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CJUE (grande ch.), 9 novembre 2010

Nature : Décision
Titre : CJUE (grande ch.), 9 novembre 2010
Pays : UE
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (grande ch.)
Demande : C 137/08
Date : 9/11/2010
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Site Curia (CJUE)
Date de la demande : 27/03/2008
Référence bibliographique : Rec. 2010 I-10847
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4412

CJUE (grande ch.), 9 novembre 2010 : Affaire C‑137/08

Publication : site Curia

 

Extrait (dispositif) : « 1) L’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’oppose pas à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant, dans l’État membre concerné, la Justice dans ses attributions.

2) L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

3) Le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive 93/13 et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause. ».

 

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

GRANDE CHAMBRE

ARRÊT DU 9 NOVEMBRE 2010

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Dans l’affaire C‑137/08, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Budapesti II. és III. kerületi bíróság (Hongrie), par décision du 27 mars 2008, parvenue à la Cour le 7 avril 2008, dans la procédure

VB Pénzügyi Lízing Zrt.

contre

Ferenc S.,

 

LA COUR (grande chambre) : composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts et J.-C. Bonichot, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. M. Ilešič, J. Malenovský, U. Lõhmus, E. Levits, A. Ó Caoimh, L. Bay Larsen et Mme P. Lindh, juges,

Avocat général : Mme V. Trstenjak,

Greffier : M. A. Calot Escobar,

Vu la procédure écrite,

Considérant les observations présentées :

- pour le gouvernement hongrois, par Mmes J. Fazekas, R. Somssich et K. Borvölgyi ainsi que M. M. Fehér, en qualité d’agents,

- pour l’Irlande, par M. D. J. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. A. M. Collins, S C,

- pour le gouvernement espagnol, par M. J. López-Medel Báscones, en qualité d’agent,

- pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. M. Wissels, en qualité d’agent,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. S. Ossowski et L. Seeboruth, en qualité d’agents, ainsi que par M. T. de la Mare, barrister,

- pour la Commission européenne, par MM. B. D. Simon et W. Wils, en qualité d’agents,

Ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 juillet 2010,

rend le présent :

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Arrêt :

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la « directive »).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VB Pénzügyi Lízing Zrt. (ci-après « VB Pénzügyi Lízing ») à M. S. au sujet d’une demande d’injonction de payer.

 

Le cadre juridique :

Le droit de l’Union

3. L’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est libellé comme suit :

« Dans les cas visés à l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la décision de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour de justice est notifiée à celle-ci à la diligence de cette juridiction nationale. Cette décision est ensuite notifiée par les soins du greffier de la Cour aux parties en cause, aux États membres et à la Commission ainsi qu’à l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée.

Dans un délai de deux mois à compter de cette dernière notification, les parties, les États membres, la Commission et, le cas échéant, l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui a adopté l’acte dont la validité ou l’interprétation est contestée ont le droit de déposer devant la Cour des mémoires ou observations écrites.

[…] ».

4. La directive a pour objet, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, de « rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ».

5. L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive dispose :

« 1. Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

2. Une clause est toujours considérée comme n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle lorsqu’elle a été rédigée préalablement et que le consommateur n’a, de ce fait, pas pu avoir d’influence sur son contenu, notamment dans le cadre d’un contrat d’adhésion.

[…] »

6. L’article 3, paragraphe 3, de la directive fait référence à l’annexe de celle-ci qui contient une « liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives ». Le point 1 de cette annexe vise les « [c]lauses ayant pour objet ou pour effet :

[…]

q) de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur […] ».

7. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

8. L’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive énonce :

« 1. Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

2. Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses. »

 

Le droit national

9. À la date des faits au principal, étaient applicables le code civil, dans sa version résultant de la loi n° III de 2006, et le décret gouvernemental n° 18/1999 relatif aux clauses à considérer comme étant abusives dans les contrats conclus avec un consommateur.

10. Conformément à l’article 209/A, paragraphe 2, du code civil, dans un contrat conclu avec un consommateur, une clause abusive qui est établie soit en tant que clause contractuelle générale, soit par avance et unilatéralement par le cocontractant du consommateur sans que cette clause ait été négociée individuellement, est nulle.

11. Le décret gouvernemental n° 18/1999 classe les clauses contractuelles en deux catégories. Relèvent de la première catégorie les clauses contractuelles dont l’utilisation dans les contrats conclus avec les consommateurs est interdite et qui sont, en conséquence, nulles de plein droit. La seconde catégorie regroupe les clauses réputées abusives jusqu’à ce que la preuve contraire ait été apportée, l’auteur d’une telle clause pouvant renverser cette présomption.

