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T. COM. PARIS (1re ch.), 21 janvier 2002

Nature : Décision
Titre : T. COM. PARIS (1re ch.), 21 janvier 2002
Pays : France
Juridiction : TCom Paris. 1re ch.
Demande : 2000/047496-2
Date : 21/01/2002
Nature de la décision : Rejet
Date de la demande : 23/05/2000
Décision antérieure : CA PARIS (1re ch. sect. A), 27 octobre 2003
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 CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 308

T. COM. PARIS (1re ch.), 21 janvier 2002 : RG n° 2000/047496-2

(sur appel CA Paris (1re ch. A), 27 octobre 2003 : RG n° 2002/09206)

 

Extrait : « Qu'il est évident que CICAA a été entraîné dans ce litige, non pas en tant que néophyte boursicoteur à protéger par les dispositions des articles L. 132-1 à L. 132-5 du Code de la Consommation, mais en tant que commerçant imprudent, soucieux de tirer trop rapidement profit d'un nouveau domaine d'intervention, qui, se croyant sorti d'une spéculation boursière bénéficiaire sur Infogrames, se précipitait sur un autre titre volatile, Club Méditerranée ».

 

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS

PREMIÈRE CHAMBRE

JUGEMENT DU 21 JANVIER 2002

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. 2000/047496.

ENTRE :

Société SA CICAA,

siège social [adresse], PARTIE DEMANDERESSE, assistée de Maître HALPERN Thomas avocat plaidant au Barreau de LYON et comparant par Maître Gilles HUVELIN avocat (D. 1188)

 

ET :

1) Société BOURSE DIRECT SA

[adresse], PARTIE DÉFENDERESSE, assistée de Maître Stéphan ALAMOWITCH, avocat plaidant (J. 38) et comparant par Maître Pierre ORTOLLAND, avocat (D. 897)

2) Société NATEXIS CAPITAL venant aux droits et obligations de la société XEOD BOURSE

société anonyme, siège social [adresse], PARTIE DÉFENDERESSE, assistée de Maître Antoine JUARISTI (Cabinet SIMMONS et SIMMONS), avocat plaidant (J. 031) et comparant par Maître Nicole DELAY-PEUCH, avocat (A.377)

 

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ :

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

L'activité juridictionnelle a été suspendue du 19 février au 26 mars 2001. Par une décision extraordinaire du 26 mars 2001, le Tribunal a décidé la reprise de cette activité à partir du 27 mars 2001. En conséquence, les parties ayant été avisées, l'affaire est rappelée.

Le 11 janvier 2000, CICAA SA opérait en bourse par l'intermédiaire de BOURSE DIRECT, chez qui elle avait ouvert un compte le 23 novembre 1999, BOURSE DIRECT donnant ordre à XEOD BOURSE - aujourd'hui NATEXIS CAPITAL - de négocier sur le marché en son nom.

Diverses opérations eurent lieu sur le titre Infogrames et sur Club Méditerranée.

CICAA SA s'étant trouvée à découvert de titres, le débouclage des opérations fin janvier s'est traduit par un solde débiteur, dont elle a couvert un tiers par chèque de 126.494,35 Francs le 14 février 2000. Cependant, elle ne s'est pas acquittée des deux autres versements de même montant auxquels elle s'était engagée.

[minute page2]

PROCÉDURE :

Par assignation du 23 mai 2000, CICAA SA a demandé au Tribunal de :

Vu le contrat liant CICAA à BOURSE DIRECT et XEOD BOURSE notamment son article 7 ;

- Juger que la vente à découvert de 8.613 titres Infogrames résulte d'une défaillance du système informatique de BOURSE DIRECT ;

- Juger que BOURSE DIRECT et XEOD BOURSE ont contrevenu à leurs obligations contractuelles envers CICAA et les condamner à réparer le dommage qui en est résulté de 685.771,41 Francs outre l'intérêt légal à compter de la mise en demeure du 5 mai 2000, éventuellement in solidum ;

- Dire que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts au taux légal à compter de la délivrance de la présente assignation, en application de l'article 1154 du Code Civil ;

- Dire qu'en raison des fautes de BOURSE DIRECT et de XEOD BOURSE, CICAA est libérée du paiement du solde de la dette qu'elle avait reconnue sous la menace ;

- Ordonner l'exécution provisoire, nonobstant appel ou opposition et sans caution du jugement à venir ;

- S'entendre les mêmes condamner au paiement de la somme de 50.000 Francs en application de l'article 700 du NCPC et en tous les dépens.

