TGI PARIS (1re ch. 1re sect.), 18 octobre 1995
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 425
TGI PARIS (1re ch. 1re sect.), 18 octobre 1995 : RG n° 448/94
Publication : Juris-Data n° 048671
Extrait : « Attendu, cependant, que le libre accès aux tribunaux lors d'un conflit affectant un contrat signé par un particulier constitue un principe impératif ; Attendu qu'en l'espèce la désignation préalable à la saisine du Juge d'un troisième médecin, aux frais partagés des parties, - que la désignation soit opérée amiablement ou judiciairement avant dire droit -, fait obstacle à l'application sans réserve de ce principe ; Que dès lors, la situation ainsi créée par cette condition correspond effectivement à un abus de position dominante et à l'insertion d'une clause abusive dans le contrat ».
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
PREMIÈRE CHAMBRE - PREMIÈRE SECTION
JUGEMENT DU 18 OCTOBRE 1995
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 11-448-94.
DEMANDERESSE :
- LA FEDERATION DES FAMILLES DE FRANCE - FFF,
dont le siège est à [adresse], représentée par : Maître Luc BIHL, avocat - R 2130.
DÉFENDEURS :
- LE COMPTOIR DES ENTREPRENEURS, SA,
dont le siège est à [adresse], représenté par : Maître Caroline de LYLLE-MONTMARCHE, avocat - C 1127. [minute page 2]
- L'UNION DES ASSURANCES DE PARIS - UAP, SA,
dont le siège est à [adresse], représentée par la SCP ELKAIM & ELKAIM-SCIALOM, avocats - P 184.
MINISTÈRE PUBLIC : Madame TERRIER-MAREUIL, Premier Substitut.
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Magistrats ayant délibéré : Madame DOMB, Président, Madame MENARD, Premier Juge, Monsieur SCHNEIDER, Juge.
GREFFIER : Madame BAYARD.
DÉBATS à l'audience du 13 septembre 1995, tenue publiquement,
JUGEMENT prononcé en audience publique, contradictoire, susceptible d'appel.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 3] A l'occasion des prêts qu'il conclut, le COMPTOIR DES ENTREPRENEURS engage ses clients à souscrire auprès de l'UNION DES ASSURANCES DE PARIS (ci-après UAP) un contrat d'assurance-groupe garantissant le remboursement de la dette dans les cas de maladie ou d'invalidité. Ce contrat prévoit notamment les dispositions suivantes :
« En cas de désaccord entre le médecin de l'assuré et le médecin de l'assureur sur l'incapacité de travail, les parties choisiront un troisième médecin pour les départager, et faute d'entente sur le choix, la désignation sera faite par le Président du Tribunal de Grande Instance du domicile de l'assuré. L'avis du troisième médecin sera obligatoire pour l'assuré et les assureurs qui supporteront par moitié les frais de sa désignation. Tant que cette expertise n'aura pas été faite, les parties s'interdisent d'avoir recours à la voie judiciaire pour le règlement des indemnités ».
Estimant que ces conditions du contrat constituent une clause compromissoire, nulle par application de l'article 2061 du Code Civil, et en tous les cas une clause abusive dans la mesure où, par abus d'une position dominante, elle impose à l'assuré la charge de la preuve de ses droits, contrairement aux dispositions de l'article 1315 alinéa 2 du même Code, et lui interdit de recourir à l'office du juge avant d'avoir contribué à l'avance des frais d'expertise, selon assignation délivrée le 30 mars 1994, complétée par conclusions du 9 février 1995, la FEDERATION DES FAMILLES DE FRANCE (ci-après la FFF) demande la condamnation du comptoir des entrepreneurs à supprimer cette clause sous astreinte de 1.000 francs par manquement constaté, dans les trois mois suivant la signification du jugement à intervenir. Pour le passé, elle sollicite en outre [minute page 4] l'envoi, à l'ensemble des consommateurs ayant déjà contracté, d'une lettre indiquant la suppression de cette clause, et à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi par les consommateurs, une somme de 20.000 francs à titre de dommages et intérêts. Elle demande de plus celle de 8.000 francs par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Selon assignation en date du 16 septembre 1994, complétée par écritures du 19 octobre 1994, le COMPTOIR DES ENTREPRENEURS a appelé en garantie et en intervention forcée l'UAP, et demande au Tribunal de lui donner acte de ce qu'il conteste les demandes ; subsidiairement, il sollicite la garantie de l'assureur, avec exécution provisoire, de toutes condamnations et conséquences pouvant résulter de la demande principale.
Par écritures du 10 janvier 1995, l'UAP demande le rejet de l'ensemble des demandes de la F.F.F. et de l'appel en garantie formé contre elle par le Comptoir des Entrepreneurs.
