société Sunny, se présentant de surcroît en des termes inhabituels pour une société de gestion de portefeuille, avec des montants pour la plupart en chiffres ronds et détaillés comme suit selon le rapport de contrôle de l'AMF :

- un total de 16 727 euros en 2009,

- un total de 844 221,12 euros en 2010,

- un total de 973 664,01 euros en 2011,

- un total de 298 917,15 euros en 2012,

- un total de 560.000 euros en 2013,

soit un total de 2 693 529,28 euros.

L'enquête pénale a révélé que M. D. avait ainsi procédé entre novembre 2009 et septembre 2013 à plus de 60 virements d'un montant total de près de 3 millions d'euros, depuis les comptes bancaires de Sunny vers la société RPT Trading ou vers la société Globinvest dont il était le gérant, les virements étant directement destinés à la société béninoise Masterford entre octobre 2013 et janvier 2014.

De tels chiffres devaient conduire la SECCC X., qui par ailleurs avait utilement prévu dans son programme de travail une circularisation systématique auprès des banques et assureurs, à circulariser l'information communiquée par la société auprès de la société RPT Trading, alors sensée détenir un stock d'or de plus de 1,8 millions d'euros en 2011 et de plus de 2,1 millions en 2012, et ce d'autant plus que l'or physique, bien que considéré comme une valeur refuge, n'entrait pas dans les catégories d'investissements prévus par la demande d'agrément validée par l'AMF.

Contrairement à ce qu'affirme le CAC dans ses écritures, il n'est pas démontré que les fausses factures aient été réalisées par la société RPT Trading, l'enquête et les déclarations de M. D. au cours de celle-ci ayant montré que M. D., déclaré coupable du délit de faux et usage de faux, avait réalisé des fausses factures et de faux avis d'opéré, de sorte que l'utilité de la circularisation n'est pas remise en cause.

Dès lors, la circularisation auprès de la société RPT Trading était susceptible de permettre de mettre à jour le procédé frauduleux élaboré par M. D., et M. X. ne pouvait s'en dispenser au seul motif qu'il s'agissait d'un tiers alors qu'il avait décidé de circulariser systématiquement les banques et les assureurs, qui devaient selon la demande d'agrément validée par l'AMF être les principaux dépositaires des fonds devant être exclusivement investis en produits monétaires réguliers et sur des comptes à terme.

La circularisation opérée en 2014 est sans emport sur la caractérisation de la faute imputable aux précédents exercices.

Il s'ensuit que le CAC a manqué à son obligation de diligence en ne procédant pas à une circularisation vers la société RPT Trading.

En second lieu, sur le défaut de prise en compte des erreurs comptables alléguées il n'est pas démontré que la comptabilisation du placement en or ait été fautive à la date où elle est intervenue, alors que le plan comptable général ne prévoyait pas de compte spécifique à ce titre. Par ailleurs, le CAC a valablement pu omettre la différence de signature de deux documents, alors que ceux-ci ont été émis à un an d'écart.

De même, il n'est pas justifié que la valorisation erronée incluant le montant des commissions perçues par RPT Trading ait constitué une anomalie significative.

En revanche, la société Sunny soutient à juste titre qu'il lui appartenait de faire figurer dans l'annexe toutes les informations d'importance significative sur la situation patrimoniale et financière en application de l'article R. 123-195 du code de commerce dans sa version alors en vigueur. Ainsi, la proportion des placements en or physique dans l'actif de la société (pour mémoire 75% à partir de 2011) en faisant une information d'importance significative sur la situation patrimoniale de la société, le CAC devait s'assurer qu'elle figure dans l'annexe ce qui n'a pas été le cas en 2011 et 2012.

