T. COM PARIS (3e ch.), 17 janvier 2001
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 305
T. COM PARIS (3e ch.), 17 janvier 2001 : RG n° 2000/014001
(sur appel CA PARIS (15e ch. B), 2 mai 2003 : RG n° 2001/07908 ; arrêt n° 192)
Extrait : « Attendu qu’HYGIADIS avait au titre de l’article 12 des Conditions Générales de Location avec Option d’Achat de Matériel Informatique la possibilité d’acquérir l’équipement à la date du 31 mai 1999 moyennant le paiement d’une somme correspondant à la valeur résiduelle de l’équipement, soit 4.099 Francs HT et 17.400 Francs HT, soit au total 21.499 Francs HT ; que cette option devait être exercée au plus tard 9 mois avant la date du 31 mai 1999 ; qu’en omettant de prendre position, le contrat s’est trouvé prorogé par tacite reconduction, HYGIADIS pouvant alors y mettre fin à tout moment moyennant un préavis de 9 mois ; qu’ainsi, sans bénéficier d’aucun service en contrepartie, HYGIADIS s’est vue facturer une somme mensuelle de 72.310 Francs HT sur une durée de 9 mois, soit au total 650.790 Francs au lieu de 21.499 Francs. Mais, attendu que ledit article 12 est manifestement déséquilibré au profit du bailleur dans la mesure où, au cas où le locataire ne fait pas part de son choix dans le délai imparti, soit au moins 9 mois avant l’échéance du contrat, le bailleur se réserve le droit de s’opposer à la tacite reconduction en avisant le locataire par lettre RAR jusqu’à un mois avant la date d’échéance ; Attendu qu’ainsi les conditions fixées à l’article 12 peuvent être qualifiées d’abusives dans la mesure où la pénalisation est prohibitive et où le crédit bailleur conserve une possibilité de mettre fin au contrat dans un délai très différent (un mois avant l’échéance) de celui imposé au locataire ».
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS
TROISIÈME CHAMBRE
JUGEMENT DU 17 JANVIER 2001
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 2000/014001.
ENTRE :
La société EUROPE COMPUTER SYSTEMS « ECS »
Société Anonyme - Siège social : [adresse], PARTIE DEMANDERESSE, assistée de Maître Dominique DUFOUR, Avocat (B.22) et comparant par la SEP SEVELLEC-CHOLAY-CRESSON, Avocats (W.09)
ET :
La société QUEMENER HYGIENE «HYGIADIS »
Société Anonyme - Siège social [adresse], PARTIE DÉFENDERESSE, assistée de Maître HOCHEDELCHET, Avocat au Barreau de QUIMPER et de Maître SOL du Cabinet LECAT et associés, Avocat (P.27) et comparant par Maître Nicole DELAY-PEUCH, Avocat (A.377).
APRÈS EN AVOIR DELIBÉRÉ :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
LES FAITS :
La Société EUROPE COMPUTER SYSTEM ECS a consenti à la Société QUEMENER HYGIENE « HYGIADIS » » un contrat de crédit bail portant sur la location avec option d’achat de matériel informatique pour une durée de 36 mois à compter du 1er mai 1996. Ce contrat a fait l’objet de deux avenants ayant pour effet de repousser au 1er juin 1996 la date de départ et de modifier le montant des loyers.
ECS a consenti à HYGIADIS un deuxième contrat de crédit bail portant sur la location avec option d’achat de matériel informatique pour une durée de 25 mois à compter du 1er mai 1997.
HYGIADIS n’ayant pas fait connaître 9 mois avant la date d’échéance du 31 mai 1999 des deux contrats son intention concernant l’exercice de l’option d’achat, la restitution du matériel ou le renouvellement de la location, ECS a mis en demeure HYGIADIS courant 1999 de lui régler la somme de 136.032,50 Francs représentant deux mois de loyers et, n’ayant pas été réglée de cette somme, a décidé d’attraire HYGIADIS devant le Tribunal de céans.