12. L’article 155/A, paragraphe 2, de la loi relative à la procédure civile dispose :

« Le tribunal décide de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une question préjudicielle par ordonnance et sursoit simultanément à statuer. Le tribunal formule dans son ordonnance la question soumise à la Cour de justice en vue d’obtenir une décision à titre préjudiciel et communique les faits et la législation hongroise pertinents dans la mesure nécessaire pour permettre à la Cour de répondre à la question posée. Le tribunal notifie son ordonnance à la Cour de justice et l’envoie simultanément, pour information, au ministre ayant la Justice dans ses attributions. »

13. Selon l’article 164, paragraphe 1, de ladite loi, la preuve des éléments de fait nécessaires pour trancher le litige incombe, en règle générale, à la partie qui a intérêt à ce que la juridiction les accepte comme avérés. Le paragraphe 2 du même article prévoit que la juridiction peut ordonner d’office des mesures d’instruction si la loi le permet.

 

Le litige au principal et les questions préjudicielles :

14. Le 14 avril 2006, les parties au principal ont conclu un contrat de prêt destiné à financer l’achat d’une voiture.

15. Lorsque M. S. n’a plus respecté ses obligations contractuelles, VB Pénzügyi Lízing a résilié ce contrat de prêt et a saisi la juridiction de renvoi afin d’obtenir le remboursement d’une créance s’élevant à 317.404 HUF ainsi que le paiement des intérêts échus sur le montant impayé et des frais.

16. VB Pénzügyi Lízing n’a pas présenté sa demande d’injonction de payer devant la juridiction compétente dans le ressort de laquelle M. S. a sa résidence, mais s’est prévalue de la clause attributive de compétence juridictionnelle insérée dans ledit contrat de prêt qui soumet un éventuel litige entre les parties à la compétence de la juridiction de renvoi.

17. L’injonction sollicitée a été prononcée dans le cadre d’une procédure dite « gracieuse », qui ne requiert pas que la juridiction concernée tienne une audience ou entende la partie adverse. Lors de l’adoption de cette injonction, la juridiction de renvoi ne s’est pas interrogée sur sa compétence territoriale non plus que sur la clause attributive de compétence juridictionnelle figurant dans le contrat de prêt.

18. M. S. a formé une opposition contre cette injonction de payer devant la juridiction de renvoi, sans toutefois préciser les motifs de cette opposition. Cette dernière a eu pour conséquence juridique de rendre la procédure contradictoire, celle-ci se déroulant alors conformément aux dispositions du droit commun de la procédure civile.

19. Ladite juridiction a constaté que M. S. n’avait pas sa résidence dans son ressort territorial, alors que les règles de procédure civile prévoient que la juridiction territorialement compétente pour connaître d’un litige tel que celui dont elle est saisie est celle dans le ressort de laquelle se trouve la résidence de la partie défenderesse.

20. Dans ces conditions, le Budapesti II. és III. kerületi bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La protection garantie aux consommateurs par la directive […] nécessite-t-elle de la part du juge national que celui-ci se prononce d’office, même en l’absence de demande à cette fin - et quel que soit le caractère, contentieux ou gracieux, de la procédure -, sur le caractère abusif d’une clause contractuelle invoquée devant lui, dans le cadre de l’examen de sa propre compétence territoriale ?

2) Dans la mesure où la première question appelle une réponse affirmative, quels sont les critères que le juge national peut prendre en considération dans le cadre de cet examen, en particulier lorsqu’une clause contractuelle prévoit la compétence territoriale non pas des tribunaux dans le ressort desquels se trouve le siège du professionnel, mais de tribunaux d’un ressort différent, bien qu’ils se trouvent à proximité de ce siège?

3) L’article 23, premier alinéa, du [statut de la Cour], exclut-il la possibilité pour le juge national qui engage une procédure préjudicielle d’en informer aussi d’office, simultanément, le ministre ayant, dans son propre État membre, la Justice dans ses attributions? »

 

La procédure devant la Cour

21. Par décision du président de la Cour du 13 février 2009, le traitement de l’affaire a été suspendu dans l’attente du prononcé de l’arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, Rec. p. I-4713).