Le fait que l'or constitue une « valeur refuge et non spéculative » et que les travaux du RCCI n'aient « pas fait état d'anomalies au niveau des fonds propres réglementaires » comme le prétend M. X., ne dispensait pas le CAC de prendre en compte le risque inhérent à cet investissement, et, sans s'immiscer dans la gestion de la société, il devait s'assurer que cette information d'importance significative dans sa nature et sa portée était portée à la connaissance des organes d'administration ou de surveillance tout en s'assurant de sa sincérité quant à la substance des fonds propres. Au lieu de cela, M. X. a déclaré au juge d'instruction l'interrogeant sur le caractère inhabituel de cette stratégie de placement : « on ne s'est pas trop posé de questions sur le sujet ».

Il apparaît donc que la certification erronée des comptes résulte de l'insuffisance des vérifications que le commissaire aux comptes avait le devoir d'effectuer en se conformant aux diligences normales établies par sa profession.

C'est donc à bon droit que le tribunal a jugé que le CAC a manqué à son obligation de diligence à l'occasion de l'audit des comptes de la société Sunny.

 

Sur le devoir d'alerte :

Le tribunal a estimé le manquement caractérisé à ce titre.

La société Sunny soutient que le commissaire aux comptes a manqué à son devoir d'alerte à l'égard des organes sociaux issu des dispositions de l'article L. 823-12 du code de commerce en ne signalant pas que les fonds n'étaient pas exclusivement placés en produits monétaires réguliers ou en comptes à terme en violation manifeste de la politique de placement des fonds propres définie dans le programme d'activité ayant conditionné son agrément par l'AMF.

Le commissaire aux comptes répond qu'il n'a pas manqué à son obligation d'alerte en l'absence de découverte d'une irrégularité ou d'une inexactitude, qu'il a signalé les malversations en 2014 dès qu'il en a eu connaissance, qu'il n'avait pas à contrôler l'opportunité des investissements réalisés mais devait seulement s'assurer que la gestion de la trésorerie répondait à l'exigence d'un niveau de fonds propres au moins égal au quart des frais généraux annuels de l'exercice précédent et que le contrôle de la conformité du placement des fonds propres au dossier d'agrément relevait du RCCI, en l'occurrence de Mme [V].

Sur ce, la cour,

Il est reproché au commissaire aux comptes la violation des dispositions du premier alinéa de l'article L. 823-12 du code de commerce (ancien) aux termes desquelles les commissaires aux comptes signalent à la plus prochaine assemblée générale ou réunion de l'organe compétent les irrégularités et inexactitudes relevées par eux au cours de l'accomplissement de leur mission.

Il ressort de la fiche de présentation de la demande d'agrément auprès de l'AMF que la gestion des fonds propres portera exclusivement sur des produits monétaires réguliers et des comptes à terme. Elle ne prévoit pas l'investissement dans l'achat de biens en général, ni dans l'or physique en particulier. Les investissements en or physique étaient donc constitutifs d'une irrégularité.

La SECCC X. et M. X. avaient connaissance à la fois de cette demande d'agrément et des investissements de la société Sunny en or physique, si bien qu'ils ne pouvaient pas ignorer l'irrégularité. Ne l'ayant pas signalée aux organes sociaux, ils ont manqué à leur devoir d'alerte ainsi que l'a jugé le tribunal.

Une telle information était de nature à alerter le conseil d'administration et les actionnaires et à leur permettre de s'interroger sur la pertinence de ces investissements et de découvrir les détournements de M. D.

 

Sur le préjudice :

Le tribunal a jugé que si la société AGIF Audit et Conseil et M. X. avaient dès le début de la mission pris l'exacte mesure de l'environnement de la société Sunny, circularisé auprès de la société RPT Trading et alerté les organes sociaux, les détournements commis par M. D. auraient pu être détectés plus tôt et n'auraient pas été si importants. Il a cependant considéré que leur responsabilité restait mineure en présence de man'uvres frauduleuses dissimulées et d'un dispositif de contrôle interne déficient, réduisant le préjudice imputable à 10% du préjudice total, soit (2 929 585€ + 126 543€) x 10%. Il a en outre alloué une somme de 30.000 euros au titre du préjudice moral.

