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CA POITIERS (3e ch. civ.), 30 mai 2000

Nature : Décision
Titre : CA POITIERS (3e ch. civ.), 30 mai 2000
Pays : France
Juridiction : Poitiers (CA), 3e ch. civ.
Date : 30/05/2000
Nature de la décision : Réformation
Décision antérieure : TGI SAINTES, 13 janvier 1995, CA LIMOGES (aud. sol. - 1re et 2e ch. réun.), 9 février 2005, CASS. CIV. 1re, 5 mars 2002
Numéro de la décision : 400
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 597

CA POITIERS (3e ch. civ.), 30 mai 2000 : RG n° … : arrêt n° 400

(sur pourvoi  Cass. civ. 1re, 5 mars 2002 : pourvoi n° 00-19982)

 

COUR D’APPEL DE POITIERS

TROISIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 30 MAI 2000

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Arrêt n° 400. R.G. inconnu.

 

APPELANTS :

- Madame A. 

née le [date et lieu de naissance], de nationalité française, retraitée, demeurant [adresse]

- Madame B. épouse C.

née le [date et lieu de naissance], de nationalité française, retraitée, demeurant [adresse]

Suivant déclarations d'appel du 21 mars 1995 et du 19 octobre 1995 d'une décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de SAINTES, le 13 janvier 1995. Représentées par la SCP LANDRY-TAPON, leur avoué près la Cour. Ayant pour Avocat Maître VAUVILLE Georges (Barreau de SAINTES)

 

INTIMÉS :

- Madame Christiane D. épouse E.

née le [date et lieu de naissance], de nationalité française, retraitée, demeurant [adresse]

- Monsieur Félicien E.

le [date et lieu de naissance], de nationalité française, retraitée, demeurant [adresse]

- [minute page 2] Monsieur Christophe E.

le [date et lieu de naissance], de nationalité française, retraitée, demeurant [adresse]

- Madame Marie-Thérèse F. épouse E.

née le [date et lieu de naissance], de nationalité française, retraitée, demeurant [adresse]

- Caisse Primaire d'Assurance Maladie de La Vendée

dont le siège social est [adresse]

- Mademoiselle Angélique E.

née le [date et lieu de naissance], de nationalité française, retraitée, demeurant [adresse]

- Mademoiselle Marie, Angélique E.

née le [date et lieu de naissance], de nationalité française, retraitée, demeurant [adresse], Représentés par la SCP MUSEREAU-MAZAUDON, leur avoué près la Cour, Ayant pour Avocat Maître BUET Eric (Barreau de LA ROCHE SUR YON)

- Compagnie Mutuelle d'Assurances Aériennes et des Associations  (SM3A)

dont le siège social est [adresse]

- SA AGF/MAT

dont le siège social est [adresse]

Représentées par la SCP GALLET, leur avoué près la Cour, Ayant pour Avocat Maître GARNAULT (Barreau de PARIS), Substitué par Maître CASATI-OLLIER (Barreau de PARIS)

 

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : Madame Chantal MECHICHE, Président, Monsieur Jean-Marc DANIAU et Madame Sophie LERNER, Conseillers.

[minute page 3] GREFFIER : Monsieur Lilian ROBELOT.

DÉBATS : À l'audience publique du 3 avril 2000,

Le Président a été entendu en son rapport,

Les conseils des parties ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries, Puis l'affaire a été mise en délibéré au 30 mai 2000, Ce jour a été rendu, contradictoirement et en dernier ressort, l'arrêt suivant :

 

EXPOSÉ DU LITIGE            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

ARRÊT :

