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CASS. COM., 21 janvier 2014

Nature : Décision
Titre : CASS. COM., 21 janvier 2014
Pays : France
Juridiction : Cour de cassation Ch. commerciale
Demande : 12-29166
Date : 21/01/2014
Numéro ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:CO00095
Nature de la décision : Rejet
Mode de publication : Legifrance
Décision antérieure : CA ORLÉANS (ch. com. écon. fin.), 12 avril 2012
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4699

CASS. COM., 21 janvier 2014 : pourvoi n° 12-29166

Publication : Legifrance ; Bull. civ.

 

Extrait : « Mais attendu que les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce, qui visent tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, auteur des pratiques restrictives énoncées par ce texte, s’appliquent à toute entreprise, indépendamment du statut juridique de celle-ci, et sans considération de la personne qui l’exploite ; que le principe de la personnalité des peines, résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, ne fait pas obstacle au prononcé d’une amende civile à l’encontre de la personne morale à laquelle l’entreprise a été juridiquement transmise ; qu’il en résulte qu’abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les quatre premières branches, la cour d’appel a statué à bon droit ; que le moyen, non fondé en sa cinquième branche, ne peut être accueilli pour le surplus ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR DE CASSATION

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 21 JANVIER 2014

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

N° de pourvoi : 12-29166.

DEMANDEUR à la cassation : Société Carrefour France

DÉFENDEUR à la cassation : Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

M. Espel (président), président. SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Odent et Poulet, avocat(s).

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

 

Sur le moyen unique :

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE                                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Orléans, 12 avril 2012), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 27 avril 2011, n° 10-13690), que la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Cher a diligenté auprès d’un hypermarché à l’enseigne Carrefour une enquête portant sur les contrats de coopération commerciale conclus avec ses fournisseurs par la SAS Carrefour hypermarchés France exploitant ce magasin, entre le 1er janvier 2004 et le 30 juin 2005 ; que l’administration ayant constaté que celle-ci aurait perçu pour chacun de ces contrats une rémunération nettement supérieure aux profits dégagés par les fournisseurs, le ministre de l’économie l’a assignée le 16 novembre 2006 devant le tribunal de commerce en application de l’article L. 442-6, III du code de commerce ; que la cour d’appel de renvoi a condamné la société Carrefour France, venant aux droits de la société Carrefour hypermarchés France (la société Carrefour) par l’effet d’une opération de fusion-absorption réalisée le 21 janvier 2009, à une amende civile ;

 

MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                                (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Attendu que la société Carrefour fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté ses fins de non-recevoir et de l’avoir condamnée à une amende civile alors, selon le moyen :

1°/ que l’amende civile susceptible d’être prononcée par le tribunal de commerce à la demande du ministre chargé de l’économie ou du procureur de la République, en application de l’article L. 442-6 III du code de commerce, a pour but, selon le Conseil constitutionnel, non de réparer un préjudice, mais de réprimer les pratiques interdites par le législateur pour en empêcher la réitération ; qu’elle est une sanction générale ayant le caractère d’une punition, soumise au respect des exigences des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, au rang desquelles figure le principe de personnalité des peines, en vertu duquel nul, personne physique ou morale, n’est responsable que de son propre fait ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé l’article L. 442-6 III du code de commerce, ensemble le principe à valeur constitutionnelle selon lequel nul n’est pénalement responsable que de son propre fait ;

2°/ que selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une sanction prononcée par une juridiction civile telle que l’amende civile de l’article L. 442-6 du code de commerce constitue une « sanction ayant le caractère d’une punition » susceptible d’être confrontée au principe constitutionnel de personnalité des peines ; que pour exclure de la matière pénale cette sanction prononcée à la demande du ministre, la cour d’appel a retenu qu’elle était uniquement prévue par le code de commerce, sans référence au code pénal, au code de procédure pénale ou à toute autre disposition légale ou réglementaire de nature pénale ; qu’en se déterminant par de tels motifs, inopérants pour exclure que cette sanction relève, par sa nature même, de la matière pénale, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 442-6 III du code de commerce ;

3°/ que la cour d’appel a concédé que le principe de légalité des délits et des peines s’étendait à toute sanction ayant le caractère d’une punition, y compris lorsqu’elles ne sont pas prononcées par des juridictions répressives et que le législateur a laissé le soin de la demander à une autorité de nature non juridictionnelle ; qu’il en est cependant de même du principe de personnalité des peines ; qu’après avoir reconnu à l’amende civile demandée par le ministre de l’économie un caractère « punitif », la cour d’appel a néanmoins jugé que le principe de la personnalité des peines ne lui était pas applicable ; qu’en se déterminant ainsi la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article L. 442-6 III du code de commerce, ensemble ce principe à valeur constitutionnelle de la personnalité des peines ;