[minute page 2]
LA PROCÉDURE :
Par assignation en date du 26 janvier 2000, ECS demande au Tribunal de :
- condamner HYGIADIS à lui payer la somme de 697.646,88 Francs TTC, total des loyers dus au 18 janvier 2000, ainsi que, en tant que de besoin, le montant de la sommation concernant le 9ème mois de préavis, soit 87.205,86 Francs, l’ensemble avec intérêts de droit à dater de la mise en demeure reçue le 2 août 1999 ;
- condamner HYGIADIS à lui payer les sommes de 50.000 Francs à titre de dommages et intérêts et de 12 000 Francs au titre de l’article 700 du NCPC ainsi qu’aux dépens ;
- ordonner l’exécution provisoire.
Par conclusions en date du 29 mai 2000 et conclusions récapitulatives et responsives en date du 20 novembre 2000, HYGIADIS demande au Tribunal de :
- dire et juger ECS irrecevable faute de justifier d’une qualité à agir ;
- dire et juger la clause insérée dans l’article 12 des conditions générales abusive et non écrite ;
- en conséquence débouter ECS de l’intégralité de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, dire et juger que cette clause s’analyse en une clause pénale susceptible de réduction ;
- en conséquence, dire et juger que cette somme ne saurait excéder la somme de 21.499 Francs HT correspondant au montant de l’option d’achat sur les deux contrats ;
- à titre extrêmement subsidiaire, dire et juger qu’en tout état de cause il devra être déduit des sommes dont elle serait susceptible d’être redevable la somme de 107.918,91 Francs ;
- condamner ECS à lui verser la somme de 15.000 Francs HT sur le fondement de l’article 700 du NCPC ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions en date du 9 octobre 2000 et conclusions régularisées lors de l’audience de juge rapporteur en date du 11 décembre 2000, ECS demande au Tribunal de débouter HYGIADIS de son irrecevabilité et confirme ses précédentes demandes.
MOYENS DES PARTIES :
ECS indique que :
- elle a vendu le contrat initial à FRANFINANCE, mais a racheté la prolongation du contrat, comme cela est prévu en cas de non paiement des termes de loyers restant dus ; FRANFINANCE a tardé à réagir et a continué à facturer et à présenter des [minute page 3] prélèvements sur le compte d’HYGIADIS, avant de cesser cette facturation ou d’émettre des avoirs et de rétrocéder la prolongation litigieuse à ECS ;
- son intérêt à agir est totalement rapporté et l’irrecevabilité soulevée par HYGIADIS sera rejetée ;
- la fin de non-recevoir ayant été particulièrement tardive, sa demande de dommages et intérêts à ce titre, conforme aux dispositions de l’article 123 du NCPC, à hauteur de 50.000 Francs est tout à fait fondée ;
- l’article 12 des conditions générales des deux contrats dispose que :
« à l’expiration de la période initiale de location […], le locataire aura la faculté avec un préavis de neuf mois, soit :
A) d’acquérir l’équipement dans l’état où il se trouve […] le prix sera égal à la valeur résiduelle
B) de restituer l’équipement au loueur ;
C) de demander le renouvellement de la location [..].
Si le locataire omet d’aviser le loueur de son choix dans les formes et délais requis, la location se poursuivra par tacite reconduction et chacune des parties pourra y mettre fin à tout moment en respectant un préavis de neuf mois… »
- cette clause a été validée par toutes les juridictions saisies et notamment par la Cour d’Appel de Paris ;
- il appartenait à HYGIADIS de faire connaître sa décision avant le 31 août 1999, ce qu’elle n’a pas fait, et en conséquence, les deux contrats se sont poursuivis par tacite reconduction ;
- par lettre RAR distribuée le 2 août 1999, elle a demandé à HYGIADIS le règlement de la somme de 136.032,50 Francs représentant deux mois de loyers ;
- elle est bien fondée à solliciter la condamnation d’HYGIADIS au règlement de 8 mois de loyers dus au 18 janvier 2000 pour un total de 697.646,88 Francs TTC et à faire sommation d’avoir à régler le 9ème mois de loyer pour un montant total de 87.205,86 Francs TTC ;
- contrairement à ce que soutient « HYGIADIS » , l’article 12 n’a rien d’une clause abusive, et les loyers au delà de la date d’échéance contractuelle n’ont rien d’une clause pénale.
