CA BORDEAUX (4e ch. civ.), 12 juin 2017
CERCLAB - DOCUMENT N° 6907
CA BORDEAUX (4e ch. civ.), 12 juin 2017 : RG n° 15/05459
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Deux contrats sont interdépendants quand ils sont les éléments essentiels d'une opération impliquant l'exécution de plusieurs contrats dont l'un constitue la cause de l'autre dont il est un élément déterminant du consentement, de sorte que lorsqu'un contrat disparaît, celui auquel il est lié est caduc. C'est à bon droit que l'appelante fait valoir que les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants, et que la résiliation d'un de ces contrats entraîne la caducité des contrats qui y sont liés.
Il appartient cependant à la partie qui l'invoque de rapporter la preuve de cette interdépendance et de la résiliation du contrat constituant la cause de l'autre. »
2/ « C'est à bon droit cependant que l'intimée oppose qu'il n'y a pas de nullité sans texte et que l'appelante ne vise aucune disposition légale fondant sa demande, les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation relatives aux clauses abusives étant inapplicables en l'espèce puisqu'elles ne visent que les rapports entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, et que les contrats conclus dans le cadre de la gestion administrative de l'entreprise (logiciel et matériel informatique par exemple) ont un rapport direct avec l'activité professionnelle. »
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 12 JUIN 2017
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/05459 (Rédacteur : Madame Elisabeth FABRY, Conseiller). Nature de la décision : AU FOND. Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 juin 2015 (R.G. n° 2014002283) par le Tribunal de Commerce de LIBOURNE suivant déclaration d'appel du 2 septembre 2015.
APPELANTE :
SARL SC IMMOBILIER
agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [adresse], représentée par Maître S. de la SCP L. - S., avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
SAS ESPIAUT ORGANISATION INFORMATIQUE
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit Siège, [adresse], représentée par Maître Frédéric G., avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 10 mai 2017 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth FABRY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Robert CHELLE, Président, Madame Elisabeth FABRY, Conseiller, Monsieur Dominique PETTOELLO, Conseiller.
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société SC Immobilier a conclu deux contrats de maintenance avec la société Espiaut Organisation Informatique, spécialisée dans les équipements de bureaux :
- le 19 mars 2012, un contrat de maintenance d'un photocopieur de marque Kyocera d'une durée de 55 mois ;
- le 19 avril 2012, un autre contrat de maintenance d'un photocopieur de marque Canon d'une durée de 63 mois.
La société SC Immobilier a résilié les contrats le 3 janvier 2014, ce dont la société Espiaut Organisation Informatique a accusé réception le 7 mars, en lui adressant les factures correspondant aux indemnités de résiliation. La société SC Immobilier n'a pas donné suite.
Par exploit d'huissier en date du 3 septembre 2014, la société Espiaut Organisation Informatique a fait assigner la société SC Immobilier devant le tribunal de commerce de Libourne aux fins de la voir condamner au paiement d'une somme principale de 4.038,98 euros.
Par jugement contradictoire en date du 19 juin 2015, le tribunal de commerce de Libourne a :
- déclaré la société Espiaut Organisation Informatique partiellement recevable en ses demandes ;
- condamné la société SC Immobilier à payer à la société Espiaut Organisation Informatique, à titre d'indemnités de résiliation anticipée, la somme de 4.038,98 euros assortie d'intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation du 3 septembre 2014,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes contraires ;
- dit n'y avoir lieu de prononcer l'exécution provisoire du jugement ;
-condamné la société SC Immobilier à payer à la société Espiaut Organisation Informatique la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société SC Immobilier a relevé appel du jugement par déclaration en date du 2 septembre 2015.
Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 16 février 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, elle demande à la cour de :
réformer le jugement
au principal
- débouter la société Espiaut de l'ensemble de ses autres demandes, fins et prétentions en ce qu'elles sont dirigées à son encontre
- à titre infiniment subsidiaire,
- déclarer nulle comme étant abusive la clause intitulée « résiliation du contrat sur l'initiative du client »
- à titre encore plus subsidiaire
- dire et juger que la clause intitulée « résiliation du contrat sur l'initiative du client » est une clause pénale et, en conséquence, faute pour la société Espiaut de justifier de la réalité d'un préjudice, la débouter de l'intégralité de ses demandes
- à titre encore plus subsidiaire
- dire et juger que la clause intitulée « résiliation du contrat sur l'initiative du client » est une clause pénale, dont l'application ne saurait excéder le montant de l'euro symbolique
en toutes hypothèses, débouter la société Espiaut Organisation Informatique de toute autre demande plus ample ou contraire
- condamner la société Espiau Organisation Informatique à lui payer une somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP L.S., avocat, sur ses affirmations de droit.
