CA BORDEAUX (1re ch. civ.), 28 mars 2017
CERCLAB - DOCUMENT N° 6795
CA BORDEAUX (1re ch. civ.), 28 mars 2017 : RG n° 15/05614
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Contrairement à ce que le tribunal a retenu dans la motivation de son jugement, le contrat de location a été conclu par le docteur X. non pas en qualité de consommateur, mais dans le cadre de son activité professionnelle de médecin généraliste libéral puisqu'il avait pour objet des matériels médicaux (à savoir un spiromètre et un ordinateur relié) destinés à équiper son cabinet.
Au surplus, le tribunal ne pouvait conclure à une violation, par la société Locam, de l'article L. 111-1 du code de la consommation imposant au professionnel de communiquer de manière lisible et compréhensible les informations relatives à l'existence et aux modalités de mise en œuvre des garanties et autres conditions contractuelles, dans le cadre d'une obligation pré contractuelle d'information, dès lors que ces dispositions sont issues de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, entrées en vigueur après la conclusion du contrat litigieux le 25 mai 2011. »
2/ « En revanche, il résulte des dispositions de l'article 1134 (ancien) du code civil que la clause stipulée à l'article 11 ne pouvait être opposée à M. X. que si elle avait été portée à sa connaissance et acceptée par lui. Or, seule la signature du bailleur figure au pied de la dernière page des conditions générales de location alors que celle de M. X. n'a été apposée sur aucune des deux pages. Il ne ressort nullement des mentions figurant aux conditions particulières que le locataire ait pris connaissance ou ait reçu un exemplaire des conditions générales. Il en résulte que l'article 11 ne peut trouver à s'appliquer et qu'en revanche, l'article 1722 du code civil libère M. X., locataire, de toute obligation d'indemnisation du bailleur du fait de la perte totale de la chose louée par suite de cas fortuit. »
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 28 MARS 2017
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/05598. Rédacteur : Jean-Pierre FRANCO, conseiller. Nature de la décision : AU FOND. JONCTION AVEC DOSSIER R.G. n° 15/05614.
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 13 juillet 2015 par le Tribunal d'Instance de BORDEAUX (R.G. n° 11-13-001634) suivant deux déclarations d'appel des 9 septembre 2015 (RG : 15/05598) et 10 septembre 2015 (RG : 15/05614).
APPELANTE :
SAS LOCAM
agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [adresse], représentée par Maître B. substituant Maître Bruno V. de la SCP BRUNO V., avocats au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
M. X.
né le [date] à [ville], de nationalité Française, demeurant [adresse], représenté par Maître Myriam S., avocat au barreau de BORDEAUX
Compagnie d'assurances GROUPAMA CENTRE ATLANTIQUE
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [adresse], représentée par Maître Marie-Anne B. de la SELARL CABINET C. - M. - B. ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 février 2017 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Jean-Pierre FRANCO, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Michèle ESARTE, président, Jean-Pierre FRANCO, conseiller, Catherine BRISSET, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par acte sous-seing privé en date du 25 mai 2011, la société Locam a consenti à M. X., médecin généraliste, un contrat de location de longue durée concernant deux équipements professionnels fournis par la société EMS, à savoir un spiromètre « Easy Spiro » et un ordinateur « Emachine », moyennant le versement de 60 échéances mensuelles de 129 euros TTC.
Le 21 août 2012, M. X. a procédé à une déclaration de sinistre auprès de la compagnie Groupama dans le cadre de son contrat d'assurance multirisque et responsabilité civile professionnelle, en indiquant avoir été victime d'un vol avec effraction dans son cabinet médical portant notamment sur les deux matériels précités.
Après mise en demeure infructueuse en date du 20 décembre 2012, visant la clause résolutoire du contrat de location, la société Locam a fait assigner M. X. par acte en date du 13 mai 2013 devant le tribunal d'instance de Bordeaux en paiement de la somme principale de 6.385,50 euros avec intérêt au taux légal à compter du 21 décembre 2012.
Par acte en date du 12 mars 2014, M. X. a fait appeler en garantie la compagnie d'assurances Groupama centre Atlantique, pour la voir condamner à prendre en charge toutes les condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre et à lui payer la somme de 2.000 euros en réparation de sa résistance abusive et celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 13 juillet 2015, le tribunal d'instance de Bordeaux a débouté la société Locam de la totalité de ses demandes, en la condamnant à payer à M. X. la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts, outre celle de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a considéré que la société Locam ne démontrait pas avoir satisfait à son obligation d'information préalable et renforcée, en lui faisant connaître la nécessité de souscrire une police d'assurance spécifique emportant délégation de l'indemnité au loueur de matériel en cas de sinistre, et qu'en conséquence, elle ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 11 des conditions générales du contrat de location.
