CA VERSAILLES (16e ch.), 14 mars 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 7910
CA VERSAILLES (16e ch.), 14 mars 2019 : RG n° 16/05443
Publication : Jurica
Extrait (rappel des faits) : « L'association TMPI (Témoignage messianique au peuple d'Israël) Centre messianique a le 16 février 2012 signé avec la SARL NS Partner un contrat de maintenance de photocopieurs. Elle a le même jour conclu (par l'intermédiaire de la société NS PARTNER) avec la société GE Capital équipement finance un contrat de location de deux photocopieurs. Elle a également signé avec la société Grenke Location un contrat de location portant sur un photocopieur. […]
Suivant exploit des 4, 7 et 8 avril 2014, faisant suite à une mise en demeure des 19 juin et 28 juillet 2013 au fournisseur d'avoir à reprendre ses matériels et notifiant la nullité de leurs contrats de location aux sociétés de financement, l'association cultuelle TMPI Centre messianique, arguant d'une pratique commerciale agressive et de l'insertion de clauses abusives dans les contrats, a fait assigner la société NS Partner, la société Grenke Location et la société GE Capital équipement finance aux fins de nullité des contrats conclus avec ces sociétés et de paiement devant le tribunal de grande instance de Nanterre. »
Extrait (motifs) : « L'association TMPI Centre messianique soutient qu'en sa qualité d'association cultuelle, elle relève de la notion de non-professionnel prévue au code de la consommation, ce qui lui ouvrirait le droit d'invoquer certaines pratiques ou clauses condamnées par le droit de la consommation et entraînant la nullité de plein droit des contrats ; elle soulève également la nullité des contrats souscrits pour dol sur le fondement de l'article 1116 du code civil.
L'association TMPI Centre messianique a donné suite au démarchage effectué auprès d'elle par la société NS Partner, aux fins de réaliser des économies sur le coût d'un photocopieur, non dénommé, objet d'un contrat location antérieur et en cours. Alors qu'un premier bon de commande était signé le 6 février 2012, portant sur un seul photocopieur Ricoh MPC300 CRV, un « contrat de service » était conclu avec le fournisseur prévoyant la fourniture de copies et encre pour deux photocopieurs MPC 300 et MPC 300 CR, et non un seul.
Deux contrats étaient alors signés, consistant en la location de deux autres photocopieurs, locations auxquelles était adjointe la maintenance du matériel. La société NS Partner y agissant comme mandataire apparent des deux sociétés de location financière GE Capital Equipement finance et Grenke Location, et comme fournisseur direct du matériel objet du contrat passé avec Grenke Location.
La proposition de NS Partner présentait la particularité de prévoir le versement, par cette société, de la somme de 50.590 euros TTC censée correspondre au rachat par le locataire du précédent contrat de location, sans autre précision. Ce versement, qui a donné lieu à l'émission d'une facture, a bien été effectué.
Ce n'est qu'en juillet 2013 que la société NS PARTNER, à la demande de l'association, a adressé les exemplaires des contrats de location et de maintenance.
Concomitamment à la signature des bons de commande et contrats de service et maintenance de matériels, la société NS Partner, agissant en qualité apparente de mandataire, soumettait le 16 février 2012 à la signature du dirigeant de l'association deux contrats de location financière, respectivement au nom des sociétés GE Capital Équipement Finance et Grenke Location, pour une durée de 5 années, moyennant le versement d'échéances trimestrielles respectivement de 2.792,65 euros TTC et 2.841,70 euros TTC, soit un coût total trimestriel de 5.634,35 euros TTC (1.878,11 euro TTC par mois).
Il y a lieu de relever qu'à ce stade, le « contrat de location multi-options » signé par la société GE Capital Équipement Finance avec l'association le 16 février 2012, portait sur deux photocopieurs Ricoh, un MPC 300 et un MPC 300 SR, et mentionnait un montant des trimestrialités pour les deux appareils de 2.792,45 euros - la bailleresse précisant « contrat sans assurance intégrée-contrat sans maintenance intégrée » - montant qui a été celui ensuite réclamé pour le seul photocopieur en définitive donné en location par GE Capital Equipement finance, (le MPC 300 SR), la société GE Capital alléguant une « erreur matérielle » dans la définition de l'objet de son contrat. Or au vu de ce contrat, on ne peut que s'étonner de ce que la facture de vente par la société ICS à la société GE Capital Equipement finance, qui portait bien sur deux machines, mentionne des prix unitaires HT pour chacune des deux machines louées de 15.523 euros et 18.954 euros, et inclue deux meubles support. Le montant TTC de la facture d'ICS atteignait ainsi 47.840 euros, prix aujourd'hui revendiqué par CM CIC Leasing Solutions comme réglé par elle pour une seule machine... Pour sa part, la société Grenke Location démontre s'être vue facturer par la société NS Partner pour l'unique photocopieur loué par elle, de modèle MPC 300 moins évolué, une somme de 49.634 euros TTC.