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par les dames A. et B., épouse C., d'un jugement rendu le 13 Janvier 1995 par le Tribunal de Grande Instance de Saintes qui a déclaré Monsieur B. entièrement responsable de l'accident survenu le 13 septembre 1990 ; dit que la faute par lui commise est inexcusable aux termes de l'article L. 321-4 du Code de l'Aviation civile ; dit que de ce fait les ayants droit de Monsieur E. et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Vendée ont droit à l'indemnisation du préjudice subi ; dit que la SM 3A ne sera tenue à indemniser les demandeurs qu'à concurrence de la somme de 750.000 Francs par passager, soit 1.500.000 Francs ; dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande tendant à voir prescrite la demande formée contre Madame G., épouse B. ; dit que les dames A. et C. seront tenues à indemniser les demandeurs de leur entier préjudice à concurrence des sommes disponibles dans l'actif successoral ; dit que compte tenu de l'exclusion de garantie de la Mutuelle d'Assurance Aérienne 3A Madame B. épouse C. sera tenue au remboursement des sommes avancées par la compagnie d'assurances à concurrence de l'actif disponible ; fixé le préjudice moral des consorts E. à 80.00 [80.000] Francs pour Monsieur Félicien E., Madame E. née Marie-Thérèse F., et Madame E. née Christiane D., à la somme de 80.000 Francs pour Christophe E., et à celle de 60.000 Francs pour chacune d'Angélique et Marie E.; ordonné la réouverture des débats sur le montant du préjudice économique ; invité les consorts E. et la CPAM de Vendée à chiffrer en droit commun les préjudices économiques de Madame E. et de ses enfants et des ayants droit de Monsieur H. ; ordonné de ce chef le renvoi à la mise en état réservé la demande faite au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; réservé les dépens ;

Vu l'arrêt prononcé par cette Cour le 4 février 1998, ordonnant un expertise confiée à Monsieur Guibert ;

[minute page 4] Vu les conclusions, après expertise, en date du 2 juin 1999, des dames A. et C. qui demandent à la Cour de débouter les consorts E. et la CPAM de Vendée de toutes leurs demandes ; constater qu'elles n'ont accepté la succession de Monsieur B. que sous bénéfice d'inventaire ; constater que la faute de feu Monsieur B., pilote, doit être appréciée objectivement ; constater qu'il n'a jamais été indiqué qu'a 17 heures 59 le jour de l'accident la visibilité sur l'aéroport de Carcassonne était de vol VFR avec 5 Kms de visibilité horizontale ; constater en conséquence qu'il ne s'agit nullement d'une faute intentionnelle ; dire que les ayants-droit devront être indemnisés au vu des sommes prévues par la Convention de Varsovie; dire que les sommes réclamées par les ayants-droit devront être réglées par la Mutuelle d'Assurance Aérienne ; très subsidiairement, constater que les sommes réclamées par les ayants-droit sont excessives et ne correspondent pas aux sommes ordinairement allouées par la Cour d'Appel ; condamner les consorts E. et la Compagnie d'Assurances à leur payer 50.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, les condamner aux entiers dépens d'instance et d'appel, dont distraction au profit de la SCP Landry-Tapon ;

Vu les conclusions, après expertise, en date des 27 janvier 2000 et 1er mars 2000, des consorts E. qui demandent à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré Monsieur B. entièrement responsable de l'accident, dit que la faute commise par Monsieur E. est inexcusable, dit que de ce fait les ayants-droit de Monsieur E. ont droit à une indemnisation totale du préjudice subi ; et les recevant en leur appel incident, leur déclarer inopposable la clause limitative de responsabilité invoquée par la SM 3A ; en tant que de besoin dire que cette clause est abusive et l'annuler ; condamner in solidum les dames A., C. et la SM 3A à payer aux consorts E. les sommes de 100.000 Francs pour chacun des époux E.-F. et pour Madame Christiane D., épouse E., et de 80.000 Francs pour chacun de Christophe, Angélique et Marie E. ; dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 1991, date de la première mise en demeure, jusqu'à parfait paiement ; leur donner acte de ce qu'ils ne sollicitent pas la réparation de leur préjudice économique ; condamner in solidum les dames A. et C., ainsi que la SM3A, au paiement des sommes de 20.000 Francs à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et de 15.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; les condamner in solidum aux dépens comprenant les frais d'expertise ; autoriser la SCP Musereau-Drouineau-Rosaz à recouvrer ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir de provision ;