A cet acte, BOURSE DIRECT a répondu le 8 janvier 2001 par des conclusions demandant au Tribunal de :

Vu l'article 7 de la convention de compte du 30 novembre 1999,

Vu l'article 1134 du Code Civil,

- Déclarer CICAA irrecevable et mal fondée en ses demandes et la débouter ;

[minute page 3] A titre reconventionnel,

- Condamner CICAA à payer à BOURSE DIRECT 252.988,70 Francs correspondant au montant du solde débiteur de son compte.

En tout état de cause,

- Condamner CICAA au paiement de 50.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC ;

- Condamner CICAA aux entiers dépens.

 

NATEXIS CAPITAL, venant aux droits de XEOD BOURSE, a déposé elle-même des conclusions le 11 juin 2001, demandant au Tribunal de :

Vu la convention de comptes du 30 novembre 1999,

Vu les conditions particulières du 23 novembre 1999,

Vu l'article 1134 du Code Civil,

- Constater que XEOD BOURSE, aux droits desquels vient désormais NATEXIS CAPITAL, n'a pas manqué à ses obligations professionnelles ;

- Constater que CICAA a laissé un solde débiteur sur son compte ouvert chez XEOD BOURSE ;

En conséquence,

- Débouter CICAA de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Y ajoutant à titre reconventionnel,

- Condamner CICAA à payer à NATEXIS CAPITAL 252.988,70 Francs correspondant au montant du solde débiteur de son compte [minute page 4] augmentée des intérêts calculés au taux légal à compter du jour de la liquidation du mois de février 2000 ;

En tout état de cause,

- Condamner CICAA à payer à NATEXIS CAPITAL 50.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC ;

- La condamner aux entiers dépens.

 

Le demandeur CICAA, de son coté, a remis le 2 avril 2001 puis le 11 juin 2001 des conclusions « récapitulatives » dont les demandes adressées au Tribunal sont les suivantes :

Vu l'article 58 de la loi du 2 juillet 1996 et le règlement général du CMF,

Vu les articles 1147 et 1154 du Code Civil,

Vu les articles L. 132-1 à L. 132-5 du Code de la Consommation,

- Ordonner la cancellation (sic) de la phrase suivante figurant dans les conclusions déposées par BOURSE DIRECT comme étant injurieuse et sans fondement :

« Cette argumentation fondée sur une présentation volontairement elliptique et tronquée des faits qui dissimule les fautes de nature frauduleuse commises par les préposés de CICAA ne peut avoir que des conclusions erronées »

- Juger non écrites, c'est-à-dire inopposables à CICAA les dispositions des articles 3, 6, 7, 15 de la convention tripartite du 23 novembre 1999 comme étant contraires aux dispositions du Code de la Consommation ;

- Juger qu'en s'abstenant de s'informer sur les compétences boursières de CICAA, antérieurement à la signature de la convention tripartite du 23 novembre 1999 puis en exécutant aveuglément des instructions de vente à un moment qui reste ignoré alors que leur profession est tenue de conserver un horodatage desdits ordres, BOURSE DIRECT et NATEXIS CAPITAL ont méconnu les obligations qui s'imposent à elles en vertu des textes susvisés ;

- [minute page 5] Constater en particulier que la formule « dans l'intervalle » utilisée par chacune des défenderesses ne permet pas de situer avec exactitude le moment où les titres Infogrames sont effectivement sortis du patrimoine de CICAA alors que cela est essentiel ;

- Juger que la réception d'un avis d'opéré sans protestation dans les 48 heures ou dans tout autre délai ne prive pas le client donneur d'ordre de la faculté de rechercher la responsabilité professionnelle de ses intermédiaires financiers ;

- Juger, en conséquence de ce qui précède et des textes précités, que NATEXIS CAPITAL et BOURSE DIRECT ont commis une faute lourde justifiant qu'elles soient condamnées in solidum à en réparer les conséquences ;

- Fixer à 938.760,11 Francs le préjudice subi par CICAA ;

- Dire qu'à concurrence de 252.988,70 Francs cette somme se compensera avec la demande reconventionnelle de chacune des défenderesses qui, de toute manière, font double emploi de telle sorte qu'il appartiendra à telle d'entre elles de justifier de sa créance ;

- Dire que la somme de 685.771,41 Francs produira intérêt à compter du 5 mai 2000 tandis que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 23 mai 2000 et ce, par année entière ;

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à venir en ce qui concerne les dispositions qui précèdent ;

- Condamner les mêmes in solidum au paiement de la somme de 50.000 Francs en application de l'article 700 du NCPC.

