CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 26 mars 2014
CERCLAB - DOCUMENT N° 4749
CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 26 mars 2014 : RG n° 12/03081
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Que les conventions conclues constituent bien deux contrats distincts liant M. X. à la société Cyberdeck pour le choix et la livraison du matériel d'une part et M. X. à la SAS Grenke Location d'autre part pour la location de ce même matériel entre-temps acquis par celle-ci. Que s'il est admis en jurisprudence que ces deux conventions sont indivisibles en ce sens que la résiliation ou l'annulation de l'une entraîne la résiliation ou l'annulation de l'autre, pour autant, lorsque le locataire impute un manquement contractuel ou des manœuvres dolosives au fournisseur ou au prestataire, il lui appartient d'assigner ce fournisseur pour obtenir l'annulation ou la résolution du contrat de prestation ou de fourniture, qui en conséquence de l'indivisibilité des contrats entraînera l'annulation ou la résolution du contrat de location. Que l'indivisibilité des deux contrats ne signifie en rien que le prestataire et le bailleur sont regardés comme une seule et même personne juridique, ou que le prestataire devrait être considéré comme le représentant ou le mandataire du bailleur, ni même que le manquement ou les manœuvres commises par l'une pourraient être imputés à l'autre. […] Qu'en l'absence de mise en cause de la société Cyberdeck représentée par son liquidateur, aucun argument ne peut être tiré de l'indivisibilité des contrats, puisqu'il appartient au préalable à M. X. d'obtenir l'annulation du contrat de prestation à raison des manœuvres alléguées à l'encontre de la société Cyberdeck, cette annulation pouvant en conséquence de l'indivisibilité entraîner l'annulation du contrat de location. Que la jurisprudence est clairement fixée en ce sens (Cour de cassation du 10 novembre 2009, 17 février 2009) et que la Cour de cassation a censuré les décisions ayant prononcé la résiliation judiciaire de contrats de location après avoir considéré que la résiliation du contrat conclu avec le prestataire en liquidation judiciaire était acquise et que les parties avaient rendu les opérations indivisibles, en retenant « qu'en statuant ainsi, alors que le contrat de prestation de service n'était pas résilié du seul fait de la liquidation judiciaire de la société prestataire, et que cette résiliation n'avait pas été prononcée et ne pouvait l'être qu'en présence du liquidateur de la société, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil ». »
2/ « Attendu que M. X. se prévaut de la durée anormalement longue du contrat qu'il qualifie de clause abusive. Qu’il résulte des dispositions de l'article L 132-1 du code de la consommation que « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Que cependant M. X. ne peut pas revendiquer la qualité de non professionnel ou de consommateur dès lors que le contrat a été conclu dans le cadre et pour les besoins de son activité professionnelle. Qu'ainsi les dispositions du code de la consommation ne lui sont pas applicables. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
ARRÊT DU 26 MARS 2014
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G n° 1 A 12/03081. Décision déférée à la Cour : 23 avril 2012 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE A COMPÉTENCE COMMERCIALE DE STRASBOURG.
APPELANT :
Monsieur X.
Représenté par Maître Joseph WETZEL, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître DARRIGADE, avocat à BORDEAUX
INTIMÉE :
SAS GRENKE LOCATION
prise en la personne de son représentant légal, Représentée par Maître Anne Marie BOUCON, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 786 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 février 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme SCHNEIDER, Conseiller, entendue en son rapport, et Mme ROUBERTOU, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. VALLENS, Président de Chambre, Mme SCHNEIDER, Conseiller, Mme ROUBERTOU, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme MUNCH-SCHEBACHER
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Jean-Luc VALLENS, président et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Le 26 mai 2010, M. X. a souscrit auprès de la SAS Grenke Location un contrat de location de longue durée portant sur une borne multi-media fournie par la société Cyberdeck moyennant le paiement de 16 loyers trimestriels de 1.072,81 TTC.
A défaut de paiement des loyers à compter du mois de juillet 2011, la SAS Grenke Location s'est prévalue de la déchéance du terme par une mise en demeure notifiée le 19 octobre 2011.
Par acte du 22 décembre 2011, la SAS Grenke Location a fait assigner M. X. devant le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG pour obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 11.115,62 euros au titre des loyers échus et de l'indemnité de résiliation, et pour obtenir la restitution du matériel loué sous astreinte.
