CA GRENOBLE (ch. com.), 10 novembre 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 6497
CA GRENOBLE (ch. com.), 10 novembre 2016 : RG n° 16/03660 et n° 16/03666
Publication : Jurica
Extrait : « Que s'agissant du ressort des cours d'appel de Chambéry, Grenoble, Lyon et Riom, l'article D. 442-3 du code de commerce attribue compétence au tribunal de commerce de Lyon pour en connaître ; Que ces dispositions d'ordre public s'appliquent à toute demande fondée sur l'article L. 442-6, y compris celles faites à titre subsidiaire ou reconventionnelle ;
Attendu que l'article 145 du code de procédure civile dispose que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; Que le requérant dispose du choix de saisir le président du tribunal appelé à connaître du litige ou celui du tribunal du lieu de l'exécution de la mesure d'instruction ;
Que toutefois, ce dernier ne peut ordonner une telle mesure que dans les limites de la compétence de son tribunal ;
Attendu qu'en l'espèce, le tribunal de commerce de Grenoble, dans le ressort duquel la mesure d'investigation devait être exécutée, n'est pas compétent pour statuer sur un litige fondé sur l'article L. 442-6 du code de commerce de sorte que son président saisi sur requête ne l'était pas pour ordonner une mesure d'investigation en application de l'article 145 du code de procédure civile ».
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 16/03660 et n° 16/03666. Appel d'une ordonnance (R.G. n° 2016R531) rendue par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE en date du 19 juillet 2016, suivant déclaration d'appel du 21 juillet 2016 et assignations à jour fixe des 26 ou 31 août 2016.
APPELANTE :
Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE
agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître G. de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et par Maître S., avocat au barreau de LYON, plaidant
INTIMÉES :
Société IF INVESTISSEMENTS
agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Ladjel G., avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et par Maître G., avocat au barreau de LYON, plaidant
SCP M.
huissiers de justice associés, prise en la personne de son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Christine G., avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et par Maître Jean-Luc P. de la SELARL P. & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, substitué par Maître G., avocat au barreau de LYON, plaidant
SARL SEBSO
représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Diego S. de la SELARL EUROPA AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et par Maître Bertrand C. de la SELARL B. - C. & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LILLE, plaidant
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Madame Dominique ROLIN, Président de Chambre, Madame Fabienne PAGES, Conseiller, Madame Anne-Marie ESPARBÈS, Conseiller, Assistées lors des débats de Magalie COSNARD, Greffier.
DÉBATS : A l'audience publique du 13 octobre 2016 fixée par ordonnance en date du 18 août 2016 de Monsieur Le Premier Président de la Cour d'Appel de céans, Madame ROLIN, Président, a été entendue en son rapport, Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries, Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par acte sous-seing privé du 20 novembre 2001, la SARL Sebso a conclu avec la SAS Distribution Casino France un contrat de franchise relatif à l'exploitation de l'enseigne Spar, contrat qui a fait l'objet de trois avenants, le dernier du 22 avril 2013 portant sur les conditions financières et prévoyant notamment une ristourne sur le chiffre d'affaires entrepôt hors-taxes de 1 % ;
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 mai 2015, la société Sebso a dénoncé le contrat de franchise pour le 19 novembre 2015 ;
Se prévalant de pratiques financières discriminatoires en violation de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, la société Sebso a, par requête en date du 26 février 2016, saisi le président du tribunal de commerce de Grenoble qui, par ordonnance en date du 4 mars 2016, l'a autorisée à pratiquer diverses mesures d'investigation et commis un huissier de justice aux fins notamment de se rendre dans les locaux de la SARL IF Investissements situés à [ville V.], franchisée de la société Distribution Casino France, de se faire remettre par la société le contrat de franchise régularisé et ses annexes et avenants, les liasses fiscales pour les années 2013 et 2014, tous justificatifs des ristournes et avantages financiers perçus de la société Distribution Casino France et une facture de marchandises émanant de celle-ci pour chaque mois de l'année 2015 faisant apparaître les frais logistiques ;
Maître M. a procédé aux mesures d'investigation le 5 avril 2016 ;