Elle dénie à la clause tout caractère abusif, dès lors qu'elle ne traduit ni un abus de la puissance économique du cocontractant ni un avantage excessif conféré à celui-ci ; elle fait observer que d'ailleurs ce type de disposition n'a jamais fait l'objet d'observations ou de condamnations de la part de la Commission des clauses abusives ;
Plus précisément, elle réplique que le contrat d'assurance soumis par le Comptoir des Entrepreneurs ne s'impose pas à l'emprunteur, puisque celui-ci dispose de la faculté de souscrire à tout autre contrat ; qu'il ne peut donc être qualifié de contrat d'adhésion ; qu'enfin, la désignation d'un [minute page 5] troisième médecin ne conduit pas à une situation d'arbitrage, puisque sa désignation amiable ou judiciaire ne fait pas échec à la saisine du juge, lequel, en toute hypothèse, devra normalement faire appel à l'avis d'un expert.
Elle s'oppose enfin, à titre subsidiaire, à l'envoi de la lettre d'information telle que sollicitée par la F.F.F., comme n'entrant pas dans le pouvoir de la juridiction saisie, laquelle, en vertu de l'article 6 de la loi du 5 janvier 1988, ne peut qu'imposer la suppression de la clause. Elle demande qu'il ne soit pas fait droit aux prétentions à dommages et intérêts, faute d'un préjudice avéré.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Attendu, tout d'abord, que si l'U.A.P. soutient que le contrat proposé par le Comptoir des Entrepreneurs ne s'impose pas à l'assuré, le Tribunal relève que ce dernier, défendeur principal à l'action, ne justifie pas qu'il propose à sa clientèle d'autres contrats que celui mis en cause ;
Que dès lors, la condition de position dominante créée par la relation entre le banquier et l'emprunteur de deniers, adhérent à un contrat d'assurance invalidité, par application nécessaire d'une condition de prêt, est en l'espèce établie, dans la mesure où cet emprunteur doit souscrire à un contrat accessoire dont les modalités s'imposent à lui sans pouvoir de modification ;
Attendu, en second lieu, que, conformément à ce que soutient l'U.A.P., le texte du contrat critiqué ne constitue pas, certes, une clause compromissoire puisqu'il [minute page 6] n'a pas pour objet d'imposer au bénéficiaire du contrat d'assurance groupe un arbitrage, le préalable à la désignation d'un médecin expert en cas de désaccord des médecins des parties ne faisant pas obstacle à l'intervention du tribunal compétent ;
Attendu, cependant, que le libre accès aux tribunaux lors d'un conflit affectant un contrat signé par un particulier constitue un principe impératif ;
Attendu qu'en l'espèce la désignation préalable à la saisine du Juge d'un troisième médecin, aux frais partagés des parties, - que la désignation soit opérée amiablement ou judiciairement avant dire droit -, fait obstacle à l'application sans réserve de ce principe ;
Que dès lors, la situation ainsi créée par cette condition correspond effectivement à un abus de position dominante et à l'insertion d'une clause abusive dans le contrat ;
Attendu qu'il doit donc être fait droit, par conséquent, dans les termes du dispositif ci-dessous, à la demande principale de la F.F.F. et à l'appel en garantie du Comptoir des Entrepreneurs, sans qu'il y ait lieu à exécution provisoire ;
Attendu que la demande tendant à l'envoi d'une lettre d'information à toutes les personnes ayant déjà contracté, n'apparaît pas, en revanche, appropriée en l'espèce ;
Attendu, toutefois, que la F.F.F. justifie qu'en sa qualité de représentant de consommateurs, elle a subi un préjudice; qu'il convient de l'indemniser par l'allocation [minute page 7] de dommages-intérêts que le Tribunal estime devoir fixer à la somme de 10.000 francs ;
Qu'il convient de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LE TRIBUNAL,
Déclare abusive la clause du contrat visée dans l'assignation, aux termes de laquelle, en cas de désaccord, il sera fait appel à un troisième médecin, aux frais partagés des parties, avant tout recours à la voie judiciaire pour le règlement des indemnités ;
Fait interdiction au COMPTOIR DES ENTREPRENEURS de mentionner cette clause, sous astreinte de MILLE francs (1.000) par infraction constatée, trois mois après la signification du présent jugement, et ceci pendant un délai de six mois ;
Condamne le COMPTOIR DES ENTREPRENEURS à payer à la FEDERATION DES FAMILLES DE FRANCE une somme de DIX MILLE francs (10.000) à titre de dommages-intérêts, ainsi que celle de HUIT MILLE francs (8.000) en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Rejette toute autre demande, comme irrecevable ou mal fondée ;
Le condamne aux dépens ;
Condamne l'UNION DES ASSURANCES DE PARIS à garantir le COMPTOIR DES [minute page 8] ENTREPRENEURS de l'ensemble des condamnations ci-dessus, et rejette ses demandes.
Fait et jugé à PARIS, le 18 octobre 1995.
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