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TGI ANGERS, 11 mars 1986

Nature : Décision
Titre : TGI ANGERS, 11 mars 1986
Pays : France
Juridiction : Angers (TGI)
Demande : 1906/1985
Date : 11/03/1986
Nature de la décision : Avant dire droit
Date de la demande : 22/08/1985
Décision antérieure : CA Angers (1re ch. B), 16 déc. 1987
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 657

TGI ANGERS, 11 mars 1986 : RG n° 1906/1985

(sur appel CA Angers (1re ch. B), 16 déc. 1987 : RG n° 685/86 ; arrêt n° 783)

Publication : JCP 1987. II. 20789, note J.-P. Gridel

 

Extraits : 1/ « En l'espèce il n'est pas douteux que la relation entre l'EDF et ses usagers est de nature contractuelle, ni que la fourniture d'énergie électrique a le caractère d'une vente. De plus, au sens de la lettre comme de l'esprit des dispositions sus-visées, l'EDF présente tous les caractères du professionnel, et notamment la supériorité technique et juridique ainsi que la position monopolistique, tandis que ses abonnés présentent, eux, tous les caractères du consommateur. Dans ces conditions, il importe de considérer que les dispositions de l'article 2 du Décret du 24 Mars 1978 s'appliquent aux relations contractuelles entre l'EDF et ses usagers, lors même que l'EDF serait un établissement public chargé de la gestion d'un service public industriel et commercial. Il est, en effet, un principe constant d'interprétation des textes juridiques que l'on ne doit pas distinguer là la Loi ne distingue pas, et en l'espèce la Loi ne distingue pas des autres professionnels le cas des services publics industriels et commerciaux, ce qui se conçoit d'autant mieux que les relations contractuelles entretenues par ces services avec leurs usagers sont régies par le droit privé et le sont précisément en raison de l'analogie qu'elles présentent avec les relations contractuelles entretenues par des professionnels de toute autre activité industrielle ou commerciale avec leurs usagers

2/ « Mais cela étant il découle de ce qui précède, et notamment de l'article 35 de la Loi du 10 Janvier 1978 comme de l'article 2 du Décret du 24 Mars 1978, que la clause limitative de la responsabilité de l'EDF insérée à l'article 12 du contrat conclu par elle avec chacun des demandeurs est interdite et doit être réputée non écrite. La responsabilité de l'EDF pour les damages résultant des interruptions de courant de Janvier 1985 n'est donc limitée que par l'importance des préjudices subis par les demandeurs. »

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D’ANGERS

JUGEMENT DU 11 MARS 1986

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1906/1985.

DEMANDEURS :

1) Monsieur A. - Horticulteur

2) Madame B. - Horticulteur

3) Monsieur C. - Horticulteur

4) Monsieur D. - Horticulteur

5) Monsieur E. - Horticulteur

6) Monsieur F. - Horticulteur

7) La Société Anonyme SA « LES SERRES de […] » dont le siège est situé à […] - prise en la personne de son Président Directeur Général, M. X., domicilié en cette qualité audit siège ;

8) Monsieur G. - Horticulteur

9) Monsieur H. - Horticulteur

10) Monsieur I. - Horticulteur

11) Le GAEC J. agissant par M. Y. - Horticulteur - dont le siège est situé à […] 

12) Monsieur K. - Horticulteur

13) Monsieur L. - Horticulteur

14) Monsieur M. - Horticulteur

15) Monsieur N. - Horticulteur

16) La SCA « O. Frères » prise en la personne de M. Z. demeurant […]

Représentés par la Société Civile Professionnelle d'Avocats BEUCHER-VIGNERON-FOLLEN, Avocat à ANGERS

 

DÉFENDEUR :

L'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE – EDF

dont le siège est situé [adresse] - prise en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité audit siège ; Représentée par Maîtres SERVOUSE-BARRET-BESNIER-SULTAN-COLLIN-BOUCHERON, Avocats associés à ANGERS

COMPOSITION DU TRIBUNAL (lors des débats et délibéré) :

Président : Monsieur FRIZON de LAMOTTE, Vice-Président, présidant l'audience en qualité de Magistrat du Siège présent du rang le plus élevé ;

Juges : Monsieur FROUIN et Madame BLIN

GREFFIER : Mademoiselle LE GALL.