Faisant application du droit commun et de l'article 1722 du Code civil, le tribunal a retenu que le contrat de location avait été résilié de plein droit par suite du vol des matériels objets du contrat.
Dans des conditions de régularité non discutées, la société Locam a relevé appel total de ce jugement le 9 septembre 2015 puis le 10 septembre 2015.
Les deux instances ont été jointes par mention au dossier le 14 septembre 2015.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 8 décembre 2015, la société Locam demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de condamner M. X. à lui payer la somme de 6.385,50 euros avec intérêt au taux légal à compter du 21 décembre 2012, date de réception de la mise en demeure, et celle de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle souligne principalement :
- que contrairement à ce que le tribunal a retenu, il était impossible de faire application des dispositions de l'article L. 111-1 du code de la consommation en assimilant M. X. à un consommateur, puisque la convention de longue durée avait pour objet le financement de matériels professionnels,
- qu'elle n'a jamais été avisée par M. X. du vol survenu dans le courant de l'été 2012,
- que par dérogation aux dispositions de l'article 1722 du Code civil, qui n'ont pas un caractère d'ordre public, l'article 11 des conditions générales du contrat de location du 25 mai 2011 ont pu valablement obliger M. X. à contracter une assurance spécifique pour le matériel donné à bail, le transfert des risques pouvant être parfaitement dissocié du transfert de propriété.
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 8 février 2016, M. X. demande à la cour, en formant appel incident :
À titre principal,
- de confirmer en son entier le jugement déféré, en condamnant la société Locam à lui payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
À titre subsidiaire,
- de dire que la compagnie d'assurances Groupama devra le garantir de toutes les condamnations susceptible d'être prononcées à son encontre, et lui payer la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive outre celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il souligne principalement :
- que le contrat de location du 25 mai 2011 a été résilié de plein droit conformément à l'article 1722 du Code civil en raison du vol des matériels au courant du mois d'août 2012, qui constitue un cas fortuit,
- que la société Locam ne peut aujourd'hui se prévaloir de sa propre turpitude puisqu'elle aurait dû attirer son attention sur le caractère spécifique de l'article 11 des conditions générales et sur la nécessité d'une délégation d'assurance,
- que la société Locam ne peut valablement se fonder sur une clause aussi ambiguë, et susceptible de constituer une clause abusive au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation,
- qu'à titre subsidiaire, la cour devrait constater le manquement de son assureur Groupama à ses obligations professionnelles, compte tenu du caractère tardif du refus de prise en charge de l'équipement informatique utilisé dans le cadre de sa profession,
- que le contrat d'assurance ne contient aucune clause excluant l'indemnisation d'un matériel professionnel utilisé dans le cadre d'un contrat de location de longue durée,
- qu'il est fondé à solliciter le paiement de dommages et intérêts puisque seule l'attitude adoptée par l'assureur explique l'introduction de l'instance par la société de location.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 7 avril 2016, la compagnie Groupama centre Atlantique demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et de condamner la société Locam à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
À titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement et condamnerait M. X. au paiement des sommes réclamées par la société Locam ; Groupama sollicite le rejet des demandes formées à son encontre par M. X. dans le cadre de son appel incident.
Elle réclame alors la condamnation de M. X. au paiement d'une indemnité de 3.000 euros pour frais irrépétibles.
Elle fait principalement valoir :
- que la société Locam ne démontre pas avoir porté à la connaissance du locataire les conditions générales du contrat, et en particulier son article 11,
- qu'en effet, les conditions générales produites aux débats par la société Locam ne sont pas signées par le locataire,
- que le contrat d'assurance multirisque des professions indépendantes souscrit par M. X. concernait uniquement les biens professionnels dont l'assuré était propriétaire,
- qu'en toute hypothèse, M. X. ne l'a jamais informée de la souscription de ce contrat de location, ni a fortiori des conditions générales qui imposaient la souscription d'une garantie spécifique,
- qu'en réalité M. X. a été particulièrement négligent et se trouve à l'origine de la situation procédurale actuelle,
- qu'aucune clause du contrat d'assurance souscrit par M. X. ne prévoit la prise en charge des loyers échus et à échoir d'un contrat de location financière,
- qu'en qualité d'assureur, elle est totalement étrangère au litige opposant M. X. à la société Locam et ne peut voir sa responsabilité recherchée.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des faits de l'espèce, des prétentions et moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2017.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande en paiement de la société Locam :
Selon procès-verbal en date du 22 août 2012, complété le 23 août 2012, M. X. a déposé plainte auprès de la gendarmerie de L. M. pour un vol avec effraction commis à l'intérieur de son cabinet médical durant son absence, entre le 16 août 2012 et le 20 août 2012, portant sur divers matériels et notamment sur l'ordinateur portable Easy Spiro pris en location auprès de la société Locam.