L'association dit avoir compris rapidement que le montage présenté par la société NS Partner, consistant en la location de matériels inutiles (deux photocopieurs au lieu d'un pour un prix supérieur aux anciennes mensualités, même après déduction de la somme versée par chèque à l'association), dans le cadre de contrats de location financière sur 5 années, occasionnait une charge très nettement supérieure à celle qui aurait résulté de la poursuite de son contrat initial, et ce malgré le versement par le fournisseur, lors de sa signature, d'une somme de plus de 50.000 euros.
La société CM CIC Solutions fait valoir que la société NS Partner n'est pas le fournisseur du matériel qu'elle donne en location à l'association TMPI Centre Messanique, de sorte que les éventuelles pratiques commerciales agressives mises en œuvre par cette société seraient sans incidence sur la validité du contrat de location conclu avec l'association TMPI.
En outre, elle dénie à l'association TMPI Centre messianique le droit de se prévaloir des dispositions du code de la consommation lesquelles ne seraient pas applicables en l'espèce.
Sur la nature de l'activité de l'association TMPI Centre messianique et sa recevabilité à invoquer les dispositions du code de la consommation : Le jugement entrepris a débouté l'association de sa demande de nullité des différents contrats au motif, à titre principal, que les dispositions du code de la consommation n'étaient pas applicables en l'espèce, au visa :
- des dispositions de l'article liminaire du code de la consommation ;
- de la constatation que les activités de l'association TMPI se déployaient également dans le domaine de l'audiovisuel et de l'organisation de séminaires.
Si le jugement entrepris a justement relevé qu'outre son activité cultuelle principale, l'association déclarait aux statuts comme des « moyens d'action » au service de sa mission « les publications, cours, conférences, les émissions de radio la distribution de littérature et de cassettes audio et vidéo,... des séminaires, conférences et réunions spéciales », ces activités ne constituent pas une activité professionnelle, telle celle attribuée à une association de même obédience constituée en parallèle, dénommée TMPI Editions.
Une activité exclusivement cultuelle consistant en l'exercice public du culte dans le cadre d'un groupement religieux donné peut légitimement se donner les moyens d'accomplir son objet, comme par exemple la reproduction de documents destinés à être distribués à l'assemblée des fidèles, afférents à la tenue de ces assemblées comme aux réunions, séminaires ou conférences complémentaires auxquels sont appelés les membres de la communauté.
La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 a introduit dans le code de la consommation une définition du consommateur, comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ».
Lors de la recodification de 2016 (à droit presque constant), l'activité « agricole » a été ajoutée aux activités ci-dessus visées excluant la qualité de consommateur. Ainsi à première lecture, seules les personnes physiques ne contractant pas au titre d'une activité professionnelle donnée bénéficient des dispositions protectrices du code de la consommation.
La nouvelle définition du « consommateur » insérée au code de la consommation ne préjudicie aucunement à la jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur de la loi relative au non-professionnel, cette notion étant par ailleurs depuis plusieurs années déjà insérée au même code, notamment relativement aux clauses abusives (article L. 136-1 du code de la consommation [N.B. lire 132-1]).
L'absence d'impact de la nouvelle définition du consommateur sur la possibilité d'étendre le bénéfice des dispositions du code de la consommation à certaines personnes morales, a même été confirmée par le ministre lui-même lors de la séance parlementaire du 28 juin 2013 : « À nos yeux, cette définition ne fait pas obstacle à l'extension du dispositif de protection des intérêts des consommateurs à la défense d'autres intérêts, notamment ceux des personnes morales n'agissant pas dans le cadre d'une activité professionnelle, ou agissant sans but lucratif » ainsi les associations de loi de 1901 ou les syndicats de copropriétaires. La notion de non-professionnel permet cette extension. Ce choix a été largement motivé par une extension en ce sens (aux non-professionnels) « du champ d'application d'un certain nombre de dispositions du code de la consommation, non seulement en matière de clauses abusives, mais également en matière de commerce électronique ou de reconduction des contrats de service ».