DÉBATS à l'audience publique du VINGT HUIT JANVIER MIL NEUF CENT QUATRE VINGT SIX ; à l'issue des débats il a été indiqué que le jugement serait rendu le 25 février 1986 ; à cette dernière date, il a été dit que le délibéré était prolongé, puis que la décision serait prononcée le 11 mars 1986.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

JUGEMENT

EXPOSÉ du litige

Le 22 août 1985, Monsieur A., Madame B., Messieurs C., D., E., F., la Société Anonyme « LES SERRES de […] », Messieurs G., H., I., le GAEC J., Messieurs K., L., M., N., la SCA « O. Frères » ont fait assigner l'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (ci-après EDF) en paiement, comme responsable des désordres subis par eus du fait de coupures d'élec­tricité intervenues en janvier 1985, des sommes de :

= 45.292 francs à Monsieur A. ; = 7.750 francs à Madame B. ; = 61.587 francs à Monsieur C. ; = 39.000 francs à Monsieur D. ; = 130.000 francs à Monsieur E. ; = 37.960 francs à Monsieur F. ; = 90.608 Francs à la SA « LES SERRES […] » ; = 190.000 Francs à Monsieur G. ; = 111.600 Francs à Monsieur H. ; = 41.700 Francs à Monsieur I. ; = 59.000 Francs au GAEC J. ; = 157.500 Francs à Monsieur K. ; = 369.406 Francs aux Établissements L. ; = 69.587 Francs à Monsieur M. ; = 23.500 Francs à Monsieur N. ; = 150.542 Francs à la SCA « O. Frères ».

 

Pour sa part, l'EDF ne discute pas la réalité des coupures d'électricité invoquées. Elle expose cependant que la fourniture d'énergie électrique ayant un caractère aléatoire, il y a faute des victimes exonératoire de tout ou partie de sa responsabilité à n'avoir point disposé d'une installation d'énergie électrique de secours. Elle ajoute que certaines des interruptions d'électricité alléguées procèdent d'un cas de force majeure et ne sauraient donc lui être imputées. Elle conclut en conséquence au rejet de toutes les demandes.

Subsidiairement, l'EDF sollicite le rejet de celles des demandes qui reposent sur les interruptions provoquées par le cas de force majeure invoqué et l'application aux autres demandes de la clause limitative de sa responsabilité prévue par le contrat.

Très subsidiairement, elle sollicite l'application à toutes les demandes de ladite clause.

Par ailleurs, dans tous les cas où sa responsabilité serait retenue, elle requiert une mesure d'expertise à l'effet de déterminer le montant des préjudices subis.

 

En réponse à l'argumentation de l’EDF, les demandeurs font valoir que la force majeure exonératoire de tout ou partie de la responsabilité de l'EDF n'est pas constituée en l'espèce ; qu'au surplus la clause limitative de la responsabilité de la défenderesse, prévue par le contrat d'abonnement qui lie à l'EDF chacun des demandeurs, est nulle en vertu de l'article 2 du Décret du 24 mars 1978. Ils maintiennent donc l'intégralité de leur demande initiale.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS de la décision :

SUR LE PRINCIPE de la REPONSABILITÉ de l'EDF :

Aux termes des dispositions du contrat souscrit par les demandeurs auprès de l'EDF, celle-ci est responsable des interruptions inopinées de fourniture et par suite des dommages en résultant pour l'abonné à moins qu'elle n'établisse que ces interruptions sont le fait de l'abonné ou procèdent de la force majeure.

En l'espèce l'EDF n'allègue pas que c'est en raison d'un fait de ses abonnés que s'est produite l'une des interruptions de fourniture qui lui sont reprochées.

Par ailleurs, si l'EDF se prévaut de la force majeure pour justifier de certaines interruptions de fourniture de janvier 1985, elle ne s'en prévaut pas pour toutes. Le principe de sa responsabilité pour les autres, et notamment pour celles du 7, du 14 et du 16 janvier 1985, est donc acquis.

S'agissant des interruptions du 8 et du 17 janvier 1985 dont elle soutient qu'elles ont été provoquées par un froid exceptionnel, constitutif de la force majeure, il est bien certain que la région comme le reste du pays ont connu pendant cette période des températures tout à fait inhabituelles. Cela étant, l'EDF ne verse aucune pièce de nature à justifier que les jours précis où se sont produites les interruptions de courant incriminées le froid ait été si exceptionnel qu'il ne pouvait être raisonnablement prévu. Au surplus elle ne justifie pas davantage de ce qu'il ne lui était pas possible de parer à cette période de froid inhabituelle.

Ainsi les conditions de la force majeure ne sont pas réunies et l'EDF ne s'exonère donc pas de sa responsabilité, même en ce qui concerne les interruptions qui auraient été causées par le froid.

 

SUR la MESURE de la REPONSABILITÉ de l’EDF :

Le problème ici posé concerne tout à la fois le point de savoir si une faute ayant concouru à la réalisation de leur propre dommage peut être reprochée aux demandeurs - auquel cas leur responsabilité viendrait en atténuation de la responsabilité de l’EDF - et si la clause limitative de la responsabilité de l'EDF prévue par le contrat d'abonnement est ou non valable au regard des dispositions législatives et réglementaires.

- Sur le premier point, il faut pour qu'une faute puisse être retenue à l'encontre des demandeurs, que l'EDF justifie de l'obligation (contractuelle) à laquelle il a été manqué par ceux-ci.

Sans doute se déduit-il de son argumentation qu'ils auraient manqué à un devoir élémentaire de prudence en ne se dotant pas d'un groupe électrogène pour faire face aux interruptions inopinées de fourniture de courant. Cependant, outre qu'il est clairement indiqué à l'article 1 du contrat de fourniture que l'installation de groupes de secours n'est pour l'abonné qu'une simple faculté, il est encore précisé à l'article 12 du même contrat que l'existence de groupes de secours - ce qui en bonne logique doit se comprendre aussi de leur inexistence - ne modifie en rien les droits et obligations des parties résultant des dispositions dudit article, lequel pose le principe de la responsabilité de l'EDF pour interruption inopinée de fourniture.

Dans ces conditions l'EDF ne peut venir faire grief à ses abonnés de ne s'être point dotés de groupes de secours, et leur imputer à faute susceptible d'engager leur responsabilité, dès lors qu'elle avait contractuellement maintenu le principe de sa responsabilité pour interruption inopinée de fourniture nonobstant l'existence de groupes de secours.

Nulle faute n'est en conséquence établi par l’EDF à l'encontre des demandeurs et notamment aucun manquement à un quelconque devoir de prudence. L'EDF demeure donc seule responsable à leur endroit des interruptions de fourniture d'énergie électrique de janvier 1985.

- Sur le second point, il résulte de l'article 2 du Décret du 24 mars 1978 pris pour l'application de l'article 35 de la Loi du 10 janvier 1978 que « dans les contrats de vente conclus entre des professionnels, d'une part, et, d'autre part, des non-professionnels ou des consommateurs, est interdite comme abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de réduire le droit à réparation du non-professionnel ou consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations. »

En l'espèce il n'est pas douteux que la relation entre l'EDF et ses usagers est de nature contractuelle, ni que la fourniture d'énergie électrique a le caractère d'une vente.

De plus, au sens de la lettre comme de l'esprit des dispositions sus-visées, l'EDF présente tous les caractères du professionnel, et notamment la supériorité technique et juridique ainsi que la position monopolistique, tandis que ses abonnés présentent, eux, tous les caractères du consommateur.

Dans ces conditions, il importe de considérer que les dispositions de l'article 2 du Décret du 24 mars 1978 s'appliquent aux relations contractuelles entre l'EDF et ses usagers, lors même que l'EDF serait un établissement public chargé de la gestion d'un service public industriel et commercial.

Il est, en effet, un principe constant d'interprétation des textes juridiques que l'on ne doit pas distinguer là la Loi ne distingue pas, et en l'espèce la Loi ne distingue pas des autres professionnels le cas des services publics industriels et commerciaux, ce qui se conçoit d'autant mieux que les relations contractuelles entretenues par ces services avec leurs usagers sont régies par le droit privé et le sont précisément en raison de l'analogie qu'elles présentent avec les relations contractuelles entretenues par des professionnels de toute autre activité industrielle ou commerciale avec leurs usagers.

Mais cela étant il découle de ce qui précède, et notamment de l'article 35 de la Loi du 10 janvier 1978 comme de l'article 2 du Décret du 24 mars 1978, que la clause limitative de la responsabilité de l'EDF insérée à l'article 12 du contrat conclu par elle avec chacun des demandeurs est interdite et doit être réputée non écrite.

La responsabilité de l'EDF pour les damages résultant des interruptions de courant de janvier 1985 n'est donc limitée que par l'importance des préjudices subis par les demandeurs.

 

SUR le PRÉJUDICE de CHACUN des DEMANDEURS

Si les pièces produites aux débats fondent un principe de préjudice, elles ne permettent pas d'en apprécier précisément et objectivement l'importance. Il convient par suite d'ordonner une expertise.

 

SUR l'EXÉCUTION PROVISOIRE du JUGEMENT

Il n'y a pas lieu, par application de l'article 515 du nouveau Code de Procédure Civile, d'ordonner l'exécution provisoire du jugement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

DÉCISION

PAR ces MOTIFS,

le TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort :

Déclare l'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE seule responsable des conséquences dommageables pour les DEMANDEURS des interruptions de fourniture d'énergie électrique survenues les 7, 8, 14, 15 et 17 janvier 1985.

Répute non écrite la clause limitative de la responsabilité de l'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE insérée à l'article 12 du contrat souscrit auprès d'elle par les DEMANDEURS.

Avant dire droit sur le préjudice de chacun des DEMANDEURS,

Ordonne une expertise.

Commet pour y procéder Monsieur W. demeurant […], lequel aura pour mission :

= de prendre connaissance du dossier ;

= de se faire remettre tous documents ou renseignements utiles, à charge d'en indiquer la provenance ;

= d'entendre les parties et tous sachants en leurs explications ;

= de se rendre en tant que de besoin sur les lieux d'exploitation des DEMANDEURS aux fins de :

1°) indiquer précisément l'incidence des interruptions de courant incriminées pour chacun des DEMANDEURS ;

2') fournir au TRIBUNAL tous éléments utiles à la détermination du préjudice subi par chacun d'eux du fait desdites interruptions.

Désigne le JUGE de la MISE en ÉTAT de la 1ère Chambre de ce TRIBUNAL pour contrôler les opérations d'expertise.

Fixe le montant de la provision à consigner au Secrétariat-Greffe de ce TRIBUNAL à la somme de DIX MILLE FRANCS (10.000 Francs) à valoir sur la rémunération de l'Expert, la consignation devant être faite par l'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE avant le PREMIER MAI MIL NEUF CENT QUATRE VINGT SIX.

Dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, les parties devront fournir leurs explications au JUGE chargé du contrôle de l'expertise.

Dit que les parties devront remettre sans délai à l'Expert, sur sa demande, les documents que celui-ci estimera nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

Dit que l'expert devra déposer son rapport au GREFFE de TRIBUNAL dans le délai de TROIS MOIS à dater du jour de la consignation.

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.

Réserve les dépens.

Ainsi prononcé en audience publique le ONZE MARS MIL NEUF CENT QUATRE VINGT SIX.