 

MOYENS DES PARTIES :

A - CICAA articule son argumentation autour de quatre points :

1) Le déroulement des faits :

[minute page 6] CICAA avait constitué en décembre 1999 une provision de 76.224,51 € qui était suffisante pour couvrir l'achat de 8.613 actions Infogrames les 4, 5 et 7 janvier 2000 pour une somme de 299.345,17 €.

CICAA s'est trouvée avoir vendu deux fois 8.613 titres Infogrames le 11 janvier 2000 parce qu'un contre-ordre de la première vente n'aurait pas été pris en compte à 10 h 35, alors qu'il avait été donné à 10 h 33.

 

2) Les textes applicables :

CICAA estime que BOURSE DIRECT avait obligation de s'informer sur le niveau de compétence de son client et d'informer ce dernier sur les risques d'un ordre passé sur un marché spéculatif, ce qu'elle n'a pas fait. Elle invoque le Code de la Consommation articles L. 132-1 à L. 132-5, dont le premier cité est relatif aux clauses abusives « qui ont pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

 

3) Les responsabilités :

Pour CICAA, BOURSE DIRECT et NATEXIS CAPITAL sont solidaires et lui doivent réparation in solidum.

Leurs fautes sont d'abord de n'avoir pas attiré l'attention de CICAA dès novembre 1999 sur les risques des opérations à terme, alors que les dirigeants de CICAA n'avaient aucune culture boursière (sic), ensuite de n'avoir pas tenu en temps réel le décompte des titres et couvertures et de n'avoir pas exigé une confirmation du deuxième ordre de vente ;

D'autre part, CICAA invoque les pressions de BOURSE DIRECT sur son président lors de la conversation téléphonique du 11 février 2000 pour expliquer l'engagement que celui-ci a pris de couvrir la totalité du solde débiteur du compte de CICAA.

 

4) Dommage :

CICAA demandait initialement 685.771,41 Francs et la libération du solde impayé de la dette reconnuele11février

[minute page 7] Elle estime justifié d'y ajouter 252.988,70 Francs pour compenser la somme qui lui est demandée reconventionnellement par les défendeurs, dont les demandes à ce sujet font double emploi à ses yeux.

 

B - BOURSE DIRECT SA argumente sur les points suivants :

1) Les faits :

BOURSE DIRECT indique la succession des faits suivants pour le 11 janvier 2000 :

- 9 h 12, ordre de vendre 8.613 titres Infogrames par Internet ; confirmation télématique de la transmission ;

- 9 h 24, deuxième ordre de vente pour 8.613 titres Infogrames, par téléphone.

- Entre 9 h 24 et 10 h 33, le second ordre de vente est exécuté partiellement (1.083 titres à 36,05 €).

- Dans l'intervalle (?), le premier ordre est exécuté sur le marché pour 8.613 titres ;

- Puis à 11 h 36, ordre d'achat sur 3.166 Club Méditerranée à 96 €

- et à 12 h 07, ordre d'achat sur 400 Club Méditerranée à 95, 52 €.

D'où un engagement de 427.680 €.

- A la suite de la liquidation de janvier, défaut de couverture de 57.851,82 € (379.483,06 Francs).

Pour BOURSE DIRECT, il y a eu reconnaissance par M. X., Président de CICAA, d'une erreur de manipulation informatique sur 7.331 titres Infogrames. D'où son accord pour se libérer de sa dette de 57.851,82 € en trois versements du 14 février au 17 avril 2000, et le chèque de 126.494, 35 Francs émis le 14 février 2000. Les objections de CICAA n'ont été soulevées que le 5 mai 2000 : défaillance du système informatique de BOURSE DIRECT et violation des dispositions de l'article 7 de la convention de compte.