Par acte en date du 10 mai 2016, la société Sebso a fait assigner la société IF Investissements devant le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble qui a, par ordonnance en date du 19 juillet 2016 au contradictoire de la société Distribution Casino France intervenue volontairement aux débats, dit que Maître M. pourra se libérer entre ses mains de l'ensemble des pièces par lui séquestrées lors de la mesure d'instruction ordonnée et pourra remettre à chacune des parties le constat qu'il aura dressé ;
Sur assignation en date des 26, 27 et 30 mai 2016, le président du tribunal de commerce par ordonnance en date du 19 juillet 2016 a débouté les sociétés Distribution Casino France et IF Investissements de leur demande de rétractation de l'ordonnance en date du 4 mars 2016 et dit que Maître M. pourra se libérer entre les mains de la société Sebso de l'ensemble des pièces par lui séquestrées lors de la mesure d'instruction et remettre à chacune des parties le constat dressé ;
La société Distribution Casino France a relevé appel de ces décisions le 21 juillet 2016 et sur ordonnance du premier président a fait assigner à jour fixe les intimés par actes en date du [N.B. précision absence de la minute Jurica] ;
Par conclusions du 22 septembre 2016, La société Distribution Casino France demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance en date du 19 juillet 2016,
Statuant à nouveau in limine litis,
- constater que dans sa requête du 26 février 2016, la société Sebso indique : « cette discrimination se qualifie juridiquement selon la cour d'appel de Paris comme un déséquilibre significatif entre les droits et obligation des parties et ce donc en violation des dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, discrimination qui produit également des effets anticoncurrentiels au sens des dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce »,
- constater que l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Grenoble indique que la requérante dispose d'un motif légitime au visa des articles L. 420-1 et L. 442-6-I 2° du code de commerce,
- constater que dans sa requête du 26 février 2016, la société Sebso ne vise pas les dispositions de l'article 1134 du Code civil ni une prétendue déloyauté contractuelle,
- constater que les articles L. 420-7 et D. 442-3 du code de commerce sont d'ordre public et s'impose aux juridictions dès lors que les articles L. 442-6 et L. 420-1 et suivants du code de commerce sont invoqués même partiellement par l'une des parties et ce y compris en matière de référé,
- constater que dès lors que le litige futur portera sur les articles L. 420-1 et L. 442-6 du code de commerce, seuls sont compétents matériellement pour ordonner des mesures sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, les présidents des juridictions à qui il a été limitativement et impérativement donné compétence en la matière,
- constater que le seul juge compétent matériellement pour ordonner les mesures d'instruction sollicitées par la société Sebso était le président du tribunal de commerce de Lyon,
- constater que le président du tribunal de commerce de Grenoble n'avait pas la compétence matérielle lui permettant d'autoriser les mesures objet de son ordonnance,
Et par conséquent,
- rétracter l'ordonnance en date du 4 mars 2016,
- à titre subsidiaire, constater que la société Sebso ne démontre pas les circonstances de nature à déroger au principe du contradictoire,
- constater qu'elle ne démontre pas le risque de dépérissement des documents, l'existence d'un motif légitime à établir ou conserver la preuve de faits nécessaires à la solution du litige et qu'elle a volontairement caché au président du tribunal de commerce sa nouvelle affiliation au groupe Carrefour,
Et par conséquent,
- rétracter l'ordonnance en date du 4 mars 2016,
En tout état de cause,
- faire obligation à l'huissier de justice de procéder à la destruction de tous les duplicatas ayant pu être saisis au cours des opérations du 5 avril 2016, dresser procès-verbal de destruction et d'en justifier auprès des sociétés demanderesses, restituer à celle-ci les originaux ayant pu être saisis,
- faire interdiction à l'huissier et de justice de remettre à quiconque quelque élément que ce soit recueilli lors des opérations du 5 avril 2016 ainsi que tout constat qui aurait pu être établi sur la base de ces documents,
- condamner la société Sebso à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par écritures du 10 octobre 2016, la société Sebso conclut à l'incompétence matérielle de la cour de Grenoble au profit de celle de Paris, à la réformation de l'ordonnance déférée et à la condamnation de la société Sebso à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par conclusions du 6 octobre 2016, la société Sebso demande à la cour de :
- déclarer le déclinatoire de compétence de la société Distribution Casino France irrecevable faute d'avoir était introduit in limine litis,
- pour le surplus, débouter les sociétés Distribution Casino France et IF Investissements de toutes leurs prétentions,
- confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
