CA ORLÉANS (ch. civ. 2e sect.), 26 mai 1992
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 705
CA ORLEANS (ch. civ. 2e sect.), 26 mai 1992 : RG n° 560/89 ; arrêt n° 549
Extrait : « Attendu que, pour contester sa responsabilité, la Société ALPEC ne peut invoquer ni la clause insérée à l'article 9 du contrat, ni l'expiration de la garantie, ni l'absence de contrat d'entretien dans la mesure où la clause d'irresponsabilité conclue entre un professionnel et un consommateur profane sur l'objet du contrat se révèle abusive et doit être déclarée non écrite en application de l'article 2 du décret du 24 mars 1978 ».
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
CHAMBRE CIVILE DEUXIÈME SECTION
ARRÊT DU 26 MAI 1992
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Rép. Gén. N° 560.89. Arrêt n° 656.
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE :
1°) La Société Anonyme MPG,
dont le siège social est [adresse] agissant par son Président Directeur Général, domicilié en cette qualité audit siège. APPELANTE par déclaration au Greffe du : 17 février 1989. REPRESENTÉE par la SCP LAVAL, Avoués, ASSISTÉE de Maître SAGON, Avocat au Barreau du HAVRE
INTIMÉES :
2°) La Société à Responsabilité Limitée ALPEC,
dont le siège social est [adresse] - représentée par son Gérant, domicilié en cette qualité audit siège [minute page 2]
3°) LA MUTUELLE GENERALE d'ASSURANCES,
dont le siège social est [adresse] - représentée par son Directeur, domicilié en cette qualité audit siège
INTIMÉES, REPRESENTÉES par Maître BORDIER, Avoué, ASSISTÉES de Maître GENDRE, Avocat au Barreau de BLOIS
COMPOSITION DE LA COUR : lors des débats du délibéré et du prononcé de l'arrêt, Monsieur TAY, Président de Chambre, Monsieur BUREAU et Melle CHERBONNEL, Conseillers.
GREFFIER : Madame MEUNIER
ORDONNANCE DE CLOTURE du : 14 JANVIER 1992
DÉBATS : À l'audience publique du 10 FÉVRIER 1992, à laquelle ont été entendus les Avocats des parties.
ARRÊT : Prononcé par Monsieur BUREAU, Conseiller, à l'audience publique du 26 MAI 1992.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
A la suite d'un vol avec effraction ayant détruit une partie de son entrepôt de [lieu] dans la nuit du 26 au 27 août 1987, la Société MPG a assigné en responsabilité la Société à Responsabilité Limitée ALPEC, installatrice du système d'alarme et la COMPAGNIE MUTUELLES GENERALES d'ASSURANCES (ci-après MGA) assureur responsabilité civile de celle-ci pour obtenir réparation du dommage.
Par jugement du 18 novembre 1988, le Tribunal de Commerce de BLOIS a rejeté les demandes de la Société MPG contre ALPEC et a considéré, de ce fait, qu'il n'y avait pas lieu à examiner l'exception d'incompétence soulevée par la Compagnie MGA ; Il a condamné, par ailleurs, la demanderesse à payer à ses adversaires une somme de 4.000 francs à titre d'indemnité de procédure.
[minute page 3] La Société Anonyme MPG a relevé appel de cette décision ; elle lui reproche d'avoir considéré que le vice de l'installation n'était pas établi, que la Société ALPEC n'avait commis aucune faute et que sa responsabilité contractuelle n'était pas admissible puisque le matériel n'était plus sous garantie et ne bénéficiait d'aucun contrat d'entretien alors que :
- La Société ALPEC est tenue à une obligation de résultat,
- L'installation était censée être autoprotégée contre les sabotages et n'a pas rempli sa fonction,
- La Société ALPEC n'établit pas l'existence d'une cause étrangère exonératoire de responsabilité,
- Si l'installation était vulnérable au point de pouvoir être neutralisée dans les 20 secondes la Société à Responsabilité Limitée ALPEC n'a pas rempli son devoir de conseil en n'attirant pas son attention sur ce point,
- La clause de non responsabilité insérée au contrat est abusive et doit être déclarée non écrite,
- L'absence de garantie et de contrat d'entretien est sans incidence puisque l'installation avait été révisée par ALPEC peu de temps auparavant.
L'appelante considère donc avoir perdu une chance de voir le dommage ne pas se réaliser ; elle demande la réformation du jugement et la condamnation in solidum des intimées à lui payer la somme de 144.487,97 Francs en réparation de son préjudice ainsi que 20.000 Francs de dommages-intérêts pour trouble commercial et 20.000 Francs d'indemnité pour frais irrépétibles.
