CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 24 novembre 2015
CERCLAB - DOCUMENT N° 5426
CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 24 novembre 2015 : RG n° 14/00663
Publication : Jurica
Extrait : « Madame X. épouse Y. prétend tout d'abord, à l'appui de cette demande, que les conditions générales du contrat d'assurance ne lui ont jamais été remises. Mais, sur les conditions particulières du contrat figure, juste au-dessus de la signature de Madame X. épouse Y., la mention suivante « je reconnais avoir reçu et pris connaissance des Conditions Générales valant notice d'information ». En apposant sa signature notamment après cette mention, Mme Y. a manifesté son acceptation de ce qu'elle contenait et a, ainsi, effectivement reconnu avoir reçu un exemplaire des conditions générales, peu important le fait que cette mention soit pré-imprimée puisqu'elle présentait un caractère de lisibilité suffisant pour que la souscriptrice l'accepte en connaissance de cause. Madame X. épouse Y. ne peut donc se voir déclarer inopposables les conditions générales au motif qu'elles ne lui auraient pas été remises avant signature.
Elle se fonde encore sur les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation pour voir déclarer abusive la clause prévoyant un délai de carence de 3 années à partir de la date d'effet du contrat, dans le cas de la maladie d'Alzheimer. Aux termes de ce texte, « sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. » En l'espèce, Madame X. épouse Y. ne démontre pas que la clause prévoyant un délai de carence de 3 années en cas de maladie d'Alzheimer crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; en effet, la durée de ce délai n'est pas, par elle-même, abusive eu égard au caractère évolutif de cette maladie et l'assurée n'était pas, pendant cette durée, privé de toute contrepartie puisque d'autres cas de dépendance étaient couverts sans délai de carence (en cas d'accident) ou avec un délai réduit d'un an (autres maladies). »
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2015
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. N° 14/00663/ Appel d'un Jugement (R.G. n° 12/02229) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE, en date du 27 janvier 2014, suivant déclaration d'appel du 10 février 2014.
APPELANTE :
Madame X. née Y.
Représentée par Maître PAYET de la SCP BRASSEUR-M'BAREK-PAYET, avocat au barreau de GRENOBLE, plaidant (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro XX du [date] accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE)
INTIMÉE :
SA AVIVA VIE,
agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domiciliée en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Christine CORBET, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et par Maître NOUAL, avocat au barreau de PARIS, substitué par Maître FRIMIGACCI, avocat au barreau de PARIS, plaidant
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Madame Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE, Président de chambre, Monsieur Jean-Christophe FOURNIER, Conseiller, Madame Véronique LAMOINE, Conseiller,
Assistés lors des débats de Madame Laetitia MATHIEU, Greffier.
DÉBATS : A l'audience publique du 13 octobre 2015, Madame Véronique LAMOINE, Conseiller, a été entendue en son rapport, Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries. Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Exposé des faits :
Par demande de souscription en date du 10 mars 2006 en réponse à un courrier de prospection, Madame X. épouse Y. a souhaité souscrire à un contrat d'assurance dépendance proposé par la SA AVIVA VIE.
La SA AVIVA VIE a établi les conditions particulières du contrat en date du 4 avril 2006, que Madame X. épouse Y. a signées. Il était prévu le versement, dans certains cas de perte d'autonomie, d'une rente de 300 euros par mois pendant toute la durée de cette perte d'autonomie.
Plus particulièrement, les conditions particulières mentionnaient quant au contenu de la garantie :
« * En cas de perte d'autonomie consécutive à un accident (...)
* En cas de perte d'autonomie consécutive à (...) une maladie d'Alzheimer (...) ayant débuté avant la souscription ou pendant les trois années suivantes : remboursement intégral des primes versées,
* En cas de perte d'autonomie consécutive à une autre maladie (...)
- DANS TOUS LES AUTRES CAS :
Versement d'une rente de 300 euros par mois pendant toute la durée de votre perte d'autonomie. »
Madame X. épouse Y. ayant déclaré une maladie d'Alzheimer, elle s'adressait à la SA AVIVA VIE par l'intermédiaire de son mari pour voir appliquer la garantie. La SA AVIVA VIE lui renvoyait le 18 mars 2011 un questionnaire médical à remplir ; celui-ci était renvoyé, complété et signé par le Docteur A. le 28 mars 2011.
Après demande de documents complémentaires, la SA AVIVA VIE informait Madame X. épouse Y., par lettre du 4 août 2011, qu'elle refusait sa garantie au motif que la perte d'autonomie avait été reconnue pendant le délai de carence de 3 ans prévu par le contrat pour ce type d'affection.
Par acte du 22 mai 2012, Madame X. épouse Y. a saisi le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE pour se voir accorder le bénéfice de la garantie, et voir condamner la SA AVIVA VIE à lui payer la rente mensuelle de 300 euros prévue au contrat.