M. X. a de plus fait procéder à un constat d'huissier le 22 août 2012 qui décrit les dégradations et traces d'effraction visibles dans le cabinet ; et il n'existe aucune contestation de la part de la société Locam et de la compagnie d'assurances sur les circonstances et les conséquences du sinistre.
Selon les dispositions de l'article 1722 du Code civil, le bail est résilié de plein droit sans dédommagement au profit de l'une ou l'autre des parties en cas de destruction totale de la chose louée par cas fortuit.
Avisée du vol du matériel loué selon courrier électronique de la compagnie Groupama en date du 7 janvier 2014, la société Locam n'a pas contesté que ce sinistre pouvait être qualifié de cas fortuit, et s'est bornée à invoquer, par courrier électronique en réponse, puis lors de l'instance, les termes de l'article 11 qui imposait au locataire d'assurer le bien en responsabilité civile illimitée pour le cas de vol, incendie, explosion, défense et recours, avec insertion obligatoire d'une clause expresse de la police déléguant au loueur le bénéfice de toute indemnité qui serait normalement versée à l'assuré en cas de sinistre.
Contrairement à ce que le tribunal a retenu dans la motivation de son jugement, le contrat de location a été conclu par le docteur X. non pas en qualité de consommateur, mais dans le cadre de son activité professionnelle de médecin généraliste libéral puisqu'il avait pour objet des matériels médicaux (à savoir un spiromètre et un ordinateur relié) destinés à équiper son cabinet.
Au surplus, le tribunal ne pouvait conclure à une violation, par la société Locam, de l'article L. 111-1 du code de la consommation imposant au professionnel de communiquer de manière lisible et compréhensible les informations relatives à l'existence et aux modalités de mise en œuvre des garanties et autres conditions contractuelles, dans le cadre d'une obligation pré contractuelle d'information, dès lors que ces dispositions sont issues de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, entrées en vigueur après la conclusion du contrat litigieux le 25 mai 2011.
En revanche, il résulte des dispositions de l'article 1134 (ancien) du code civil que la clause stipulée à l'article 11 ne pouvait être opposée à M. X. que si elle avait été portée à sa connaissance et acceptée par lui.
Or, seule la signature du bailleur figure au pied de la dernière page des conditions générales de location alors que celle de M. X. n'a été apposée sur aucune des deux pages.
Il ne ressort nullement des mentions figurant aux conditions particulières que le locataire ait pris connaissance ou ait reçu un exemplaire des conditions générales.
Il en résulte que l'article 11 ne peut trouver à s'appliquer et qu'en revanche, l'article 1722 du code civil libère M. X., locataire, de toute obligation d'indemnisation du bailleur du fait de la perte totale de la chose louée par suite de cas fortuit.
Il convient en conséquence de confirmer, pour d'autres motifs, le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de la société Locam, et constaté l'absence de demande de la société Locam à l'encontre de la compagnie Groupama, ainsi que le caractère subsidiaire de la demande de garantie de M. X. à l'encontre de Groupama.
En revanche, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Locam à payer à M. X. la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts, dès lors que ce dernier ne démontre ni le caractère abusif ou fautif de l'action en paiement du loueur, ni l'existence d'un préjudice consécutif à cette action, distinct de celui résultant de ses frais de procédure irrépétibles.
Il est équitable d'allouer à M. X. une indemnité complémentaire de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de celle déjà fixée par le premier juge.
Une somme de 1.500 euros sera également allouée sur ce fondement à la compagnie Groupama Centre Atlantique, intimée à tort par la société Locam.
Celle-ci doit supporter en outre les dépens d'appel dès lors qu'elle échoue en son recours.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Locam à payer à M. X. la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts,
Statuant à nouveau de ce chef,
Rejette la demande de dommages-intérêts de M. X.,
Y ajoutant,
Condamne la société Locam à payer à M. X. la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Locam à payer à la compagnie Groupama Centre Atlantique la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande formée par la société Locam sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Locam aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame Michèle ESARTE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
- 5820 - Code de la consommation - Clauses abusives - Application dans le temps - Illustrations : Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014
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