[minute page 8]

2) Les responsabilités :

Pour BOURSE DIRECT, le rappel des faits et l'examen des justificatifs montrent qu'il n'y a pas eu défaillance informatique chez BOURSE DIRECT et que l'erreur de manipulation a été commise par CICAA. En effet, après le premier ordre, BOURSE DIRECT a transmis une confirmation télématique ; de plus, un avis d'opéré « papier » a été envoyé au client le 11 janvier 2000, que le client avait 48 h pour contester. Puis le relevé de liquidation et le relevé de compte de la fin janvier n'ont pas davantage été contestés. Enfin, les termes de la conversation téléphonique du 11 février entre M. X. et BOURSE DIRECT ont été confirmés par CICAA, par écrit.

BOURSE DIRECT démontre ensuite que CICAA avait la couverture des opérations qu'elle sollicitait, tant qu'elle n'opérait pas par téléphone directement avec la salle des marchés.

CICAA ne peut se prévaloir d'avoir été dépourvue de couverture au niveau réglementaire pour s'exonérer de sa responsabilité. Au contraire, le respect des règles de prudence lui incombe.

 

C - NATEXIS CAPITAL qui vient au droit de XEOD BOURSE reconnaît que cette dernière a reçu initialement 500.000 Francs en novembre 1999 de CICAA.

Dans la description des faits, NATEXIS diverge de BOURSE DIRECT. Pour elle, c'est le premier ordre qui a été exécuté à la vente. Elle estime que CICAA ne met en cause aucun manquement de sa part à son devoir d'information ou de conseil.

Or c'est elle, NATEXIS CAPITAL, qui porte dans ses comptes la perte due au débouclage des opérations. Elle rejoint ensuite les arguments de BOURSE DIRECT et réclame le paiement du solde débiteur de CICAA, soit 252.988,70 Francs avec intérêts au taux légal à compter de la date de la liquidation de février 2000.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LE TRIBUNAL :

 [minute page 9] Sur les faits :

Attendu qu'il n'est pas contesté que les ordres de CICAA par Internet à BOURSE DIRECT, le 11 janvier 2000, ont été successivement :

- de vendre 8.613 actions Infogrames à 9 h 12, opération confirmée en retour par BOURSE DIRECT ;

- d'annuler cet ordre de vente à hauteur de 7.530 titres à 10 h 33 ;

- de vendre 7.530 titres à 10 h 35 ;

que tant les confirmations de BOURSE DIRECT que les dires de CICAA établissent la réalité de ces ordres - au demeurant contradictoires sans que la raison des revirements de CICAA ne soit apparente ;

Attendu qu'en particulier les conclusions récapitulatives du 2 avril 2001 de CICAA décrivent ainsi la succession des opérations :

« II - Attendu que le 11 janvier à 9 h 12, CICAA donnait ordre de vendre la position Infogrames et que, théoriquement, cela devait générer un profit de 14.000 € ;

que presque immédiatement, elle était informée que le marché n'avait pu absorber que 1.083 titres de telle sorte que subsistaient 7.530 titres en portefeuille ;

que le même jour et à 10 h 33 elle annulait son ordre de vente à concurrence de ces 7.530 titres ;

que selon les principes les plus élémentaires de la comptabilité, son portefeuille-titres comptait alors 7.530 actions Infogrames ;

III - Attendu que deux minutes plus tard, BOURSE DIRECT l'informait que le marché s'était ressaisi et pouvait absorber ses 7.530 actions ;

[minute page 10] Qu'à 10 h 35, elle donnait donc l'ordre de les vendre ; qu'il ne pouvait s'agir d'une vente à découvert » ;

Attendu que ce n'est que dans les conclusions récapitulatives du 11 juin 2001 que CICAA a introduit la phrase suivante :

« mais, et pour une raison qui n'est pas explicitée, l'annulation du premier ordre de 9 h 12 effectuée à 10 h 33 n'était pas prise en compte » ;

Attendu que si tel avait été le cas, BOURSE DIRECT aurait vendu 8.613 titres + 7.530 titres à la suite de ces ordres télématiques, ce qui n'est pas la réalité ;

Qu'en fait, compte tenu du contre-ordre de 10 h 35 revenant sur l'ordre d'annulation de 10 h 33, BOURSE DIRECT a vendu 8.613 titres de 9 h 12 à 10 h 38 conformément à l'ordre initial reçu ;

