CA MONTPELLIER (1re ch. B), 12 septembre 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 7704
CA MONTPELLIER (1re ch. B), 12 septembre 2018 : RG n° 16/02503
Publication : Jurica
Extrait : « Attendu qu'en toute hypothèse, s'applique l'article L. 132-1 du code de la consommation qui prévoit que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;
Attendu que la notion de non professionnel n'exclut pas les personnes morales, et il ne saurait être considéré qu'un GAEC exerçant une activité de polyculture avec élevage traditionnel soit un professionnel en matière d'assurance ; Attendu que le GAEC, qui ne saurait se voir opposer un lien direct entre son activité agricole et la passation d'un contrat multirisque d'assurance, doit être considéré comme un consommateur dans ses rapports avec son assureur et relève de la protection édictée par l'article précité ;
Et attendu que s'agissant du déséquilibre significatif, il est certain que les stipulations contractuelles précitées sont à replacer dans le contexte global du calcul de l'indemnité, après un sinistre ; […]
Attendu qu'ainsi, la clause qui a pour conséquence sinon obligée du moins prévisible d'exclure, au début des constatations initiales et des évaluations qui s'en suivent, moment essentiel de l'exécution du contrat d'assurance, la confrontation de compétences expertales équivalentes, au motif d'une condition postérieure à ces constatations initiales et à ces évaluations, à savoir le désaccord des parties sur les montants évalués, alors même que l'assureur a la possibilité de missionner son expert dès le début des opérations, est porteuse d'un déséquilibre significatif et sera déclarée abusive ; Attendu que sera nécessairement déclarée abusive, comme potestative, au-delà de l'imprécision de la mise en perspective de la 46 de la page 9 des conditions générales, la stipulation qui définit les frais consécutifs en page neuf, s'agissant des honoraires de l'expert choisi par l'assuré, comme « devant être engagé avec notre accord » ;
Attendu que l'assuré, à savoir en l'espèce le GAEC, a donc droit à la prise en charge de ses honoraires d'expertise, mais dans la limite contractuelle de 5 % de l'indemnité versée, dans le cadre des frais consécutifs tels que prévus, qui conditionne la possibilité pour l'assuré de faire appel à un expert de son choix à la divergence avec l'assureur sur le montant total de l'indemnité page 46 des conditions générales ; Attendu qu'en effet, et si le principe de la prise en charge des frais d'expertise engagée par l'assuré ne saurait dépendre d'une clause qualifiée d'abusive, il n'en demeure pas moins que la limitation contractuelle stricto sensu à 5 % de cette prise en charge ne saurait pour sa part être qualifiée d'abusive ;
Attendu qu'en réalité, le contrat, allégé de ses deux clauses abusives, en ce qu'il n'est plus besoin d'un désaccord préalable de l'assuré sur les montants évalués et en ce qu'il n'est plus besoin de l'accord de l'assureur pour la prise en charge des frais consécutifs, continue de faire la loi des parties pour ce qui est de la limitation contractuelle à 5 % de cette prise en charge ».
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
PREMIÈRE CHAMBRE B
ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2018
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 16/02503. Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 FEVRIER 2016 - TRIBUNAL D'INSTANCE DE RODEZ : RG n° 11-15-157.