- condamner la société IF Investissements au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Distribution Casino France au paiement des sommes de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par écritures du 10 octobre 2016 , la société IF Investissements conclut dans le même sens que la société Distribution Casino France et sollicite la condamnation de la société Sebso à lui payer les sommes de 10.000 euros et 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
Par conclusions du 10 octobre 2016, la Selarl M. demande à la cour de :
- statuer ce qu'il appartiendra sur les demandes dirigées par la société Distribution Casino France contre la société Sebso,
Pour le surplus,
- déclarer irrecevable l'action engagée par la société Distribution Casino France en ce qu'elle est dirigée contre la Selarl M. faute de droit à agir pour cette dernière,
- la déclarer en tout état de cause injustifiée, le juge saisi de la rétractation n'ayant pas le pouvoir de se prononcer sur les opérations réalisées par l'huissier de justice en exécution de l'ordonnance du 4 mars 2016,
- rejeter toutes demandes en ce qu'elles sont dirigées contre elle,
- condamner la société Distribution Casino France à lui payer une indemnité de 4.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Attendu qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de joindre les procédures dont l'une porte sur la rétractation de l'ordonnance sur requête et l'autre sur la remise des documents saisis ;
Attendu que le président du tribunal de commerce de Grenoble a désigné Maître M. pour procéder aux mesures d'investigation ordonnées et a dit qu'il lui en serait référé en cas de difficultés ;
Qu'en sa qualité d'huissier instrumentaire, Maître M. a donc qualité à agir au sens de l'article 32 du code de procédure civile et son appel en cause sera déclaré recevable ;
Attendu que l'article L. 442-6 III alinéa 5 du code de commerce attribue compétence pour connaître des litiges relatifs à son application aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ;
Que s'agissant du ressort des cours d'appel de Chambéry, Grenoble, Lyon et Riom, l'article D. 442-3 du code de commerce attribue compétence au tribunal de commerce de Lyon pour en connaître ;
Que ces dispositions d'ordre public s'appliquent à toute demande fondée sur l'article L. 442-6, y compris celles faites à titre subsidiaire ou reconventionnelle ;
Attendu que l'article 145 du code de procédure civile dispose que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ;
Que le requérant dispose du choix de saisir le président du tribunal appelé à connaître du litige ou celui du tribunal du lieu de l'exécution de la mesure d'instruction ;
Que toutefois, ce dernier ne peut ordonner une telle mesure que dans les limites de la compétence de son tribunal ;
Attendu qu'en l'espèce, le tribunal de commerce de Grenoble, dans le ressort duquel la mesure d'investigation devait être exécutée, n'est pas compétent pour statuer sur un litige fondé sur l'article L. 442-6 du code de commerce de sorte que son président saisi sur requête ne l'était pas pour ordonner une mesure d'investigation en application de l'article 145 du code de procédure civile ;
Qu'il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée et de rétracter l'ordonnance en date du 4 mars 2016 ;
Que l'ordonnance rendue sur assignation de la société Sebso sera également infirmée, la cour ayant compétence pour statuer s'agissant de la remise des documents saisis en exécution de l'ordonnance rétractée et tendant aux mêmes fins que l'ordonnance statuant sur la rétractation ;
Que la restitution de tous les documents et de toutes les pièces appréhendées originaux et copies ayant pu être récupérées aux frais de la société Sebso sera ordonnée en conséquence de la rétractation de l'ordonnance ;
Attendu que la société Distribution Casino France dont l'appel est accueilli n'a pas agi abusivement en justice et la société Sebso sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts ;
Que l'équité commande qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur des appelantes ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Prononce la jonction des procédures n° 16/3660 16/3666,
Déclare recevable l'appel en cause de la Selarl M.,
Infirme les ordonnances déférées en toutes leurs dispositions et statuant à nouveau,
Rétracte l'ordonnance sur requête en date du 4 mars 2016,
Ordonne la restitution des originaux des documents saisis et des copies ayant pu être récupérées aux frais de la Sarl Sebso,
Déboute la Sarl Sebso de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive,
Condamne la Sarl Sebso à payer à la SA Distribution Casino France et la Sarl IF Investissements la somme de 4.000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Sarl Sebso aux dépens.
SIGNE par Madame ROLIN, Président et par Madame LOCK-KOON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président