Par jugement du 27 janvier 2014, le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE a :
* rejeté la demande de Madame X. épouse Y.,
* constaté que l'article 5 des conditions générales du contrat dispose que, lorsque la maladie de type Alzheimer est apparue au cours du délai de carence de 3 ans, le contrat est résilié et les primes remboursées,
* dit que les dépens seront pris en charge comme il prescrit en matière d'aide juridictionnelle.
Par déclaration au Greffe en date du 10 février 2014, Madame X. épouse Y. a interjeté appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 mars 2014, elle demande que le jugement déféré soit infirmé, et que :
* les conditions générales du contrat lui soient déclarées inopposables,
* la SA AVIVA VIE soit condamnée à lui payer la somme de 10.800 euros au titre de l'arriéré de la rente perte d'autonomie entre avril 2010 et avril 2014 outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et à lui payer 300 euros par mois au titre de la rente pour la période postérieure.
Elle demande encore condamnation de la SA AVIVA VIE à lui payer les sommes de :
* 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
* 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir :
* que les conditions générales versées aux débats ne lui ont jamais été remises et que, subsidiairement, la clause qu'elles contiennent relative au délai de carence de trois ans est abusive au regard de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation,
* qu'en toute hypothèse, le diagnostic de sa maladie a été posé seulement le 11 décembre 2009 ainsi qu'en atteste le Dr A., et confirmé en janvier 2010 par le Dr B. neurologue, et la SA AVIVA VIE ne démontre, par aucune pièce médicale, que la maladie aurait débuté pendant le délai de carence de 3 ans après la souscription du contrat.
La SA AVIVA VIE, dans ses dernières conclusions notifiées le 19 mai 2014, demande la confirmation du jugement déféré et la condamnation de Madame X. épouse Y. à lui payer la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir :
* que les conditions générales ont bien été adressées à Madame X. épouse Y., ce qu'elle a reconnu en signant les conditions particulières,
* que la clause n'est pas abusive,
* que la maladie de Madame X. épouse Y. a « nécessairement débuté » durant la période de carence courue entre le 4 avril 2006 et le 4 avril 2009, la fille de l'assurée faisant remonter les troubles de mémoire à une période antérieure à la conclusion du contrat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 juin 2015.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Motifs de la décision :
Sur la demande principale :
* Sur l'opposabilité à Madame X. épouse Y. des conditions générales du contrat :
Madame X. épouse Y. prétend tout d'abord, à l'appui de cette demande, que les conditions générales du contrat d'assurance ne lui ont jamais été remises.
Mais, sur les conditions particulières du contrat figure, juste au-dessus de la signature de Madame X. épouse Y., la mention suivante « je reconnais avoir reçu et pris connaissance des Conditions Générales valant notice d'information ». En apposant sa signature notamment après cette mention, Mme Y. a manifesté son acceptation de ce qu'elle contenait et a, ainsi, effectivement reconnu avoir reçu un exemplaire des conditions générales, peu important le fait que cette mention soit pré-imprimée puisqu'elle présentait un caractère de lisibilité suffisant pour que la souscriptrice l'accepte en connaissance de cause.
Madame X. épouse Y. ne peut donc se voir déclarer inopposables les conditions générales au motif qu'elles ne lui auraient pas été remises avant signature.
Elle se fonde encore sur les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation pour voir déclarer abusive la clause prévoyant un délai de carence de 3 années à partir de la date d'effet du contrat, dans le cas de la maladie d'Alzheimer.
Aux termes de ce texte, « sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »
En l'espèce, Madame X. épouse Y. ne démontre pas que la clause prévoyant un délai de carence de 3 années en cas de maladie d'Alzheimer crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; en effet, la durée de ce délai n'est pas, par elle-même, abusive eu égard au caractère évolutif de cette maladie et l'assurée n'était pas, pendant cette durée, privé de toute contrepartie puisque d'autres cas de dépendance étaient couverts sans délai de carence (en cas d'accident) ou avec un délai réduit d'un an (autres maladies).
Dès lors, le moyen, tiré de l'inopposabilité de la clause n° 5 des conditions générales du contrat doit être écarté.
* Sur la mise en œuvre de la garantie :
Il ressort du questionnaire médical rempli par le Docteur A. le 28 mars 2011, ainsi que de la lettre du Docteur B. du 28 février 2011, que Madame X. épouse Y. présente une maladie d'Alzheimer évolutive avec dégradation des capacités de mémoire et de reconnaissance, et qu'elle a besoin de l'aide d'une tierce personne notamment pour la toilette, ce qui caractérise une perte d'autonomie correspondant au risque couvert par le contrat d'assurance aux termes notamment des conditions particulières.
La SA AVIVA VIE soutient qu'elle ne doit pas la rente mensuelle de 300 euros prévue au contrat, au moyen que la maladie d'Alzheimer qui a causé la perte d'autonomie a débuté avant le 4 avril 2009 donc pendant le délai de carence contractuel.
