CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 17 avril 2019
CERCLAB - DOCUMENT N° 8108
CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 17 avril 2019 : RG n° 17/10292
Publication : Jurica
Extrait (rappel des faits) : « La société Electro Peinture a été créée par M. X., qui avait notamment pour activité la fabrication de pistolets de peinture, correspondant à une technologie brevetée. Par jugement du 7 juillet 2014, le tribunal de commerce d'Auxerre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Electro Peinture. Par jugement du 13 octobre 2014, le tribunal de commerce d'Auxerre a pris acte de l'offre de M. Y. d'acquisition partielle de fonds de commerce dont la marque « Electro Peinture ». Ni les activités de vente et négoce des produits de peinture ni l'activité de sous-traitance sur chaîne automatique de thermo laquage n'ont en revanche été reprises. Parallèlement, par contrat du 26 octobre 2014, la société SNEP, représentée par M. Y., a conclu avec la société GS Consulting, créée pour la circonstance par M. X., un contrat de prestation de service, contenant des clauses d'exclusivité et de non concurrence. L'acte de cession du fonds de commerce a été signé le 17 février 2015 concernant les activités d'électro peinture et de grenaille sur la chaîne manuelle. M. X. a adressé le 23 septembre 2015 à la société SNEP un courrier de résiliation du contrat à effet au 22 octobre 2015. Le même jour, la société SNEP a mis en demeure M. X. de cesser les agissements déloyaux qu'elle lui reproche et de lui payer la somme de 100.000 euros au titre de la clause pénale contractuelle. »
Extrait (motifs) : « M. X. et la société GS Consulting soutiennent que M. X., par l'effet des deux clauses de non concurrence et d'exclusivité, se voit interdit de travail effectif jusqu'à l'âge de sa retraite. Elles expliquent que la proportionnalité des obligations et droits de chacun n'existe pas. Elles soulignent que la société SNEP n'a pas procédé au paiement des factures qui étaient dues à la société GS Consulting. Elles indiquent que les clauses de non concurrence et l'exclusivité encourent aussi la nullité puisqu'elles ne protègent aucun intérêt légitime de l'entreprise SNEP, laquelle a aujourd'hui une parfaite connaissance de son métier, du marché, et des enseignes qui pourraient être demanderesses de ses services. Ils soutiennent que les clauses d'exclusivité et de non concurrence n'étaient pas une condition de l'offre.
La société SNEP réplique que l'article L 442-6-I-2° du code de commerce tel qu'invoqué par les appelants n'est pas applicable à une demande de nullité de clause contractuelle, la seule sanction étant l'allocation de dommages et intérêts. Elle explique que les obligations du contrat de collaboration commerciale, telles que l'exclusivité et la non concurrence ont spécifiquement été sollicitées par M. Y. dans l'offre de reprise du fonds de commerce par elle pour préserver la faisabilité du plan de cession et ainsi éviter la liquidation judiciaire et que la contrepartie de M. X. et de la société GS Consulting à ces obligations résidait précisément dans l'offre d'acquisition faite par M. Y. pour maintenir l'activité et préserver l'emploi et la rémunération ainsi que le statut confié à son ancien dirigeant M. X.. Elle relève aussi que les obligations de M. X. ont été spécifiées dans l'offre d'acquisition de M. Y., dans le rapport des organes de la procédure et dans la décision du tribunal de commerce statuant sur le plan de cession du 13 octobre 2014.
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M. X. et la société GS Consulting invoquent la nullité des clauses d'exclusivité et de non concurrence sur la base des dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce suivantes : « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (') de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Les deux éléments constitutifs de la pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties. Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie de la relation contractuelle.
Contrairement à ce que soutient la SNEP ces dispositions peuvent entraîner la nullité de clauses contractuelles s'il est constaté que les conditions précitées sont réunies.
L'article IV intitulé « exclusivité » du contrat de collaboration commerciale signé le 26 octobre 2014 entre la société SNEP et la société GS Consulting représentée par M. X. stipule : « M. X. dédie exclusivement à la société [SNEP] ses activités commerciales en matière de prestations de peinture, électro-peinture et activités connexes, et s'interdit strictement de proposer ses services à toute autre personne, société ou entités susceptible de réaliser des prestations de nature semblable. La société [SNEP], quant à elle, conserve la faculté de commercialiser ses produits et services, actuels ou à venir, par ses propres moyens ou par l'intermédiaire de tout mandataire, agent, intermédiaire ou autre, ce que reconnaît et accepte M. X. ».
Cette clause n'a vocation à s'appliquer que pendant la durée du contrat de collaboration.
L'article VI intitulé « non concurrence - non sollicitation » du même contrat est rédigé comme suit : « M. X. déclare par les présentes d'une part être libre de tout engagement de non concurrence vis-à-vis de tiers et d'autre part, que la signature du présent contrat ne contrevient pas aux engagements qu'il peut avoir contractés antérieurement. M. X. s'engage à ne pas accepter d'autres contrats, missions, mandats de représentation pour des produits et services d'une entreprise concurrente de la société [SNEP], sauf accord exprès préalable et écrit de cette dernière. M. X. s'interdit formellement de créer, exploiter, participer, faire valoir et/ou s'intéresser, dans les départements de la France métropolitaine, à toute activité concurrente ou semblable à celle de la société [SNEP], indépendamment du droit pour cette dernière de faire cesser la contravention. En outre, M. X. s'interdit, dans les mêmes conditions de débaucher ou faire travailler, de quelque manière que ce soit, tous salariés de la société [SNEP], même dans le cadre ou pour les besoins d'une activité non concurrente des activités de ces sociétés. Les engagements du présent article s'appliquent pendant la durée du présent contrat et pendant cinq (5) années à compter de la date de cessation du contrat, quelque soit la cause de cette cessation, sur le territoire de la France. Enfin, les engagements du présent article s'appliquent aux membres du cercle familial de M. X., jusqu'au 3ème degré de parenté, dont M. X. se porte fort, étant précisé que les infractions à ces engagements commises par ces personnes seront réputées, pour l'application du présent contrat, comme ayant été commises par M. X. lui-même. La contrepartie financière de ces engagements est incluse dans les sommes visées à l'article XI «'Rémunération » ».
Le contrat prévoit que M. X. est rémunéré par une commission de 8% du chiffre d'affaires HT réalisé sur les affaires apportées.
Pendant l'exécution du contrat de collaboration
Il ressort des éléments du dossier que M. X. a exercé une activité commerciale pour le compte de la société SNEP, au travers de la société GS Consulting, pour laquelle il était rémunéré, étant par ailleurs relevé qu'il ressort des factures produites que la commission de M. X. est passée à 10% à compter du mois de mai 2015. En application desdites clauses de non concurrence et d'exclusivité, M. X. doit exclusivement adresser la clientèle constituée dans le cadre de ses précédentes activités dont la dernière, qui a été reprise par la société SNEP suite à la liquidation judiciaire de son entreprise, pendant la durée d'exécution du contrat. Cette exclusivité est la contrepartie d'une rémunération. M. X. ne démontre pas de déséquilibre entre son obligation et celles obligations de la société SNEP qui lui verse une rémunération, dont il ne soutient pas en outre qu'elle serait insuffisante au regard de son activité. Par ailleurs, ces clauses étant prévues dans l'équilibre contractuel suite à la reprise de l'activité dans le cadre du plan de cession, tel que le relève d'ailleurs le tribunal de commerce dans le jugement prononçant la liquidation judiciaire de la société Electro-peinture, M. X. a pu continuer à réaliser des prestations rémunérées pour le compte du repreneur.
M. X. ne démontre pas quelle marque il serait empêché de pouvoir librement exploiter alors que le contrat de cession de fonds de commerce explicite bien que tous les actifs immatériels dont ceux qui relèvent de la propriété intellectuelle de la société Electro-peinture faisaient notamment l'objet de la cession, de sorte qu'il ne démontre aucun déséquilibre dans les droits et obligations des parties dans le cadre de la clause d'exclusivité et de non concurrence pendant l'exécution du contrat de trois années.
Ainsi, M. X. et la société GS Consulting ne peuvent critiquer ces clauses et leur équilibre, la société SNEP ayant repris une partie de l'activité de la société de M. X., que M. X. ne pouvait concurrencer pendant la durée du contrat de 3 années. Les clauses d'exclusivité et de non concurrence pendant l'exécution du contrat apparaissent parfaitement justifiées, M. X. ayant été l'associé unique et le gérant de la société qui a fait l'objet d'une procédure collective, qui aurait été placée en liquidation judiciaire si son fonds n'avait pas été repris. Il est donc légitime que le repreneur s'assure de la loyauté de M. X., qui avait de nombreux contacts et clients dans ce secteur d'activité, le temps de laisser une chance à la société reprise de redevenir rentable.
La clause de non concurrence post-contractuelle
En l'espèce, la non concurrence par l'ancien dirigeant de la société reprise était nécessairement une condition de la faisabilité du plan de cession pour éviter la liquidation judiciaire et permettre la poursuite de l'activité comme la reprise de 12 salariés sur les 16 que comptait la société Electro-Peinture, et ce alors que la situation financière de la société n'était plus tenable, compte tenu de sa baisse d'activité. L'administrateur a d'ailleurs relevé dans son rapport qu'il « sera proposé à M. X. un contrat d'accompagnement pour une durée de trois ans, dans le cadre d'un statut indépendant, à définir assorti d'une exclusivité et d'une clause de non concurrence ».
Dès lors, les conditions de la reprise d'une société en grande difficulté financière, expliquée selon l'administrateur notamment par les difficultés économiques de certains clients traditionnels et par la concurrence exacerbée, justifient que la société repreneuse exige la loyauté de la part de l'ancien dirigeant et seul associé de la société Electro Peinture, pendant toute la durée du contrat mais aussi après son exécution pendant 5 années, dans le cadre d'une clause de non concurrence, cette société ayant besoin de temps pour développer une activité pérenne, de sorte que la durée de la clause de non concurrence n'instaure pas de déséquilibres significatifs dans les droits et obligations des parties et que cette clause constitue l'accessoire de la cession du fonds, comme le relève justement la société SNEP.
En effet, la société SNEP a investi dans la reprise du fonds de commerce et des salariés, a pris des risques à essayer de poursuivre l'activité de l'ancienne société de M. X.. Dès lors, il n'est pas déséquilibré significativement dans les droits et obligations des parties que le nouvel acquéreur se prémunisse d'actes de concurrences directs de la part de l'ancien dirigeant et unique associé de l'entreprise ayant fait l'objet d'une procédure collective, ce qui supprimerait tout sens à la reprise du fonds par la société SNEP, M. X. ayant la connaissance du secteur d'activité très spécifique.
Ainsi, aucune preuve d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligation des parties n'est établie par M. X. et la société GS Consulting, s'agissant de la clause d'exclusivité et de non concurrence. En conséquence, au regard de ces circonstances très particulières, les clauses invoquées ne sont pas nulles au sens de l'article précité.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de M. X. et de la société GS Consulting. Le jugement doit être confirmé sur ce point. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 4
ARRÊT DU 17 AVRIL 2019
- 6180 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Principes généraux
- 6184 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Indices - Déséquilibre injustifié - Environnement contractuel
- 6205 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Notion de déséquilibre - Présentation par contrat - Fonds de commerce
- 6252 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Effets de l’action - Suppression de la clause (nullité)