La Compagnie MGA forme appel incident et demande l'infirmation du jugement en ce qu'il s'est reconnu compétent pour statuer à son encontre alors qu'étant une Société de forme mutuelle elle ne relève pas de la juridiction commerciale ; elle demande sa mise hors de cause et que la Société MPG soit renvoyée à se pourvoir à son encontre devant telle juridiction qu'il appartiendra.
La Société ALPEC sollicite, elle, la confirmation du jugement sauf à voir porter [minute page 4] l'indemnité pour frais irrépétibles de 4.000 à 10.000 Francs ; elle réclame l'adoption des motifs du Tribunal en faisant valoir qu'elle n'est tenue qu'à une obligation de moyens et que son installation a bien fonctionné puisque la sirène s'est déclenchée et que, vraisemblablement, la transmission de l'alarme téléphonique à la Société de gardiennage VAL DE LOIRE PROTECTION était en train de se faire quand cette transmission a été interrompue en raison des moyens exceptionnels utilisés par les cambrioleurs pour perpétrer leur forfait ; qu'en effet, ceux-ci ont dérobé un chariot élévateur et une camionnette chez un voisin pour soulever le portail de l'entrepôt, repousser cinq fourgonnettes de la Société MPG qui leur barraient le passage, pénétrer dans les bureaux, enlever le coffre-fort scellé dans un socle en béton et repartir avec leur butin après avoir neutralisé la sirène d'un coup de fusil de chasse.
La Société ALPEC soutient donc que ce dernier élément établit de lui-même que la sirène a bien fonctionné et elle explique l'absence de transmission téléphonique à la Société de surveillance soit par le fait que le microprocesseur chargé de la composition du numéro ait été effacé par un court circuit engendré par l'arrachage brutal du boîtier, soit par la rupture de la ligne téléphonique lors de la destruction du bureau, éléments extérieurs à son installation ; elle ajoute qu'une telle installation ne se substitue pas à l'assurance et qu'elle ne peut donc, aux termes de l'article 9 du contrat de vente, être tenue pour responsable des conséquences du vol ; enfin, elle confirme que la Société MPG a refusé tout contrat d'entretien proposé par elle, le 27 février 1987, à l'expiration du délai de garantie.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR QUOI, LA COUR :
1° - Sur la responsabilité de la Société ALPEC :
Attendu que le système contractuellement promis par la Société ALPEC était constitué d'une détection volumétrique reliée à un central d'alarme actionnant lui-même une sirène intérieure autoprotégée et un transmetteur téléphonique alertant la Société de gardiennage ; étant précisé que sirène et transmetteur se déclenchent simultanément et que la composition du numéro par ce dernier appareil prend 20 secondes environ ;
Attendu que le devis mentionne la clause suivante intitulée « AUTOPROTECTION » : [minute page 5] « L'installation complète sera sous autoprotection permanente de jour comme de nuit. En cas de tentative de sabotage, l'alarme sera immédiatement donnée et ce, jusqu'à la remise en état de l'installation » ;
Attendu que la Société ALPEC fait référence à la conformité de son installation avec les règles définies par l'APSAIR (Assemblée Plénière des Sociétés d'Assurances contre l'Incendie et les Risques divers) ; qu'en matière d'autoprotection des systèmes, ces règles précisent : « boucle d'autoprotection = circuit de détection antisabotage contrôlant en permanence tous les éléments de surveillance et les câbles de raccordement de l'installation d'alarme » ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que la Société ALPEC s'est engagée à fournir une installation complètement autoprotégée censée résister aux atteintes violentes et notamment aux sabotages ; que cette auto protection concernait notamment les câbles d'alimentation électrique et de transmission téléphonique et qu'elle n'a pas, en l'espèce, rempli sa fonction si l'on se réfère aux deux hypothèses émises par l'appelante quant au non fonctionnement du système ;
Attendu que l'importance des moyens mis en cause par les cambrioleurs pour annihiler le système d'alarme est insuffisante pour expliquer la rapidité avec laquelle l'installation a été mise hors service et justifier la vulnérabilité excessive d'un système réputé résister aux sabotages ; qu'en effet, dans la mesure où il faut vingt secondes au transmetteur pour alerter par téléphone le surveillant, la Société ALPEC doit mettre en oeuvre une installation résistant au moins pendant ce laps de temps aux atteintes qui lui sont faites ; que, là encore, la Société ALPEC n'a pas rempli son obligation puisque la sirène était installée près de la porte sous la charpente de façon apparente et qu'il a manifestement fallu plus de vingt secondes, après leur détection par les radars volumétriques, aux malfaiteurs pour repousser au chariot élévateur les cinq fourgonnettes qui leur gênaient le passage ;