La société Sunny Asset Management soutient :

- que le préjudice causé par les fautes professionnelles du commissaire aux comptes consiste en une perte de chance d'éviter, d'une part, le détournement de ses actifs pendant plus de cinq exercices et d'autre part, les coûts subséquents que la fraude subie a engendrés, à savoir l'obligation de recapitaliser imposée par l'AMF comme condition du maintien de son agrément,

- que son préjudice est personnel et direct, qu'il doit être intégralement réparé, qu'il n'est pas conditionné à la démonstration d'une insolvabilité de M. D. qui a fait l'objet d'une saisie-attribution sur ses quatre comptes bancaires révélant un solde saisissable nul,

- que les fautes de M. D. n'ont pas d'incidence sur le calcul de la perte de chance contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges,

- que le tribunal a également dénaturé les faits en indiquant que les organes de contrôle interne étaient restés silencieux alors qu'ils n'avaient aucune connaissance de la prétendue détention d'or, que ses propres fautes relevées par l'AMF sont sans incidence sur le calcul de la perte de chance, qu'il n'est pas question en l'occurrence d'apprécier la violation d'une réglementation comme dans le cadre de la procédure AMF mais uniquement la responsabilité professionnelle de ses propres prestataires en matière comptable, que les administrateurs se voyaient communiquer des comptes falsifiés par M. D., que M. [Z] était un salarié gérant d'OPCVM sous mandat sans être investi d'aucune responsabilité sur l'organisation comptable, que les autres arguments développés par M. F. sont inopérants,

- qu'en définitive la seule circularisation auprès de RPT Trading aurait révélé l'absence de substance de l'actif, ou l'alerte des organes dirigeants quant à la détention d'or, que la probabilité pour la société appelante de découvrir les détournements opérés par M. D. si l'expert-comptable et le commissaire aux comptes avaient rempli correctement leur mission doit être évaluée à 100 %, ou à tout le moins qui ne saurait être inférieure à 84%, que le montant total des actifs détournés s'élève à 3 872 883,89 euros, tel que cela ressort du rapport du cabinet Egide, outre les frais nécessaires à l'augmentation de capital (honoraires du Cabinet Gide Loyrette Nouel) s'élevant à 126 543 euros,

- que le préjudice moral procède d'un préjudice de réputation et de la perspective d'un retrait d'agrément consécutive à la disparition de ses fonds propres fruit d'un travail collectif depuis sa création, qu'elle l'évalue symboliquement à la somme de 300.000 euros, montant de son capital de départ,

- qu'elle demande l'application de l'intérêt au taux légal à compter de l'assignation en application de l'article 1231-7 du code civil et anatocisme.

La société AGIF Audit et Conseil et M. X. lui opposent :

- tout d'abord que son préjudice n'est pas personnel, mais propre à ses associés qui ont procédé à la recapitalisation, que grâce au coup d'accordéon, les associés ont récupéré les participations de M. D. à bon compte,

- que le préjudice n'est pas certain car le coup d'accordéon a fait disparaître tout préjudice financier et tout risque de perte d'agrément dès le 20 août 2014, y compris en lien avec les frais d'avocats rendus nécessaires par la recapitalisation,

- que seule une somme de 2 346 766 euros correspond à l'absence de substance des valeurs mobilières de placement à l'actif du bilan de Sunny, que cette perte a été compensée par une recapitalisation de 2 millions d'euros (soit une assiette du préjudice de 346 766 euros), que seuls les détournements réalisés au titre des exercices 2011 et 2012 échappent au jeu de la prescription, que seule une partie des détournements réalisés au titre de l'exercice 2012 étaient susceptibles d'être découverts lors de l'audit (298 947 euros), qu'une perte de chance ne peut pas être égale à 100%,

