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CA DOUAI (2e ch. sect. 1), 28 janvier 2010

Nature : Décision
Titre : CA DOUAI (2e ch. sect. 1), 28 janvier 2010
Pays : France
Juridiction : Douai (CA), 2e ch. sect. 1
Demande : 08/04397
Décision : 48/10
Date : 28/01/2010
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 23/06/2008
Décision antérieure : CASS. COM., 6 septembre 2011
Numéro de la décision : 48
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3627

CA DOUAI (2e ch. sect. 1), 28 janvier 2010 : RG n° 08/04397 ; arrêt n° 48/10 

(sur pourvoi Cass. com., 6 septembre 2011 : pourvoi n° 10-11975)

 

Extraits : 1/ « L'affirmation de la société LESAFFRE selon laquelle la loi thaïlandaise serait applicable est sans fondement ; la jurisprudence s'accorde à dire que l'article L. 442-6-1 5èmement s'impose à une société française que son partenaire soit lui-même français ou étranger lorsque son application est recherchée devant une juridiction française à propos d'un litige ayant pour objet la rupture de relations commerciales établies résultant pour l'essentiel de l'exécution d'un contrat de distribution que les parties ont entendu soumettre au droit français et se trouvant par-là aussi rattaché à l'ordre juridique français. La société LESAFFRE ayant son siège social dans le ressort du tribunal de commerce de Lille, cette juridiction a été à bon droit saisie par la société Denis. En tout état de cause, la mise en œuvre de l'article L. 442-6-1 a bien un fondement délictuel qui entraîne l'application du lieu où le dommage survient qui s'entend aussi bien du lieu du fait générateur que du lieu de la réalisation du dommage au choix du demandeur, le fait générateur s'entendant au cas d'espèce de la décision prise en France le 25 mai 1999 et le règlement CE 864/2007 invoqué étant inapplicable ici pour la question d'application de la loi dans le temps. Ainsi l'action menée par les deux sociétés, dont le fondement n'est pas discuté, est bien soumise au droit français. »

2/ « L'action se fonde sur le préjudice qu'elle invoque à raison de la rupture de la relation commerciale existant entre la société DENIS FRÈRES, son fournisseur, et la société LESAFFRE. Dans un arrêt du 6 octobre 2006, l'assemblée plénière de la cour de cassation a pris parti sur la question de la responsabilité du débiteur vis à vis du tiers auquel le manquement à une obligation contractuelle a causé un dommage ; la haute juridiction y fait clairement allusion à la responsabilité délictuelle : il appartient donc à la cour de rechercher s'il existe bien de la part de LESAFFRE une faute, un dommage et un lien entre les deux. De par son attitude vis à vis de DENIS FRÈRES avec laquelle elle a brutalement rompu les relations, la société LESAFFRE a commis une faute de nature à entraîner un préjudice immédiat pour CCS qui assurait la revente des produits LESAFFRE et n'a pas disposé du temps utile à son obligatoire reconversion. Elle a inévitablement subi une perte de chiffre d'affaires en lien avec ce manquement initial. Elle a donc un intérêt à agir. »

 

COUR D’APPEL DE DOUAI

DEUXIÈME CHAMBRE SECTION 1

ARRÊT DU 28 JANVIER 2010

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 08/04397. Arrêt n° 48/10. Jugement (N° 00/02609) rendu le 12 mars 2008 par le Tribunal de Commerce de ROUBAIX TOURCOING.

