CA RENNES (1re ch. B), 24 mars 2011
CERCLAB - DOCUMENT N° 3461
CA RENNES (1re ch. B), 24 mars 2011 : RG n° 09/07432 ; arrêt n° 207
Publication : Jurica
Extrait : « En l'espèce, la clause litigieuse prévoit que le client de la société In Extenso Anjou et Maine doit agir dans un délai de trois mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance du sinistre mettant en cause sa responsabilité, cette action étant par ailleurs enfermée dans un délai de prescription de 5 ans suivant le premier jour de l'exercice au cours duquel est né le sinistre.
Cette clause convenue entre des professionnels a été retenue à bon droit dans le jugement déféré comme parfaitement valable et opposable à la SARL Centrale Distri Cycle, sans présenter de caractère abusif en raccourcissant outre mesure le délai d'action, étant observé que l’article L. 132-1 du code de la consommation a été justement écarté et n'est plus invoqué devant la cour. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
PREMIÈRE CHAMBRE B
ARRÊT DU 24 MARS 2011
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G n° 09/07432. Arrêt n° 207.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Madame Catherine LE BAIL, Président, Madame Françoise LE BRUN, Conseiller, Monsieur Jean-Pierre GIMONET, Conseiller,
GREFFIER : Madame Marie-Noëlle KARAMOUR, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 1er février 2011, devant Madame Françoise LE BRUN, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 24 mars 2011 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats, après prorogation du délibéré
APPELANTE :
Société CENTRALE DISTRI CYCLE SARL
représentée par la SCP BREBION CHAUDET, avoués, assistée de la SELARL M.P.A, avocats
INTIMÉE :
Société IN EXTENSO ANJOU ET MAINE
représentée par la SCP CASTRES COLLEU PEROT LE COULS BOUVET, avoués, assistée de la SCP WILHELM, ISCOVICI, RENAUX, PERICARD, POURDIEU, avocats
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
I - Exposé du litige :
En tant que propriétaires de magasins de vente de cycles à Brest (SARL K.) et Rennes (Distri Cycles Rennes), Messieurs X. et Y. ont décidé en 2000 de s'associer pour créer un réseau de franchise de distribution de cycles portant le nom de Distri Cycle. Et ils ont créé à cet effet la SARL Centrale Distri Cycle.
Le Cabinet In Extenso Anjou Maine est un cabinet d'expertise comptable, membre du réseau In Extenso. Et au-delà des prestations comptables déjà fournies à Distri Cycles Rennes, la société Centrale Distri Cycle lui a confié une mission d'assistance pour la mise en place de ce réseau de franchise.
Ces prestations ont évolué en faisant l'objet de trois lettres de mission des 20 septembre 2000, 18 juillet 2001 et 26 août 2003. Elles ont été facturées et réglées par la société Centrale Distri Cycle.
Après le départ de Monsieur Y. en 2003, Monsieur X. en tant que gérant de la SARL Procadre, a signifié par lettre du 9 avril 2004, la fin de la collaboration avec le cabinet In Extenso Anjou et Maine, en précisant régler les factures concernant les travaux du quatrième trimestre 2003 et du premier trimestre 2004.
Le 5 avril 2005, un des franchisés a assigné la Centrale Distri Cycle devant le tribunal de grande instance de Béthune qui a statué le 20 décembre 2006, en prononçant la nullité du contrat de franchise conclu le 17 mai 2002 et en condamnant la SARL Centrale Distri Cycle à rembourser à Distri Cycle Flandre Artois le droit d'entrée de 22.268 euros ainsi qu'à payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Estimant que ce jugement mettait en cause la société In Extenso Anjou et Maine et que l'équilibre de son réseau de franchise s'en trouvait fragilisé, tout en portant atteinte à son image de marque, la société Centrale Distri Cycle a prévenu la société In Extenso Anjou et Maine par lettre du 19 février 2008, d'avoir à répondre du préjudice causé par ses agissements, en l'invitant à aviser son assureur responsabilité professionnelle de cette mise en demeure.
La SARL Centrale Distri Cycle a fait assigner la société In Extenso Maine Anjou par acte d'huissier du 24 juin 2008, pour voir statuer sur sa responsabilité contractuelle et obtenir la réparation de son préjudice au titre du remboursement des condamnations mises à sa charge par le tribunal de grande instance de Béthune et des frais exposés à l'occasion de cette affaire, pour un montant de l'ordre de 25.133,50 euros, en réclamant en outre la réparation du préjudice causé par l'atteinte à l'image de la marque ainsi que par la perte d'une chance de bénéficier de contrats de franchise présentant l'efficacité et la sécurité juridique attendues dans ses relations avec les 24 franchisés du réseau, préjudices chiffrés respectivement à 100.000 euros et 548.808 euros.
