CA COLMAR (ch. 12), 6 décembre 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 7782
CA COLMAR (ch. 12), 6 décembre 2018 : RG n° 17/04892, arrêt n° 12M 181/18
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Conformément aux dispositions de l'article 141 de la loi du 1er juin 1924, qui prescrit que « la demande qui tend à faire ordonner l'exécution forcée sur les biens immeubles doit être présentée au tribunal cantonal, dans le ressort duquel ils sont situés », l'ordonnance du 27 juin 2017 précise que « dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la procédure d'exécution forcée immobilière relève de la compétence des tribunaux d'instance » et a bien été rendue par le tribunal d'instance, plus précisément le vice-président au tribunal d'instance, présidant le tribunal d'exécution. En l'espèce, comme le soutient la banque, le pourvoi a été adressé à « Madame le juge de l'exécution » au Tribunal d'instance de Haguenau
Le tribunal d'instance, statuant comme tribunal de l'exécution forcée immobilière, aux termes de ces dispositions de droit local, constitue effectivement une juridiction différente de celle du juge de l'exécution, qui dispose d'une compétence précise et exclusive en application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. Les fonctions du juge de l'exécution sont, aux termes de l'article L. 213-5 dudit code, exercées par le président du tribunal de grande instance, qui peut cependant les déléguer à un autre juge de son tribunal, y compris d'un juge d'un tribunal d'instance de son ressort, et, en l'espèce, il n'est pas invoqué ni établi que cela ait été le cas.
En conséquence, et dès lors que le pourvoi immédiat a été adressé au Tribunal d'instance, le fait qu'il soit plus spécialement adressé à « Madame le juge de l'exécution » constitue une maladresse de rédaction. Au demeurant, le greffe du tribunal d'instance a effectué la même lecture, ainsi que le tribunal d'instance, qui s'est estimé saisi du pourvoi. Dès lors que le juge de l'exécution n'a, en réalité, jamais été saisi, la banque ne peut soutenir que le pourvoi immédiat a été porté devant une juridiction incompétente pour en connaître. […]
Dès lors, il convient de constater que le pourvoi immédiat de M. X. était bien destiné au tribunal d'instance, statuant en matière d'exécution forcée immobilière. Le pourvoi immédiat est, dès lors, recevable. »
2/ « Le commandement de payer préalable à l'exécution immobilière signifié le 16 mai 2017 à M. X. mentionne au titre des sommes dues au titre du prêt du 18 janvier 2010 précité : les échéances impayées avant déchéance du terme du 20 août au 20 novembre 2016, pour une somme de 7 037,12 euros, les intérêts pour mémoire, le capital restant dû au 20 novembre 2016, soit 273 167,82 euros, les intérêts ayant courus, l'indemnité forfaitaire de 3 %, le coût de l'acte, dont à déduire une somme encaissée de 471,18 euros. La banque poursuit le paiement des sommes indiquées dans ce commandement, et ne soutient pas qu'une autre somme est due au titre de ce prêt.
M. X. soutient, d'abord, qu'avant même le prononcé de la déchéance du terme par la Banque, il avait régularisé la situation d'impayés.
La banque se prévaut d'une lettre du 20 décembre 2016 prononçant la déchéance immédiate du terme du prêt, en raison de l'absence de paiements des échéances du 20 août au 20 novembre 2016. Or, il résulte de la lecture de cette lettre, que la banque avait prononcé la déchéance du terme à effet du 20 novembre 2016, comme elle l'indique d'ailleurs dans ses conclusions, en page 9.
La cour observe que cette déchéance a donc été prononcée sans mise en demeure préalable. D'ailleurs, les seules mises en demeure produites concernent, soit (par lettres des 9, 10 août, 7 et 8 septembre 2016) un autre prêt ou (par lettre du 22 novembre 2016) un compte bancaire sans qu'il soit établi que les sommes dont il est demandé paiement concernent des échéances impayées du prêt n° 08XX156, soit, enfin, (par lettre du 22 août 2016), s'agissant de ce prêt n°08XX156, des échéances des mois de juin et juillet 2016, dont elle ne réclame plus paiement dans sa lettre du 20 décembre 2016 et son commandement de payer. La banque a ainsi prononcé la déchéance du terme conformément à la clause du contrat de prêt immobilier, souscrit par M. X. pour financer l'achat de sa résidence principale, qui prévoit (p. 14) que « la totalité des sommes dues (...) deviendra de plein droit immédiatement exigible sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure préalable (..) en cas de non-respect des engagements de l'emprunteur. »
M. X. ne soutient pas qu'à la date du 20 novembre 2016, il avait régularisé les échéances impayées du prêt litigieux. En revanche, M. X. soutient, ensuite, le caractère abusif de cette clause d'exigibilité par anticipation de plein droit.