APPELANTS :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], de nationalité Française, représenté par Maître Marie-Pierre V. S., avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et assisté de Maître Florence R., avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
GAEC DE LA PETITE AUBRAC
inscrite au RCS de RODEZ sous le n° XXX et en tant que de besoin prise en son établissement principal [adresse] lequel pris en la personne de son représentant légal en exercice domiciliée ès qualité au dit siège, représentée par Maître Marie-Pierre V. S., avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et assisté de Maître Florence R., avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant
INTIMÉE :
SA AXA FRANCE
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, représentée par Maître Yann G. de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER G., G., L., avocat au barreau de MONTPELLIER
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 12 juin 2018
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 3 JUILLET 2018, en audience publique, monsieur Georges TORREGROSA, président de chambre ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de procédure civile, devant la cour composée de : Monsieur Georges TORREGROSA, Président de chambre, Madame Chantal RODIER, Conseiller, M. Christian COMBES, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Lys MAUNIER
ARRÊT : - contradictoire - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ; - signé par Monsieur Georges TORREGROSA, Président de chambre, et par Madame Marie-Lys MAUNIER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Les Faits, la procédure et les prétentions :
Vu le jugement rendu par le tribunal d'instance de Rodez en date du 18 février 2016 ;
Vu l'appel relevé par M. X. et par le GAEC de la petite Aubrac, en date du 24 mars 2016, dont la cour a vérifié la régularité ;
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions des appelants en date du 5 juin 2018 ;
Vu les conclusions de la société AXA France en date du 2 mai 2018 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 12 juin 2018 ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Attendu que la désignation d'un expert par les gérants du GAEC et par le propriétaire M. X. a fait l'objet d'un contrat en bonne et due forme en date du 23 août 2014, qui prévoit le paiement d'honoraires limités à 5 % hors taxes sur l'assiette constituée par la totalité des sommes fixées comme pertes de chaque chef de dommages et pouvant incomber aux compagnies d'assurances ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que le cabinet F. ainsi désigné a accompli sa mission et dispose donc d'une créance, les assurés ayant intérêt à ce que les frais d'expert ainsi engagés soient pris en charge par leur assureur, dans le cadre du contrat d'assurance qui constitue la loi des parties ;
Attendu que les frais d'expert ont été expressément exclus de la convention de règlement intervenue ;
Et attendu que le contrat est ainsi rédigé, aux conditions générales en page 46 et en page neuf de la multirisque agricole, produite en pièce numéro deux des appelants ;
Attendu que :
« l'indemnité est déterminée en toute bonne foi entre vous et nous. En cas de complexité technique dans l'appréciation des dommages, nous pouvons missionner un expert à nos frais. En cas de divergence avec nous sur le montant total de l'indemnité, vous avez la possibilité de faire appel à un expert de votre choix. Dans ce cas la prise en charge de ces frais et honoraires s'effectue au titre des frais consécutifs dans la limite prévue au contrat, et sans pouvoir excéder 5 % de l'indemnité versée (page 46) « Les frais consécutifs : il s'agit notamment des frais suivants qui doivent être engagés avec notre accord : honoraires de l'expert auquel vous avez éventuellement choisi de recourir pour évaluer le montant des dommages (page neuf) » ;
Attendu qu'à première lecture, il existe en toute hypothèse une imprécision lorsque l'on met en perspective ces stipulations, puisque la prise en charge des honoraires d'expert éventuellement choisi par l'assuré pour évaluer le montant des dommages semble devoir recueillir l'accord de l'assureur pour participer à des frais consécutifs pris en charge (page neuf), tandis qu'en cas de divergence sur le montant total de l'indemnité, la possibilité pour l'assuré de faire appel à un expert de son choix ne semble nécessiter en aucun cas l'accord préalable de l'assureur (page 46) ;
Attendu qu'en toute hypothèse, s'applique l'article L 132-1 du code de la consommation qui prévoit que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;
Attendu que la notion de non professionnel n'exclut pas les personnes morales, et il ne saurait être considéré qu'un GAEC exerçant une activité de polyculture avec élevage traditionnel soit un professionnel en matière d'assurance ;
Attendu que le GAEC, qui ne saurait se voir opposer un lien direct entre son activité agricole et la passation d'un contrat multirisque d'assurance, doit être considéré comme un consommateur dans ses rapports avec son assureur et relève de la protection édictée par l'article précité ;
Et attendu que s'agissant du déséquilibre significatif, il est certain que les stipulations contractuelles précitées sont à replacer dans le contexte global du calcul de l'indemnité, après un sinistre ;
Attendu que la clause précitée permet bien à l'assureur, dans le cas d'un sinistre qui présente une complexité technique (sans autre précision ou critère précis, puisque le critère de la complexité est lié à la nécessité de désigner un expert), de désigner un expert à ses frais, à l'évidence dès les premières constatations et relevés, ou en tout cas dès que ces premières constatations l'ont convaincu de la complexité technique du sinistre ;