VU les conclusions, après expertise, en date du 1er juin 1999, de la Société Mutuelle d'Assurances Aériennes et des Associations (SM 3A) qui demande à la Cour, à titre principal, de débouter purement et simplement les consorts E. et la CPAM de la Vendée de leurs demandes, la faute de Monsieur B. dans la réalisation de l'accident n'étant pas démontrée ; à titre subsidiaire, s'il était constaté que Monsieur B. a commis une faute à l'origine de l'accident, confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit la SM 3A bien fondée à opposer aux consorts B. une exception de non-garantie, par application des dispositions de l'article 5 alinéa C de la police responsabilité civile souscrite par leur auteur ; à titre infiniment subsidiaire, si la faute commise par Monsieur [minute page 5] B. n'est pas inexcusable, limiter la responsabilité de ses ayants-droit à 750.000 Francs par victime, et dire que la SM 3A ne pourra être condamnée à garantir les appelantes que dans les mêmes proportions ; si la faute commise par Monsieur B. est inexcusable, dire que les engagements mis à la charge de la SM 3A devront être limités à la somme de 750.000 Francs, ainsi que l'a justement décidé le premier juge, et, confirmer, par ailleurs, le jugement en ce qu'il a déclaré bien fondée la SM 3A en sa demande de remboursement des sommes qu'elle pourrait être condamnée à verser, par application du plafond précité, auprès de Madame B. épouse C., prise en sa qualité d'ayant-droit de l'assuré responsable, et, ce, par application de l'article 7 alinéa B 4 de la police d'assurance ; condamner les appelantes au paiement d'une somme de 15.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; les condamner aux dépens d'instance et d'appel, dont distraction au profit de la SCP Gallet ;

Vu les conclusions, en date du 13 mars 2000, par lesquelles la Société Anonyme AGF-MAT déclare reprendre l'instance aux lieu et place de la SM 3A et demande que lui soit alloué le bénéfice des conclusions signifiées à la requête de la SM 3A ;

Vu les conclusions, en date du 1er mars 2000, de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Vendée qui demande à la Cour de lui adjuger la bénéfice des conclusions prises par les consorts E. quant à la responsabilité de Monsieur B. et à l'obligation de réparation intégrale qui pèse sur la Compagnie d'Assurances ; et, évoquant, qu'elle estime à 1.825.127,74 Francs le montant du préjudice économique subi par les consorts H. et à 1.960.120,68 Francs celui subi par les consorts E. ; qu'elle condamne en conséquence in solidum l'assureur, et les dames A. et C. à payer à la CPAM les dites sommes, servies à titre de prestations respectivement aux consorts H. et aux consorts E. ; qu'elle condamne les mêmes parties in solidum à verser, à la CPAM de la Vendée, 15.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et 5.000 Francs par dossier, soit 10.000 Francs, pour les frais de gestion en application de l'ordonnance n° 87-51 du 24 janvier 1996 ;

Vu l'ordonnance de clôture du 21 mars 2000 ;

 

MOTIFS (justification de la décision)    (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la responsabilité de l'accident :

Attendu que le 13 septembre 1990, vers 18 heures 15, l'aéronef de tourisme monomoteur de marque Robin, piloté par son propriétaire, Monsieur B., et transportant deux passagers, Messieurs H. et E., s'écrasait, à 225 mètres d'altitude, sur le flanc Ouest d'un relief du nord du Massif de Malepère, à 6,5 Kms au Sud-Ouest de l'aéroport de Carcassonne, sur lequel le pilote avait manifesté l'intention de se poser ; que les trois occupants de l'appareil décédaient sur le coup ;

Attendu qu'au lieu et heure de l'accident la visibilité était particulièrement défavorable : 500 mètres de visibilité horizontale, 50 mètres de visibilité verticale ; que le pilote, autorisé pour le seul vol à vue (visibilité horizontale de 8 Kilomètres) n'avait pas la qualification réglementairement [minute page 6] requise pour un vol dans de telles conditions, nécessitant le recours aux instruments ;