4°/ que l’amende civile prévue par l’article L. 442-6 III du code de commerce a pour objet, non de réparer un préjudice, mais de réprimer les pratiques interdites par le législateur pour en empêcher la réitération ; qu’elle relève ainsi, par nature, de la matière pénale et des principes auxquels celle-ci est soumise, en particulier le principe de personnalité des peines ; qu’en retenant dès lors, pour exclure la soumission de cette punition à ce principe, que l’action du ministre de l’économie demandant son prononcé était une action en réparation quasi-délictuelle, conduite par l’État pour réparer un préjudice collectif indirect subi par les acteurs économiques sur le marché, la cour d’appel a violé l’article L. 442-6 III du code de commerce, ensemble le principe à valeur constitutionnelle de personnalité des peines ;

5°/ qu’en cas de fusion-absorption d’une société par une autre, la personnalité morale de la première disparaît, et une personne morale distincte apparaît, de sorte que la première ne subsiste pas dans la seconde ; qu’il s’ensuit que les punitions auxquelles a pu être exposée la première ne peuvent être infligées à la seconde, au seul motif qu’elle l’a absorbée ; qu’en retenant dès lors qu’il n’existait aucun obstacle, à la suite de l’absorption de la société Carrefour hypermarchés France par la société Carrefour France, à ce qu’une amende civile ayant le caractère d’une punition soit infligée à la société absorbante pour des faits imputés à la société absorbée, la cour d’appel a violé l’article L. 442-6 III du code de commerce, ensemble le principe à valeur constitutionnel de la personnalité des peines et l’article L. 236-3 du code de commerce ;

 

RÉPONSE DE LA COUR DE CASSATION AU MOYEN                                    (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Mais attendu que les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce, qui visent tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, auteur des pratiques restrictives énoncées par ce texte, s’appliquent à toute entreprise, indépendamment du statut juridique de celle-ci, et sans considération de la personne qui l’exploite ; que le principe de la personnalité des peines, résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, ne fait pas obstacle au prononcé d’une amende civile à l’encontre de la personne morale à laquelle l’entreprise a été juridiquement transmise ; qu’il en résulte qu’abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les quatre premières branches, la cour d’appel a statué à bon droit ; que le moyen, non fondé en sa cinquième branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Carrefour France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie la somme de 3.000 euros et rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille quatorze. 

 

 

ANNEXE : MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)              (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société Carrefour France

 

RAPPEL DU DISPOSITIF DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Il est fait grief à l’arrêt de renvoi attaqué D’AVOIR rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société CARREFOUR FRANCE et D’AVOIR condamné la société CARREFOUR FRANCE à une amende civile de 60.000 €,

 

RAPPEL DES MOTIFS DE LA DÉCISION ATTAQUÉE PAR LE MOYEN       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

AUX MOTIFS QUE qu’il résulte de l’article L. 442-6-III, al. 2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 janvier 2008, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, que le ministre chargé de l’économie peut demander à la juridiction saisie en vue de sanctionner certaines pratiques restrictives de concurrence, d’ordonner la cessation des pratiques incriminées, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, demander la répétition de l’indu et le prononcé d’une amende civile dont le montant ne peut excéder 2 millions d’euros, sous réserve que les parties au contrat aient été informées de l’introduction d’une telle action ; que la société CARREFOUR prétend que l’amende civile encourue par un opérateur lorsqu’il obtient d’un partenaire économique un avantage sans contrepartie relève de la matière pénale, le but de l’amende étant à la fois préventif et répressif afin de sanctionner la transgression d’une norme générale ; que, certes, le principe de légalité des délits et des peines ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s’étend à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la demander à une autorité de nature non juridictionnelle ; que, toutefois, l’action du ministre en vue de censurer une pratique injustifiée au regard du jeu normal de la concurrence revêt la nature d’une action en responsabilité quasi-délictuelle ; qu’en effet, ses conditions d’exercice figurent dans le code de commerce, hors de toute référence au code pénal, au code de procédure pénale ou à toute autre disposition légale ou réglementaire de nature pénale ; que l’amende, ni par sa nature, ni par son objet, ne présente un caractère pénal, mais seulement punitif et indemnitaire, en ce qu’elle tend à restaurer l’équilibre économique dans les relations commerciales entre professionnels et à réparer de façon globale et par l’intermédiaire de l’État le préjudice collectif indirect subi par l’ensemble des acteurs économiques sur le marché ; que, par conséquent, le moyen tiré de l’article 121-1 du code pénal selon lequel nul n’est responsable pénalement que de son propre fait doit être écarté et, eu égard tant à la mission de régulation dont est investi le ministre de l’économie qu’au fait qu’à la suite de la fusion, la société à laquelle les manquements sont éventuellement imputables a été absorbée intégralement sans être liquidée ou scindée, il n’existe pas d’obstacles au prononcé d’une sanction pécuniaire à l’encontre de la société absorbante ;

qu’au surplus, les pratiques anticoncurrentielles sont imputées par l’article L. 442-6 du code de commerce à « tout producteur, commerçant ou industriel », indépendamment de leur statut juridique et sans considération de la personne de l’exploitant, de sorte que le principe de la continuité économique et fonctionnelle d’une entreprise s’applique quel que soit le mode juridique de transfert des activités dans le cadre desquelles ont été commises les pratiques à sanctionner ;