L'article liminaire du nouveau code de la consommation précise que, pour l'application du présent code, on entend par « non-professionnel : toute personne morale qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ». Cela est bien le cas concernant l'association TMPI, qui n'exerce aucune activité professionnelle à proprement parler ;
Il doit être rappelé que le juge de la mise en état a expressément considéré que l'association, de nature cultuelle, n'avait pas la qualité de commerçant car elle n'exerçait pas d'actes de commerce.
Il ne peut donc être considéré que la même association serait un professionnel dans ses activités destinées à l'exercice public du culte. L'association appelante est donc recevable, en sa qualité de non professionnel, à se voir appliquer les dispositions du code de la consommation. »
2/ « Sur la pratique commerciale agressive et la clause abusive : Il résulte de l'exposé des faits que l'association TMPI : - a été amenée le même jour, 16 février 2012, à conclure plusieurs contrats, l'un de fourniture de services et maintenance de photocopieurs, et les deux autres de location financière en vue du financement desdits matériels, tous soumis à sa signature par la société NS Partner ou ses préposés ; - a perçu directement de la part du fournisseur, et concomitamment à la signature des contrats, la somme de 50.590 euros.
De ce dernier chef, le consentement de l'association a été manifestement emporté par la perspective du gain promis par les préposés de la société NS Partner, auteurs de la pratique commerciale agressive visée à l'article L. 121-7 7 du code de la consommation et ayant pour objet « de donner l'impression que le consommateur a déjà gagné, gagne ou gagnera en accomplissant tel acte, un prix ou autre avantage équivalent, alors que, en fait : - soit il n'existe pas de prix ou autre avantage équivalent ; - soit l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande de prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l'obligation pour le (consommateur) de verser de l'argent ou de supporter un coût ». Les contrats de service, fourniture et location financière conclus tous le même jour, 16 février 2012, apparaissent ainsi avoir été conclus par l'association TMPI sous l'effet de la pratique commerciale agressive représentée, au sens de l'article L 121-7 du code de la consommation, par l'apport d'une somme non négligeable l'engagement recherché.
Ce procédé, qui jette la confusion dans l'esprit du représentant de la société sur le coût du renouvellement de son matériel de photocopie, et trompe le client sur la portée exacte de ses engagements, s'apparente à des manoeuvres dolosives de nature à le persuader de remplacer un contrat en cours par deux nouveaux contrats, chacun d'un coût plus élevé que le précédent. Il est donc de nature à entacher de nullité relative ou absolue les contrats conclus entre l'association TMPI et la société NS Partner, et par voie de conséquence l'ensemble des contrats subséquents de location financière, qui forment avec le contrat de fourniture et celui de vente un tout indivisible en raison de leur interdépendance. »
3/ « Il est constant au regard de l'exposé des faits de la cause que le contrat de location/maintenance des matériels de photocopie a été conclu concomitamment aux contrats de location financière, le financement résultant des seconds permettant l'acquisition des matériels objets du premier. Il s'en déduit que les bons de commande, bons de livraison, contrats de vente au bailleur et de financement sont interdépendants, et forment un ensemble contractuel indivisible.
Selon deux arrêts de principe en date du 17 mai 2013, la chambre mixte de la Cour de cassation a jugé que « les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » Cette solution a été confirmée le 24 septembre 2013 par la chambre commerciale de la Cour de Cassation. Dans ces arrêts, l'attendu de principe invoqué figure en tête de la motivation de la cour réunie en chambre mixte, qu'il découle d'une interprétation l'article 1134 du code civil, qu'il s'agit dès lors d'un attendu ayant une portée générale indépendante de la situation d'espèce, et ce, conformément à l'usage rédactionnel de la Cour de cassation.