Attendu, au surplus, que l'article 3 de la convention de compte stipule : « En cas d'ordre transmis par un de ces moyens (télécopie, télex, téléphone, minitel ...), le client décharge BOURSE DIRECT et la Société de Bourse de toutes les conséquences pouvant résulter de l'utilisation de ce (s) moyen(s), notamment de celles provenant d'une défaillance technique, d'une erreur, d'une insuffisance ou imprécision des instructions ... » ;

Ainsi le Tribunal dira qu'il n'y a pas eu de défaillance télématique, que les ordres transmis par Internet ont été :

- donnés par CICAA,

- confirmés par BOURSE DIRECT,

- exécutés conformément aux instructions du client,

et qu'ils n'ouvrent droit à aucune indemnisation de CICAA, quel que soit le résultat financier qu'ils ont généré ;

Attendu, d'autre part, que BOURSE DIRECT et NATEXIS ont exécuté un ordre de vente de 8.613 actions, ordre donné par téléphone à 9 h 24 le même 11 janvier 2000 et contesté par CICAA qui affirme n'avoir eu aucun motif de donner un tel ordre à découvert pour un nombre de titres aussi particulier ;

[minute page 11] Attendu que les défendeurs prouvent la réalité de cet ordre par :

- le procès-verbal de constat établi par Maître W., huissier de justice à [ville], le 28 septembre 2000, à l'audition d'une bande ayant enregistré la conversation de la négociatrice de la société XEOD avec son interlocuteur le 11 janvier 2000 à 9 h 24, d'où il résulte qu'il a été passé un ordre de vente de 8.613 Infogrames à 36,25 € pour le compte XX qui est précisément celui de CICAA ;

- le bordereau de vente de BOURSE DIRECT portant l'heure de transaction (9 h 24) et le bordereau établi par la préposée de XEOD BOURSE pour la vente de 8.613 Infogrames à 36,25 €, ordre passé par « A. » son interlocuteur dans l'enregistrement précédent pour le compte XX ; ce bordereau porte la date du 11 janvier 2000 à 9 h 29 ;

Attendu que les défendeurs reconnaissent que, faute d'une connexion en temps réel entre le circuit des ordres télématiques et celui des ordres par téléphone, ils ne pouvaient savoir que, dix minutes plus tôt, CICAA avait donné un ordre télématique (au demeurant confirmé par la même voie par BOURSE DIRECT), ni que CICAA n'avait plus « en portefeuille » 8.613 titres Infogrames ;

Attendu que dans le compte-rendu de la conversation BOURSE DIRECT /CICAA du 11 février 2000, M. Y. pour BOURSE DIRECT affirme : « Nous avons effectivement retrouvé toutes les négociations et ordres qui ont été passés par téléphone, sur enregistrement et tous les cryptages des ordres qui ont été transmis par différents moyens télématiques ou informatiques » ;

Mais que BOURSE DIRECT ne produit pas la transcription des ordres téléphoniques alors que la contestation de CICAA est intervenue en mai 2000, donc à l'intérieur du délai de conservation de six mois, usuel dans la profession, pour ce type d'enregistrement et que l'article 3 de la convention entre les parties stipule : « Les ordres transmis par téléphone font l'objet d'un enregistrement systématique. En cas de litige entre une confirmation écrite ultérieure et l'enregistrement téléphonique, il est convenu que c'est ce dernier qui fera foi » ;

[minute page 12] Attendu, cependant, que le Tribunal a acquis la preuve que cette conversation avait eu lieu par le fait que l'ordre téléphonique de vente a été exécuté au cours limite de 36,25 €, cours fixé sur les deux bordereaux d'exécution de BOURSE DIRECT et de XEOD, que ce cours n'a pu être inventé de concert, alors que le premier ordre de vente sur Internet a été donné à 36,40 € - cours d'exécution sur 1.083 titres de 9 h 12 à 9 h 24 - et le second à 10 h 35 à 36,05 €, sur 7.530 titres ;