HYGIADIS soutient que
- des factures et avoirs ont été établis à l’en tête de FRANFINANCE et il est permis de s’interroger sur le point de savoir si FRANFINANCE ne vient pas aux droits VECS, auquel cas cette dernière n’aurait pas qualité pour agir ;
- la clause contenue à l’article 12 des conditions générales de location a un caractère abusif ; dans la plupart des cas, le préavis est de 1 mois, 45 jours ou 2 mois et un préavis de 9 [minute page 4] mois est contraire à la pratique habituelle des établissements financiers de crédit-bail ;
- l’évolution jurisprudentielle a conduit à élargir le pouvoir du Juge vers l’annulation des clauses abusives ;
- le crédit bailleur n’a pas adressé à HYGIADIS un courrier RAR l’invitant à faire connaître son choix ; or à l’époque HYGIADIS se trouvait au bord du dépôt de bilan et avait d’autres préoccupations ;
- augmenter la durée de location reviendrait à enrichir indûment le crédit bailleur, la valeur résiduelle correspondant à l’option d’achat étant fixée au total à 21.499 Francs HT seulement ;
- la clause de promesse de vente sous conditions suspensives insérée à l’article 12 des conditions générales sera donc réputée non écrite, conformément aux dispositions de l’article L. 132-1 alinéa 6 du Code de la Consommation ;
- cette clause s’analyse en une clause pénale susceptible de réduction ;
- de toute manière, il devra être tenu compte des avoirs consentis par ECS le 20 décembre 1999 sur du papier à en-tête FRANFINANCE au titre des mois d’août à décembre 1999 pour un montant total de 10.918,91 Francs TTC, l’argument d’ECS qui prétend que ces avoirs auraient été consentis dans le cadre de la poursuite harmonieuse de relations commerciales ne tenant pas.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Attendu que c’est par erreur que FRANFINANCE a adressé des factures à HYGIADIS, et que toutes les factures ont donné lieu à annulation ; qu’ainsi le Tribunal dira ECS recevable en ses demandes ;
Attendu qu’HYGIADIS avait au titre de l’article 12 des Conditions Générales de Location avec Option d’Achat de Matériel Informatique la possibilité d’acquérir l’équipement à la date du 31 mai 1999 moyennant le paiement d’une somme correspondant à la valeur résiduelle de l’équipement, soit 4.099 Francs HT et 17.400 Francs HT, soit au total 21.499 Francs HT ; que cette option devait être exercée au plus tard 9 mois avant la date du 31 mai 1999 ; qu’en omettant de prendre position, le contrat s’est trouvé prorogé par tacite reconduction, HYGIADIS pouvant alors y mettre fin à tout moment moyennant un préavis de 9 mois ; qu’ainsi, sans bénéficier d’aucun service en contrepartie, HYGIADIS s’est vue facturer une somme mensuelle de 72.310 Francs HT sur une durée de 9 mois, soit au total 650.790 Francs au lieu de 21.499 Francs.