Par jugement contradictoire du 22 septembre 2009, le tribunal de commerce de Rennes a statué au visa des articles 122 du code de procédure civile, 147 et suivants du code civil, L. 132-1 du code de la consommation, et par suite :
- S'est déclaré compétent pour connaître du litige opposant la société Centrale Distri Cycle et la SA In Extenso Anjou Maine,
- Dit que l'action engagée par Centrale Distri Cycle contre la société In Extenso Anjou Maine est prescrite ;
- Débouté Centrale Distri Cycle de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamné Centrale Distri Cycle à payer à la SA In Extenso Anjou Maine la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et débouté la SA In Extenso Anjou Maine du surplus de sa demande de ce chef ;
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Condamné Centrale Distri Cycle qui succombe aux entiers dépens ;
- Liquidé les frais de greffe à la somme de 80,85 euros tels que prévus aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.
La SARL Centrale Distri Cycle a régulièrement déclaré faire appel de ce jugement le 23 octobre 2009.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et aux dernières conclusions signifiées par les parties.
La SARL Centrale Distri Cycle a conclu le 20 janvier 2011, au visa des articles 1147 et suivants du code de procédure civile, en demandant à la cour de :
A titre principal
- Dire et juger que la clause invoquée par In Extenso au soutien de sa demande fondée sur la prescription est abusive et partante non écrite ;
En conséquence,
- Débouter In Extenso de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire
- Dire et juger que la clause invoquée par In Extenso au soutien de sa demande fondée sur la prescription est inopposable à la SARL Centrale Distri Cycle ;
En conséquence
- Débouter In Extenso de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
- Constater que la société In Extenso a failli à ses obligations contractuelles à l'égard de la SARL Districycle ;
- Constater les préjudices subis par la SARL Districycle ;
- Dire et juger qu'il existe un lien de causalité entre ces fautes contractuelles et les préjudices subis ;
En conséquence,
- Condamner la société In Extenso à réparer l'entier dommage subi par la société Distri Cycle :
- Au titre du remboursement des condamnations mises à la charge de Distri Cycle par le tribunal de grande instance de Béthune, soit :
* Principal : 22.868 euros
* Intérêts : 113,70 euros à compter de la mise en demeure du 21 février 2008
* Frais exposés par la société Distri Cycle pour se défendre devant le tribunal de grande instance de Béthune : 2.151,80 euros ;
- Décerner acte à la SARL Centrale Distri Cycle de ce qu'elle se réserve la possibilité d'appeler en garantie la société In Extenso dans l'hypothèse où l'un des franchisés remettrait en cause le contrat établi par la société In Extenso ;
- Condamner la société In Extenso à payer à la SARL Centrale Distri Cycle la somme de 548.808 euros (22.868 X 24) au titre de la réparation du préjudice causé par la perte d'une chance de bénéficier de contrats de franchises présentant l'efficacité et la sécurité juridique attendue dans ses relations avec les 24 franchisés du réseau ;
- Assortir la décision de l'exécution provisoire ;
- Condamner la société In Extenso à verser à la SARL Centrale Distri Cycle la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société In Extenso aux entiers dépens de l'instance.
La SA In Extenso Anjou et Maine a conclu le 30 décembre 2010 et demande à la cour :
A titre principal
- Vu l’article 122 du code de procédure civile
- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré prescrite l'action engagée par Distri Cycle à l'encontre d'In Extenso ;
- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté en conséquence Distri Cycle de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre d'In Extenso ;
- Débouter Distri Cycle de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre d'In Extenso ;
A titre subsidiaire
Vu les articles 1134 et 1147 et suivants du code civil
- Débouter Distri Cycle de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre d'In Extenso ;
En tout état de cause
- Vu l’article 700 du code de procédure civile
- Condamner Distri Cycle à payer à In Extenso la somme de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2011.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
II - MOTIFS :
Sur la prescription :
La SARL Centrale Distri Cycle fonde son action sur la lettre de mission qui a été adressée à Monsieur X. le 26 août 2003 et sur un jugement rendu le 20 décembre 2006 par le tribunal de grande instance de Béthune, ce jugement statuant sur une assignation lancée le 5 avril 2005 par la société Distri Cycle Flandre Artois.
L'offre de service du 26 août 2003 contient les conditions du partenariat conclu entre In Extenso Anjou et Maine et le réseau Distri Cycle. Elle mentionne expressément l'envoi en pièce jointe d'une « annexe à la lettre de mission », constituée par les conditions générales d'intervention de la société In Extenso Anjou et Maine.
Cette mission, du 26 août 2003, fait suite à celle définie dans une lettre du 20 septembre 2000, comme accessoire à une mission comptable préexistante, pour la création de la SARL Centrale Distri Cycle et l'établissement d'un contrat de franchise outre les documents pour l'enregistrement de la marque Distri Cycle. Et cette mission a été étendue par une autre lettre du 18 juillet 2001, au suivi comptable et à la gestion de la SARL Centrale Distri Cycle.
La lettre du 26 août 2003 n'a pas été retournée signée par Monsieur X. mais il se prévaut lui-même des manquements à son exécution, en la validant et sans pouvoir dès lors se prévaloir distinctement de l'absence de signature des conditions générales qui y étaient annexées et qui lui sont à ce titre opposables.