Elle soutient en substance que le contrat de financement est indissociable du contrat de maintenance ; que dès lors qu'elle a régulièrement résilié les contrats de location financière des matériels, les contrats de maintenance (dont la durée est calée sur celle des contrats de financement) qui leur sont accessoires ont été valablement résiliés ; que les contrats de maintenance trouvent leur cause dans l'utilisation du matériel, de sorte que si celui-ci disparaît ou est restitué, les contrats perdent leur objet ; que les conditions générales qui prévoient les indemnités de résiliation ne sont applicables, comme le contrat lui-même, que tant que le matériel est disponible ; que la résiliation par anticipation non fautive du premier contrat entraine de facto la résiliation du second sans ouvrir droit au paiement d'une quelconque indemnité ; qu'elle ne saurait être tenue de payer dans le cadre du contrat de maintenance désormais dépourvu de cause des indemnités qui s'apparentent à des dommages et intérêts aux termes de ce qui s'avère être une clause pénale.
Elle invoque à titre subsidiaire la nullité de la clause de résiliation qu'elle qualifie d'abusive puisque son application revient à estimer que quelles que soient les hypothèses de résiliation, l'intimée lui impose de payer des pénalités de résiliation, et dans le cas où cette demande ne prospèrerait pas, elle demande la réduction à l'euro symbolique de la clause d'annulation qui est en fait une clause pénale. Elle conteste enfin les modalités de calcul de l'indemnité de résiliation du photocopieur Canon dont le contrat de maintenance a été conclu sans forfait.
Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 18 octobre 2016, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Espiaut Organisation Informatique demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
- rejeter les demandes de la société SC Immobilier,
- condamner la société SC Immobilier au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'art. 700 du code de procédure civile,
- condamner la société SC Immobilier aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, dont distraction au profit de Maître Frédéric G., avocat près la Cour d'appel, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Espiaut Organisation Informatique fonde ses demandes sur l'article 2.5 des conditions générales des deux contrats de service maintenance conclus avec la société SC Immobilier. Elle fait valoir que contrairement aux affirmations péremptoire de l'appelante, les contrats de financement et les contrats de maintenance ne sont pas indissociables ; que quand bien même ces deux contrats seraient interdépendants, cela ne permet nullement à l'une des parties de déroger à ses obligations contractuelles, sauf les cas d'inexécution fautive de ses obligations par le prestataire informatique ; qu'en tout état de cause, pour qualifier un contrat d'interdépendant, il faut en rapporter la preuve ; qu'en l'espèce, la durée des contrats de maintenance n'était nullement calquée sur les contrat de financement, ce qui démontre la totale indépendance des deux contrats. Elle ajoute qu'en tout état de cause, quand bien même ces contrats seraient interdépendants, la seule conséquence pour le locataire n'est pas la faculté de résiliation du contrat à sa guise et de manière anticipée mais seulement, dans les cas de défaillance de ses prestations par le prestataire ou dans les cas de force majeure (destruction du matériel par incendie par exemple) de se délier du contrat de financement et des mensualités restant dues à l'organisme prêteur ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, de sorte que le contrat les liant devra nécessairement recevoir exécution conformément aux conditions générales lues et approuvées par les parties et à l'ensemble desquelles l'appelante, professionnel, a librement consenti y compris la clause de résiliation, qui lui est opposable. Elle conteste la nullité de la clause de résiliation en faisant valoir qu'il n'y a pas de nullité sans texte et que l'appelante ne vise aucune disposition légale fondant sa demande, les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation relatives aux clauses abusives étant inapplicables au cas d'espèce puisqu'elles ne visent que les rapports entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, et que les contrats conclus dans le cadre de la gestion administrative de l'entreprise (logiciel et matériel informatique par exemple) ont un rapport direct avec l'activité professionnelle, de sorte que la législation relative aux clauses abusives n'est pas applicable.
Elle s'oppose enfin à la demande de diminution ou de suppression de l'indemnité prévue à la clause de résiliation en alléguant que celle-ci ne revêt aucunement la qualification de clause pénale, mais constitue une faculté de dédit excluant la possibilité pour le juge de la modifier.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 avril 2017.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Sur la demande principale :
La société Espiaut Organisation Informatique fonde sa demande en paiement sur l'article 2.5 des conditions générales des deux contrats de service maintenance conclus avec la société SC Immobilier, qui stipule : « dans le cas où le client résilierait le présent contrat de manière anticipée (...), il sera redevable d'une part d'une indemnité de résiliation égale à 95 % des montants forfaitaires mensuels le séparant de l'échéance normale du contrat, avec un minimum de 6 fois le montant forfaitaire mensuel, et d'autre part d'une indemnité égale à 95 % du volume copies le séparant de l'échéance normale du contrat.»
Pour s'opposer à la demande en paiement, l'appelante soutient :
- à titre principal, que les contrats de maintenance litigieux sont devenus caducs du fait de la résiliation des contrats de location financière des matériels dont ils sont indissociables ;
- à titre subsidiaire, que la clause intitulée « résiliation du contrat sur l'initiative du client » est nulle comme étant abusive ;
- à titre encore plus subsidiaire, que cette clause est une clause pénale dont le montant ne saurait excéder le montant de l'euro symbolique faute pour la société Espiaut de justifier de la réalité d'un préjudice ;
- enfin, que les modalités de calcul de l'indemnité de résiliation du contrat concernant le photocopieur Canon sont contraires aux termes du contrat qui a été conclu sans forfait.