Attendu qu'il est constant que vers 17 heures, Monsieur B. après être entré contact radio avec l'aéroport de Carcassonne qui lui a donné les conditions météo locales, - soit visibilité horizontale de 10 Kilomètres, nébulosité de 7/8 à 1.000 pieds - s'est dérouté, pour des problèmes techniques de radio, sur l'aéroport de Castres, où il s'est posé à 17 heures 15 ;

qu'il a redécollé de Castres à 17 heures 55, est entré en contact radio à 17 heures 59 avec un autre aéronef qui lui a donné les conditions météo existant sur l'aéroport de Carcassonne (lesquelles s'étaient dégradées en une heure puisque la visibilité horizontale s'était réduite à 5.000 mètres, ce qui implique un régime de conditions de vol VFR spéciale sur l'aéroport, la nébulosité étant alors de 2/8 à 800 pieds et de 6/8 à 1.000 pieds), puis avec l'aéroport lui-même avec lequel il est resté en contact radio permanent de 18 heures 03 (il volait alors à 5.000 pieds) à 18 heures 12' 37", où il se trouvait à 300 pieds, au Sud-Sud-Ouest de l'aéroport de Carcassonne, qu'il avait survolé à 18 heures 12" 04' ; qu'au cours de cette relation radio, où il a été informé que la nébulosité à 300 pieds était passée de 2/8 à 3/8, il a sollicité à de nombreuses reprises les paramètres (QDM) lui permettant l'atterrissage sur l'aéroport ;

Attendu que l'expert judiciaire commis par la Cour conclut ne pas avoir pu acquérir de certitude sur les circonstances de l'accident, et émet plusieurs hypothèses, dans le cadre qu'il retient comme le plus vraisemblable, à savoir que l'aéronef se serait écrasé à 18 heures 18 -heure marquée sur la seule montre retrouvée à bord - après avoir navigué 5'30" sans radio, laquelle serait tombée définitivement en panne ainsi que vraisemblablement tout l'équipement électrique ;

Attendu que l'expert estime que le pilote aurait alors tenté une manœuvre d'atterrissage que lui permettaient les conditions météo déclarées (l'atterrissage à Carcassonne étant autorisé en VPR spéciale jusqu'à 1.500 mètres de visibilité), mais qu'il aurait été à la fois déporté par le vent et surpris par les conditions météo locales du massif de Malepère conditions exceptionnellement défavorables et inférieures aux conditions de vol à vue ; que l'expert précise en outre qu'alors que le ciel n'était pas totalement couvert (3/8 à 800 pieds) il n'est pas démontré que le pilote ait amorcé sa descente dans des conditions qui ne soient pas celles d'un vol à vue ;

Attendu que les appelantes concluent à l'absence de faute du pilote qui a été surpris par la conjonction de deux phénomènes, à savoir la survenance de graves difficultés techniques, panne de radio ou électrique, et d'une dégradation locale de la situation météorologique sur les lieux de l'accident, due à la présence de reliefs ;

Attendu que le vol était prévu direct de la Roche-sur-Yon à Aix-en-Provence, pour la durée techniquement réalisable de 3 heures 20 ; que le détournement de l'itinéraire initialement prévu, traversant le Massif Central, est expliqué par les meilleures conditions météorologiques régnant à l'Ouest du Massif, et le détournement par Castres par la nécessité de réparer la radio ;

[minute page 7] Mais attendu qu'alors qu'à Castres, où est implantée une station de maintenance, Monsieur B. a pu et résoudre les problèmes techniques éventuels et faire le plein de carburant, rien ne justifiait apparemment qu'il fasse le choix de repartir en soirée et pour un aéroport qui n'était pas son lieu de destination et dont il connaissait, pour en avoir été informé à 16 heures 59, les conditions particulières de nébulosité, au contraire de celles qui régnaient en même temps sur l'aéroport d'Aix-les-Milles, sa destination ;

qu'il est en outre noté à cet égard que Monsieur B. a négligé de s'enquérir avant le décollage des conditions météo de Carcassonne et n'a pu en conséquence être informé qu'en vol de ce qu'en une heure ces conditions s'étaient dégradées la visibilité ayant été réduite de 10 à 5 Kilomètres ;

Attendu qu'il n'est pas davantage rendu compte - si ce n'est par l'hypothèse d'une défaillance électrique qui aurait du lui interdire de décoller de Castres - de la décision qu'il a prise de parcourir la distance Castres-Carcassonne à 5.000 pieds, soit 1.500 mètres d'altitude, en survolant en ligne droite la Montagne Noire au dessus des nuages au lieu de contourner celle-ci par l'Ouest en vol à vue, ce qui de l'avis de l'expert aurait été l'itinéraire le moins risqué ;

