CA BASTIA (ch. civ.), 30 septembre 2009
CERCLAB - DOCUMENT N° 3903
CA BASTIA (ch. civ.), 30 septembre 2009 : RG n° 07/00993
Publication : Jurica ; Juris-Data n° 2009-012994
Extraits : « L'action du ministre exercée sur le fondement du texte précité n'est une action ni en substitution ni en représentation mais constitue une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n'est soumise ni au consentement, ni à la présence des fournisseurs lésés. En exerçant un droit propre dans un objectif de défense de l'ordre public économique, le ministre chargé de l'économie ne porte pas atteinte au droit personnel du fournisseur lésé d'accéder à un tribunal indépendant et impartial pour faire trancher les contestations sur ses droits et obligations de caractère civil et demander réparation de son préjudice de sorte que la société Hypermarché Corsaire ne peut pas utilement soutenir que l'action engagée par le ministre est contraire à l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme. »
COUR D’APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2009
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 07/00993. Décision déférée à la Cour : jugement du 3 décembre 2007, Tribunal de Commerce d'AJACCIO : R.G. n° 06/1419.
APPELANT :
Monsieur LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE
représenté par Mr X., directeur départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, DDCCRF, Madame Y., entendue en ses observations
INTIMÉE :
SARL HYPERMARCHÉ CORSAIRE
Prise en la personne de son représentant légal en exercice, représentée par la SCP R. JOBIN ET PH. JOBIN, avoués à la Cour, assistée de Maître Annick BENAT, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 juin 2009, devant la Cour composée de : Monsieur Bernard WEBER, Conseiller, magistrat du siège présent le plus ancien dans l'ordre des nominations à la Cour, faisant fonction de président de chambre, Madame Christine DEZANDRE, Conseiller, Monsieur Robert BELLETTI, Conseiller, qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne RAYMOND.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2009
MINISTÈRE PUBLIC : Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée le 18 mars 2009 et qui a fait connaître son avis, dont les parties ont pu prendre connaissance.
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Signé par Monsieur Bernard WEBER, Conseiller, et par Fabienne RAYMOND, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
I - SUR LA PROCÉDURE :
Vu l'appel interjeté par le Ministre de l'économie contre le jugement rendu le 3 décembre 2007 par le tribunal de commerce d'Ajaccio qui rejette sa demande formée contre la SAS Hypermarché Corsaire et met les dépens à sa charge.
Vu les écritures déposées le 18 novembre 2008 par le Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi aux fins d'infirmation de ce jugement, de recevabilité de son action, de nullité des contrats matérialisés par les factures de ristournes et, donc, de restitution par la société Hypermarché Corsaire de 49.344,16 euros à la société Glacières, versée indûment à l'occasion de l'exécution de ces accords, et de paiement de 100.000 euros à titre d'amende civile et de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures déposées le 24 septembre 2008 par la SAS Hypermarché Corsaire aux fins de production par le Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi des décisions jurisprudentielles invoquées au soutien de son appel ou, à défaut, de communication de leurs références précises, et, à titre principal, de confirmation du jugement déféré qui déclare irrecevable l'action initiée à son encontre, et, à titre subsidiaire, de rejet des demandes formées contre elle, et, à titre très subsidiaire, de constat que le Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi ne peut solliciter au profit de la société Glacières que la restitution des sommes correspondant à la réalité de celles indûment supportées par celle-ci, et que le montant exact de l'indu par cette société n'est pas établi avec certitude, et à titre infiniment subsidiaire, de constat que ces sommes ne peuvent être supérieures à 10.373,25 euros, de rejet des demandes en paiement d'une amende civile et de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamnation du Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi à 3.000 euros à ce denier titre.
Vu la communication de l'affaire au ministère public en date du 18 mars 2009 qui, par mention au dossier du 19 mars suivant, déclare s'en rapporter.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
II - SUR LA COMMUNICATION DES PIÈCES :
La demande formée par la société Hypermarché Corsaire en communication des décisions jurisprudentielles invoquées par le Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi dans ses écritures d'appel doit être écartée dès lors qu'elles figurent dans le dossier que cette société a déposé devant la cour, ce dont il résulte qu'il a été satisfait à cette communication par celui-ci.
