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6150 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. - Présentation générale

Nature : Synthèse
Titre : 6150 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. - Présentation générale
Pays : France
Rédacteurs : Xavier HENRY
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CERCLAB - SYNTHÈSE DE JURISPRUDENCE - DOCUMENT N° 6150 (13 juin 2022)

PROTECTION CONTRE LES CLAUSES ABUSIVES DANS LE CODE CIVIL ET EN DROIT COMMUN

SANCTION DIRECTE DES DÉSÉQUILIBRES SIGNIFICATIFS - DROIT POSTÉRIEUR À L’ORDONNANCE DU 10 FÉVRIER 2016 - LOI DE RATIFICATION DU 20 AVRIL 2018 : ARTICLE 1171 DU CODE CIVIL

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Auteur : Xavier HENRY (tous droits réservés © 2022)

 

Loi d’habilitation. Est conforme à la Constitution l’art. 8 de la Loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, aux termes duquel « le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil, afin de moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme et, à cette fin : […] 2° « 2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d’information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre » ; l’habilitation conférée par les dispositions précitées à réformer par ordonnance le droit commun des contrats, le régime des obligations et le droit de la preuve est précisément définie dans son domaine et dans ses finalités ; que, par suite, cette habilitation ne méconnaît pas les exigences qui résultent de l’article 38 de la Constitution. C. constit., 12 février 2015 : décision n° 2015-710 DC ; Cerclab n° 5119.

Introduction des clauses abusives dans le Code civil : projet de réforme. Le projet de réforme officiellement présenté contenait un art. 1169 rédigé comme suit : « une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment de laquelle elle est stipulée. [alinéa 1] L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur la définition de l’objet du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. [alinéa 2] »

A. ORDONNANCE DU 10 FÉVRIER 2016

Introduction des clauses abusives dans le Code civil. Finalement, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a, en dépit des oppositions d’une partie de la doctrine, mais en prenant partiellement en compte celles-ci, choisi d’introduire pour la première fois la sanction des clauses abusives en droit commun dans le nouvel art. 1171 C. civ. qui dispose : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. [alinéa 1] L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. [alinéa 2] ».

Cet article doit être rapproché de l’article 1110 qui dans la version résultant de l’ordonnance dispose « Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties. [alinéa 1] Le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties. [alinéa 2] »

Cette consécration est une innovation, car la jurisprudence antérieure n’avait jamais consacré une prohibition des clauses abusives sur le fondement des art. 1134 (Cerclab n° 6154) et 1135 (Cerclab n° 6155), en dépit de quelques décisions en sens contraire. § Comp. pour une décision affirmant, de façon discutable, que l’art. 1171 a codifié la jurisprudence antérieure : CA Paris (pôle 5 ch. 8), 6 janvier 2021 : RG n° 17/21664 ; Cerclab n° 8722, sur appel de T. com. Paris, 27 octobre 2017 : RG n° 2017033739 ; Dnd. § V. aussi : CA Paris (pôle 5 ch. 3), 23 février 2022 : RG n° 21/02983 ; Cerclab n° 9469 (si l’art. 1171 reprend l'état du droit positif antérieur, il n'est pas applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016), sur appel de TJ Paris, 14 janvier 2021 : RG n° 20/08740 ; Dnd.

Sur l’application dans le temps, V. Cerclab n° 6151.

Observations générales. La création du nouvel art. 1171 C. civ. est d’une importance fondamentale qui justifie des développements spécifiques et un suivi autonome sur le site du Cerclab. Il convient de se limiter ici à quelques observations générales en lien avec l’art. L. 212-1 C. consom.

1/ Quant au contenu du texte, assez paradoxalement, c’est l’art. 1171 C. civ. qui exige la présence d’un contrat d’adhésion, alors que la loi du 1er février 1995 n’a pas retenu cette limitation, pourtant présente dans la directive du 5 avril 1993. La différence restera a priori ténue, les clauses négociées n’étant quasiment jamais déclarées abusives en droit de la consommation (V. Cerclab n° 6029). En revanche, l’exigence d’un contrat d’adhésion est une limitation du domaine du texte qui méritera d’être précisée (V. Cerclab n° 6152).