Par jugement réputé contradictoire du 23 avril 2012, le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG a condamné M. X. au paiement de la somme de 2.145,62 euros au titre des loyers impayés avec intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2011, de la somme de 8.970 euros au titre de l'indemnité de résiliation avec intérêts au taux légal à compter du jugement, a condamné M. X. à restituer la borne « Sublim’Beauty » sous astreinte de 10 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du jugement et a condamné M. X. au paiement d'une somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. X. a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Il demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, et statuant à nouveau, d'annuler le contrat pour dol, de constater que la restitution du matériel est déjà intervenue, de condamner la SAS Grenke Location à lui rembourser les loyers déjà prélevés soit 3.218,43 euros, de condamner la SAS Grenke Location à lui payer la somme de 8.500 euros de dommages-intérêts pour manœuvres dolosives, de condamner la SAS Grenke Location à lui rembourser les sommes payées dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement, et de la condamner au paiement d'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. X. indique que la société Cyberdeck a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 3 mars 2011, qu'il est aujourd'hui forclos à effectuer toute déclaration de créance, et que l'intervention forcée du prestataire n'est plus possible.
Il soutient avoir été victime des manœuvres dolosives du représentant de la société Cyberdeck agissant comme mandataire commun de cette société et de la SAS Grenke Location.
Il fait valoir qu'à raison des affirmations péremptoires devant témoins du représentant de la société Cyberdeck, il a pensé s'engager pour une période de location de 4 ans mais avec une faculté de résiliation au bout d'une année de location, ce qui a été déterminant de son consentement.
Il se prévaut ainsi des attestations de sa salariée Mme A. et de clients de la pharmacie M. B., Mme C. et Mme D. déclarant que le représentant de la société Cyberdeck avait insisté sur la possibilité de résiliation du contrat après un an de location.
Il relève que les conditions générales du contrat de location n'ont pas été paraphées ni signées, et que sur le seul document revêtu de sa signature est mentionnée la possibilité de résiliation au terme de la période initiale de location qui n'est pas autrement définie que par le chiffre 48 sans plus de précision.
Il se prévaut de la recommandation n° 97-01 de la commission des clauses abusives selon laquelle une durée irrévocable de 4 ans de location est abusive et déséquilibre la relation contractuelle à l'avantage du professionnel.
Il considère que la SAS Grenke Location a manqué au principe de loyauté et de bonne foi en affirmant la possibilité de résiliation aux termes d'une année de contrat.
Il conclut que ce manquement doit entraîner l'annulation du contrat et la restitution des sommes déjà versées.
Concluant au rejet de l'appel, la SAS Grenke Location demande à la cour de constater qu'elle n'a commis aucun dol, de débouter M. X. de ses demandes, de confirmer le jugement déféré sauf la disposition relative à la restitution du matériel et de condamner M. X. au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS Grenke Location réplique que M. X. a certifié par sa signature avoir eu connaissance des conditions générales de location, et souligne que le contrat a été signé pour une durée ferme et définitive de 48 mois soit 16 trimestres.
Elle rappelle que le contrat a été signé par l'intermédiaire du représentant de la société Cyberdeck qui n'est pas le mandataire de la SAS Grenke Location et que pour sa part, elle n'a assumé qu'un rôle purement financier.
Elle affirme que les propos soit-disant tenus par le représentant de la société Cyberdeck n'engagent pas le bailleur et rappelle que pour être une cause d'annulation le dol doit émaner du cocontractant.
Elle indique que les attestations de témoins ne contiennent pas les mentions obligatoires prévues par l'article 202 du code de procédure civile, qu'elles ont été établies deux voire trois ans après les faits, et que deux d'entre elles émanent de salariés de M. X., de sorte que ces attestations doivent être écartées.
Elle relève que seules s'appliquent les clauses du contrat prévoyant une durée ferme et définitive de 48 mois, et qu'aucune mention ne figure sur le contrat portant sur un droit de résiliation après un an de location.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
VU LES PIÈCES DE LA PROCÉDURE :
Attendu que démarché par un représentant de la société Cyberdeck, M. X. a choisi le matériel qui lui était proposé, une borne multi-media « Sublim’Beauty » et a choisi le mode de financement de ce matériel sous la forme d'un contrat de location de longue durée devant être consenti par la SAS Grenke Location.
Attendu que le dol ne constitue une cause d'annulation du contrat que s'il émane du cocontractant.
Qu'en l'espèce les manœuvres dolosives alléguées émanent du représentant de la société Cyberdeck et non de la SAS Grenke Location.
Que les conventions conclues constituent bien deux contrats distincts liant M. X. à la société Cyberdeck pour le choix et la livraison du matériel d'une part et M. X. à la SAS Grenke Location d'autre part pour la location de ce même matériel entre-temps acquis par celle-ci.