 

APPELANTES :

Société de droit thaïlandais COMMERCIAL COMPANY OF SIAM (CCS)

prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège social [adresse],

SAS DENIS FRÈRES

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, ayant son siège social [adresse], Représentées par la SCP CARLIER-REGNIER, avoués à la Cour, Assistées de Maître Véronique FODOR, avocat à PARIS

 

INTIMÉE :

SA INDUSTRIELLE LESAFFRE

représentée par ses dirigeants légaux, ayant son siège social [adresse], Représentée par la SCP COCHEME-LABADIE-COQUERELLE, avoués à la Cour, Assistée de la SCP BAKER ET MCKENZIE, avocats à PARIS

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Christine PARENTY, Président de chambre, Jean Michel DELENEUVILLE, Conseiller, Sophie VALAY-BRIERE, Conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Véronique DESMET

DÉBATS à l'audience publique du 26 novembre 2009 après rapport oral de l'affaire par Christine PARENTY. Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2010 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Christine PARENTY, Président, et Véronique DESMET, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 novembre 2009

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu le jugement contradictoire du 12 mars 2008 du tribunal de commerce de ROUBAIX TOURCOING ayant débouté la COMMERCIAL COMPANY OF SIAM, dit que la loi française était applicable, débouté la société DENIS FRÈRES de sa demande de dommages et intérêts, débouté la société LESAFFRE de ses demandes reconventionnelles, débouté les parties du surplus de leurs demandes, condamné la société DENIS FRÈRES à payer 5.000 euros sur la base de l’article 700 du Code de Procédure Civile à la société LESAFFRE ;

Vu l'appel interjeté le 23 juin 2008 par la COMMERCIAL COMPANY OF SIAM et la SAS DENIS FRÈRES ;

Vu les conclusions déposées le 4 novembre 2009 pour la société LESAFFRE ;

Vu les conclusions déposées le 20 mai 2009 pour la COMMERCIAL COMPANY OF SIAM et la SAS DENIS FRÈRES ;

Vu l'ordonnance de clôture du 23 novembre 2009 ;

Les sociétés appelantes ont interjeté appel aux fins de se voir déclarer recevables, de voir dire et juger que les sociétés DENIS FRÈRES et LESAFFRE ont été liées par des relations commerciales établies depuis 25 ans, de dire qu'un préavis suffisant aurait dû être octroyé à la société DENIS FRÈRES compte tenu de l'ancienneté des relations, de dire que la rupture est abusive, qu'un préavis de 2 ans aurait dû être octroyé, de constater que les sociétés CCS et DENIS FRÈRES commercialisaient les levures LESAFFRE sous marque de distributeur conformément au dépôt à l'INPI, de dire qu'un préavis de 4 ans aurait dû être octroyé à la société CCS (cette dernière demande ayant été abandonnée à l'audience), de dire que de toute façon elle a subi un préjudice, de condamner la société LESAFFRE à verser à la société CCS la somme de 2.416.530,90 euros en réparation du préjudice financier, à verser à la société DENIS FRÈRES à titre de dommages et intérêts 66.095 euros correspondant aux commissions qu'elle aurait dû percevoir pendant les deux années de préavis, avec intérêts depuis la première mise en demeure du 4 juin 1999, de dire que les relations commerciales étaient régies par les conditions générales de vente de la société LESAFFRE précisant que la loi française est applicable à tout litige, même en cas de pluralité de défendeurs, de dire que la loi française a vocation à s'appliquer dès lors que le litige a pour objet la rupture de relations commerciales établies que les parties ont entendu soumettre au droit français, subsidiairement de juger que la société LESAFFRE ne rapporte pas la preuve du contenu de la loi thaïlandaise, encore plus subsidiairement de constater que la loi française devrait être applicable du fait de la mise en œuvre des critères de rattachement ; la CCS réclame 15.000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