Attendu que, dès lors, la chronologie apparaît clairement : M. Z., comptable de CICAA, qui venait d'acheter du 4 au 7 janvier 2000, 8.613 actions Infogrames à un prix moyen de 34,46 €, a décidé de prendre son profit pour effectuer une nouvelle opération sur Club Méditerranée ; il a opéré d'abord par télématique et a donné à 9 h 12 son ordre de vente de 8.613 titres à 36,40 €. A 9 h 24, constatant (avec sans doute quelque décalage par rapport à la réalité du marché, car les cours « en temps réel » ne sont pas instantanés) qu'il ne parviendrait pas à vendre ses 8.613 titres aussi rapidement qu'espéré pour opérer - dans des conditions de couverture réglementaire - sur une nouvelle valeur, il a donné un ordre par téléphone avec un nouveau cours limite de 36,25 € ; mais il a omis de signaler à son interlocuteur de BOURSE DIRECT, M. A., qu'il avait déjà donné un ordre télématique de vente sur la totalité des titres Infogrames qu'il avait acquis au règlement mensuel et qui, de ce fait, étaient considérés comme « en portefeuille ». Le système de BOURSE DIRECT ne permettait pas à M. A. de prendre connaissance de la réalité du portefeuille de CICAA à 9 h 24 car il n'est mis à jour qu'à l'issue de l'opération de vente totale par Internet, opération qui n'était pas achevée.

M. Z. s'est reconnecté à 10 h 33. Il a annulé alors son ordre de vente sur Internet à 36,40 €, puisqu'il n'avait été exécuté qu'à hauteur de 1.083 titres, le marché ayant baissé entre 9 h 24 et 10 h 33. Ignorant que l'ordre sur 8.613 titres, donné par téléphone à 36,25 € avait, lui, été exécuté à ce cours grâce aux bons soins de Mme B. à XEOD BOURSE (« Bon, je me cache là-dessus ». « D'accord tu les voiles, OK, super » dans le compte rendu d'entretien téléphonique BOURSE DIRECT/XEOD BOURSE A. - Mme B.), M. Z. dans son nouvel ordre de vente télématique, à 10 h 35, a fixé un cours limite de 36,05 € et la vente de 7.530 Infogrames a été alors exécutée en cinq minutes et achevée à 10 h 38' 33" ;

Ainsi le Tribunal constatera-t-il qu'outre les ordres passés et exécutés par télématique, CICAA a bien donné un ordre par [minute page 13] téléphone sur 8.613 titres Infogrames, ordre qui devait être exécuté par BOURSE DIRECT et NATEXIS dans les conditions fixées par le client, ce qui fut le cas.

Le litige ne porte donc pas sur les ordres donnés et exécutés, mais sur l'insuffisante réaction des parties à la suite de ces ordres et les conséquences financières qui en résultèrent.

 

Sur la responsabilité de CICAA :

Attendu que BOURSE DIRECT fait observer que CICAA a été saisie dans les délais contractuels de tous les documents prévus pour contrôler et éventuellement contester les opérations effectuées pour son compte, à savoir :

- un avis d'opéré « papier » du 11 janvier 2000 retraçant les opérations de vente que CICAA avait 48 heures pour contester, selon les stipulations de l'article 6 de la convention de compte (« Le défaut de contestation vaut reconnaissance »),

- un relevé de liquidation du 25 janvier 2000 sur lequel CICAA n'a réagi que le 11 février 2000 par lettre de M. X. à XEOD,

- un relevé de compte du 31 janvier 2000

que l'information de CICAA par la voie de ces documents n'est pas contestée par elle ;

mais que la communication de ces documents n'a provoqué aucun retour de CICAA vers BOURSE DIRECT ;

que c'est cette dernière qui a pris l'initiative du contact avec CICAA (M. Z. comptable et opérateur sur le marché, puis M. X., Président, par téléphone le 11 février 2000) ;

qu'ainsi CICAA n'est pas fondée à dénoncer une erreur de BOURSE DIRECT sur les ordres donnés, ceux-ci ayant été approuvés tacitement, après leur exécution, par l'inaction de M. Z. ;

que tant contractuellement que financièrement M. Z. avait le devoir de réagir rapidement et qu'il n'en a rien fait, sans doute parce qu'il était conscient d'avoir effectué une erreur [minute page 14] de manipulation télématique (ainsi qu'il est dit dans le verbatim de la conversation téléphonique de M. X. ) et qu'il espérait que l'évolution du marché allait en effacer les conséquences financières ;

que l'inaction de M. Z. a été d'autant plus dommageable qu'elle a entraîné un manque à gagner pour CICAA qui, du 13 janvier au 3 février 2000, a eu continûment la possibilité d'acheter les 8.613 titres vendus à découvert par erreur et de réaliser ainsi un profit qui aurait pu excéder fortement celui qui résultait du premier aller et retour sur les titres dits « en portefeuille » ;

le Tribunal considèrera donc que CICAA ne peut s'exonérer de toute responsabilité dans le dommage financier qu'elle cherche à compenser.