Aux termes de l'article L. 132-1 du code de la consommation, devenu L. 212-1 du même code en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Dans sa recommandation n° 04-03 relative au prêt immobilier du 27 mai 2004, la Commission des clauses abusives, après avoir constaté que des clauses « prévoient une exigibilité par anticipation de plein droit : - si d'une manière générale, l'une des obligations prévues au contrat de prêt n'était pas observée ; (...) Qu'en outre, certaines clauses prévoient que le prêteur n'aurait pas à faire prononcer en justice la déchéance du terme qui lui demeurerait acquise nonobstant tous paiements ou régularisations postérieurs à l'exigibilité prononcée » a considéré que « ces clauses qui autorisent la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues, dès lors, notamment, que l'emprunteur n'a pas observé une quelconque obligation, même mineure, résultant du contrat de prêt (...) sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dans la mesure où, elles tendent à laisser penser que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, d'une part l'existence d'une inobservation commise par l'emprunteur (...) et qu'au surplus, elles laissent croire que le consommateur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de cette déchéance, que ces clauses apparaissent significativement déséquilibrées ».
Elle a ainsi recommandé que « soient éliminées des contrats de prêt immobilier les clauses ayant pour objet ou pour effet de (...) laisser croire que le prêteur peut prononcer la déchéance du terme en cas d'inobservation d'une quelconque obligation ou en cas de déclaration fausse ou inexacte relative à une demande de renseignements non essentiels à la conclusion du contrat, et sans que le consommateur puisse recourir au juge pour contester le bien-fondé de cette déchéance » ;
En l'espèce, la clause précitée du contrat, souscrite entre un professionnel et un consommateur dans un contrat de prêt destiné à financer l'acquisition de la résidence principale de l'intéressé, en ce qu'elle permet au prêteur de prononcer la déchéance du terme et l'exigibilité de l'intégralité des sommes dues, pour la seule raison que l'emprunteur n'a pas respecté un de ses engagements, comme par exemple le paiement à bonne date d'une seule échéance des 240 échéances prévues au contrat, quand bien même il serait en mesure de régulariser à bref délai un tel retard, et ce, sans avoir préalablement mis l'emprunteur en demeure de régulariser ledit retard dans un délai raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et est dès lors abusive.
En outre, en ce qu'elle laisse croire que l'emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien fondé de ladite déchéance, cette clause crée également un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et est dès lors abusive.
En conséquence, la clause dont se prévaut la banque pour prononcer la déchéance immédiate du terme doit être réputée non écrite, ce que la Cour d'Appel a le pouvoir de constater. La banque ne pouvait dès lors, sans aucune mise en demeure préalable, prononcer immédiatement la déchéance du terme par lettre du 20 décembre 2016. Comme il a été vu, la banque ne produit aucune mise en demeure préalable correspondant aux échéances précitées. Au demeurant, il n'appartient pas à la cour d'appel de prononcer la déchéance du terme dans le cadre du présent litige.
En conséquence, à défaut d'avoir valablement prononcé la déchéance du terme, la banque ne justifie pas d'une créance exigible au titre du capital restant dû au 20 novembre 2016, ni de l'indemnité de 3 %. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
CHAMBRE 12
ARRÊT DU 6 DÉCEMBRE 2018
- 5741 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Conséquences sur l’issue du litige - Droits et obligations du professionnel
- 5983 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Juge de l’exécution (JEX)
- 5998 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Normes de référence - Recommandations de la Commission des clauses abusives - Influence effective
- 6026 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre dans l’information - Informations connues du professionnel - Informations juridiques générales
- 6622 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Obligations de l’emprunteur - Déchéance et résiliation - Griefs généraux