- qu'il existe un risque de double indemnisation compte tenu des sommes allouées à la société Sunny par le tribunal correctionnel, en ce que M. D. aurait fait une proposition de règlement, dont la société appelante ne démontre pas qu'il est insolvable,

- qu'il n'existe pas de préjudice moral, qu'entre 2013 et 2023, la valeur de la société Sunny sur la base de ses en-cours à 10 ans a plus que doublé et s'élève à 15 millions d'euros, que le quantum de son préjudice est incertain,

- que la société appelante ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un lien de causalité direct entre les manquements qu'elle invoque et les préjudices dont elle se prévaut, qu'il convient à cet égard de faire application de la théorie de la causalité adéquate, que ce sont les détournements commis par M. D., les défaillances de la direction de la société Sunny, notamment les négligences de M. A., et les manquements du RCCI et des administrateurs qui sont à l'origine des préjudices subis, que le commissaire aux comptes n'est responsable ni des fautes des salariés ni de celles des dirigeants de la société qu'il contrôle.

Sur ce, la cour,

Pour engager la responsabilité civile professionnelle du commissaire aux comptes, le préjudice doit être certain, direct et personnel. Il peut consister en un préjudice matériel, une perte de chance réelle et sérieuse ou un préjudice moral.

La jurisprudence fait application de la théorie de la causalité adéquate. Lorsque le dommage a deux causes distinctes, le commissaire aux comptes ne peut être tenu qu'à hauteur du préjudice causé par sa propre faute. Il se peut qu'il y ait alors une condamnation in solidum (Com. 9 févr. 1988, no 86-13.121). Il a été admis que le préjudice de la société résultant de la perte d'une chance [de mettre fin à des détournements dans les meilleurs délais] est distinct de celui résultant des détournements eux-mêmes ['] le commissaire aux comptes ne saurait être tenu de rembourser les sommes détournées ou le coût global qui en est résulté pour la société’(Com. 19 oct. 1999, no 97-13.446).

En l'espèce, l'ensemble des manquements relevés ci-dessus ont fait perdre à la société Sunny une chance de détecter les fraudes commises par M. D. et donc d'éviter le préjudice causé par lesdits détournements.

Le préjudice de la société Sunny en lien direct avec les fautes du commissaire aux comptes, sa perte de chance, est distinct des pertes globales chiffrées par la société Sunny ainsi que du préjudice d'ores et déjà indemnisé par l'octroi de dommages et intérêts par le tribunal correctionnel (3 872 833,89 euros).

L'investissement de 2 millions d'euros consenti par ses actionnaires pour éviter la perte de l'agrément de l'AMF n'a pas compensé le préjudice résultant de la disparition de ces sommes contrairement à ce que soutient le commissaire aux comptes qui ne justifie pas non plus du rachat à bon compte des parts de M. D..

Il sera rappelé que compte tenu de la prescription d'une partie des faits, la perte de chance résultant des détournements de M. D. s'apprécie sur les exercices 2011, 2012 et 2013 seuls étant non prescrits.

En 2011, il a été reproché au commissaire aux comptes un défaut de diligence dans la réalisation de sa revue de l'organisation et du contrôle interne, manquement qui l'a privé d'une chance de déceler les déficiences du contrôle interne. Les préjudices liés au défaut de circularisation n'ayant pu être évités qu'à compter de la certification des comptes de l'exercice 2011, donc au plus tard en juin 2012 et non dès 2011, le taux de perte de chance retenu sera de 10% et l'assiette de 980.000 euros selon le rapport de contrôle de l'AMF.

Le calcul s'établit comme suit : 980.000 x 10% = 98.000 euros.