 

Sur la responsabilité de BOURSE DIRECT et NATEXIS :

Attendu que CICAA a invoqué l'absence de couverture réglementaire pour contester l'exécution de ses ordres tant sur Infogrames que sur Club Méditerranée, le même jour :

Mais que l'article 7 de la convention de compte liant BOURSE DIRECT et XEOD à CICAA, signée le 23 novembre 1999, stipule que « le client s'engage à assurer un suivi personnel de ses opérations dans le respect des dispositions prévues par le règlement général du CMF pour le versement et le maintien à niveau des couvertures sur le marché du Règlement Mensuel, (ici concerné) ;

Que la jurisprudence est constante sur le fait ;

Que le client ne peut invoquer le défaut de couverture, comme le reconnaît d'ailleurs CICAA dans ses dernières conclusions récapitulatives, pour engager la responsabilité de son intermédiaire en bourse ;

Le Tribunal jugera que le défaut d'information sur ces couvertures dans la matinée du 11 janvier 2000 ne peut engager la responsabilité pour faute de BOURSE DIRECT ou de NATEXIS.

[minute page 15] Mais attendu que BOURSE DIRECT avait affaire à un client très récent, puisque CICAA n'avait signé sa convention de compte que depuis sept semaines à l'époque des faits litigieux ;

Que le client avait signé avec BOURSE DIRECT une convention dont l'article 7 stipule : « Le système proposé par la Société de Bourse et BOURSE DIRECT contrôle en temps réel, lors du passage des ordres de Bourse France et OPCVM les couvertures clients et recalcule celles-ci après chaque intervention sur les marchés ... » ;

Que BOURSE DIRECT, seule, connaissait les limites de ses systèmes d'information et notamment l'absence de raccordement en temps réel entre la télématique et la passation téléphonique d'ordres et l'absence de calcul intermédiaire de couverture en cas d'exécution partielle des ordres ;

Qu'elle a tardé à réagir sur l'absence de couverture réglementaire, puisqu'elle ne l'a fait qu'au terme de quatre semaines, alors que, comme l'a reconnu M. Y. dans sa conversation téléphonique avec M. X. le 11 février 2000, il existait « une grosse anomalie depuis quelques jours (sic) sur le portefeuille de SICAA ... Nous avons réagi parce que le portefeuille présente un défaut de couverture important ... On n'a pas pour habitude de visualiser la situation d'un portefeuille sur des montants négatifs aussi importants » ;

Que si BOURSE DIRECT avait été plus diligente, elle aurait permis à CICAA de solder sa position avec bénéfice avant le 4 février 2000 ;

Que son devoir était de fournir à son client rapidement les informations pour ce faire, voire de solder d'office sa position pour restaurer sa couverture ;

Ainsi, le Tribunal considérera que BOURSE DIRECT est partiellement responsable du dommage subi par CICAA et, usant de son pouvoir d'appréciation, fixera au quart de ce dernier la réparation due à ce titre à CICAA, soit 14.462,96 €. En revanche, le Tribunal constatera que NATEXIS CAPITAL n'a commis aucune faute dans l'exécution de son contrat avec CICAA.

[minute page 16]

Sur les autres moyens invoqués par CICAA :

Attendu que CICAA invoque pour mettre en cause la responsabilité de BOURSE DIRECT la faute qu'elle aurait commise en n'informant pas leur client sur le fonctionnement du marché, ni sur les risques spéculatifs liés aux opérations à terme ;

Que, cependant, CICAA avait décidé de spéculer en tout cas au règlement mensuel ;

Que la convention de compte a été signée par M. X. lui-même avec la mention « Lu et approuvé » ;

Que celle-ci comprenait un article 15 stipulant : « Le client déclare être parfaitement informé des conditions de fonctionnement et des règles régissant les marchés sur lesquels il intervient et des risques inhérents aux opérations qu'il réalise.