22. Par suite du prononcé dudit arrêt, la juridiction de renvoi a, le 2 juillet 2009, fait savoir à la Cour qu’elle considérait qu’il n’était plus nécessaire que la Cour réponde aux première et deuxième des questions posées dans sa décision du 27 mars 2008. En revanche, cette juridiction a indiqué qu’elle souhaitait toujours obtenir une réponse à la troisième question.

23. En outre, ladite juridiction s’interroge sur le rôle de la Cour lorsqu’il s’agit de garantir l’application uniforme, dans tous les États membres, du niveau de protection des droits des consommateurs prescrit par la directive. À cet égard, elle déclare déduire des points 34 et 35 de l’arrêt Pannon GSM, précité, que les caractéristiques spécifiques de la procédure juridictionnelle qui se déroule dans le cadre du droit national entre le professionnel et le consommateur ne sauraient constituer un critère susceptible d’affecter la protection juridique dont doit bénéficier le consommateur en vertu des dispositions de la directive. Il résulterait notamment de ces points 34 et 35 que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.

24. Or, de l’avis de la juridiction de renvoi, les indications données par la Cour dans les points pertinents de l’arrêt Pannon GSM, précité, ne permettraient pas de trancher la question de savoir si le juge national ne peut examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle que lorsqu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ou si, au contraire, l’examen d’office de ce caractère abusif implique également que, dans le cadre de celui-ci, le juge national est tenu d’établir d’office les éléments de fait et de droit nécessaires audit examen.

25. Eu égard à ces considérations, le Budapesti II. és III. kerületi bíróság a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes à titre complémentaire :

« 1) La compétence de la Cour prévue à l’article [267 TFUE] inclut-elle celle d’interpréter la notion de « clause abusive » visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive […], ainsi que les clauses énumérées dans l’annexe de cette directive ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, la demande de décision préjudicielle sollicitant une telle interprétation peut-elle – dans l’intérêt d’une application uniforme pour tous les États membres du niveau de protection des droits des consommateurs garanti par la directive […] – porter sur la question de savoir de quels aspects le juge national peut ou doit tenir compte en cas d’application à une clause individuelle particulière des critères généraux fixés dans la directive ?

3) Si le juge national, alors que les parties au litige n’ont formulé aucune demande à cet effet, remarque lui-même le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle, peut-il procéder à une instruction d’office en vue de l’établissement des éléments de fait et de droit nécessaires à cette appréciation dans le cas où le droit procédural national n’autorise celle-ci que si les parties le demandent ? »

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur les questions préjudicielles :

Sur la troisième question posée initialement

26. Par cette question, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour s’oppose à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant la Justice dans ses attributions.

27. À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour, qui prévoit que la décision de la juridiction nationale qui suspend la procédure et saisit la Cour est notifiée à celle-ci à la diligence de cette juridiction nationale et que cette décision est ensuite notifiée par les soins du greffier de la Cour, entre autres et selon le cas, aux parties en cause, aux États membres et à la Commission, ainsi qu’à d’autres institutions, organes ou organismes de l’Union, ne comporte aucune indication relative à d’autres mesures d’information susceptibles d’être prises par la juridiction nationale dans le cadre de sa décision de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

28. Afin de répondre à la question posée, il convient de souligner que le système instauré à l’article 267 TFUE en vue d’assurer l’unité de l’interprétation du droit de l’Union dans les États membres institue une coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales par une procédure étrangère à toute initiative des parties (voir arrêts du 10 juillet 1997, Palmisani, C‑261/95, Rec. p. I‑4025, point 31 ; du 12 février 2008, Kempter, C‑2/06, Rec. p. I‑411, point 41, et du 16 décembre 2008, Cartesio, C‑210/06, Rec. p. I‑9641, point 90).

29. En effet, le renvoi préjudiciel repose sur un dialogue de juge à juge, dont le déclenchement dépend entièrement de l’appréciation que fait la juridiction nationale de la pertinence et de la nécessité dudit renvoi (voir arrêts précités Kempter, point 42, et Cartesio, point 91).

30. Compte tenu de ces principes qui sous-tendent le mécanisme préjudiciel et eu égard à la question posée, il importe de déterminer si l’obligation d’information dont il s’agit est susceptible d’avoir une incidence sur les facultés dont sont dotées les juridictions nationales en vertu de l’article 267 TFUE.

31. À cet égard, il n’apparaît pas qu’une obligation telle que celle en cause au principal puisse être considérée comme une ingérence dans le mécanisme de dialogue juridictionnel instauré à l’article 267 TFUE.