Attendu, enfin, que si le système sophistiqué mis en œuvre par ALPEC pouvait être neutralisé en moins de vingt secondes par une simple atteinte aux circuits électriques et téléphoniques, il appartenait à celle-ci d'attirer l'attention de son cocontractant sur cette faiblesse importante de l'installation, ce qu'elle [minute page 6] n'a pas fait en méconnaissant ainsi l'obligation de conseil qui était la sienne ;
Attendu que, pour contester sa responsabilité, la Société ALPEC ne peut invoquer ni la clause insérée à l'article 9 du contrat, ni l'expiration de la garantie, ni l'absence de contrat d'entretien dans la mesure ou la clause d'irresponsabilité conclue entre un professionnel et un consommateur profane sur l'objet du contrat se révèle abusive et doit être déclarée non écrite en application de l'article 2 du décret du 24 mars 1978 ; que, par ailleurs, l'expiration de la garantie sur le matériel n'empêche nullement la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de droit commun pour non conformité ou violation de l'obligation de conseil ; qu'enfin, aucun défaut d'entretien n'est invoqué contre l'installation qui avait fait l'objet d'une remise en état, après un précédent cambriolage, le 30 mars 1987 soit cinq mois avant les faits alors que la périodicité des contrôles proposée par ALPEC dans ses contrats d'entretien n'est que semestrielle ; que la Société ALPEC doit donc être déclarée responsable du non fonctionnement de l'alarme et le jugement réformé sur ce point ;
2°) Sur l'action contre la M.G.A. :
Attendu que, contrairement à ce que soutient la M.G.A., le Tribunal n'a pas statué sur la question de la compétence ; qu'aujourd'hui cette question ne présente plus d'intérêt puisque la Cour est juridiction d'appel à la fois du Tribunal de Commerce et du Tribunal de Grande Instance de BLOIS et qu'elle décide, en application des dispositions de l'article 89 du Nouveau Code de Procédure Civile, d'évoquer le fond dans un souci de bonne administration de la justice ;
Attendu que la Compagnie M.G.A. ne fait pas valoir d'arguments au fond qui lui soient personnels et différents de ceux de la Société ALPEC avec laquelle elle a pris des écritures communes auxquelles il a déjà été répondu ; que la Compagnie M.G.A. sera donc condamnée, in solidum avec son assurée, à indemniser le préjudice subi par la Société MPG ;
3°) Sur le montant du préjudice et les autres demandes :
Attendu que la Société ALPEC ne peut voir sa responsabilité être substituée à celle des auteurs du cambriolage ; que les manquements [minute page 7] fautifs à ses obligations contractuelles ont seulement contribué à la perte d'une chance pour la victime de voir les malfaiteurs mis en fuite par le fonctionnement efficace du système d'alarme ou interrompue dans leur entreprise par l'arrivée des surveillants attirés par la transmission téléphonique ;
Attendu qu'il convient de considérer que, compte tenu du mode opératoire des malfaiteurs et des moyens utilisés par eux, la majeure partie des dégradations mobilières et immobilières dont MPG réclame aujourd'hui le remboursement aurait été réalisée si le système d'alarme avait fonctionné ; que les dommages-intérêts accordés à l'appelante seront donc limités à une somme de 50.000 Francs ;
Attendu que le préjudice commercial subi par MPG résulte exclusivement des dégradations dont s'agit ; que l'appelante sera déboutée de sa demande de ce chef ; qu'en revanche, il apparaît inéquitable de lui laisser supporter la totalité de ses frais irrépétibles ; qu'il lui sera donc accordé une somme de 7.000 Francs à ce titre ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
STATUANT publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
REFORME le jugement entrepris,
STATUANT à nouveau,
DECLARE la Société à Responsabilité Limitée ALPEC responsable du mauvais fonctionnement du système d'alarme de la Société Anonyme MPG,
LA CONDAMNE, in solidum avec la COMPAGNIE MUTUELLES GENERALES ACCIDENTS à payer à la Société Anonyme MPG une somme de CINQUANTE MILLE FRANCS (50.000 Francs) en réparation du préjudice subi avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt et une indemnité de SEPT MILLE FRANCS (7.000 Francs) en couverture de ses frais irrépétibles,
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
- CONDAMNE, in solidum, la Société à Responsabilité Limitée ALPEC et la COMPAGNIE MUTUELLES GENERALES ACCIDENTS aux dépens de première instance et d'appel,
- [minute page 8] ACCORDE pour ces derniers à la SCP LAVAL, Avoués, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
ET le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier.
- 5859 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection explicite
- 5873 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Critères - Clauses abusives - Cour de cassation (1978-1994)
- 5953 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Protection de l’entreprise - Alarmes et surveillance : présentation générale
- 6477 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Vente en général (9) - Obligations du vendeur - Clauses exonératoire et limitatives de responsabilité