L'interdépendance est d'autant plus caractérisée dans le cas d'espèce que : - la société NS Partner agit manifestement en qualité de mandataire des organismes de location financière, les préposés du fournisseur ayant à leur disposition les imprimés pré- remplis de ces derniers ; - la somme de 50.590 euros qui a été versée par NS Partner à la signature des contrats, a pu être financée par les organismes de location financière, et intégrée aux échéances, ce qui tend à détourner les règles relatives aux crédits à la consommation. - le contrat de fourniture et le contrat de location financière étaient bien interdépendants puisqu'ils étaient concomitants et même tous souscrits le même jour, qu'ils participent d'une seule et même opération économique dans laquelle les matériels en cause n'ont été loués qu'en lien direct avec la commande passée à la société NS Partner, et que l'ensemble révèle que l'un des contrats n'a aucun sens sans l'autre.
Elle affirme à plusieurs reprises que l'association TMPI tenterait de « détourner » le principe d'interdépendance des contrats tel qu'il a été posé dans les arrêts rendus par la chambre mixte de la Cour de cassation le 17 mai 2013, puisque selon elle il ne serait applicable que dans l'hypothèse où le locataire aurait signé « un contrat portant sur un ensemble informatique ou télévisuel et un contrat de prestation de service » type « partenariat pour des diffusions publicitaires ou télésauvegarde » ;
Il y a lieu de souligner que les arrêts Cassation chambre mixte du 17 mai 2013 réputent clairement et généralement non écrite la clause qui contredit l'interdépendance contractuelle que traduit un groupe de contrats dans lequel est intégré un contrat de location financière. Le lien d'interdépendance ainsi noué entre ces contrats est irréductible.
Le CM CIC Solutions ne peut prétendre que l'interdépendance ne constitue pas un fondement de nullité, de résolution ou de résiliation du contrat de location financière, alors qu'il est rappelé et démontré ci-dessus que la résiliation ou l'annulation de l'un des contrats emporte l'anéantissement de l'ensemble. C'est le fondement même de l'interdépendance contractuelle. La clause du contrat de location stipulant l'exclusion de responsabilité du bailleur ou son défaut de lien avec le contrat souscrit auprès du fournisseur est ainsi réputée non écrite.
Il résulte de ce qui précède que la nullité ou la résolution du contrat de vente conclu avec la société NS Partner entraîne avec elle celle des contrats de location financière, qui sont interdépendants des premiers contrats cités. »
4/ « La pratique commerciale consistant à offrir au client non professionnel un avantage financier immédiat, en l'espèce la remise d'une somme d'argent importante eu égard au budget de l'association, afin d'obtenir la conclusion d'un contrat de vente alors même que, sur la durée desdits contrats, le client ne bénéficie d'aucun avantage, est constitutive du dol destiné à tromper le client sur la portée exacte de ses engagements. »
5/ « Il résulte de ce qui précède que les procédés douteux utilisés par les employés de la société NS Partner pour convaincre ses clients, d'abord les propositions établies sur la base d'un matériel correspondant effectivement au besoin du client, le caractère alléchant du « subventionnement » de l'achat par la remise d'un chèque d'un montant important, et finalement la vente d'un autre matériel que celui correspondant aux besoins initiaux, caractérisent manifestement autant de manœuvres pour susciter la signature de deux contrats, respectivement de location et de financement, pour deux photocopieurs au lieu d'un précédemment loué.
La société CM CIC Leasing Solutions n'est pas fondée à invoquer les dispositions de l'article 6.1 des conditions générales, qui prévoient que « le locataire renonce à tout recours contre le bailleur, quelle qu'en soit la nature, pour quelque motif que ce soit ».
Il est d'évidence que cette clause, à considérer qu'elle soit interprétée comme une renonciation du locataire à solliciter la nullité du contrat de location financière, devrait être réputée non écrite, la clause faisant peser sur le locataire le risque de défaillance du fournisseur et prestataire étant en contradiction avec l'économie générale de l'opération qui coordonne trois contrats indivisibles, et contraire aux règles d'ordre public organisant la protection du non-professionnel comme du consommateur. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
SEIZIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 14 MARS 2019
- 6085 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Contenu initial du contrat - Opposabilité des conditions générales - Présentation générale
- 6392 - Code civil et Droit commun - Sanction indirecte des déséquilibres significatifs – Indivisibilité dans les locations financières - Droit postérieur aux arrêts de Chambre mixte
- 6979 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Droit postérieur à la loi n° 2017-203 du 21 février 2017