2/ La définition de la clause abusive, « toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties », est identique à celle figurant dans l’art. L. 212-1 C. consom. Compte tenu de l’exigence d’un contrat d’adhésion qui suppose implicitement un rapport de force entre les parties, toujours présent en droit de la consommation, et compte tenu également de l’identité de sanction, les deux dispositions semblent donc a priori relativement proches. L’écart est plus marqué entre l’art. L. 212-1 C. consom. et l’ancien art. L. 442-1-I-2° C. com. (V. Cerclab n° 6152, n° 6160 et n° 6178).

3/ L’art. 1171 C. civ. alinéa 2 s’éloigne en revanche de l’art. L. 212-1 al. 3 C. consom. En effet, ce dernier texte introduisait incorrectement la directive du 5 avril 1993, ce qui avait conduit le législateur, par l’ordonnance de 2001, à compléter l’ancien art. L. 132-1 al. 7 C. consom. pour préciser que, si l'appréciation du déséquilibre significatif ne pouvait porter sur la définition de l'objet principal du contrat ou sur l'adéquation du prix à la prestation, cette solution ne valait que si la clause était rédigée de manière claire et compréhensible. Cette incidente n’a pas été reprise dans le Code civil.

Il est permis de s’interroger sur le point de savoir si cette omission est une simple inadvertance ou un choix délibéré de limiter la portée de l’introduction de la sanction des clauses abusives en droit commun. Il est tout à fait clair que la limitation posée par l’art. L. 212-1 al. 3 C. consom. est d’une importance fondamentale dès lors qu’elle lie la formation et l’exécution du contrat dans l’appréciation du caractère abusif, approche syncrétique consacrant l’asymétrie d’information comme source de déséquilibre.

Par ailleurs, l’article L. 212-1 C. consom. vise la « définition de l’objet principal », formule qui est plus étroite que celle utilisée par le Code civil qui se contente d’évoquer « l'objet principal du contrat » ce qui limite davantage encore le domaine de la protection.

4/ L’introduction de la protection contre les clauses abusives dans le Code civil répond à l’objection qui aurait pu être élevée à la suite de la réforme du Code de la consommation. En effet, alors que, depuis la loi du 17 mars 2014, les « petits professionnels » pouvaient bénéficier partiellement des dispositions applicables en matière de contrats conclus hors établissement ou à distance (ancien art. L. 121-16-III C. consom., devenu l’art. L. 221-3 C. consom.), cette extension n’a pas été retenue pour les clauses abusives. § V. cep. en sens contraire pour la CEPC, en dépit de la lettre du texte dépourvue de toute ambiguïté : la loi du 17 mars 2014 (ancien art. L. 121-16-III C. consom.) remplace dans certains cas la notion de lien direct par la notion d’activité principale du professionnel ; si les contrats de de création et d’hébergement de site internet pour des jeunes diplômés désirant travailler comme podologues avaient été conclus après l’entrée en vigueur de cette loi, les règles relatives aux clauses abusives auraient pu s’appliquer car il s’agit de contrats conclus hors du champ de l’activité professionnelle des co-contractants. CEPC (avis), 17 avril 2015 : avis n° 15-03 ; Cerclab n° 6590.

B. LOI DE RATIFICATION N° 2018-287 DU 20 AVRIL 2018

Modification du texte. La loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 (art. 2) n’a pas conservé la rédaction initiale de l’ordonnance et elle a modifié la définition du contrat d’adhésion, ce qui a impliqué de retoucher les articles 1110 et 1171.

Selon le nouvel art. 1110, « Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties. [alinéa 1] Le contrat d'adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties. [alinéa 1] »

La modification de cette définition générale a nécessité une évolution parallèle de l’alinéa 1er de l’article 1171 qui dispose désormais : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

Sur l’application dans le temps, V. Cerclab n° 6151.

Commentaire. La modification résultant de la loi de ratification vise clairement à réduire la portée du contrôle du juge en droit commun, en soumettant ce pouvoir à la preuve d’une absence de négociabilité particulièrement délicate.

La question se pose notamment de la charge de la preuve. A partir du moment où le cocontractant du rédacteur établit que la clause était prérédigée, il devrait appartenir à celui-ci de prouver qu’elle était négociable (et une simple affirmation ne saurait suffire, a fortiori par l’insertion d’une clause de style dans les conditions générales).