32. En effet, l’obligation faite aux juridictions nationales de l’État membre concerné d’informer le ministre de la Justice au moment de la transmission de la décision de renvoi à la Cour ne constitue pas une condition d’un tel renvoi. Ainsi, elle ne saurait avoir d’incidence sur le droit desdites juridictions d’introduire une demande de décision préjudicielle ni porter atteinte aux prérogatives qui sont conférées à celles-ci en vertu de l’article 267 TFUE.

33. Par ailleurs, il n’apparaît pas qu’une éventuelle violation de cette obligation d’information emporte des conséquences juridiques susceptibles d’empiéter sur la procédure prévue à l’article 267 TFUE.

34. En outre, et ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 74 de ses conclusions, aucun indice n’a été avancé, dont il pourrait être inféré que, en raison de l’obligation d’information dont il s’agit, les juridictions nationales de l’État membre concerné pourraient être dissuadées de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

35. Il y a lieu, par conséquent, de répondre à la troisième question posée initialement que l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour ne s’oppose pas à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant, dans l’État membre concerné, la Justice dans ses attributions.

 

Sur les première et deuxième questions posées à titre complémentaire

36. Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive et à l’annexe de cette dernière, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de la directive.

37. Afin de répondre auxdites questions, il convient de rappeler que la procédure instaurée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêts du 8 novembre 1990, Gmurzynska-Bscher, C‑231/89, Rec. p. I‑4003, point 18, et du 12 mars 1998, Djabali, C‑314/96, Rec. p. I‑1149, point 17).

38. En ce qui concerne les dispositions du droit de l’Union susceptibles de faire l’objet d’un arrêt de la Cour en vertu de l’article 267 TFUE, il convient de rappeler que cette dernière est compétente pour statuer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union sans exception aucune (voir arrêts du 13 décembre 1989, Grimaldi, C‑322/88, Rec. p. 4407, point 8, et du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods, C‑11/05, Rec. p. I‑4285, points 35 et 36).

39 Par conséquent, et s’agissant d’une réglementation relevant du droit de l’Union, la Cour peut être appelée par une juridiction nationale à interpréter les notions figurant dans un instrument de droit dérivé, telles que la notion de « clause abusive » visée par la directive et son annexe.

40. À cet égard, la Cour a jugé que les articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de la directive définissent, dans leur ensemble, les critères généraux permettant d’apprécier la nature abusive des clauses contractuelles auxquelles les dispositions de la directive s’appliquent (voir arrêt du 3 juin 2010, Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid, C‑484/08, non encore publié au Recueil, point 33 et jurisprudence citée).

41. Par ailleurs, une question semblable a été soulevée dans le cadre du renvoi préjudiciel qui a donné lieu à l’arrêt Pannon GSM, précité, en ce sens que, dans l’affaire à l’origine de cet arrêt, la juridiction de renvoi demandait à la Cour de lui fournir des indications relatives aux éléments que le juge national doit considérer afin d’apprécier le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle.

42. À cet égard, la Cour, aux points 37 à 39 dudit arrêt, a relevé que l’article 3 de la directive ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle, que l’annexe à laquelle renvoie l’article 3, paragraphe 3, de la directive ne contient qu’une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives et que, selon l’article 4 de la directive, le caractère abusif d’une clause contractuelle doit être apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion.

43. Dans ces conditions, la Cour, dans la réponse qu’elle a apportée à ladite question, a précisé qu’il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle réunit les critères requis pour être qualifiée d’« abusive », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive, et que, ce faisant, le juge national doit tenir compte du fait qu’une clause contenue dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel, qui est insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle et qui confère compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel est situé le siège du professionnel, peut être considérée comme abusive (voir arrêt Pannon GSM, précité, point 44).

44. Il y a donc lieu de répondre aux première et deuxième questions posées à titre complémentaire que l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de la directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

 

Sur la troisième question posée à titre complémentaire

45. Par cette question, qui est libellée dans des termes très généraux, la juridiction de renvoi cherche à déterminer les responsabilités qui lui incombent, en vertu des dispositions de la directive, à partir du moment où cette dernière s’interroge sur le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive. Ladite juridiction demande notamment si, dans une telle situation, le juge national a l’obligation de procéder à une instruction d’office afin d’établir les éléments de fait et de droit nécessaires aux fins d’apprécier l’existence d’une telle clause, dans le cas où le droit national ne prévoit une telle instruction que si l’une des parties le demande.