En 2012, tout particulièrement, si le commissaire aux comptes avait circularisé la société RPT Tracking censée détenir, selon les informations mises à sa disposition par M. D., plus de 75 % des fonds propres de Sunny fin décembre 2011, les chances de découvrir l'absence de stock d'or appartenant à Sunny dans les caisses de RPT Tracking et d'éviter des détournements de fonds propres supplémentaires étaient très élevées, alors que les fonds ne faisaient en réalité que transiter sur les comptes de RPT Tracking, de sorte qu'est majeure la perte de chance résultant à la fois du défaut de circularisation avec RPT Tracking ainsi que du manquement du commissaire aux comptes à son devoir d'alerte relatif au stock d'or. L'assiette retenue est arrondie à 300.000 euros pour tenir compte des autres détournements qui n'ont pu être évités. Le préjudice s'établit ainsi à : 300.000 euros x 70% = 210.000 euros.

En 2013, le même écueil, majeur, est à déplorer sur une assiette de 560.000 euros qui sera affectée d'un coefficient de perte de chance de 70%. D'autres détournements représentant plus de 800.000 euros ont en outre été constatés par l'AMF mais non détectés par le commissaire aux comptes, ce qui conduit à faire application d'un coefficient de 10% sur ces derniers, soit au total : (560.000x70%) + (800.000x10%) = 392.000 + 80.000 = 472.000 euros.

A cela s'ajoutent les frais d'avocat rendus nécessaires par la recapitalisation de la société Sunny, soit une dépense de 126 543 euros facturée à la société Sunny et susceptible d'avoir été évitée. La perte de chance à ce titre sera évaluée à 126 543x70% = 88 580,1 euros, arrondie à 88 580 euros.

La perte de chance imputable aux manquements ci-dessus relevés s'élève donc à 868 580 euros.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce sens.

Le préjudice de réputation de la société Sunny, qui s'est révélé temporaire puisqu'elle a malgré tout su surmonter ses difficultés, et la perspective d'un retrait d'agrément consécutive à la disparition de ses fonds propres qui étaient le fruit d'un travail collectif, ont été justement indemnisés par le tribunal par l'octroi de la somme de 30.000 euros.

En conséquence, le jugement sera confirmé de ce chef.

La cour dira que la somme de 868 580 euros portera intérêts au taux légal à compter du jour du jugement à concurrence de la somme de 305 612,80 euros et à compter du jour du présent arrêt au-delà, ainsi que l'autorise l'article 1231-7 du code civil, et avec anatocisme pour le tout (sur 868 580 euros au titre de la perte de chance et sur 30.000 euros au titre du préjudice moral).

 

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La société AGIF Audit et Conseil, venant aux droits de la société SECCC, et M. X. qui succombent, devront supporter in solidum les dépens d'appel, le jugement étant confirmé à ce titre.

Ils seront en outre condamnés à verser à la société Sunny une somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aucune considération d'équité ne justifie d'allouer une quelconque somme à la société d'expertise-comptable et à M. Y.

Titrage Responsabilité et quasi-contrats, Dommages causés par l'activité professionnelle de certaines personnes qualifiées, Demande en réparation des dommages causés par l'activité d'un expert en diagnostic, un commissaire aux comptes, un commissaire aux apports, un commissaire à la fusion ou un expert-comptable.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné in solidum la société Agif Audit et Conseil et M. X. à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 305 612,80 euros en réparation de son préjudice matériel ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne in solidum la société Agif Audit et Conseil et M. X. à payer à la société Sunny Asset Management la somme de 868 580 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement sur la somme de 305 612,80 euros et à compter du jour du présent arrêt au-delà ;

Y ajoutant,

Dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne in solidum la société AGIF Audit et Conseil, venant aux droits de la société SECCC, et M. X. aux dépens d'appel ;

Condamne in solidum la société AGIF Audit et Conseil, venant aux droits de la société SECCC, et M. X. à verser à la société Sunny Asset Management la somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société AGIF Audit et Conseil, venant aux droits de la société SECCC, et M. X. de leur demande à ce titre ;

Rejette la demande de la société Expertise Union et à M. Y. de ce même chef.

Liselotte FENOUIL                                     Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

Greffière                                                       Pésidente