Il déclare s'engager à s'enquérir auprès de BOURSE DIRECT et, le cas échéant, auprès de la Société de Bourse de toutes difficultés notamment d'interprétation qu'il rencontrerait dans l'exécution des présentes et le traitement de ses ordres ».

Qu'en outre les « conditions particulières » de fonctionnement du compte comportaient, à la demande du client le report systématique des positions en fin de mois ;

Qu'il est évident que CICAA a été entraîné dans ce litige, non pas en tant que néophyte boursicoteur à protéger par les dispositions des articles L. 132-1 à L. 132-5 du Code de la Consommation, mais en tant que commerçant imprudent, soucieux de tirer trop rapidement profit d'un nouveau domaine d'intervention, qui, se croyant sorti d'une spéculation boursière bénéficiaire sur Infogrames, se précipitait sur un autre titre volatile, Club Méditerranée ;

Le Tribunal ne retiendra donc pas l'argumentation de CICAA sur ce point.

[minute page 17] Attendu que CICAA a formellement reconnu par écrit, sous la signature de M. X. sa dette de 57.851, 82 € le 14 février 2000 (fax), soit trois jours après la conversation téléphonique du vendredi 11 février 2000 ;

Que ce montant était justifié par une liquidation des positions de CICAA opérée par NATEXIS en concertation avec cette dernière et non d'office comme elle en avait le droit ;

Qu'ainsi BOURSE DIRECT et NATEXIS sont fondées à rejeter l'argumentation de CICAA d'une pression instantanée et excessive sur M. X. de leur part ;

Le Tribunal condamnera CICAA à payer le solde débiteur de son compte sur les livres de NATEXIS CAPITAL, soit 252.988,70 Francs.

 

Sur les demandes annexes :

Attendu que NATEXIS CAPITAL a demandé que soit appliqué à cette somme les intérêts légaux, le Tribunal les appliquera depuis la liquidation de février 2000 comme demandé, puisque M. X. a reconnu la dette de sa société le 11 février 2000 ;

Attendu que BOURSE DIRECT et NATEXIS CAPITAL demandent l'indemnisation des charges de leur défense, chacune à hauteur de 50.000 Francs ;

Le Tribunal considèrera comme équitable d'allouer à NATEXIS CAPITAL 2.000 € (13.119,14 Francs) déboutant pour le surplus.

En revanche, attendu que BOURSE DIRECT n'a pas fourni, comme elle l'aurait du, la preuve de l'ordre téléphonique donné par CICAA le 11 janvier 2001 et qu'elle succombe pour partie de ses demandes,

Le Tribunal considérera comme équitable de lui laisser la charge de sa défense.

 

Sur l'exécution provisoire :

[minute page 18] Attendu que CICAA demande l'exécution provisoire du jugement mais non BOURSE DIRECT et NATEXIS, que celle-ci ne s'impose pas, le Tribunal ne l'ordonnera donc pas.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal, statuant par jugement contradictoire en premier ressort

- condamne la société SA CICAA à payer à la société NATEXIS CAPITAL, venant aux droits et obligations de la société XEOD BOURSE SA 38.567,88 € (252.988,70 Francs), somme à accroître des intérêts légaux depuis la date de la liquidation de février 2000 jusqu'à parfait paiement ;

- condamne la société BOURSE DIRECT SA à payer à la société SA CICAA 14.462,96 € (94.870,80 Francs) à titre de dommages et intérêts pour retard à l'information complète de son client ;

- condamne la société SA CICAA à payer 2.000 € (13.119,14 Francs) à la société NATEXIS CAPITAL, venant aux droits et obligations de la société XEOD BOURSE SA au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

- déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

- condamne la société SA CICAA aux dépens dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de : 43,82 Euros TTC (App.1,91 ; Aff. 5,72 ; Emol.34,34 ; TVA.7,85).

Retenu et plaidé à l'audience publique où siégeaient Messieurs GERONIMI, ATLAN et AUBERGER.

[minute page 19] Délibéré par les mêmes magistrats et prononcé à l'audience publique où siégeaient : Monsieur SCHIFF, Président de Chambre présidant l'audience, Monsieur REINS, Président de Chambre, Madame MESNIL, Messieurs HOMO, D'ARJUZON et JULLIEN, Juges, assistés de Mademoiselle DANCHOT, Greffier. Les parties en ayant été préalablement avisées.

La minute du jugement est signée par le Président du délibéré et le Greffier