Attendu, en effet, que si cette solution de survol était réglementairement autorisée, elle le mettait en situation d'avoir en tout cas à traverser une couche de nuages pour atterrir sur Carcassonne, dont il connaissait la particulière nébulosité, et de risquer ainsi de se trouver en condition de vol aux instruments, condition de vol pour laquelle il n'était ni qualifié ni autorisé ;

Attendu, de fait, que ce défaut de visibilité, dans lequel il s'est, volontairement et sans nécessité légitime, placé, a été cause de ce qu'il a dépassé l'aéroport de Carcassonne, et s'est trouvé au Sud de cette ville, dans un secteur connu pour être plus dangereux - des reliefs s'y trouvant à dix Kms de la ville pour vingt au Nord, s'agissant de la Montagne Noire - au point que tous les trajets d'atterrissage portés sur la carte de l'aéroport de Carcassonne passent par le Nord ;

Qu'en considération de l'existence de ces reliefs, soigneusement évités par tous les circuits réglementaires d'atterrissage, et situés à la fois au-delà de la zone VFR spéciale de l'aéroport de Carcassonne - 1,5 Km - et de la visibilité de 5 Kms déclarée par les services météo de l'aéroport, il n'était nullement imprévisible pour le pilote que sévissent localement des conditions météorologiques particulièrement dégradées ;

que néanmoins, sans considérer la probabilité de dégradation locale des conditions météorologiques, le pilote qui avait survolé l'aéroport à une altitude de 300 pieds, soit au dessus des nuages, a entrepris, au Sud de Carcassonne, une descente que ne nécessitait aucune urgence, alors qu'il avait la possibilité, se maintenant au-dessus des nuages, soit de faire demi-tour pour aborder Carcassonne par le Nord, ce qui est de règle, soit de se dérouter sur un aéroport qui connaîtrait de meilleures conditions météorologiques ;

Attendu qu'en entreprenant sans nécessité et sans urgence une manœuvre de descente, hors des itinéraires [minute page 8] réglementaires d'atterrissage, et dans des circonstances, qui, comme il était prévisible, l'ont mis en condition, dans un massif montagneux, d'un vol aux instruments pour lequel il n'était pas qualifié, le pilote, ainsi que l'a justement analysé le premier juge, n'a pas commis une simple faute ou maladresse, involontaire, de pilotage (l'expert signale que les conditions du choc excluraient une perte de contrôle), mais a agi, sans raison valable, de façon délibérément téméraire, avec une nécessaire conscience de la probabilité du dommage pouvant résulter de sa manœuvre ;

Attendu, en conséquence, que le Tribunal a justement décidé, par des motifs pertinents que la Cour adopte, que Monsieur B. avait commis une faute inexcusable au sens de l'article L. 321-4 du Code de l'Aviation civile ;

Attendu que l'hypothèse formulée par l'expert selon laquelle Monsieur B. aurait été surpris par une défaillance de la radio, ou plus vraisemblablement de tout l'équipement électrique, outre qu'elle n'est nullement démontrée, ne saurait avoir, à la supposer établie, pour effet d'exonérer Monsieur B. de la faute inexcusable dont il s'est rendu responsable ;

Attendu, en effet, que cette hypothèse est peu vraisemblable : elle n'est pas autorisée par le moindre constat d'une défaillance de la radio qui a été toujours parfaitement claire tant qu'elle a été audible, mais n'est fondée que sur la lecture de l'heure sur la seule des quatre montres qui se trouvaient à bord qui ait été retrouvée ;

Attendu que dans la mesure, où comme l'avance l'expert, cette défaillance électrique aurait pu, par des considérations techniques, justifier le choix fait dès le décollage de Castres de survoler la Montagne Noire à haute altitude, elle ne ferait que souligner l'imprudence commise par Monsieur B. en quittant au soir l'aéroport de Castres dans des conditions d'insécurité tant météorologiques que techniques ;

Attendu que, poursuivant son développement, l'expert émet l'hypothèse que pour pallier une défaillance électrique, Monsieur B. se serait délesté de tout appareillage électrique, pour ne conserver que la radio, qu'il aurait branchée sur la batterie ;