Mais, attendu que ledit article 12 est manifestement déséquilibré au profit du bailleur dans la mesure où, au cas où [minute page 5] le locataire ne fait pas part de son choix dans le délai imparti, soit au moins 9 mois avant l’échéance du contrat, le bailleur se réserve le droit de s’opposer à la tacite reconduction en avisant le locataire par lettre RAR jusqu’à un mois avant la date d’échéance ;
Attendu qu’ainsi les conditions fixées à l’article 12 peuvent être qualifiées d’abusives dans la mesure où la pénalisation est prohibitive et où le crédit bailleur conserve une possibilité de mettre fin au contrat dans un délai très différent (un mois avant l’échéance) de celui imposé au locataire ;
Attendu qu’ECS a informé HYGIADIS par un courrier en date du 16 avril 1999 que, suite à un entretien du 15 avril 1999 et après vérification auprès de ses services, il apparaissait qu’ECS n’avait reçu de sa part ni courrier de levée d’option d’achat, ni courrier de résiliation des contrats dans les délais requis, et qu’ainsi les contrats seraient prolongés de 9 mois aux mêmes loyers et que leurs dates d’échéances seraient fixées au 1er mars 2000 ; qu’il est donc manifeste qu’HYGIADIS a manifesté son désir de mettre fin au contrat au moins 6 semaines avant son échéance ;
Attendu que le retard pris par HYGIADIS pour manifester son choix n’a entraîné aucun préjudice pour ECS qui a simplement cherché à profiter de l’oubli ou de l’erreur d’HYGIADIS ; qu’ECS n’a donc pas agi de bonne foi ;
Attendu qu’ainsi, tant en raison du caractère déséquilibré des dispositions de l’article 12 des conditions générales, que de l’importance totalement disproportionnée de la pénalité résultant du dépassement de la date jusqu’à laquelle il est possible de manifester son choix, que du fait que le crédit bailleur s’abstient de rappeler au locataire qui n’est pas un professionnel du crédit-bail qu’il lui faut indiquer l’option choisie au moins 9 mois avant la date d’échéance du contrat, que du fait qu’HYGIADIS a manifesté son désir de mettre fin à la location au moins 45 jours avant l’échéance sans que cela entraîne le moindre préjudice pour ECS dans la mesure où la valeur résiduelle du matériel représentait une à deux semaines de loyers,
le Tribunal dira ECS partiellement fondée en sa demande et limitera la somme que devra verser HYGIADIS à ECS à la valeur résiduelle des contrats, soit au total à la somme de 21.499 Francs HT avec intérêts au taux légal à compter du 2 août 1999, date de la mise en demeure, déboutant pour le surplus des demandes, y compris la demande de dommages et intérêts, la fin de non recevoir ne pouvant être qualifiée d’abusive dans la mesure où c’est bien par erreur que FRANFINANCE a procédé à certaines [minute page 6] facturations qui ont toutes donné lieu à annulation.
Attendu la nature du litige, le Tribunal dira qu’il n’y a lieu ni à exécution provisoire, ni à application des dispositions de l’article 700 du NCPC.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort :
- condamne la Société Anonyme QUEMENER HYGIENE « HYGIADIS » à payer à la Société Anonyme EUROPE COMPUTER SYSTEMS « ECS » la somme de VINGT ET UN MILLE QUATRE CENT QUATRE VINGT DIX NEUF Francs HT avec intérêts au taux légal à compter du 2 août 1999 ;
- déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- dit qu’il n’y a lieu à exécution provisoire ;
- condamne la société QUEMENER HYGIENE « HYGIADIS » aux dépens, dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de: 255,23 Francs TTC (Appel : 12,56, affranchissement : 24,70, émoluments : 178,20, TVA : 39,77) soit 38,91 Euros ;
Confié, lors de l’Audience du 20 novembre 2000 à Monsieur CHARTIER en qualité de Juge-rapporteur.
Mis en délibéré le 11 décembre 2000.
Délibéré par Messieurs CHARTIER, MIFFRE et D’ARJUZON et prononcé à l’Audience Publique où siégeaient: Monsieur BLANCHARD, Président, Messieurs CHARTIER, MENAT, SCETBONDIDI, CHRISTIN, GRENIER et LAUBIE, Juges, assistés de Madame DAVOUS, Greffier.
La Minute du jugement est signée par le Président du délibéré et le Greffier.
- 5827 - Code de la consommation - Clauses abusives - Nature de la protection - Législation d’ordre public - Conséquences : clauses de renonciation dans le contrat
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- 6153 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 - Extension directe sans texte