CA AIX-EN-PROVENCE (8e ch. B), 19 mars 2004
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 741
CA AIX-EN-PROVENCE (8e ch. B), 9 mars 2004 : RG n° 01/12737 ; arrêt n° 180
Publication : Juris-Data n° 244088
Extrait : « Attendu que le précompte des frais de gestion sur dix ans a pour triple effet : - d'amputer l'essentiel du placement initial de la possibilité de porter intérêt et, au bout d'un an, anatocisme ce qui est l'objet même du contrat ; - de rendre irréversible une minoration des frais en cas de diminution des versements que d'autres clauses rendent possible ; - de rendre illusoire en deçà d'un très long terme la souplesse apparente portée par les clauses de rachat ; Attendu que cet abus s'aggrave encore en l'espèce de l'importance (7,5 %) du taux annuel des frais prélevés qui excède le rendement du placement et prive ainsi le souscripteur des fruits de son épargne ; Attendu que le fait que le précompte des frais de gestion soit un principe répandu que ne prohibent pas les dispositions du code des assurances ni les circulaires du Ministre des Finances ne saurait faire échapper en l'espèce cette clause à la qualification d'abusive qui se déduit du calcul de ses effets, les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation étant d'ordre public ; Qu'en l'état de ce texte cette clause abusive est réputée non écrite, prive la compagnie d'assurances de toute perception de frais sur les sommes versées par Mme X., mais laisse subsister le surplus du contrat ».
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
HUITIÈME CHAMBRE B
ARRÊT DU 19 MARS 2004
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 01/12737. Arrêt n° 2004/180.
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de CANNES en date du 17 mai 2001 enregistré au répertoire général sous le n° 00/F226.
APPELANTE :
Madame X.
née le […] à […] demeurant [adresse], représentée par la SCP DE SAINT FERREOL - TOUBOUL, avoués à la Cour, assistée de Maître Philippe MARIA, avocat au barreau de GRASSE substitué par Maître Frédérique JOUHAUD, avocat au barreau de GRASSE
INTIMÉE :
AXA FRANCE VIE anciennement dénommé AXA CONSEIL VIE,
[adresse], représentée par la SCP JOURDAN - WATTECAMPS, avoués à la Cour, assistée de Maître Vincent EHRENFELD, avocat au barreau de NICE
[minute page 2]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du Nouveau Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 14 janvier 2004, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laure BOURREL, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Christian CADIOT, Président de Chambre Monsieur Charles STERN, Conseiller Madame Laure BOURREL, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Christian GARRIGUES.
ARRÊT : Contradictoire, Prononcé publiquement le 19 mars 2004 par Madame Laure BOURREL, Conseiller.
Signé par Monsieur Christian CADIOT, Président de Chambre et Madame Michèle GOUREL DE SAINT PERN, greffier présent lors du prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 3] FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 2 octobre 1997, Mme X. a signé un contrat de capitalisation appelé 5 sur 5 auprès des assurances UAP, avec date d'effet au 13 septembre 1997, pour une durée de 10 ans, les versements trimestriels étant fixés à 30.000 Francs.
La première année, Mme X. a versé 120.000 Francs.
Conformément à la clause 2 des conditions générales intitulée « modification des versements réguliers », Mme X. obtenait que ses versements trimestriels soient réduits à compter du 13 décembre 1998 à 10.000 Francs.
En fait, elle versera au total 150.000 Francs avant de cesser tout versement.
Par un relevé de situation du 8 septembre 1999, Mme X. était informée par l'UAP que la valeur de rachat de son contrat 5 sur 5 était de 61.606 Francs ou 9391,77 euros.
C'est ainsi que suite à l'intervention de son Conseil elle découvrait que la clause 2 des conditions générales de son contrat stipulait « les versements réguliers que vous effectuez au cours de la première année sont inscrits au contrat sans déduction des frais égaux à 7,5 % du cumul des 10 premiers versements annuels prévus à la souscription ».
Ne pouvant obtenir amiablement la restitution de l'intégralité des sommes versées, Mme X. a assigné AXA CONSEIL VIE venant aux droits de l'UAP, devant le Tribunal de Commerce de CANNES en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts.
Par déclaration du 27 juin 2001, Mme X. a relevé appel du jugement du Tribunal de Commerce de CANNES du 17 mai 2001.
- qui a constaté au vu de l'article 132-23 du code des assurances, que la compagnie AXA avait appliqué les termes du contrat conformément à la loi.
- qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.
Par conclusions du 31 octobre 2001, Mme X. sollicite :
- que le jugement attaqué soit réformé.
- que soit prononcée la résolution du contrat sur le fondement des dispositions contenues à l'article 4 et à l'annexe des conditions générales du contrat.
Subsidiairement, vu l'article 132-1 du code de la consommation et les articles 1108 et suivants du code civil.
- [minute page 4] que soit constaté le caractère non écrit de la clause obligeant Mme X. à procéder aux paiements de commissions au profit de la compagnie AXA en totalité sur ses premiers versements.
- que soit constatée l'erreur de Mme X. et que soit annulé le contrat.
- que la compagnie AXA soit condamnée à lui restituer la somme de 150.000 Francs avec intérêts à compter de sa première mise en demeure du 29 octobre 1999.
- que la compagnie AXA soit condamnée à lui payer la somme de 50.000 Francs à titre de dommages-intérêts.
- que la compagnie AXA soit condamnée à lui payer la somme de 10.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC.
A l'appui de ses prétentions elle expose :
- que la résolution du contrat découle de l'article 4 des conditions générales et de l'annexe desdites conditions générales.
- que l'article 132-23 du code des assurances ne s'applique pas.
- que la clause prévoyant que les frais de 7,5 % calculés sur les 10 années de versements envisagés lors de la conclusion du contrat seraient prélevés sur les premiers versements est une clause abusive au sens de l'article 132-1 du Code de la consommation qui doit être déclarée non écrite.
- qu'elle n'aurait jamais contracté si elle avait compris que dès la première année, sur 120.000 Francs versés, 90.000 Francs étaient prélevés pour payer 10 années de frais de gestion alors qu'elle avait la possibilité de modifier ces versements et d'interrompre le contrat en cours.
- que cette erreur entraîne la nullité du contrat par application des dispositions des articles 1108, 1109 et 1110 du code civil.
- que le caractère abusif du comportement de la compagnie AXA justifie la condamnation de l'intimée à lui payer la somme de 50.000 Francs à titre de dommages-intérêts.
Par conclusions du 21 août 2003, AXA FRANCE VIE anciennement dénommée AXA CONSEIL VIE demande :
- la confirmation du jugement entrepris qui a constaté l'absence de vice du consentement, l'absence de caractère abusif des clauses contestées par Mme X. et l'application des termes du contrat conformément à la loi.
- la condamnation de Mme X. à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du NCPC.
[minute page 5] La Compagnie d'assurances AXA fait valoir :
- que par sa signature précédée de la mention « lue et approuvé », Mme X. a attesté avoir été parfaitement informée des clauses contractuelles ou tout au moins avoir été mise en demeure de comprendre son engagement.
- que par application des dispositions des la clause 2 les frais sont déduits la première année pour toute la durée du contrat et calculés sur les versements prévus pour les 10 premières années.
- que Mme X. ayant prévu de verser 120.000 Francs par an pendant dix ans, les frais sont de 120.000 Francs x 10 x 7,5 % = 90.000 Francs.
- que Mme X. confond les sommes inscrites au contrat et les sommes effectivement versées, que la valeur de rachat est constituée des sommes déposées moins les frais.
- que par application des clauses du contrat, la valeur du contrat est de 61.606 Francs au 1er septembre 1999, pour 150.000 Francs effectivement versé.
- que la compagnie AXA a donc rempli ses obligations résultant du contrat.
- que le précompte des frais de gestion appliqué aux contrats de capitalisation à primes périodiques est une modalité répandue.
- que ce mécanisme de précompte devient à terme favorable au souscripteur, puisque aucun frais ne sont amputés sur les versements ultérieurs.
- que le contrat prévoit une valorisation complémentaire puisque les frais de gestion initiaux sont ramenés de 7,5 % à 5 % au bout de 10 ans, ce qui constitue un avantage « considérable » pour le souscripteur car représente 2,5 % de l'ensemble des versements réguliers prévus à la souscription.
- que de plus l'UAP VIE double la valorisation complémentaire à la fin du versement des 10 premières annuités prévues par le contrat de souscription.
- que cette clause de précompte ne peut être abusive puisque cette disposition contractuelle est imposée par l'administration fiscale pour conférer un avantage fiscal.
- que le précompte est conforme aux dispositions de l'article 132-23 du code des assurances, ce qui lui enlève tout caractère abusif.