Attendu que cette dernière hypothèse implique que Monsieur B. ait eu conscience des défaillances de l'avion et ait pris le risque de voler dans de telles conditions de fortune ; elle démontre en outre, à la lecture du rapport d'expertise, que Monsieur B. aurait alors, en pleine connaissance de cause, pris le risque - qui se serait réalisé - de rendre sa radio inopérationnelle du fait de la décharge de la batterie, trop sollicitée par de multiples communications ayant pour objet l'obtention de coordonnées qu'il pouvait se procurer autrement, par l'utilisation de ses propres instruments de navigation aérienne dont il ne semble pas avoir eu la maîtrise aisée ;

Attendu qu'en tout état de cause, la survenance - non démontrée - d'une panne électrique ou de radio, dans ce contexte, ne relèverait pas de la force majeure, mais révélerait l'imprudence du pilote à prendre l'air, sans nécessité, le soir, pour une destination embrumée, sans s'enquérir à nouveau des conditions météo, avec un appareil non parfaitement fiable et au surcroît sans maîtriser les [minute page 9] instruments de navigation ;

Qu'il échet en conséquence de retenir que l'accident est imputable, pour les motifs ci-dessus énoncés et repris du premier juge, à la faute inexcusable du pilote ;

 

Sur l'obligation à réparation :

- des avants-droit de Monsieur B. :

Attendu que le Tribunal a justement décidé que Madame A., légataire universel de Monsieur B., et Madame C., héritier réservataire, étaient, en considération de la faute inexcusable commise par leur auteur, tenues à réparation intégrale du préjudice, en vertu des dispositions de l'article 25 de la Convention de Varsovie, tel que modifié par l'article 13 du protocole de La Haye du 28 septembre 1955, et auquel renvoie l'article, applicable, L. 322-3 du Code de l'Aviation civile ;

Attendu qu'en effet aux termes de l'article 25 de la Convention de Varsovie applicable en l'espèce le plafond d'indemnité posé à l'article 22 de la même Convention « ne s'applique pas s'il est prouvé », comme en l'espèce, « que le dommage résulte d'un acte ... du transporteur ... fait soit avec l'intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu'un dommage en résultera probablement » ;

que ces caractéristiques de la faute, à savoir la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable, sont celles qui sont reprises par l'article L. 321-4 du Code de l'Aviation civile pour définir la faute « inexcusable » qui fait jouer les dispositions de l'article 25 de la Convention de Varsovie ;

Attendu toutefois que les appelantes, qui n'ont accepté la succession de Monsieur B. que sous bénéfice d'inventaire, ne seront tenues, ainsi que l'a justement décidé le Tribunal, que dans les limites de l'actif successoral ;

 

- de la Compagnie d'Assurances :

Attendu que si les effets d'une clause d'exclusion de garantie pour le cas de vol sans les licences ou qualifications nécessaires, figurant à l'article 5 des conditions générales communes du contrat d'assurance dont Monsieur B. a visé les conditions particulières, sont dits par convention expresse inopposables aux victimes passagers en vertu d'une clause dite de « sauvegarde des droits des victimes », l'assureur, concluant de ce chef à la confirmation du jugement, entend voir reconnaître qu'en exécution des stipulations de la même clause de sauvegarde, son obligation est alors contractuellement limitée au plafond d'indemnisation fixé par l'article 22 de la Convention de Varsovie, soit en l'état actuel des textes, à 750.000 Francs par passager ;

Mais attendu qu'en se référant expressément dans ladite clause de sauvegarde, pour définir l'étendue de son obligation, à la Convention de Varsovie, l'assureur n'a pu valablement et sans créer d'équivoque que s'obliger dans les termes de ladite Convention, qui déplafonne l'indemnisation des passagers victimes d'un accident imputable à la faute inexcusable du [minute page 10] transporteur ;

Attendu qu'il y a lieu, en conséquence, réformant le jugement de ce chef, de dire que la Société AGF-MAT, qui se trouve aux droits de la SM 3A, sera tenue, in solidum avec les consorts A.-C., à l'indemnisation de l'entier préjudice subi par les victimes ;

 

Sur le montant des indemnisations :

- des consorts E. :