III - SUR LA RECEVABILITÉ DE L'ACTION :
L'article L. 442-6 III du code du commerce permet au ministre chargé de l'économie d'introduire une action pour demander à la juridiction saisie la cessation des pratiques mentionnées dans ce texte et, pour toutes ces pratiques, de constater la nullité des clauses ou des contrats illicites et demander la répétition de l'indu et le prononcé d'une amende civile.
L'action du ministre exercée sur le fondement du texte précité n'est une action ni en substitution ni en représentation mais constitue une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n'est soumise ni au consentement, ni à la présence des fournisseurs lésés.
En exerçant un droit propre dans un objectif de défense de l'ordre public économique, le ministre chargé de l'économie ne porte pas atteinte au droit personnel du fournisseur lésé d'accéder à un tribunal indépendant et impartial pour faire trancher les contestations sur ses droits et obligations de caractère civil et demander réparation de son préjudice de sorte que la société Hypermarché Corsaire ne peut pas utilement soutenir que l'action engagée par le ministre est contraire à l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme.
Il s'ensuit que la fin de non recevoir opposée par la société Hypermarché Corsaire à l'action engagée par le ministre chargé de l'économie doit être écartée.
IV - SUR LE BIEN FONDÉ DE L'ACTION :
a - La demande formée par le ministre chargé de l'économie :
Une enquête a été réalisée par la DRCCRF en 2005 sur les pratiques commerciales entretenues entre un hypermarché à enseigne Carrefour exploité par la société Hypermarché Corsaire à [ville Z.] et la société Glacières [ville Z.], un de ses fournisseurs en produits de marques La Boulangère, Jacquet Duroi et Masterfoods.
Le ministre chargé de l'économie soutient que la société Hypermarché Corsaire a perçu de la société Glacières la somme de 106.673,43 euros correspondant, par référence aux constatations des enquêteurs, au montant global de 7 factures de ristournes réclamées de manière rétroactive et sans contrepartie, portant sur les produits de marques précitées et émises sur la période du 24 mars au 3 septembre 2004 par la première de ces sociétés à destination de son fournisseur calculé sur le chiffre d'affaires réalisé par cette dernière en 2001, 2002 et 2003 pour prétendre à la cessation de ces pratiques, à la nullité des accords matérialisés par les factures sus mentionnées, aux restitutions consécutives et au prononcé d'une amende civile.
b - La motivation :
L'inexistence d'un accord stipulant la perception de ristounes :
La société Hypermarché Corsaire invoque l'existence d'un accord conclu avec la société Glacières [ville Z.] en qualité de commissionnaire des fournisseurs nationaux, notamment, en produits des marques précitées pour prétendre à la perception d'avantages arrières.
Cette affirmation qui ne résulte d'aucune convention écrite est contredite, en outre, dans des termes dépourvus d'équivoque par le président directeur général de la société Glacières [ville Z.] entendu dans le cadre de l'enquête réalisée par la DRCCRF, selon lequel :
« S'agissant des fournisseurs Jacques Duroi, La Boulangère et Masterfoods, l'Hypermarché Carrefour nous a demandé dans le courant de l'année 2004 de verser les ristournes négociées dans le cadre du contrat national par les fournisseurs avec Carrefour.
La demande a porté sur 2004, mais également avec effet rétroactif en 2003 et 2002 pour les trois marques et 2001 pour mars.
Nous n'avons pas signé de contrat faisant référence à ces ristournes avec Jacques Duroi et La Boulangère. Nous ne déclarions pas par ailleurs le chiffre d'affaires réalisé avec Carrefour [ville Z.] à l'industriel. Par contre s'agissant de Mars Surgelés, le chiffre d'affaires était déclaré tous les ans par l'intermédiaire de M. B., représentant de la marque en Corse. Nous n'avions pas non plus connaissance de l'existence de ces ristournes ».
