CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 3 avril 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 8034
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 3 avril 2019 : RG n° 16/16071
Publication : Jurica
Extrait (rappel des faits) : « La société d'Exploitation des Etablissements Louis C., ci-après Louis C., a pour activité le commerce de gros dans le domaine de l'habillement et des chaussures. La société Carrefour Hypermarchés exploite sur le territoire français près de 230 hypermarchés à l'enseigne Carrefour. La société Louis C. et la société Carrefour Hypermarchés ont entretenu des relations commerciales pendant plusieurs années dans le cadre desquelles la société Louis C. fournissait à la société Carrefour Hypermarchés des produits pour sa gamme de vêtements masculins commercialisés sous la marque Tex. En 2010, la société Carrefour Hypermarchés a déréférencé partiellement la société Louis C. ».
Extrait (motifs) : « Sur la recevabilité des demandes de la société Louis C. : La société Louis C. soulève la nullité de la clause de médiation et de conciliation, dans la mesure où elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Elle soutient être recevable à soulever la nullité de cette clause, bénéficiant de la qualité et d'un intérêt à agir et sa demande n'étant pas prescrite. Elle explique que le champ d'application est limité dans son objet et ne vise pas les litiges relatifs à la résiliation du contrat et ses conséquences, de sorte qu'elle n'était pas dans l'obligation de mettre en œuvre cette clause préalablement à son action en justice, engagée sur un fondement délictuel constitué par les dispositions d'ordre public économique de l'article L. 442-6 du code de commerce. Elle relève que l'irrespect de ladite clause ne constitue pas, en tout état de cause, une fin de non-recevoir. Elle ajoute être fondée à invoquer la nullité de la clause litigieuse sur le fondement d'un vice du consentement - la violence économique - que révèle une clause soumettant son fournisseur à une obligation créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations de parties. Enfin, elle indique que la société Carrefour Hypermarchés est mal fondée à invoquer l'irrecevabilité de sa demande pour non-respect de ladite clause en ce sens qu'elle n'a pas donné suite à sa demande d'engager un dialogue afin de parvenir à un règlement amiable du litige.
La société Carrefour Hypermarchés réplique que l'action de la société Louis C. est irrecevable dans la mesure où cette dernière n'a pas mis en œuvre la clause de médiation et de conciliation préalable telle que prévue aux contrats de fourniture de produits sous marque distributeur du 22 décembre 2008 les liant. Elle souligne que la société Louis C. n'est pas fondée à invoquer la nullité de la clause de médiation et de conciliation pour la première fois en appel dans la mesure où son action est prescrite et pour défaut de qualité et d'intérêt à agir. Ainsi, concernant la prescription, elle fait valoir que la société Louis C. a soulevé pour la première fois la nullité de la clause de médiation et de conciliation issue du contrat du 22 décembre 2008 dans ses conclusions signifiés le 20 octobre 2016 soit près de huit ans après la signature dudit contrat et plus de 5 ans après son assignation initiale du 1er septembre 2011 de sorte que son action est prescrite. Concernant le défaut de qualité à agir, elle énonce que l'action en nullité des clauses ou contrats contraires à l'article L. 442-6, I du code de commerce n'est ouverte qu'aux seuls ministre de l'économie et ministère public et par conséquent ne peut être conduite à l'initiative de la société Louis C. Enfin concernant le défaut de qualité et d'intérêt, la société Carrefour Hypermarchés conteste l'argument de la société Louis C. mettant en cause la dérogation de la clause de médiation et de conciliation qui créerait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en affirmant que cette dérogation ne lui a pas été opposée dans le cadre de ce litige et ajoute que si une nullité était encourue, seule la dérogation pourrait être concernée et non la clause en son entier. En tout état de cause, elle affirme que la clause de médiation et de conciliation ne crée aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dès lors qu'elle est réciproque et ne la prive pas de son droit de porter son action devant un juge. Enfin, elle estime que la société Louis C. ne rapporte pas la preuve d'avoir été victime de violence ‘économique- lors de la conclusion du contrat. Elle conclut que, l'action de la société Louis C. n'ayant pas mis en œuvre la clause médiation et de conciliation alors qu'elle s'imposait à elle, est irrecevable. [*]
Sur la recevabilité de la demande de nullité de la clause : La clause contestée est stipulée au contrat du 22 décembre 2008 signé entre les parties, soit après l'entrée en vigueur de la loi 2008-561 du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008. L'article 2224 du code civil issue de la loi n° 200 8-561 du 17 juin 2008 dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer
Il est de principe que l'action en nullité d'un contrat ou d'une de ses clauses se prescrit par cinq ans s'agissant des causes de nullité relative et le point de départ de la prescription est le jour de la signature dudit contrat ».