Sur l'interdépendance des contrats et la caducité des contrats de maintenance :
Deux contrats sont interdépendants quand ils sont les éléments essentiels d'une opération impliquant l'exécution de plusieurs contrats dont l'un constitue la cause de l'autre dont il est un élément déterminant du consentement, de sorte que lorsqu'un contrat disparaît, celui auquel il est lié est caduc.
C'est à bon droit que l'appelante fait valoir que les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants, et que la résiliation d'un de ces contrats entraîne la caducité des contrats qui y sont liés.
Il appartient cependant à la partie qui l'invoque de rapporter la preuve de cette interdépendance et de la résiliation du contrat constituant la cause de l'autre.
En l'espèce, l'appelante ne verse aux débats aucun des contrats de location financière, dont ni la date ni la durée ne sont connues, de sorte que la cour, en l'état, n'est pas en mesure de se prononcer sur l'interdépendance existant entre les contrats. Rien ne permet d'affirmer notamment que la durée des contrats de maintenance (55 mois pour le photocopieur Kyocera, 63 mois pour le photocopieur Canon) était calquée sur les contrats de location auxquels au demeurant les contrats litigieux ne font aucune référence.
Par ailleurs et surtout, l'appelante ne justifie pas de la résiliation, antérieure ou concomitante, des contrats de location financière. La seule pièce qu'elle produit, pour la première fois devant la cour, est le courrier de résiliation concernant le photocopieur Kyocera adressé à la BNP Lease Group, daté du 30 juin 2014, soit près de six mois après la résiliation du contrat de maintenance. Il s'en déduit qu'à la date du 3 janvier 2014, le contrat de location financière n'avait pas été résilié, de sorte que l'argumentation tenant à l'interdépendance des contrats est totalement inopérante.
Le même raisonnement peut être tenu de plus fort s'agissant du contrat de maintenance du photocopieur Canon dont la société SC Immobilier ne produit toujours pas à ce jour le justificatif de résiliation.
Dans ces conditions, les contrats de maintenance ne sauraient être déclarés caducs. C'est à bon droit que l'intimée fait valoir que les contrats doivent recevoir exécution conformément aux conditions générales lues et approuvées par les parties et à l'ensemble desquelles l'appelante, professionnel, a librement consenti.
Sur la clause de résiliation :
L'appelante la soutient abusive puisque son application revient à estimer que quelles que soient les hypothèses de résiliation, l'intimée lui impose de payer des pénalités de résiliation, et dans le cas où cette demande ne prospèrerait pas, elle demande au tribunal de considérer que la clause d''annulation est en fait une clause pénale qu'il devra réduire à l'euro symbolique. Elle conteste enfin les modalités de calcul de l'indemnité de résiliation Canon conclu sans forfait.
C'est à bon droit cependant que l'intimée oppose qu'il n'y a pas de nullité sans texte et que l'appelante ne vise aucune disposition légale fondant sa demande, les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation relatives aux clauses abusives étant inapplicables en l'espèce puisqu'elles ne visent que les rapports entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, et que les contrats conclus dans le cadre de la gestion administrative de l'entreprise (logiciel et matériel informatique par exemple) ont un rapport direct avec l'activité professionnelle.
La demande tendant à la diminution ou à la suppression de l'indemnité prévue à la clause de résiliation sera elle aussi rejetée, la clause de résiliation constituant non pas une clause pénale destinée à sanctionner l'inexécution de la convention, mais une faculté de dédit visant à compenser forfaitairement un manque à gagner, dont le montant, dès lors qu'il est librement consenti par les parties, est insusceptible de modification par le juge.
La société Espiaut Organisation Informatique produit aux débats des factures et autres justificatifs de calcul qui justifient le montant des sommes réclamées, y compris s'agissant du photocopieur Canon dont le calcul de l'indemnité ne fait apparaître aucune contradiction avec les termes du contrat.
Le jugement qui a condamné la société SC Immobilier au paiement de la somme de 4.038,98 euros sera donc confirmé.
Sur les demandes accessoires :
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Espiaut Organisation Informatique les sommes exposées par elle en appel et non comprises dans les dépens. La société SC Immobilier sera condamnée à lui payer, outre l'indemnité allouée en première instance, la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société SC Immobilier qui succombe sera condamnée aux entiers dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Libourne en date du 19 juin 2015
Condamne la société SC Immobilier à payer à la société Espiaut Organisation Informatique la somme de 1.500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société SC Immobilier aux dépens d'appel dont recouvrement direct au profit de Maître Frédéric G., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Chelle, président, et par Monsieur Goudot, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
- 5860 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection implicite
- 5871 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Notion d’activité professionnelle - Activité administrative
- 5948 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Activité administrative - Reprographie : présentation par type d’activité
- 6392 - Code civil et Droit commun - Sanction indirecte des déséquilibres significatifs – Indivisibilité dans les locations financières - Droit postérieur aux arrêts de Chambre mixte