Que s'il est admis en jurisprudence que ces deux conventions sont indivisibles en ce sens que la résiliation ou l'annulation de l'une entraîne la résiliation ou l'annulation de l'autre, pour autant, lorsque le locataire impute un manquement contractuel ou des manœuvres dolosives au fournisseur ou au prestataire, il lui appartient d'assigner ce fournisseur pour obtenir l'annulation ou la résolution du contrat de prestation ou de fourniture, qui en conséquence de l'indivisibilité des contrats entraînera l'annulation ou la résolution du contrat de location.
Que l'indivisibilité des deux contrats ne signifie en rien que le prestataire et le bailleur sont regardés comme une seule et même personne juridique, ou que le prestataire devrait être considéré comme le représentant ou le mandataire du bailleur, ni même que le manquement ou les manœuvres commises par l'une pourraient être imputés à l'autre.
Qu'invoquant un dol commis par le représentant de la société Cyberdeck, il appartenait à M. X. de mettre en cause cette société représentée par son liquidateur dans la procédure l'opposant à la SAS Grenke Location.
Qu'aucune forclusion ne pouvait lui être opposée dès lors que sa demande ne tendait qu'au prononcé de la nullité du contrat de fourniture et non à une condamnation en paiement.
Qu'en l'absence de mise en cause de la société Cyberdeck représentée par son liquidateur, aucun argument ne peut être tiré de l'indivisibilité des contrats, puisqu'il appartient au préalable à M. X. d'obtenir l'annulation du contrat de prestation à raison des manœuvres alléguées à l'encontre de la société Cyberdeck, cette annulation pouvant en conséquence de l'indivisibilité entraîner l'annulation du contrat de location.
Que la jurisprudence est clairement fixée en ce sens (Cour de cassation du 10 novembre 2009, 17 février 2009) et que la Cour de cassation a censuré les décisions ayant prononcé la résiliation judiciaire de contrats de location après avoir considéré que la résiliation du contrat conclu avec le prestataire en liquidation judiciaire était acquise et que les parties avaient rendu les opérations indivisibles, en retenant « qu'en statuant ainsi, alors que le contrat de prestation de service n'était pas résilié du seul fait de la liquidation judiciaire de la société prestataire, et que cette résiliation n'avait pas été prononcée et ne pouvait l'être qu'en présence du liquidateur de la société, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil ».
Attendu qu'au surplus, les attestations de témoins ne peuvent contredire le contenu des actes signés entre les parties.
Que les propos prêtés au représentant de la société Cyberdeck en contradiction avec les termes du contrat ne peuvent être retenus.
Que selon les dispositions de l'article 1341 du code civil « il n'est reçu aucune preuve par témoin contre et outre le contenu des actes ».
Qu'en l'espèce le contrat de location liant M. X. à la SAS Grenke Location précise clairement qu'il est conclu pour une durée déterminée de 4 ans moyennant le paiement de 16 loyers trimestriels et que si la durée a été indiquée sous forme de « 48 » sans indication du terme « mois » il est manifeste que le nombre indiqué se rapportait à un nombre de mois et non de jours ou d'années.
Qu'en outre le contrat s'intitulant expressément contrat de location de longue durée, toute faculté de résiliation anticipée (sauf la sanction d'une faute) était nécessairement exclue, comme le confirme la nature même du contrat à durée déterminée.
Que ces mentions figurent sur un feuillet du contrat revêtu de la signature de M. X., et qu'au surplus celui-ci a attesté par sa signature avoir pris connaissance des conditions générales de location.
Attendu que M. X. se prévaut de la durée anormalement longue du contrat qu'il qualifie de clause abusive.
Qu’il résulte des dispositions de l'article L 132-1 du code de la consommation que « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
Que cependant M. X. ne peut pas revendiquer la qualité de non professionnel ou de consommateur dès lors que le contrat a été conclu dans le cadre et pour les besoins de son activité professionnelle.
Qu'ainsi les dispositions du code de la consommation ne lui sont pas applicables.
Que dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a ordonné la restitution du matériel sous astreinte dès lors qu'il est admis que celui-ci a été restitué.
Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés et non compris dans les dépens.
Qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Déclare l'appel recevable,
Au fond le dit mal fondé et le rejette,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné M. X. à restituer le matériel loué sous astreinte,
Et statuant à nouveau sur ce point,
Donne acte aux parties de ce que le matériel loué a été restitué,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne M. X. aux dépens d'appel.
Le Greffier : le Président :
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