Sur ce point, il ressort des pièces du dossier que le diagnostic de maladie d'Alzheimer a été posé le 5 janvier 2010, par le Docteur B., neurologue, auquel Madame X. épouse Y. avait été adressée par son médecin traitant le 11 décembre 2009. Cette constatation faisait suite à un bilan pratiqué le 11 décembre 2009 par Madame C. psychologue-neuropsychologue dont le compte-rendu mentionne la conclusion suivante : « malgré une autonomie relativement préservée, ce profil neuropsychologique apparaît compatible avec l'hypothèse d'une pathologie neurodégénérative de type Alzheimer ».
Il en ressort que la première constatation médicale de la maladie d'Alzheimer de Madame Y. remonte au plus tôt au mois de décembre 2009, soit huit mois après l'expiration du délai de carence.
Aucun autre élément du dossier ne permet d'établir avec certitude que cette maladie aurait débuté avant le mois d'avril 2009, les troubles de mémoire constatés antérieurement chez Mme Y. pouvant avoir d'autres causes, notamment émotionnelles puisque sa fille les reliait à un décès familial brutal survenu 10 ans auparavant.
Les examens médicaux antérieurs dont les comptes-rendus figurent au dossier ne conduisent à aucune constatation objective précise du début de cette maladie. Ainsi, le Docteur C., dans sa lettre du 28 janvier 2009, préconise-t-il des examens en concluant « il est possible si ces examens sont normaux, que l'on soit dans le cadre d'un début de détérioration », ce qui évoque une possibilité et non pas une certitude.
Enfin, la seule lettre du 20 avril 2011 établie plus d'un an après le diagnostic de la maladie par le Docteur D. qui ne suivait pas Mme Y. jusqu'alors, ne constitue pas une preuve suffisante, par la seule évocation de troubles cognitifs évoluant depuis plusieurs années, de l'existence effective de la maladie avant le 4 avril 2009.
La preuve n'est, ainsi, pas rapportée que la maladie d'Alzheimer dont souffre Mme Y. a débuté dans les trois années suivant la prise d'effet du contrat.
Par conséquent, la SA AVIVA VIE doit lui verser la rente mensuelle prévue au contrat soit 300 euros, après un délai de franchise de trois mois à compter de la constatation de l'état de dépendance. En l'espèce, cette constatation a été faite le 28 mars 2011 par le Docteur A. par la réponse au questionnaire médical de l'assureur mentionnant le besoin d'aide pour la toilette.
Le SA AVIVA VIE devra donc payer la somme de 10.200 euros (soit 34 mois x 300 euros) au titre de l'arriéré arrêté au 30 avril 2014, outre 300 euros par mois à compter du mois de mai 2014.
La somme de 10. 200 euros portera intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2013 date de notification des conclusions de première instance valant mise en demeure sur 7.200 euros, et du 20 mars 2014 date de notification des conclusions d'appel sur le surplus, en application des dispositions de l'article 1153 du Code Civil.
Sur la demande de dommages-intérêts :
Madame X. épouse Y. ne peut valablement invoquer, à l'appui de cette demande, le manquement de l'assureur à l'obligation d'information et de conseil sur le risque d'une non-prise en charge d'un état de dépendance, puisque la garantie de la SA AVIVA VIE lui est acquise par la présente décision.
Par ailleurs, il n'est démontré aucun abus dans l'attitude de la SA AVIVA VIE, qui aurait causé à Madame X. épouse Y. un préjudice distinct du retard dans le paiement réparé par les intérêts moratoires.
Sur les autres demandes :
La SA AVIVA VIE, qui succombe en sa défense, devra supporter les dépens de première instance et d'appel en application de l'article 696 du Code de Procédure Civile et il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile en sa faveur.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Madame X. épouse Y. tout ou partie des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente et de l'instance devant le premier juge ; il y a donc lieu de lui allouer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces Motifs :
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au Greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré.
Statuant à nouveau :
CONDAMNE la SA AVIVA VIE à payer à Madame X. épouse Y., au titre de la rente « perte d'autonomie » prévue au contrat souscrit le 4 avril 2006 :
* 10.200 euros au titre des arrérages échus au 30 avril 2014, outre intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2013 sur 7.200 euros, et du 20 mars 2014 sur le surplus,
* 300 euros mensuels à partir du mois de mai 2014.
CONDAMNE la SA AVIVA VIE à payer à Madame X. épouse Y. la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
REJETTE toutes les autres demandes.
CONDAMNE la SA AVIVA VIE aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct, pour ceux d'appel, au profit de la SCP BRASSEUR -M'BAREK-PAYET, avocats, en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile et avec application des dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par le président Marie-Françoise CLOZEL-TRUCHE et par le Greffier, Laëtitia MATHIEU, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
- 6017 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Clauses sur l’objet principal ou le prix - Loi du 1er février 1995 - Notion d’objet principal
- 6021 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Réciprocité - Réciprocité des contreparties : obligations secondaires
- 6089 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Contenu initial du contrat - Opposabilité des conditions générales - Conditions ne figurant pas sur l’écrit signé par le consommateur
- 6355 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances de personne - Assurance individuelle de prévoyance