Attendu que la nécessité pour l'assuré d'une divergence sur les montants évalués, préalable à la désignation de son propre expert pris en charge dans ce cas là au titre des frais consécutifs dans la limite contractuelle, a pour conséquence prévisible qu'il aura participé seul à la première évaluation des montants consécutifs au sinistre, la seule possibilité d'échapper à ce processus étant de désigner dès les premières constatations suite au sinistre son propre expert, mais à ce moment-là sans pouvoir se prévaloir ensuite d'une divergence, et en devant assumer les frais, ce qui constitue une circonstance à l'évidence dissuasive ;
Attendu qu'en réalité, et même s'il est vrai que l'assuré peut faire le choix d'un expert avant tout désaccord sur le montant d'indemnité, ce qui a été le cas en l'espèce, l'obligation de régler lui-même des frais d'un montant important est considérablement dissuasive, de sorte que la probabilité pour l'assureur d'être confronté à une critique professionnelle de l'évaluation faite par l'expert choisi par lui, et de devoir assumer, parmi les frais consécutifs, la rémunération de l'expert choisi par l'assuré, est excessivement réduite ;
Attendu qu'ainsi, la clause qui a pour conséquence sinon obligée du moins prévisible d'exclure, au début des constatations initiales et des évaluations qui s'en suivent, moment essentiel de l'exécution du contrat d'assurance, la confrontation de compétences expertales équivalentes, au motif d'une condition postérieure à ces constatations initiales et à ces évaluations, à savoir le désaccord des parties sur les montants évalués, alors même que l'assureur a la possibilité de missionner son expert dès le début des opérations, est porteuse d'un déséquilibre significatif et sera déclarée abusive ;
Attendu que sera nécessairement déclarée abusive, comme potestative, au-delà de l'imprécision de la mise en perspective de la 46 de la page 9 des conditions générales, la stipulation qui définit les frais consécutifs en page neuf, s'agissant des honoraires de l'expert choisi par l'assuré, comme « devant être engagé avec notre accord » ;
Attendu que l'assuré, à savoir en l'espèce le GAEC, a donc droit à la prise en charge de ses honoraires d'expertise, mais dans la limite contractuelle de 5 % de l'indemnité versée, dans le cadre des frais consécutifs tels que prévus, qui conditionne la possibilité pour l'assuré de faire appel à un expert de son choix à la divergence avec l'assureur sur le montant total de l'indemnité page 46 des conditions générales ;
Attendu qu'en effet, et si le principe de la prise en charge des frais d'expertise engagée par l'assuré ne saurait dépendre d'une clause qualifiée d'abusive, il n'en demeure pas moins que la limitation contractuelle stricto sensu à 5 % de cette prise en charge ne saurait pour sa part être qualifiée d'abusive ;
Attendu qu'en réalité, le contrat, allégé de ses deux clauses abusives, en ce qu'il n'est plus besoin d'un désaccord préalable de l'assuré sur les montants évalués et en ce qu'il n'est plus besoin de l'accord de l'assureur pour la prise en charge des frais consécutifs, continue de faire la loi des parties pour ce qui est de la limitation contractuelle à 5 % de cette prise en charge ;
Mais attendu que la pièce trois dont se prévaut l'assureur pour estimer que le total des règlements s'élève à 119.697 euros, en ne retenant que les paiements effectifs qui résulteraient de la pièce numéro cinq, ne permet pas d'éluder l'accord de règlement intervenu pour une indemnité immédiate de 116.097,07 euros, et une indemnité différée de 71.855,91 euros, ce qui justifie le montant réclamé à hauteur de 5 %, soit 9.397,65 euros, avec intérêts au taux légal depuis le 13 avril 2015, date de la mise en demeure ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR statuant contradictoirement :
Déclare l'appel fondé ;
Infirme le jugement de premier ressort dans toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Qualifie d'abusive la clause contractuelle insérée en page 46 des conditions générales du contrat multirisque, en ce qu'elle conditionne la possibilité pour l'assuré de faire appel à l'expert de son choix, dont les frais et honoraires seront pris en charge au titre des frais consécutifs, à une divergence avec l'assureur sur le montant total de l'indemnité ;
Qualifie d'abusive la clause contractuelle insérée en page neuf des conditions générales du contrat multirisque, en ce qu'elle conditionne la prise en charge des honoraires de l'expert choisi par l'assuré à la circonstance qu'ils doivent être engagés avec l'accord de l'assureur ;
Condamne en conséquence la société AXA France au paiement au GAEC de la petite Aubrac d'une somme de 9.397,65 euros, au titre de la garantie des honoraires et frais d'expert, avec intérêts au taux légal à compter du 13 avril 2015, outre une somme de 2.500 euros au titre des frais inéquitablement exposés en premier ressort et en appel.
Condamne la société AXA France aux entiers dépens, à recouvrer au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
- 5856 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Droit postérieur à la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014
- 5859 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection explicite
- 5881 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Critères - Clauses abusives - Critères alternatifs : identité de spécialité
- 5950 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Protection de l’entreprise - Assurances
- 6386 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances multirisques - Habitation - Preuves et litiges