- que le précompte a été validé par une jurisprudence constante.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas contestée et qu'aucun des éléments soumis à la Cour ne permet d'en relever d'office l'irrégularité ;
[minute page 6] Attendu qu'il résulte des conditions générales, des conditions particulières et de l'annexe du contrat de capitalisation 5 sur 5 souscrit par Mme X. :
- que les versements réguliers ou supplémentaires « nets de frais » sont valorisés chaque mois sur la base d'un taux annuel défini année après année ;
- que pour l'année 1997, le taux est de 4 % ;
- que les frais égaux à 7,5 % calculés sur les 10 premiers versements annuels prévus à la souscription sont déduits des versements effectués la 1ère année ;
- qu'en cas de versements supplémentaires 5 % des frais seront perçus ;
- que la valeur de rachat du contrat est constituée par le cumul des sommes inscrites au contrat, c'est à dire les versements nets de frais ;
- qu'en cours de contrat, le souscripteur peut sur simple demande obtenir la valeur de rachat dudit contrat, en tout ou en partie ;
- que le paiement de la totalité de la valeur de rachat met fin au contrat ;
Attendu qu'en l'état de la clarté des termes contractuels l'erreur substantielle du contractant ne peut procéder que de sa propre insuffisance d'analyse et doit, dès lors, être écartée ;
Attendu qu'aux termes de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;
Attendu que le précompte des frais de gestion sur dix ans a pour triple effet :
- d'amputer l'essentiel du placement initial de la possibilité de porter intérêt et, au bout d'un an, anatocisme ce qui est l'objet même du contrat ;
- de rendre irréversible une minoration des frais en cas de diminution des versements que d'autres clauses rendent possible ;
- de rendre illusoire en deçà d'un très long terme la souplesse apparente portée par les clauses de rachat ;
Attendu que cet abus s'aggrave encore en l'espèce de l'importance (7,5 %) du taux annuel des frais prélevés qui excède le rendement du placement et prive ainsi le souscripteur des fruits de son épargne ;
Attendu que le fait que le précompte des frais de gestion soit un principe répandu que ne prohibent pas les dispositions du code des assurances ni les circulaires du Ministre des Finances ne saurait faire échapper en l'espèce cette clause à la qualification d'abusive qui se déduit du calcul de ses effets, les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation étant d'ordre public ;
[minute page 7] Qu'en l'état de ce texte cette clause abusive est réputée non écrite, prive la compagnie d'assurances de toute perception de frais sur les sommes versées par Mme X., mais laisse subsister le surplus du contrat ;
Que la durée du contrat ayant comme point de départ sa date d'effet soit le 13 septembre 1997 et comme fin le 29 novembre 1999, date du courrier du Conseil de Mme X. par lequel celle-ci sollicite le « remboursement intégral des fonds versés outre intérêts », la compagnie d'assurances AXA devra en conséquence rembourser à Mme X. la somme de 150.000 Francs augmentée des intérêts dus au titre du contrat amputé de la clause concernant la perception des frais ;
Attendu que cette somme issue du recalcul des intérêts portera elle-même intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation en première instance, en l'absence de toute mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception avant cet acte ;
Attendu que les éléments de l'espèce ne justifie pas d'allouer à Mme X. des dommages-intérêts pour résistance abusive ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;
- Reçoit l'appel de Mme X. ;
Infirme le jugement attaqué et statuant à nouveau :
Déboute Mme X. de sa demande en nullité de contrat fondée sur l'erreur ;
- Dit que la clause contenue aux conditions générales du contrat de capitalisation 5 sur 5 stipulant : « Les versements réguliers que vous effectuez au cours de la 1ère année sont inscrits au contrat sous déduction des frais égaux à 7,5 % du cumul des 10 premiers versements annuels prévus à la souscription » est abusive ;
Condamne AXA FRANCE VIE à rembourser à Mme Amandine X. la somme de 150.000 Francs ou 22.867,35 euros augmentée des intérêts dus au titre du contrat de capitalisation 5 sur 5 jusqu'au 29 novembre 1999, avec intérêts au taux légal à compter du 5 avril 2000 ;
Déboute AXA FRANCE VIE à payer à Mme X. la somme de 1.524 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;
[minute page 8] Déboute Mme Amandine X. de se ses autres demandes ;
Condamne AXA FRANCE VIE aux dépens, ceux d’appel étant distraits au profit de la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL conformément aux dispositions de l’article 699 du NCPC.
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