L'intimée forme un appel incident et sollicite la réformation de la décision en ce qu'elle a dit la loi française applicable et l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles ; elle demande à la Cour de dire que la loi thaïlandaise est applicable, de débouter la société CCS et la société DENIS FRÈRES, de condamner la société DENIS FRÈRES à lui payer 42.685 euros représentant le préjudice né de l'annulation fautive des commandes, 152.449 euros en réparation du préjudice occasionné par l'exécution déloyale des relations contractuelles ; elle demande leur condamnation à lui payer 15.000 euros en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Selon les appelantes, la société LESAFFRE, spécialisée dans la fabrication et la vente de levures, s'est rapprochée de la société CCS afin de distribuer ses produits en Thaïlande durant la fin des années 60, la CCS faisant partie du groupe DENIS FRÈRES ; par un courrier du 2 juillet 1974, la société DENIS FRÈRES déclarait accepter de nouvelles modalités pratiques de fonctionnement : jusque là, la société LESAFFRE livrait directement ses levures en Thaïlande aux clients apportés par la société CCS ; dès réception des lettres de crédit, la société LESAFFRE expédiait la marchandise puis rémunérait la CCS en lui versant 5 % de commissions ; la société LESAFFRE a voulu modifier et a demandé au groupe DENIS FRÈRES de faire assurer par la filiale française DENIS FRÈRES le fret ainsi que les aspects administratifs et comptables. Elles affirment que durant 25 années, les relations se sont toujours déroulées sur le même mode : la société LESAFFRE fixait à la CCS ses objectifs de vente pour l'année à venir, la CCS adressait par fax à DENIS FRÈRES les quantités de levure déterminées par LESAFFRE afin que cette dernière établisse les bons de commande que celle-ci faisait parvenir à la société LESAFFRE qui émettait les factures avec la mention CCS BANGKOK, avec au dos les conditions générales de vente, puis la société DENIS FRÈRES livrait les cartons vides que la société LESAFFRE remplissait et remettait au transporteur qui adressait la facture à DENIS FRÈRES qui réglait ; les aspects de budget, prix, stratégie, etc. étaient traités entre CCS et LESAFFRE ; la société DENIS FRÈRES percevait une commission de 5 %.

Elles exposent qu'en mars 99, la société LESAFFRE a annoncé des changements qu'elles ont contestés, suivis d'une rupture des relations commerciales le 25 mai 1999 ; cette décision était contestée ; il était demandé un préavis que la société LESAFFRE acceptait mais à hauteur de 3 mois.

Elles plaident :

- que les trois sociétés ont été en relations d'affaires établies pendant plus de 25 ans, les critères de durée, de nature, de qualité vers un CA croissant, de courant d'affaires progressif, l'existence de charges supportées par le partenaire étant les critères retenus, que la durée du préavis reconnu légitime dépend des circonstances propres à chaque espèce en relation avec ces critères outre la dépendance économique, les investissements réalisés, l'importance du volume d'affaires, le temps nécessaire à l'écoulement du stock, le temps nécessaire à la reconversion, et est doublé en cas de vente de produits sous marque de distributeur, qu'au cas d'espèce, les relations LESAFFRE / CCS ont été marquées par la concertation, la progression, le volume, la continuité, la vente de produits sous marque de distributeur, les relations LESAFFRE / DENIS FRÈRES ayant consisté par la prise en charge par la seconde des aspects administratifs et comptables pendant plus de 25 ans ; que subsidiairement si la CCS devait être considérée comme un tiers, elle n'en a pas moins subi un préjudice indemnisable vu la part de son activité consacrée à la société LESAFFRE ;

- que le préjudice de la CCS, qui a mis à disposition un ensemble de ressources et de compétences exclusives à la société LESAFFRE et généré par ces ventes 59 % de ses revenus et 25% de son activité, est représenté, faute d'un juste préavis évaluable à 4 ans, par la perte de la marge qu'elle aurait pu réaliser pendant la durée du préavis, par le coût des indemnités de licenciement versées au personnel travaillant exclusivement pour LESAFFRE, par le préjudice commercial subi du fait de la position dominante de la société LESAFFRE sur le marché de la levure rendant sa restructuration sur le marché très difficile.