Ces conditions générales contiennent une clause « responsabilité », stipulant notamment que « Toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant une période de cinq ans commençant à courir le premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre ».
La SARL Centrale Distri Cycle fait valoir que cette clause « limitant à cinq ans le délai de prescription de l'action en responsabilité » serait contraire aux dispositions légales antérieures à la loi du 17 juin 2008, applicables au contrat, en vertu desquelles les règles de prescription et notamment les délais de prescription étaient d'ordre public et à ce titre non aménageables. Elle argue cependant des dispositions de l'article 2254 nouveau du code civil, issues de la loi du 17 juin 2008, pour soutenir que la prescription abrégée de trois mois retenue par le tribunal serait contraire à ces dispositions et devrait être à ce titre retenue comme non écrite.
La société In Extenso Anjou et Maine répond à bon droit que si la loi nouvelle a introduit, par l'article 2254 nouveau du code civil, des dispositions fixant les conditions d'un aménagement conventionnel de la prescription, ces dispositions ne sont pas d'une part applicables au cas d'espèce et se situent d'autre part dans le prolongement des précédents jurisprudentiels ayant toujours admis la possibilité pour les parties à un acte de convenir du délai de prescription applicable à leur relation, sous réserve de ne pas renoncer de manière anticipée à toute prescription, en vertu de l’article 2220 du code civil et de ne pas convenir d'une brièveté aboutissant à une élision de l'obligation.
A cette prescription quant à la mise en cause de la responsabilité, les parties peuvent adjoindre un délai préfix pour engager l'action à compter de l'événement générateur de responsabilité.
En l'espèce, la clause litigieuse prévoit que le client de la société In Extenso Anjou et Maine doit agir dans un délai de trois mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance du sinistre mettant en cause sa responsabilité, cette action étant par ailleurs enfermée dans un délai de prescription de 5 ans suivant le premier jour de l'exercice au cours duquel est né le sinistre.
Cette clause convenue entre des professionnels a été retenue à bon droit dans le jugement déféré comme parfaitement valable et opposable à la SARL Centrale Distri Cycle, sans présenter de caractère abusif en raccourcissant outre mesure le délai d'action, étant observé que l’article L. 132-1 du code de la consommation a été justement écarté et n'est plus invoqué devant la cour.
Selon l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel que le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La SARL Centrale Distri Cycle a eu connaissance des faits qu'elle prétend imputer à la société In Extenso Anjou et Maine par l'assignation du 5 avril 2005 qui a abouti au jugement rendu le 20 décembre 2006 par le tribunal de grande instance de Béthune, ce dernier retenant en définitive le comportement dolosif de la société Centrale Distri Cycle envers la société Distri Cycle Flandre Artois.
Il n'est pas fait état d'autres procédures en cours, mettant en cause le manque d'information pré-contractuelle allégué par la SARL Centrale Distri Cycle mais dont l'imputabilité resterait à établir, tandis que la marque Distri Cycle a finalement été déposée au mois d'avril 2006.
L'assignation du 24 juin 2008 a été délivrée dans le délai de prescription de cinq ans prévu dans les conditions d'intervention de la société In Extenso Anjou et Maine, mais au-delà du délai préfix de trois mois après la connaissance du sinistre invoqué par la SARL Centrale Distri Cycle, même en retenant la date du jugement du 20 décembre 2006 qu'elle précise être définitif.
Et même sans mention expresse dans le contrat, le non-respect du délai d'action entraîne nécessairement la forclusion, ce qui rend irrecevable la SARL Centrale Distri Cycle en son action contre la société In Extenso Anjou et Maine.
Le tribunal a retenu à bon droit l'application de l’article 122 du code de procédure civile pour écarter les demandes de la SARL Centrale Distri Cycle, mais la décision doit être réformée dans sa formulation, en déclarant que l'action engagée par Centrale Distri Cycle contre la société In Extenso Anjou Maine est forclose.
Sur les frais et dépens :
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions sur les frais et dépens et au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La SARL Centrale Distri Cycle qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société In Extenso Anjou et Maine la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR :
Réforme le jugement déféré en ses dispositions déclarant que l'action engagée par Centrale Distri Cycle contre la société In Extenso Anjou et Maine est prescrite ;
Statuant de nouveau,
Déclare irrecevable l'action de la SARL Centrale Distri Cycle à l'encontre de la société In Extenso Anjou et Maine, car forclose ;
Confirme pour le surplus les dispositions du jugement déféré ;
Y ajoutant,
Condamne la SARL Centrale Distri Cycle à payer à la SA In Extenso Anjou et Maine la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Centrale Distri Cycle aux dépens d'appel, recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile
Le Greffier, Le Président.
- 5860 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection implicite
- 5912 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus en vue d’une activité - Démarrage d’une activité principale
- 5919 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus en vue d’une activité - Adjonction d’une activité supplémentaire : autres contrats
- 6153 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 - Extension directe sans texte