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CONS. CONSTIT., 13 mai 2011

Nature : Décision
Titre : CONS. CONSTIT., 13 mai 2011
Pays : France
Juridiction : Conseil constitutionnel
Décision : 2011/126
Date : 13/05/2011
Nature de la décision : Constitutionnel avec réserves
Mode de publication : Legifrance
Date de la demande : 8/03/2011
Décision antérieure : CASS. COM., 8 mars 2011
Numéro de la décision : 126
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3678

CONS. CONSTIT.,  13 mai 2011 : décision QPC n° 2011-126

Publication : JO 13 mai 2011, p. 8400 ; Contrats, conc. consom. 2011, alerte 52 ; JCP G 2011, 717, note A.-M. Luciani ; D. 2012, p. 507, note J. Barthémy et L. Boré

 

Extraits : 1/ « 5. Considérant qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a attribué à l’autorité publique un pouvoir d’agir pour faire cesser des pratiques restrictives de concurrence mentionnées au même article, constater la nullité de clauses ou contrats illicites, ordonner le remboursement des paiements indus faits en application des clauses annulées, réparer les dommages qui en ont résulté et prononcer une amende civile contre l’auteur desdites pratiques ; qu’ainsi, il a entendu réprimer ces pratiques, rétablir un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux et prévenir la réitération de ces pratiques ; qu’eu égard aux objectifs de préservation de l’ordre public économique qu’il s’est assignés, le législateur a opéré une conciliation entre le principe de la liberté d’entreprendre et l’intérêt général tiré de la nécessité de maintenir un équilibre dans les relations commerciales ; que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par les dispositions contestées n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ».

2/ « 8. Considérant, en premier lieu, que les dispositions contestées n’interdisent ni au partenaire lésé par la pratique restrictive de concurrence d’engager lui-même une action en justice pour faire annuler les clauses ou contrats illicites, obtenir la répétition de l’indu et le paiement de dommages et intérêts ou encore de se joindre à celle de l’autorité publique par voie d’intervention volontaire, ni à l’entreprise poursuivie d’appeler en cause son cocontractant, de le faire entendre ou d’obtenir de lui la production de documents nécessaires à sa défense ; que, par conséquent, elles ne sont pas contraires au principe du contradictoire ;

9. Considérant, en second lieu, qu’il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d’introduire, pour la défense d’un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l’ordre public ; que ni la liberté contractuelle ni le droit à un recours juridictionnel effectif ne s’opposent à ce que, dans l’exercice de ce pouvoir, cette autorité publique poursuive la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés, dès lors que les parties au contrat ont été informées de l’introduction d’une telle action ; que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux exigences constitutionnelles susvisée ».

3/ « 13. Considérant, d’autre part, qu’en application des dispositions contestées, les sommes indûment perçues et les indemnités sont versées au partenaire lésé ou tenues à sa disposition ; que, dès lors, il n’est porté aucune atteinte au droit de propriété de ce dernier ».

 

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

DÉCISION DU 13 MAI 2011

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 mars 2011 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 338), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Système U Centrale Nationale et la société Carrefour France SAS, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du second alinéa du paragraphe III de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.

 

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de commerce ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour la société Système U Centrale Nationale par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées les 23 mars, 7 et 29 avril 2011 ;

Vu les observations produites pour la société Carrefour France SAS par la SCP B. Odent et L. Poulet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 22 mars 2011 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 23 mars et le 19 avril 2011 ;

Vu les observations produites en intervention pour la société anonyme coopérative Groupements d’achats des Centres Leclerc dite GALEC par Maître Laurent Parléani, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 18 mars et 18 avril 2011 ;

Vu les observations produites en intervention pour l’Union fédérale des consommateurs-Que choisir par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 18 avril 2011 ;

Vu la lettre du 11 avril 2011 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d’être soulevé par lui ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Maître Richard Renaudier pour la société Système U Centrale nationale, Maître Julien Cheval pour la société Carrefour France SAS, Maître Parléani pour la société GALEC, Maître Louis Boré pour l’Union fédérale des consommateurs-Que choisir, M. Thierry-Xavier Girdardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 3 mai 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

1. Considérant que l’article L. 442-6 du code de commerce prévoit qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de se livrer à certaines pratiques restrictives de concurrence ; qu’aux termes du second alinéa du paragraphe III de cet article, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 précitée : « Le ministre chargé de l’économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d’ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, demander la répétition de l’indu et le prononcé d’une amende civile dont le montant ne peut excéder 2 millions d’euros. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l’industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation » ;

2. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions portent atteinte à la liberté d’entreprendre, au principe du contradictoire et au droit au recours, ainsi qu’au droit de propriété ;

 

- SUR LA LIBERTÉ D’ENTREPRENDRE :

3. Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions contestées prévoient des mesures dépourvues d’utilité et disproportionnées au but poursuivi de protection des intérêts particuliers d’opérateurs économiques placés dans une situation d’infériorité par rapport à leurs partenaires ; qu’ainsi, ces dispositions méconnaîtraient la liberté d’entreprendre ;

4. Considérant qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ;

5. Considérant qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a attribué à l’autorité publique un pouvoir d’agir pour faire cesser des pratiques restrictives de concurrence mentionnées au même article, constater la nullité de clauses ou contrats illicites, ordonner le remboursement des paiements indus faits en application des clauses annulées, réparer les dommages qui en ont résulté et prononcer une amende civile contre l’auteur desdites pratiques ; qu’ainsi, il a entendu réprimer ces pratiques, rétablir un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux et prévenir la réitération de ces pratiques ; qu’eu égard aux objectifs de préservation de l’ordre public économique qu’il s’est assignés, le législateur a opéré une conciliation entre le principe de la liberté d’entreprendre et l’intérêt général tiré de la nécessité de maintenir un équilibre dans les relations commerciales ; que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par les dispositions contestées n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ;

 

- SUR LE PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE ET LE DROIT AU RECOURS :

6. Considérant que, selon les requérants, les dispositions contestées permettent à l’autorité publique d’agir en justice en vue d’obtenir l’annulation de clauses ou contrats illicites et la répétition de l’indu du fait d’une pratique restrictive de concurrence, sans que le partenaire lésé par cette pratique soit nécessairement appelé en cause ; qu’en conséquence, elles porteraient atteinte aux droits de la défense et au principe du contradictoire ; qu’en ne prévoyant pas que le partenaire lésé soit mis à même de donner son assentiment et puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et mettre un terme à cette action, les dispositions contestées porteraient également atteinte au droit au recours ;

7. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que le principe du contradictoire ;

8. Considérant, en premier lieu, que les dispositions contestées n’interdisent ni au partenaire lésé par la pratique restrictive de concurrence d’engager lui-même une action en justice pour faire annuler les clauses ou contrats illicites, obtenir la répétition de l’indu et le paiement de dommages et intérêts ou encore de se joindre à celle de l’autorité publique par voie d’intervention volontaire, ni à l’entreprise poursuivie d’appeler en cause son cocontractant, de le faire entendre ou d’obtenir de lui la production de documents nécessaires à sa défense ; que, par conséquent, elles ne sont pas contraires au principe du contradictoire ;

9. Considérant, en second lieu, qu’il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d’introduire, pour la défense d’un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l’ordre public ; que ni la liberté contractuelle ni le droit à un recours juridictionnel effectif ne s’opposent à ce que, dans l’exercice de ce pouvoir, cette autorité publique poursuive la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés, dès lors que les parties au contrat ont été informées de l’introduction d’une telle action ; que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux exigences constitutionnelles susvisées ;

 

- SUR LE DROIT DE PROPRIÉTÉ :

10. Considérant que les requérants font valoir que les dispositions contestées ne permettent pas aux partenaires commerciaux d’obtenir de la part de l’autorité publique la restitution des sommes indûment versées ; qu’ainsi, ces dispositions méconnaîtraient tant le droit de propriété de l’entreprise condamnée à répéter l’indu que celui de l’entreprise ayant indûment payé ces sommes ;

11. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu’aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » ; qu’en l’absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ;

12. Considérant, d’une part, que les condamnations à restitution et, le cas échéant, à paiement de dommages et intérêts sont prononcées par jugement en conséquence de l’annulation des clauses illicites ; que, par suite, doit être rejeté comme inopérant le grief tiré de l’atteinte au droit de propriété de la personne condamnée ;

13. Considérant, d’autre part, qu’en application des dispositions contestées, les sommes indûment perçues et les indemnités sont versées au partenaire lésé ou tenues à sa disposition ; que, dès lors, il n’est porté aucune atteinte au droit de propriété de ce dernier ;

14. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

DÉCIDE :

Article 1er. - Sous la réserve énoncée au considérant 9, le second alinéa du paragraphe III de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, est conforme à la Constitution.

Article 2. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 mai 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 13 mai 2011.