La société LESAFFRE leur réplique qu'aucun contrat n'a été signé, que les relations se sont matérialisées par une succession de commandes, livraisons et facturations, sans exclusivité et avec DENIS FRÈRES, la relation avec la CCS n'étant pas directe, les modalités pratiques ne modifiant rien au schéma initial, que la régression des ventes en Thaïlande l'a amenée à modifier sa politique de distribution, que des échanges ont eu lieu en mai 99 qui aboutissaient à la remise en cause des ventes pratiquées par DENIS FRÈRES et CCS, ce que le représentant de CCS admettait, que toutefois elle avait accepté d'honorer toute nouvelle commande dans un souci d'apaisement pendant 3 mois, qu'elle finissait par comprendre à travers quelques commandes abandonnées par DENIS FRÈRES que cette dernière entendait se désengager de son rôle de simple distributeur pour se consacrer à la commercialisation des produits de sa marque, ce qui expliquait le fléchissement des ventes.

Elle plaide que :

- la loi applicable est la loi thaïlandaise puisque le litige international relatif aux relations entre elle et la société DENIS FRÈRES vise la revente de levure sur le territoire de la Thaïlande, lieu d'exécution du contrat, que la référence aux conditions générales de vente est inopérante puisque le document n'a été ni validé ni signé, que l'article L 442-6, 5èmement du code de commerce est inapplicable au cas d'espèce, que même le recours à une action délictuelle place la compétence au lieu où le dommage a été réalisé soit la Thaïlande, étant précisé qu'elle conteste avoir eu une relation commerciale établie avec la CCS, laquelle n'était réellement liée qu'à DENIS FRÈRES, la preuve de cette relation n'étant pas rapportée par les appelantes ;

- la loi thaïlandaise ne prévoit aucun préavis lors de la cessation de relations commerciales, tout juste un abus de droit en cas de rupture brutale et abusive, et un préavis du type notification à l'avance de la résiliation d'un CDI, raisonnablement fixé à 2 à 3 mois, comme cela figure sur « l'affidavit » qu'elle verse aux débats et que la consultation produite par les appelantes ne fragilise pas.

- les circonstances de la rupture sont différentes de ce qu'en affirment les appelantes : il n'existait aucune exclusivité entre DENIS FRÈRES et LESAFFRE puisqu'elle-même diffusait d'autres produits directement, que si exclusivité il y avait eu, elle aurait cessé au bout de 10 ans, soit en 84, que DENIS FRÈRES avait sa propre activité d'import export de sardines et de maquereaux en Thaïlande qu'elle a fini par privilégier, qu'elle n'a pas été de bonne foi, que le préavis de 3 mois a été un délai raisonnable compte tenu de son attitude de désintérêt et d'annulation de commandes ;

- le préjudice invoqué par la CCS, outre qu'il n'est pas fondé faute de prouver une faute de sa part ou un lien commercial établi, ne repose sur aucun justificatif.

- l'attitude déloyale de DENIS FRÈRES lui a causé un préjudice représenté par des pertes de marché, justement évalué à 152.449 euros.

Face à cette argumentation, les appelantes contestent :

- une baisse des résultats sauf sur l'année 1998, due à la conjoncture, la société LESAFFRE n'ayant jamais émis la moindre observation à cet égard ;

- leur prétendue déloyauté, fondée sur deux attestations parfaitement sujettes à caution et sur le fait que la CCS aurait privilégié un autre produit alors qu'il n'a jamais été convenu qu'elle ne distribuerait que la marque LESAFFRE ;

- une annulation de commande qui serait du fait de la CCS alors qu'elle n'est due qu'à l'attitude de la société LESAFFRE qui avait déjà commencé à travailler avec une société concurrente qui pratiquait des prix inférieurs ;

- que la loi applicable soit la loi thaïlandaise, alors que les conditions générales de vente ont bien vocation à s'appliquer puisqu'acceptées pendant de très nombreuses années, les dispositions de l'article L. 442-6, 5èmement du code de commerce ayant de toute façon vocation à s'appliquer, étant précisé que la société LESAFFRE n'apporte aucune preuve du contenu de la loi thaïlandaise ; sur ce point, elles ajoutent que la loi française s'applique du fait de l'application des critères de rattachement : conditions rédigées en langue française selon la législation française avec intention de soumettre les relations à la législation française, lieu de formation du contrat, d'une partie de son exécution.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE :

Sur la loi applicable :

L'affirmation de la société LESAFFRE selon laquelle la loi thaïlandaise serait applicable est sans fondement ; la jurisprudence s'accorde à dire que l'article L. 442-6-1 5èmement s'impose à une société française que son partenaire soit lui-même français ou étranger lorsque son application est recherchée devant une juridiction française à propos d'un litige ayant pour objet la rupture de relations commerciales établies résultant pour l'essentiel de l'exécution d'un contrat de distribution que les parties ont entendu soumettre au droit français et se trouvant par-là aussi rattaché à l'ordre juridique français. La société LESAFFRE ayant son siège social dans le ressort du tribunal de commerce de Lille, cette juridiction a été à bon droit saisie par la société Denis. En tout état de cause, la mise en œuvre de l'article L. 442-6-1 a bien un fondement délictuel qui entraîne l'application du lieu où le dommage survient qui s'entend aussi bien du lieu du fait générateur que du lieu de la réalisation du dommage au choix du demandeur, le fait générateur s'entendant au cas d'espèce de la décision prise en France le 25 mai 1999 et le règlement CE 864/2007 invoqué étant inapplicable ici pour la question d'application de la loi dans le temps. Ainsi l'action menée par les deux sociétés, dont le fondement n'est pas discuté, est bien soumise au droit français.

 

Sur l'existence de relations établies avec les appelantes :

En ce qui concerne le lien contractuel avec la société DENIS FRÈRES, il n'est pas contesté par la société LESAFFRE ; il n'est pas non plus contesté qu'il a duré longtemps puisque pendant pratiquement 25 ans ; aucun véritable contrat n'a été passé mais les ventes à DENIS FRÈRES sont illustrées par l'ensemble des commandes et factures versées aux débats par les sociétés requérantes et les relations ont été matérialisées par une succession de commandes, livraisons, facturations pratiquement sans discontinuité ; sont présents ici les critères habituellement reconnus de durée, stabilité de la relation, importance du CA [chiffre d’affaires] et sa progression. La cour confirme à ce titre l'analyse faite par le premier juge.

En ce qui concerne le lien contractuel avec la société CCS, la question est plus délicate en ce que le lien n'a jamais été direct entre la société LESAFFRE et elle ; les pièces versées le démontrent ; la société LESAFFRE n'a jamais enregistré directement des commandes de la part de CCS ; toutes les expéditions sont résultées d'une commande écrite et ferme de DENIS FRÈRES et le fait que certains courriers aient été échangés entre les deux relatifs la plupart du temps à des prévisions de commandes ne change rien à cette démonstration car ces échanges ne sont relatifs qu'à des modalités organisationnelles et des soucis d'efficacité. L'argument développé par la société DENIS FRÈRES relatif à un changement intervenu à partir du 2 juillet 1974 des modalités d'exécution des relations commerciales la positionnant désormais comme assurant les aspects administratifs et comptables des opérations de vente conclues par CCS avec la société LESAFFRE est peu convaincant puisque commandes, négociations de prix, facturations, organisation de la livraison ont continué entre DENIS FRÈRES et LESAFFRE, puisque certaines pièces versées portent la reconnaissance par DENIS FRÈRES du fait qu'elle est l'interlocutrice de LESAFFRE, CCS demeurant la sienne (pièces 416, 417), puisque peu convaincue CCS a tergiversé dans sa politique de défense, se prétendant tantôt tiers lésé tantôt dans une relation commerciale avec l'intimée. La société LESAFFRE a toujours affirmé n'avoir entretenu aucune relation commerciale avec CCS puisque interpellée par elle lors de l'envoi de sa télécopie du 18 mars 1999 qui le laissait croire, la société LESAFFRE réagissait immédiatement pour s'en défendre. Dès lors, il doit être considéré qu'il n'y a pas de relation commerciale directe entre la société LESAFFRE et CCS.

 

Sur la durée du préavis :

L'opérateur économique qui décide de rompre des relations commerciales établies doit respecter une durée de préavis suffisante en tenant compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des usages de la profession concernée ; cette durée dépend des circonstances de l'espèce qui ont été rappelées plus haut et du temps nécessaire à une reconversion du cocontractant.

A juste titre, le premier juge a considéré comme insuffisant le délai de 3 mois octroyé par la société LESAFFRE mais l'a évalué à un an, ce qui parait modeste à la cour au regard du volume d'affaires traité sur 25 ans et de l'éventuelle difficulté de reconversion de DENIS FRÈRES en Thaïlande ; il est davantage légitime de l'évaluer à deux années. La décision sera réformée en ce sens. La société LESAFFRE est fautive à raison de la brutalité de la rupture liée à la brièveté du préavis accordé et devra répondre du préjudice causé. Elle plaide une absence de bonne foi de DENIS FRÈRES qui n'est en rien démontrée : elle en veut pour preuve une stratégie commerciale développée par DENIS FRÈRES qui aurait privilégié sa propre marque Ayam Brand au détriment des produits LESAFFRE, provoquant le déclin progressif des reventes des produits LESAFFRE et produit à cet égard des attestations émanant de personnes en lien juridique avec elle qui sont par essence fragiles ; elle n'apporte pas d'élément probant du fait que les produite Ayam Brand, que la société DENIS FRÈRES avait le droit de commercialiser, auraient fait de la concurrence aux produits LESAFFRE (d'autant qu'il ne s'agit pas de levure), ni le lien entre le déclin de ses ventes et la progression du dit produit. La cour ne peut retenir de simples affirmations et exclure la faute contractuelle de LESAFFRE du chef de l'absence de bonne foi de sa cocontractante.

 

Sur l'intérêt à agir de CCS en tant que tiers :

L'action se fonde sur le préjudice qu'elle invoque à raison de la rupture de la relation commerciale existant entre la société DENIS FRÈRES, son fournisseur, et la société LESAFFRE.

Dans un arrêt du 6 octobre 2006, l'assemblée plénière de la cour de cassation a pris parti sur la question de la responsabilité du débiteur vis à vis du tiers auquel le manquement à une obligation contractuelle a causé un dommage ; la haute juridiction y fait clairement allusion à la responsabilité délictuelle : il appartient donc à la cour de rechercher s'il existe bien de la part de LESAFFRE une faute, un dommage et un lien entre les deux.

De par son attitude vis à vis de DENIS FRÈRES avec laquelle elle a brutalement rompu les relations, la société LESAFFRE a commis une faute de nature à entraîner un préjudice immédiat pour CCS qui assurait la revente des produits LESAFFRE et n'a pas disposé du temps utile à son obligatoire reconversion. Elle a inévitablement subi une perte de chiffre d'affaires en lien avec ce manquement initial. Elle a donc un intérêt à agir.

 

Sur le préjudice de DENIS FRÈRES :

Les pièces versées aux débats démontrent que la société DENIS FRÈRES a durant toutes ces années perçu une commission de 5 % en rémunération de son intervention ; ainsi sur les deux dernières années elle a perçu un total de 66.095 euros ; il ne s'agit pas d'une demande nouvelle ; il s'agit de la composition de son préjudice ; déduction faite des frais qu'elle n'a pas engagés, son manque à gagner est représenté par les commissions qu'elle aurait dû toucher sur deux années, auquel il est nécessaire d'appliquer un principe de dégressivité : en effet, il sera rappelé que le préavis vise à permettre la reconversion de la société délaissée mais en aucun cas de lui assurer le maintien de son chiffre d'affaires ; par l'application de ce principe, il est légitime d'accorder à DENIS FRÈRES 35.000 euros. Il convient donc de condamner la société LESAFFRE à lui payer cette somme à titre de dommages et intérêts. Cette somme portera intérêts à compter du présent arrêt, s'agissant d'une indemnisation.

 

Sur le préjudice de CCS :

La demande formulée par CCS du chef des indemnités de licenciement versées au personnel sera écartée, cette dernière n'apportant aucune preuve de ce que ses salariés étaient affectés exclusivement à l'activité LESAFFRE et de ce que la rupture avec cette dernière a automatiquement engendré leur licenciement. De même, elle n'apporte pas la preuve de sa difficulté à s'approvisionner auprès d'un autre fournisseur ni d'une atteinte à son image de marque : il ne sera pas fait droit à sa demande relative à un préjudice commercial.

Sur la marge qu'elle aurait pu réaliser en deux ans, il convient de se reporter aux chiffres avancés par son commissaire aux comptes dans les pièces 393 à 400 ; il convient de retenir que la moyenne des années 1998 et 1999 était de 500.000 euros mais que, comme il vient d'être dit plus haut, cette perte de marge doit être considérée comme dégressive en vertu du principe que si le préavis donné à DENIS FRÈRES avait été raisonnable, elle aurait pu se reconvertir, que ce qui est indemnisable c'est cette difficulté à se reconvertir sans que CCS puisse solliciter pendant le délai de deux ans le maintien de son CA. Tenant compte de ces paramètres, la cour estime justifiée une indemnisation à hauteur de 350.000 euros pour la première année et 150.000 euros pour la seconde, soit 500.000 euros au total.

 

Sur la demande reconventionnelle de la société LESAFFRE :

Comme il a été souligné plus haut, la société LESAFFRE n'apporte pas la preuve de la déloyauté de sa cocontractante ; et en ce qui concerne l'annulation de la dernière commande, elle doit être considérée comme étant intervenue à une époque particulière où les relations entre les deux sociétés étaient distanciées avec un passage à la concurrence pour la société LESAFFRE. La société DENIS FRÈRES dont il a été reconnu qu'elle avait été délaissée brutalement n'a pas donné suite à une commande en cours pour des raisons qui peuvent être liées à la brièveté du délai de préavis ; en conséquence, aucune livraison n'ayant eu lieu, donc aucun préjudice n'ayant été causé, il y a lieu de la considérer comme déliée de ses engagements : la demande reconventionnelle sera rejetée.

 

Sur l'application de l’article 700 du Code de Procédure Civile :

Seule parmi les appelantes, la CCS demande l'application de cet article : il lui sera octroyé 10.000 euros de ce chef. Succombant, la société LESAFFRE sera déboutée de la demande qu'elle formule sur le même fondement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Vu l'article L. 442-6-5 du code de commerce

Confirme le jugement en ce qu'il a dit la loi française applicable, débouté la société LESAFFRE de ses demandes reconventionnelles.

L'infirme pour le surplus.

Déclare les appelantes recevables.

Dit et juge que la société LESAFFRE a rompu de manière abusive les relations contractuelles établies avec la société DENIS FRÈRES.

Dit que c'est un préavis de deux années qui aurait dû être octroyé par la société LESAFFRE.

Estime qu'il n'y a pas de relations commerciales établies entre la société LESAFFRE et CCS.

Dit que tiers aux relations commerciales ayant existé entre la société LESAFFRE et la société DENIS FRÈRES, CCS est fondée à demander réparation du préjudice subi du fait de la rupture abusive sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

En conséquence,

Condamne la société LESAFFRE à payer :

- 35.000 euros à la société DENIS FRÈRES avec intérêts à compter du présent arrêt ;

- 500.000 euros à la société CCS à titre de dommages et intérêts ;

Déboute les parties de leurs plus amples demandes.

Condamne la société LESAFFRE à payer 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile à la CCS et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP CARLIER-REGNIER, avoués associés, conformément à l’article 699 du Code de Procédure Civile.

LE GREFFIER,                    LE PRÉSIDENT,