Attendu que le Tribunal de Grande Instance a fait, au vu de la situation des parties, du lien de parenté les unissant avec la victime et des circonstances du décès, une exacte appréciation des préjudices moraux qu'il a estimés à 80.000 Francs pour chacun des parents et de l'épouse de Monsieur E. et à 60.000 Francs pour chacun de ses trois enfants qu'il échet à cet égard de rectifier l'erreur matérielle qui a fait porter au dispositif du jugement une mention contraire aux motifs argumentés en mettant au profit de Christophe, fils de Monsieur E., une indemnité de 80.000 Francs, supérieure à celle allouée aux autres enfants ;

Attendu que ces sommes ne peuvent porter intérêts que du jour du jugement, qui a reconnu l'existence du principe de créance ;

Attendu que la Cour évoquera la connaissance de l'indemnisation du préjudice économique, sur lequel le Tribunal avait sursis, en considération de ce que l'affaire est en état d'être jugée de ce chef, de ce que la CPAM qui justifie de ses créances en fait la demande et de ce qu'aucune partie ne s'y oppose ;

Attendu qu'il sera donné acte aux consorts E. de ce qu'ils se désistent de leur demande de ce chef ;

 

- de la CPAM de Vendée :

Attendu que la CPAM justifie, par la production de décomptes détaillés, de créances qui ne sont contestées ni dans leur principe ni dans leur montant ;

Qu'il sera en conséquence fait droit à l'intégralité de sa demande, à l'exception des sommes demandées en application de l'Ordonnance du 24 janvier 1996, dont l'allocation relève aux termes mêmes de ladite ordonnance de la compétence des tribunaux spécialisés en matière de Sécurité Sociale ;

 

Sur les demandes accessoires :

Attendu qu'en considération des réelles difficultés d'analyse que présentait la cause, nécessitant le recours à l'assistance technique d'un expert, il n'est nullement démontré par les consorts E. que les appelantes et leur assureur aient, en intentant et en soutenant un appel, caractérisé une résistance abusive génératrice de responsabilité ; que les consorts E. seront déboutés de ce chef de demande ;

[minute page 11] Attendu que les frais irrépétibles de procédure engagés tant en première instance qu'en cause d'appel par les consorts E. qui prospèrent en leurs demandes sont estimés par la Cour à 20.000 Francs, au paiement desquels les appelantes et l'assureur seront condamnés in solidum ;

Attendu que les appelantes et l'assureur seront, in solidum, condamnés aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Musereau-Mazaudon ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)              (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR :

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, sauf en ce qu'il a dit que la SM 3A ne sera tenue à indemniser les demandeurs qu'à concurrence de la somme de 750.000 Francs par passager, soit en l'espèce 1.500.000 Francs ;

Réformant de ce chef :

Dit que la Société AGF-MAT, qui se trouve aux droits de la SM 3A, sera tenue, in solidum avec les dames A., et C., qui elles ne sont tenues qu'à concurrence de l'actif successoral, à réparation de l'entier préjudice ;

Sur l'indemnisation du préjudice moral des consorts E., le jugement étant confirmé, rectifie l'erreur matérielle qui l'entache, en précisant qu'il devra figurer au dispositif que c'est une somme de 60.000 Francs et non de 80.000 Francs qui est allouée de ce chef à Christophe E. ;

Dit que les sommes allouées aux consorts E. porteront intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement ;

Évoquant, sur l'indemnisation du préjudice économique, donne acte aux consorts E. de leur désistement de ce chef ;

Condamne in solidum les dames A. et C., dans la limite de l'actif successoral, et la Société AGF-MAT, à verser à la CPAM de Vendée les sommes de 1.960.120,68 Francs et de 1.825.127,74 Francs respectivement servies à titre de prestations aux consorts E. et H. ;

Déboute la CPAM de Vendée du surplus de ses demandes ;

Déboute les consorts E. de leur demande en dommages et intérêts ;

Condamne, in solidum, les dames A. et C. et la [minute page 12] Société AGF-MAT à verser aux consorts E. la somme de 20.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile pour frais de procédure de première instance et d'appel ;

Condamne in solidum les dames A. et C., et la Société AGF-MAT aux dépens de l'appel ;

Autorise la SCP Musereau-Mazaudon à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir de provision ;

Ainsi prononcé publiquement par Madame Sophie LERNER, Conseiller,

Signé par Madame Chantal MECHICHE, Président et Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier.

Le Greffier                Le Président