Par ailleurs, l'analyse des accords conclus avec La Boulangère et avec Masterfoods, confirme les déclarations du représentant de la société Glacières [ville Z.]selon lequel celle-ci négociait directement avec ses fournisseurs ses propres accords de distribution sans référence aux conditions pratiquées au niveau national par ces mêmes fournisseurs, disposait du libre choix de sa politique tarifaire et exécutait les actes nécessaires à la réalisation de ses opérations commerciales pour son propre compte et en dehors de toute mission qui lui aurait été confiée par ses fournisseurs nationaux et, donc, de toute activité de commissionnaire :
« Les relations commerciales qu'entretenait la société Glacières [ville Z.] avec les fournisseurs nationaux sont des relations de type grossiste : elle achetait les marchandises puis les revendait librement aux clients dont elle faisait elle-même librement le choix ».
Dès lors que la société Hypermarché Corsaire a sollicité en 2004 de la société Glacières [ville Z.] le versement d'avantages sous forme de ristournes, négociés au plan national au titre de l'exercice 2001, pour la marque Masterfoods, et des exercices 2002 et 2003 pour les trois marques en cause, de manière rétroactive, en dehors de toute convention conclue entre les deux sociétés à ce titre, sans contrepartie justifiée par la société Hypermarché Corsaire, et dans le seul objectif d'obtenir les mêmes conditions que les autres points de vente du groupe Carrefour tout en bénéficiant d'un circuit d'approvisionnement et des services distincts du schéma national de l'enseigne, les 7 factures matérialisant la perception de ces avantages sont entachées de nullité et leur établissement procède d'une pratique illicite qui porte atteinte à l'ordre public économique en sorte que l'action engagée par le ministre chargé de l'économie en vue de faire cesser cette pratique, et d'obtenir la restitution des montants indûment perçus en exécution de cette pratique et le prononcé d'une amende civile est fondée au regard des dispositions de l'article L. 442-6 du code du commerce.
Les effets liés à l'absence d'un accord :
La nullité des 7 factures établies en vertu de contrats inexistants compte tenu de leur caractère illicite justifie la restitution au profit du Trésor Public de la somme de 49.344,56 euros correspondant aux montants indûment perçus, soit 106.673,43 euros dont il convient de déduire ceux versés à hauteur de 57.328,99 euros par certains industriels dans la limite de 40.482,16 euros pour Jacquet Duroi et 16.847,13 euros pour Masterfoods.
La demande formée par la ministre chargé de l'économie en restitution de cette somme est donc fondée.
En considération de la gravité de l'atteinte à l'ordre public économique causé par la pratique illicite de la société Hypermarché Corsaire qui a sollicité des avantages indus sur 3 années et pour des montants importants, il convient de sanctionner ce comportement par une amende civile de 20.000 euros.
Il n'est pas inéquitable, enfin, d'allouer au ministre chargé de l'économie la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette la demande formée par la SAS Hypermarché Corsaire en production des décisions jurisprudentielles invoquées par le Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Déclare recevable l'action engagée par le Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi,
Evoquant sur le fond,
Déclare illicite la pratique litigieuse invoquée par le Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi contre la SAS Hypermarché Corsaire,
En conséquence,
Dit que les 7 factures émises par la SAS Hypermarché Corsaire sous les numéros A 20XX19, A 20XX20, A 20XX21, A 20XX22, A 20XX23, A 20XX24 et A 20XX80 à destination de la SA Glacières [ville Z.] sont entachées de nullité,
Condamne la SAS Hypermarché Corsaire à restituer au Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi la somme indue de QUARANTE NEUF MILLE TROIS CENT QUARANTE QUATRE EUROS ET CINQUANTE SIX CENTIMES (49.344,56 euros) à charge pour le Trésor Public de la reverser au fournisseur concerné,
Condamne la SAS Hypermarché Corsaire à payer au Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi VINGT MILLE EUROS (20.000 euros) à titre d'amende civile,
Condamne la SAS Hypermarché Corsaire à payer au Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi TROIS MILLE EUROS (3.000 euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Hypermarché Corsaire aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 6162 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Présentation - Conformité aux droits européens - Convention européenne des Droits de l’Homme
- 6165 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Présentation - Nature de l’action du Ministre
- 6246 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Régime de l’action - Recevabilité - Rôle des victimes - Consentement
- 6247 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Régime de l’action - Recevabilité - Rôle des victimes - Mise en cause