ET QUE la demande initiale du Ministre de l’Économie en répétition des sommes perçues par la société CARREFOUR portait sur 50.443,61 € et que la cassation décidée par l’arrêt du 27 avril 2011 ne concerne que des contrats conclus pour 20.280,64 € et laisse subsister, hormis l’amende civile globale, les autres condamnations prononcées par la cour de Bourges ; que dès lors, il convient de condamner la société CARREFOUR à une amende civile de 60.000 € correspondant à la part des indus (3/5) non atteints par la cassation ;

 

MOYEN (critiques juridiques formulées par le demandeur)                                (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

1° ALORS QUE l’amende civile susceptible d’être prononcée par le tribunal de commerce à la demande du ministre chargé de l’économie ou du procureur de la République, en application de l’article L. 442-6, III du code de commerce, a pour but, selon le Conseil constitutionnel, non de réparer un préjudice, mais de réprimer les pratiques interdites par le législateur pour en empêcher la réitération ; qu’elle est une sanction générale ayant le caractère d’une punition, soumise au respect des exigences des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, au rang desquelles figure le principe de personnalité des peines, en vertu duquel nul, personne physique ou morale, n’est responsable que de son propre fait ; qu’en jugeant le contraire, la cour a violé l’article L. 442-6 III du code de commerce, ensemble le principe à valeur constitutionnelle selon lequel nul n’est pénalement responsable que de son propre fait ;

2° ALORS QUE, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une sanction prononcée par une juridiction civile telle que l’amende civile de l’article L. 442-6 du code de commerce constitue une « sanction ayant le caractère d’une punition » susceptible d’être confrontée au principe constitutionnel de personnalité des peines ; que pour exclure de la matière pénale cette sanction prononcée à la demande du ministre, la cour a retenu qu’elle était uniquement prévue par le code de commerce, sans référence au code pénal, au code de procédure pénale ou à toute autre disposition légale ou réglementaire de nature pénale (arrêt, p. 5, § 3) ; qu’en se déterminant par de tels motifs, inopérants pour exclure que cette sanction relève, par sa nature même, de la matière pénale, la cour a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 442-6III du code de commerce ;

3° ALORS QUE la cour a concédé que le principe de légalité des délits et des peines s’étendait à toute sanction ayant le caractère d’une punition, y compris lorsqu’elles ne sont pas prononcées par des juridictions répressives et que le législateur a laissé le soin de la demander à une autorité de nature non juridictionnelle ; qu’il en est cependant de même du principe de personnalité des peines ; qu’après avoir reconnu à l’amende civile demandée par le Ministre de l’Économie un caractère « punitif » (p. 5, § 3), la cour a néanmoins jugé que le principe de la personnalité des peines ne lui était pas applicable ; qu’en se déterminant ainsi la cour, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l’article L. 442-6 III du code de commerce, ensemble ce principe à valeur constitutionnelle de la personnalité des peines ;

4° ALORS QUE l’amende civile prévue par l’article L. 442-6 III du code de commerce a pour objet, non de réparer un préjudice, mais de réprimer les pratiques interdites par le législateur pour en empêcher la réitération ; qu’elle relève ainsi, par nature, de la matière pénale et des principes auxquels celle-ci est soumise, en particulier le principe de personnalité des peines ; qu’en retenant dès lors, pour exclure la soumission de cette punition à ce principe, que l’action du Ministre de l’Économie demandant son prononcé était une action en réparation quasi-délictuelle, conduite par l’État pour réparer un préjudice collectif indirect subi par les acteurs économiques sur le marché, la cour a violé l’article L. 442-6 III du code de commerce, ensemble le principe à valeur constitutionnelle de personnalité des peines ;

5° ALORS QU’en cas de fusion-absorption d’une société par une autre, la personnalité morale de la première disparaît, et une personne morale distincte apparaît, de sorte que la première ne subsiste pas dans la seconde ; qu’il s’ensuit que les punitions auxquelles a pu être exposée la première ne peuvent être infligées à la seconde, au seul motif qu’elle l’a absorbée ; qu’en retenant dès lors qu’il n’existait aucun obstacle, à la suite de l’absorption de la société CARREFOUR HYPERMARCHÉS FRANCE par la société CARREFOUR FRANCE, à ce qu’une amende civile ayant le caractère d’une punition soit infligée à la société absorbante pour des faits imputés à la société absorbée, la cour a violé l’article L. 442-6 III du code de commerce, ensemble le principe à valeur constitutionnel de la personnalité des peines et l’article L. 236-3 du code de commerce.