En l'espèce, la société Louis C. invoque la nullité de la clause de conciliation et de médiation au motif qu'elle est manifestement déséquilibrée au sens de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce. Ce motif de nullité ne peut être considéré, comme le soutient vainement la société Louis C., une cause de nullité absolue, s'agissant d'une question intéressant les deux seules parties au contrat. Par ailleurs, la société C. ne fait pas état d'un texte applicable aux faits de l'espèce relatif à une prescription supérieure. Dès lors, le délai de prescription applicable en l'espèce est de 5 années.
Le point de départ de la prescription est la date de signature de l'acte, la société C. ayant connaissance de cette clause et de ses implications à cette date.
La société Louis C., demandeur à l'instance, soulève la nullité de l'article 23 pour la première fois par conclusions signifiées devant la cour d'appel le 20 octobre 2016 alors que l'action principale a été engagée par acte du 1er septembre 2011 par la société Louis C., soit alors que la prescription de son action en nullité contre cette clause n'était pas prescrite et que la demande de nullité de cette clause n'était pas demandée ni même invoquée devant les premiers juges par elle, de sorte qu'elle est prescrite à formuler pour la première fois le 20 octobre 2016 la nullité de la clause de conciliation et de médiation invoquée par la société Carrefour Hypermarchés, au-delà du délai de 5 années après la signature du contrat.
La demande de nullité de l'article 23 du contrat du 22 décembre 2008 signé entre les parties est donc irrecevable.
Sur la portée de la clause de médiation et de conciliation : L'article 23 intitulé « attribution de juridiction » dispose : « Le présent contrat et l'ensemble de ses annexes sont soumis à la loi et aux tribunaux français. Avant toute action contentieuse, les parties chercheront de bonne foi à régler à l'amiable leur différend relatif à la validité, l'exécution et à l'interprétation du contrat. Les parties devront se réunir afin de confronter leurs points de vue et effectuer toutes contestations utiles pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose. Les parties s'efforceront de trouver un accord amiable dans un délai de 30 jours à compter de la notification par l'une d'elles de la nécessité d'un accord amiable par lettre recommandée avec accusé de réception. Les parties entendent conférer à cette procédure, prévue aux deux alinéas ci-dessus, une pleine force contractuelle. De commune volonté des parties, l'action en justice engagée par l'une d'elles en inobservation de cette procédure sera irrecevable. ». (c'est la cour qui souligne)
La clause instituant une procédure de médiation préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si une partie l'invoque. En l'espèce, la société Louis C. reproche à la société Carrefour Hypermarchés une rupture brutale des relations commerciales établies ainsi qu'une tentative de soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif dans le cadre de l'exécution du délai de préavis qui lui a été accordé par cette dernière. Elle lui fait aussi grief d'avoir réalisé des compensations illicites en exécution du contrat du 22 décembre 2008. Les demandes formées par la société Louis C. à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés sont toutes relatives à l'exécution du contrat, les conditions de la fin des relations commerciales relevant aussi de l'exécution dudit contrat.
L'ensemble des demandes rentre dans le champ d'application de la clause de conciliation préalable prévue à l'article 23, sous peine d'irrecevabilité de l'action contentieuse engagée à défaut d'avoir tenté préalablement de se concilier. Par ailleurs, la société Louis C. ne justifie pas avoir engagé un dialogue préalable avec la société Carrefour Hypermarchés dans les conditions déterminées par ladite clause de conciliation et de médiation.
Il y a lieu de déclarer les demandes de la société Louis C. irrecevables. Le jugement doit être confirmé sur ce point. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 3 AVRIL 2019
- 6164 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Présentation - Protection d’ordre public
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