46. Afin de répondre à la question posée, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, Rec. p. I‑4941, point 25 ; du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, Rec. p. I‑10421, point 25, ainsi que du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, Rec. p. I‑9579, point 29).

47. La Cour a également jugé que, eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir arrêts précités Mostaza Claro, point 36, et Asturcom Telecomunicaciones, point 30).

48. Afin d’assurer la protection voulue par la directive, la Cour a souligné que la situation d’inégalité entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (voir arrêts précités Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, point 27, Mostaza Claro, point 26, ainsi que Asturcom Telecomunicaciones, point 31).

49. Ainsi, dans le cadre des fonctions qui lui incombent en vertu des dispositions de la directive, le juge national doit vérifier si une clause du contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi entre dans le champ d’application de cette directive. Dans l’affirmative, ledit juge est tenu d’apprécier, au besoin d’office, cette clause au regard des exigences de protection du consommateur prévues par ladite directive.

50. En ce qui concerne le premier stade de l’examen devant être effectué par le juge national, il ressort des dispositions combinées des articles 1er et 3 de la directive que cette dernière s’applique à toute clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur qui n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle.

51. Afin de garantir l’efficacité de la protection des consommateurs voulue par le législateur de l’Union, le juge national doit donc, dans tous les cas et quelles que soient les règles de droit interne, déterminer si la clause litigieuse a fait ou non l’objet d’une négociation individuelle entre un professionnel et un consommateur.

52. S’agissant du second stade dudit examen, il y a lieu de constater que la clause du contrat qui fait l’objet du litige au principal prévoit, ainsi que l’a indiqué le juge de renvoi, la compétence territoriale exclusive d’une juridiction qui n’est pas la juridiction dans le ressort de laquelle la partie défenderesse a sa résidence ni celle dans le ressort de laquelle se trouve le siège de la partie requérante, mais celle qui est située à proximité du siège de cette dernière tant sur le plan géographique que du point de vue des possibilités de transport.

53. En ce qui concerne une clause qui avait été insérée sans avoir fait l’objet d’une négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel et qui conférait une compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel était situé le siège du professionnel, la Cour a jugé, au point 24 de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, qu’une telle clause devait être considérée comme abusive au sens de l’article 3 de la directive, dans la mesure où elle crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat.

54. Il convient de relever que la clause au sujet de laquelle le juge national s’interroge dans l’affaire au principal, à l’instar d’une clause qui a pour objet de conférer compétence, pour tous les litiges découlant du contrat, à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège du professionnel, fait peser sur le consommateur l’obligation de se soumettre à la compétence exclusive d’un tribunal qui peut être éloigné de son domicile, ce qui est susceptible de rendre sa comparution plus difficile. Dans le cas de litiges portant sur des sommes limitées, les frais afférents à la comparution du consommateur pourraient se révéler dissuasifs et conduire ce dernier à renoncer à tout recours judiciaire ou à toute défense. Une telle clause entre ainsi dans la catégorie de celles ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice par le consommateur, catégorie visée au point 1, sous q), de l’annexe de la directive (voir arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 22).

55. En outre, une telle clause attributive de juridiction exclusive permet au professionnel de regrouper l’ensemble du contentieux afférent à son activité professionnelle devant une juridiction unique, qui n’est pas celle du ressort du consommateur, ce qui tout à la fois facilite l’organisation de la comparution dudit professionnel et rend cette dernière moins onéreuse (voir, en ce sens, arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 23).

56. Il y a lieu, dès lors, de répondre à la troisième question posée à titre complémentaire que le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause.

 

Sur les dépens :

57 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs,

la Cour (grande chambre)

dit pour droit :

1) L’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’oppose pas à une disposition du droit national qui prévoit que le juge qui engage une procédure de renvoi préjudiciel en informe d’office, simultanément, le ministre ayant, dans l’État membre concerné, la Justice dans ses attributions.

2) L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne porte sur l’interprétation de la notion de « clause abusive », visée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et à l’annexe de celle-ci, ainsi que sur les critères que le juge national peut ou doit appliquer lors de l’examen d’une clause contractuelle au regard des dispositions de cette directive, étant entendu qu’il appartient audit juge de se prononcer, en tenant compte desdits critères, sur la qualification concrète d’une clause contractuelle particulière en fonction des circonstances propres au cas d’espèce.

3) Le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans le champ d’application de la directive 93/13 et, dans l’affirmative, apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause.