CA DOUAI (3e ch.), 1er décembre 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 6599
CA DOUAI (3e ch.), 1er décembre 2016 : RG n° 15/04520 ; arrêt n° 16/839
Publication : Jurica
Extrait : « L'article 1253 du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 stipule que le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu'il paye, quelle dette il entend acquitter. Cependant, les dispositions protectrices du code de la consommation n'édictent aucune interdiction de déroger à la possibilité pour l'emprunteur d'affecter un remboursement par anticipation à tel prêt en particulier. Il demeure loisible au prêteur de décider conventionnellement que le prêt au taux le plus faible sera remboursé en priorité sans que cela créé nécessairement un déséquilibre au détriment de l'emprunteur. En effet, aucune pénalité financière n'affecte l'emprunteur qui rembourse par anticipation un prêt sans intérêts. M. X. ne développe d'ailleurs aucun argument qui révélerait le caractère abusif de cette clause. Sa demande tendant à déclarer la clause réputée non écrite sera rejetée. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DOUAI
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 1er DÉCEMBRE 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/04520. Arrêt n° 16/839. Jugement (R.G. n° 11/08295) rendu le 9 juin 2015, par le tribunal de grande instance de Lille.
APPELANTE :
Société Crédit Agricole Nord de France
domicilié en cette qualité audit siège, ayant son siège social [adresse], Représentée et assistée par Maître Martine M., avocat au barreau de Lille
INTIMÉS :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], de nationalité française, demeurant [adresse], Représenté et assisté par Maître Laurence de C., avocat au barreau de Lille
SA CIC Nord Ouest
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés es qualité audit siège, ayant son siège social [adresse], Représentée par Maître Ghislain H., avocat au barreau de Lille, Assistée de Maître Olivier P., avocat au barreau de Lille substituant Me H., avocat au barreau de Lille
SCP D.D.D.
ayant son siège social [adresse], Représentée par Maître Véronique V.-B., avocat au barreau de Lille, Assistée de Maître Olivier P., avocat au barreau de Lille substituant Me V.-B., avocat au barreau de Lille
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Benoît Mornet, président de chambre, Cécile André, Conseiller, Benoît Pety, conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau
DÉBATS à l'audience publique du 27 octobre 2016
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2016 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Benoît Mornet, président, et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 20 septembre 2016
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
M. X. a financé l'acquisition d'une maison à usage d'habitation par deux prêts immobiliers souscrits auprès de la SA Banque CIC Nord Ouest le 16 juin 2008 :
- un prêt IMMO modulable de 106.200 euros remboursable en 180 mensualités de 839,82 euros
- un prêt à taux zéro de 8.800 euros remboursable en 48 mensualités de 183,33 euros à partir de 2022.
Le CIC lui a par ailleurs consenti un prêt professionnel le 4 novembre 2008 d'un montant de 49.000 euros remboursable en 84 mensualités de 705,15 euros, pour financer l'acquisition de parts dans une SCM au sein de laquelle il exerce la profession de kinésithérapeute.
Enfin, le 23 mars 2010, la banque CGI a racheté un prêt à la consommation de 27.150 euros remboursable en 120 mensualités de 341,22 euros, destiné à financer ses études.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord de France (ci-après la CRCA) lui a consenti un nouveau prêt professionnel le 9 juin 2010 d'un montant de 20.000 euros remboursable en 84 mensualités de 265,89 euros pour lui permettre de racheter des parts de la SCM dans laquelle il est associé.
L'établissement bancaire a formulé au cours de l'année 2010 une offre de restructuration des différents prêts.
Par acte authentique du 15 novembre 2010 reçu par Maître D., la CRCA a consenti à M. X. un prêt d'un montant de 104.108 euros remboursable en 180 mensualités de 724,47 euros, destiné à rembourser le prêt IMMO consenti par le CIC.
La CRCA a également racheté le prêt professionnel consenti par le CIC, par un prêt de 40.516 euros remboursable en 120 mensualités de 394,98 euros, souscrit le 21 juillet 2010.
Enfin, cet établissement a racheté le crédit à la consommation consenti par la CGI, par un prêt de 27.000 euros remboursable en 84 mensualités de 418,06 euros.
Malgré ces opérations de restructuration, ni le prêt immobilier ni le prêt professionnel souscrits auprès du CIC n'ont pu être soldés immédiatement, et ne l'ont été que les 30 juin et 18 mars 2011.
Par acte du 2 août 2011, M. X. a fait assigner la CRCA devant le Tribunal de Grande Instance de Lille aux fins de le voir condamner à l'indemniser de son préjudice découlant d'un manquement à son obligation de mise en garde.
Par acte du 16 janvier 2012, la CRCA a fait assigner le CIC NORD OUEST aux fins de le voir condamné à la garantir de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre au profit de M. X.
Par acte du 3 octobre 2012, M. X. a fait assigner la SCP notariale D.-D.-D., pour la voir condamnée in solidum avec la CRCA à lui verser des dommages et intérêts, au motif qu'il n'aurait pas dû instrumenter l'acte de prêt litigieux.
Les affaires ont été jointes.
Selon jugement du 9 juin 2015, le Tribunal de Grande Instance de Lille a :
- condamné la CRCA à payer à M. X. :
* la somme de 25.000 euros de dommages et intérêts
* la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la CRCA à payer à la SA CIC NORD OUEST la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la CRCA aux dépens ;
- débouté les parties pour le surplus de leurs demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire.
La CRCA a formé appel de cette décision par déclaration du 17 juillet 2015 et par ses dernières conclusions signifiées le 22 décembre 2015, elle demande à la cour de :
A titre principal,
- annuler le jugement ;
A titre subsidiaire,
- infirmer le jugement ;
En toutes hypothèses,
- statuant de nouveau, débouter M. X. de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, subsidiairement dire que le CREDIT AGRICOLE sera relevé intégralement de toute condamnation par le CIC NORD OUEST ;
- condamner M. X. aux entiers frais et dépens ainsi qu'à verser au CREDIT AGRICOLE NORD DE FRANCE la somme de 4.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais et dépens de première instance et d'appel.
Elle reproche aux premiers juges d'avoir soulevé d'office le moyen tiré de la violation de son devoir de mise en garde à l'égard de M. X., sans rouvrir les débats, violant ainsi le principe du contradictoire.
Subsidiairement, elle conteste avoir manqué à son devoir de mise en garde, alors que M. X. est un emprunteur averti et qu'il a assuré le remboursement des échéances sans incident ; que s'il existait un risque de surendettement seul l'emprunteur en est à l'origine.
Elle conteste également le préjudice allégué, puisque les sommes versées à titre d'indemnités de remboursement anticipé étaient dues contractuellement. Par ailleurs, elle observe que le demandeur chiffre son préjudice sans aucun élément de comparaison chiffré.
Très subsidiairement, elle considère qu'il n'y a pas de lien direct entre sa défaillance alléguée et l'état d'endettement de M. X. Elle soutient que la clause imposée par le CIC, qui l'a contraint à rembourser en priorité le prêt à taux zéro, est illégale, et qu'il n'avait aucun intérêt à faire racheter ce prêt compte-tenu du différé d'amortissement. Elle ne s'estime pas tenue des conséquences de l'absence d'instructions données par l'emprunteur, ni des fautes commises par une autre banque. Enfin, elle note que M. X. a manifestement attendu près d'une année pour rembourser le prêt MODULO CIC.
D'autre part, elle relève que le notaire l'avait informé de ce que le remboursement des crédits immobiliers se ferait en priorité sur le crédit à taux zéro et qu'il a malgré tout signé le contrat de prêt.
S'agissant des prêts professionnels, elle relève que M. X. ne lui a pas transmis le décompte de remboursement anticipé mentionnant l'existence d'une indemnité de remboursement anticipé due au CIC et ne lui a pas donné mandat de la payer. Elle ajoute qu'il n'a pas non plus affecté immédiatement le capital prêté au remboursement de ce prêt, et qu'elle n'est pas responsable des prélèvements opérés sur son compte bancaire ouvert au CIC pour d'autres causes et de son absence de provision.
Quant au prêt à la consommation, elle observe que le contrat ne prévoit pas d'indemnité de remboursement anticipé, que M. X. ne lui a pas transmis le décompte de remboursement et qu'elle ne pouvait donc en avoir connaissance.
Sa demande de garantie intégrale contre le CIC est justifiée en considération des fautes commises par celui-ci, qui n'a pas respecté l'article L. 312-21 du code de la consommation ni la volonté de son client.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 27 janvier 2016, M. X. demande à la cour de :
- Dire bien jugé, mal appelé et en conséquence, débouter le Crédit Agricole de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu les fautes du Crédit Agricole ;
- Dire que la clause 3.4 du contrat de prêt liant M. X. au CIC en date du 16 juin 2008 est abusive et en conséquence, la réputer non-écrite ;
- Condamner le Crédit Agricole à payer à M. X. une somme de 37.638,05 euros en réparation de son entier préjudice assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision, solidairement avec le CIC sur la somme de 34.678,32 euros ;
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- Condamner solidairement le Crédit Agricole et le CIC à payer à M. X. une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- Condamner solidairement le Crédit Agricole et le CIC aux dépens de la première instance et d'appel.
Il fait valoir qu'il s'est retrouvé dans une situation financière difficile pendant quelques années en raison des manquements du CRCA à son obligation de conseil.
S'agissant de la nullité du jugement, il affirme avoir soulevé dans son assignation le manquement contractuel aux devoirs d'information et de mise en garde, que le tribunal a respecté le principe contradictoire, et qu'en tout état de cause l'effet dévolutif de l'appel implique que la cour statue même sur les moyens nouveaux tendant aux mêmes fins.
Quant aux manquements reprochés, il fait tout d'abord valoir qu'en lui proposant trois crédits dont le montant était inférieur aux sommes à rembourser, le CRCA n'a pas assuré l'efficacité des actes de prêts, et ne l'a pas mis en garde contre le risque de surendettement.
En particulier, il insiste sur le fait que les sommes prêtées n'ont pas suffi à rembourser les prêts contractés initialement par manque de vérifications du CRCA, et que les indemnités de remboursement anticipé pourtant mentionnées sur les contrats n'ont pas été pris en considération par le CRCA, ce qui l'a obligé à financer ces sommes sur ses fonds personnels, soit 1.612,64 euros pour le prêt à la consommation, et 1.215,49 euros pour le prêt professionnel. La banque aurait dû solliciter le décompte de remboursement avant de débloquer les fonds.
Au titre du rachat des prêts immobiliers il expose qu'il lui importait peu de ne plus bénéficier du prêt à taux zéro, mais que le CRCA aurait dû le prendre en compte puisqu'il était contractuellement prévu que ce prêt soit remboursé prioritairement. Il précise que le CIC en avait d'ailleurs informé Maître D. Il conteste avoir commis lui-même une faute puisque les fonds sont restés entre les mains du notaire, dans l'attente d'une solution pour régler la difficulté du prêt à taux zéro, et qu'il n'a finalement demandé le déblocage des fonds qu'après 8 mois de paiement de deux mensualités concurrentes.
Il considère que l'appelant aurait dû formuler une proposition adaptée et efficace, au besoin en s'informant auprès de tiers pour connaitre le montant exact à rembourser, puis adresser directement aux banques les fonds.
Il recherche également la responsabilité du CIC qui a inséré une clause abusive liant le remboursement du prêt principal au remboursement du prêt à taux zéro, et qui devra réparer son préjudice solidairement avec le CRCA concernant les prêts immobiliers.
Ce préjudice est caractérisé par le fait qu'il a dû rembourser une somme totale de 3.348,37 euros par mois de novembre 2010 à juin 2011 alors que ses ressources sont de 4.334 euros par mois, qu'il a dû emprunter de l'argent à son père.
Il sollicite la différence entre les sommes prêtées par le CRCA et celles dont il aurait dû disposer pour solder effectivement les prêts, outre les intérêts des mensualités convenues initialement qui ont continué à courir jusqu'en juin 2011, les frais d'acte notarié que la banque s'était engagée à assumer, les frais bancaires liés aux impayés sur ses comptes.
Il indique avoir vécu dans des conditions matérielles très difficiles, n'ayant pu rénover sa maison insalubre comme il en avait l'intention, ni jouir de ses revenus professionnels, ce qui lui a causé un préjudice moral important.
Par ses conclusions signifiées le 3 novembre 2015, le CIC NORD OUEST, formant appel incident, demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé le CIC NORD OUEST en toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions ;
- Y faire droit ;
En conséquence,
A titre principal,
- constater, dire et juger que les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen d'irrecevabilité soulevé en première instance par le CIC NORD OUEST ;
- constater, dire et juger que la CRCA n'a ni qualité ni intérêt à agir à l'encontre du CIC NORD OUEST ;
Et, en conséquence,
- déclarer irrecevable la CRCA en son action dirigée à l'encontre du CIC NORD OUEST ;
A titre subsidiaire et infiniment subsidiaire,
- débouter tant la CRCA que M. X. de l'ensemble de leurs demandes, fins, moyens et prétentions dirigées à l'encontre du CIC NORD OUEST ;
Et en conséquence,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
En toute hypothèse,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la CRCA à payer au CIC NORD OUEST la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- condamner la CRCA ou toute autre partie succombante à payer au CIC NORD OUEST la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et ce, par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- condamner la CRCA ou toute autre partie succombante aux entiers frais et dépens.
Il expose en premier lieu que la CRCA n'a ni intérêt ni qualité à agir, lorsqu'elle fait siens les arguments de M. X. relativement à la clause abusive et au remboursement prioritaire du prêt à taux zéro, et qu'elle ne peut tenter d'obtenir réparation d'un préjudice qui ne prend sa source que dans le seul préjudice personnel de M. X.
Il fait valoir que la clause 3.4 du contrat de prêt immobilier concernant le remboursement anticipé de plusieurs prêts a été jugée licite et qu'il n'avait aucune obligation de laisser au client le choix du prêt à rembourser en priorité s'agissant d'un remboursement total et non partiel.
Il rappelle que la somme versée par le notaire permettait le remboursement total et anticipé des deux prêts immobiliers.
Concernant le prêt professionnel, il affirme n'avoir reçu aucune instruction de son client pour affecter la somme de 40.516 euros virée le 22 juillet 2010 sur le compte, au remboursement de celui-ci, avant le 14 octobre, et à cette date seul un remboursement partiel a été possible. Le remboursement total a été possible le 18 mars 2011 selon ses instructions.
Il considère donc n'avoir commis aucune faute, contrairement à la CRCA.
Très subsidiairement il fait observer qu'en première instance, M. X. avait demandé la somme de 34.678,32 euros à titre de dommages et intérêts à la CRCA et à la SCP notariale uniquement, qu'en cause d'appel il a attribué la responsabilité de son préjudice moral à la CRCA uniquement, et qu'il ne saurait indemniser des frais bancaires comptabilisés par cette dernière.
Par ses dernières conclusions signifiées le 19 janvier 2016, la SCP D.-D.-D. demande à la cour de :
- constater que M. X. ne forme plus aucune prétention à son encontre et qu'il accepte l'analyse rendu par le Tribunal de Grande Instance de Lille le 9 juin 2015 en ce qui concerne la responsabilité civile professionnelle de la SCP notariale ;
En conséquence,
- confirmer le jugement en ce que M. X. a été débouté des demandes formées à son encontre ;
- condamner la partie succombante au paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Sur la nullité du jugement :
M. X. a délivré assignation et conclu sur le fondement de la responsabilité contractuelle à l'égard de la CRCA, en visant l'article 1147 du code civil et en faisant état de manière très générale de ses fautes dans le cadre de la restructuration des prêts, notamment sa carence quant aux informations que la banque aurait dû donner à l'emprunteur, et qui ont conduit à d'importantes difficultés de trésorerie. Le manquement à l'obligation de conseil et de mise en garde n'étant mentionné à aucun moment dans ses écritures devant les premiers juges, il en résulte qu'en qualifiant d'office la faute contractuelle de la sorte, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen de droit qui n'était pas dans le débat, le tribunal s'est abstenu de respecter le principe contradictoire.
Il convient de faire droit en conséquence à la demande de nullité du jugement. En tout état de cause, la question du manquement au devoir de mise en garde est désormais dans le débat et les parties concluent expressément sur ce point en cause d'appel.
Sur la responsabilité de la CRCA :
La CRCA ne conteste pas que l'objectif poursuivi par son client, à travers le rachat et la restructuration de ses différents prêts, était à la fois de permettre le financement par un nouveau crédit de l'achat de parts supplémentaires dans sa SCM professionnelle, et un allègement de sa charge mensuelle de remboursement.
Par la proposition formulée, le besoin en financement était assuré par un nouveau prêt professionnel de 20.000 euros du 9 juin 2010, et la charge totale des mensualités évoluait de 1.886,19 euros à 1.803,40 euros. Le montant des nouveaux emprunts consentis par la CRCA devait donc prendre en considération les sommes dues au CIC et à la CGI au titre du remboursement anticipé de ces prêts. Or manifestement l'établissement bancaire s'est abstenu de comptabiliser certains frais et en particulier les indemnités de remboursement anticipé prévues contractuellement.
Ainsi, pour le prêt à la consommation, les fonds prêtés par la CRCA s'élèvent à 27.000 euros alors que la somme restant due est de 27.232 euros et que l'indemnité de résiliation est de 1.612,64 euros.
Pour le prêt professionnel, les fonds prêtés par la CRCA s'élèvent à 40.516 euros, montant du capital restant dû en juillet 2010, mais l'indemnité de résiliation était de 1.215,49 euros.
Pour les prêts immobiliers, les fonds prêtés par la CRCA s'élèvent à 104.108 euros ce qui inclut le capital du prêt principal, l'indemnité de résiliation, les frais de dossier et d'hypothèque, mais non les frais d'acte authentique (1.960 euros) et le remboursement du capital de 8.000 euros correspondant au prêt à taux zéro. Or, que cette clause soit ou non illicite, le contrat initialement consenti par le CIC prévoyait le remboursement prioritaire de ce dernier prêt et Maître D. en avait d'ailleurs été informé par le décompte adressé par le CIC le 15 novembre 2010. En revanche, le fait pour la CRCA d'avoir versé le capital prêté sur le compte professionnel alors que précisément il était destiné à rembourser un prêt professionnel n'est pas fautif.
La CRCA qui connaissait les objectifs poursuivis par M. X. devait prendre en considération ces spécificités contractuelles édictées par le CIC et la CGI. Elle ne pouvait ignorer l'existence de ces indemnités de remboursement anticipé, habituelles en la matière et mentionnées au contrat, et à tout le moins avait le devoir de s'en informer auprès de M. X. ou du prêteur, par la transmission des contrats initiaux. Elle était également informée de la situation financière, en particulier de ses revenus mensuels moyens de 4.334 euros et de sa charge d'impôt sur le revenu de 850 euros par mois.
En s'abstenant de prendre en compte l'existence du prêt à taux zéro et les indemnités de remboursement, et en proposant à M. X. de lui prêter des sommes qui ne lui permettaient pas de financer intégralement les capitaux et pénalités restant dus, sans l'informer de ce qu'une part de ces sommes devrait être réglée par ses propres moyens, la banque a manqué à son obligation de mise en garde. Il lui appartenait en effet d'alerter l'emprunteur non averti contre cet aspect du rachat des crédits, qui risquait de provoquer une situation financière délicate, risque qui s'est réalisé.
Aucune des parties ne conclut sur la perte de chance pourtant retenue par le tribunal comme étant le seul préjudice à indemniser. M. X. sollicite la réparation de la totalité de son préjudice et non d'une fraction de celui-ci. Or le manquement de la banque à son devoir d'information et de mise en garde qui n'a pas permis à l'emprunteur de contracter en connaissance de cause ne pourrait être à l'origine que d'une perte de chance de ne pas contracter et donc de ne pas supporter des charges et des frais d'un montant inadapté à sa situation financière, ou encore de provisionner ces charges par d'autres moyens comme il l'indique.
En considération de son nouveau besoin de financement professionnel, et de son souhait de réduire sa charge mensuelle de remboursement, il n'est pas démontré que même informé et mis en garde, M. X. n'aurait pas contracté avec la CRCA pour parvenir à ces restructurations de crédit. Aucune perte de chance n'est donc établie à ce titre.
En revanche, il est fondé à soutenir qu'il aurait pu anticiper et provisionner ces charges par d'autres moyens. Cette éventualité est sérieuse et il convient de fixer la perte de chance à 75% du préjudice.
M. X. justifie qu'il n'a pu provisionner les sommes réclamées par la CGI au titre du prêt à la consommation soit un débit non prévu de 1.612,64 euros sur son compte en septembre 2010 correspondant à l'indemnité de résiliation. Le prêt a été soldé le 23 septembre 2010.
Concernant les prêts immobiliers, il est établi que M. X. aurait dû, pour solder les deux prêts, verser la somme d'environ 110.000 euros. Le capital prêté étant resté bloqué entre les mains du notaire jusqu'à ce que les fonds suffisants soient réunis pour solder les prêts, M. X. a donc dû fournir un effort financier imprévu, entre novembre 2010 et le 27 juin 2011, date à laquelle les prêts immobiliers souscrits auprès du CIC ont pu effectivement être soldés, en remboursant non seulement la mensualité due à la CRCA soit 724,47 euros mais également celle due au CIC soit 724,47 euros.
Toutefois les indemnités de résiliation anticipée étaient dues contractuellement et elles ne constituent pas un préjudice réparable au titre de la perte de chance. Le même raisonnement peut être retenu s'agissant des frais de notaire.
S'agissant du prêt professionnel, l'indemnité de résiliation s'est élevée à 1.057,45 euros (840 + 217,45) alors qu'elle aurait dû être de 1.215,49 euros si le prêt avait été soldé en juillet 2010. Le prêt a été soldé partiellement le 3 novembre 2010 par un versement de 28.000 euros puis intégralement en mars 2011 par un versement de 7.248,60 euros.
Toutefois, la circonstance que le montant du capital de 40 516 euros versé sur son compte professionnel de M. X. ait en partie été absorbé par ses charges professionnelles n'est pas un préjudice en lien avec la faute de la CRCA. Il appartenait à M. X. de s'assurer de ce que son compte était par ailleurs suffisamment approvisionné pour permettre le règlement de ses charges courantes, seul le remboursement du prêt devant être financé par le nouvel emprunt. M. X. ne s'explique pas pour quelle raison ce ne sont finalement que 28.000 euros sur 40 516 euros qui ont pu être affectés dans un premier temps au remboursement anticipé partiel du prêt professionnel. La circonstance qu'il ait dû assumer les échéances de remboursement dues à la fois au CIC pour 705,15 euros, et à la CRCA pour 394,98 euros pendant quelques mois, n'est donc pas due à la faute de cette dernière, mais seulement aux décisions personnelles de l'emprunteur.
Des frais bancaires en raison des découverts en compte ont par ailleurs été comptabilisés, par le CIC et la CRCA en raison des échéances prélevées en « doublon » sur des comptes débiteurs alors que cette situation aurait pu être évitée. Toutefois pour les raisons énoncées au paragraphe précédent, les frais concernant le compte professionnel ne sauraient être pris en considération. Les frais bancaires en lien de causalité avec la faute s'élèvent à 557,39 euros.
En définitive, le préjudice réparable s'élève à 75% des frais bancaires soit 418,04 euros que la CRCA sera condamnée à lui payer.
Enfin, M. X. est fondé à prétendre avoir subi un préjudice moral directement causé par la faute de la banque. Les tracas causés par cette situation financière délicate et par la nécessité d'un recours à un soutien financier familial méritent d'être indemnisés à hauteur de 500 euros.
En revanche, il soutient avoir vécu dans une maison insalubre ce qui ne résulte pas des pièces produites, et au surplus il ne démontre pas qu'il aurait été en mesure de financer des travaux d'amélioration s'il avait seulement pu provisionner les frais imprévus.
En conséquence, la CRCA sera condamnée à payer à M. X. à titre de dommages et intérêts la somme de 918,04 euros.
Sur la responsabilité du CIC :
M. X. reproche au CIC d'avoir inséré une clause abusive 3.4 dans le contrat de prêt immobilier, aux termes de laquelle « au cas où le contrat comporte plusieurs prêts, le Prêteur se réserve le droit d'affecter en priorité le montant du remboursement anticipé partiel ou total au prêt immobilier bénéficiant du taux le plus faible ».
Selon l'article L. 312-21 du code de la consommation dans sa version antérieure au 1er juillet 2016, l'emprunteur peut toujours, à son initiative, rembourser par anticipation, en partie ou en totalité, les prêts régis par les sections 1 à 3 du présent chapitre. Le contrat de prêt peut interdire les remboursements égaux ou inférieurs à 10 % du montant initial du prêt, sauf s'il s'agit de son solde. Si le contrat de prêt comporte une clause aux termes de laquelle, en cas de remboursement par anticipation, le prêteur est en droit d'exiger une indemnité au titre des intérêts non encore échus, celle-ci ne peut, sans préjudice de l'application de l'article 1152 du code civil, excéder un montant qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat, est fixé suivant un barème déterminé par décret.
L'article 1253 du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 stipule que le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu'il paye, quelle dette il entend acquitter.
Cependant, les dispositions protectrices du code de la consommation n'édictent aucune interdiction de déroger à la possibilité pour l'emprunteur d'affecter un remboursement par anticipation à tel prêt en particulier. Il demeure loisible au prêteur de décider conventionnellement que le prêt au taux le plus faible sera remboursé en priorité sans que cela créé nécessairement un déséquilibre au détriment de l'emprunteur. En effet, aucune pénalité financière n'affecte l'emprunteur qui rembourse par anticipation un prêt sans intérêts. M. X. ne développe d'ailleurs aucun argument qui révélerait le caractère abusif de cette clause.
Sa demande tendant à déclarer la clause réputée non écrite sera rejetée.
Par ailleurs, M. X. soutient que le CIC n'a pas respecté sa volonté quant à l'affectation des capitaux sur les différents crédits à rembourser. Toutefois, en l'absence de toute pièce susceptible de démontrer qu'il aurait donné des instructions précises à la banque sur ce point, la preuve de cette faute n'est pas rapportée.
M. X. sera donc débouté de sa demande en ce qu'elle est formée contre le CIC.
Sur la garantie de la CRCA par le CIC :
Les développements du CIC sur l'irrecevabilité de la demande de la CRCA sur le caractère illicite de cette clause sont sans conséquence juridique dès lors que M. X. reprend à son compte ce moyen et énonce des fautes commises par lui pour solliciter la condamnation in solidum des deux établissements bancaires.
La CRCA est en tout état de cause bien fondée à solliciter la garantie du CIC en évoquant des fautes à l'égard de M.C. dont elle-même aurait subi préjudice.
Il a été relevé que le CIC n'avait nullement fait abstraction des instructions de son client quant à l'affectation des fonds empruntés pour le remboursement des emprunts en cours. M. X. a d'ailleurs expressément indiqué que le principe du remboursement prioritaire du prêt à taux zéro ne lui était pas en soi préjudiciable mais qu'il lui manquait seulement les fonds suffisants pour procéder à son remboursement par la faute de la CRCA.
En l'absence de faute du CIC, la CRCA sera déboutée de son appel en garantie.
Sur la mise en cause de la SCP D.-D.-D. :
Il sera constaté que M. X. ne formule plus de prétention à l'encontre de la SCP D.-D.-D., de sorte qu'il convient de la mettre hors de cause.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
La CRCA voit son recours prospérer en grande partie mais la reconnaissance de sa responsabilité à l'égard de son client justifie que les dépens de première instance et d'appel soient mis à sa charge.
En équité, il convient de condamner la CRCA à payer à M. X., au CIC et à la SCP D.-D.-D. la somme de 2.500 euros (chacun) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Annule le jugement rendu le 9 juin 2015 par le tribunal de grande instance de Lille ;
Statuant,
Met hors de cause la SCP D.-D.-D. ;
Déclare recevables les demandes formées par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France à l'encontre de la banque CIC NORD OUEST ;
Dit n'y avoir lieu à réputer non écrite la clause 3.4 du contrat de prêt souscrit par M. X. auprès du CIC ;
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France à payer à M. X. la somme de 918,04 euros à titre de dommages et intérêts ;
Déboute M. X. de ses demandes à l'encontre de la banque CIC NORD OUEST ;
Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France de sa demande en garantie formée contre la banque CIC NORD OUEST ;
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France à payer à M. X., au CIC NORD OUEST et à la SCP D.-D.-D. la somme de 2.500 euros (chacun) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France aux dépens.
Le greffier Le président
H. Poyteau B. Mornet
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